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31/10/2023 | LUXEMBOURG | N°49616

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 31 octobre 2023, 49616


Tribunal administratif N° 49616 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49616 3e chambre Inscrit le 26 octobre 2023 Audience publique du 31 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de rétention administrative (art. 22, L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49616 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 2023 par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au no

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Tribunal administratif N° 49616 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49616 3e chambre Inscrit le 26 octobre 2023 Audience publique du 31 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de rétention administrative (art. 22, L.18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49616 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 2023 par Maître Sanae IGRI, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le …, de nationalité pakistanaise, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 septembre 2023 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée de trois mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 octobre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nur CELIK, en remplacement de Maître Sanae IGRI, et Monsieur le délégué du gouvernement Felipe LORENZO en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale du 11 septembre 2023 émanant du commissariat de Luxembourg et référencé sous le numéro …, dit « Fremdennotiz », que Monsieur … fut contrôlé à cette même date par l’Inspection du travail et des mines alors qu’il travaillait sur un chantier, contrôle au cours duquel il présenta une carte d’identité pakistanaise ainsi qu’une carte d’identification professionnelle établie par les autorités françaises.

Une recherche effectuée auprès du Centre de coopération policière et douanière (CCPD) le même jour révéla que Monsieur … était signalé par les autorités françaises pour « Transfert Dublin sans modalités mises en œuvre […] obligation de quitter le territoire national notifiée le 18/01/2023 ».

Par arrêté du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », déclara le séjour du Monsieur … sur le territoire luxembourgeois irrégulier, lui ordonna de le quitter sans délai et lui y interdit l’entrée pour une durée de trois ans.

1Par décision séparée du même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification.

En date du 14 septembre 2023, Monsieur … introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », demande qui fut enregistrée le lendemain.

Par arrêté du 14 septembre 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna la mainlevée de l’arrêté de placement du 11 septembre 2023, fondé sur les articles 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, et ordonna, sur le fondement de l’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée de trois mois à partir de la notification de la décision en question. Ledit arrêté est motivé comme suit :

« […] Vu l’article 22, paragraphe (2) point d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 11 septembre 2023, notifié le 11 septembre 2023 décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que l’intéressé a présenté une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 14 septembre 2023 ;

Considérant qu’il est signalé au système EURODAC comme ayant introduit une demande de protection internationale en Grèce, en Allemagne et en France ;

Considérant qu’une demande de reprise en charge en vertu du règlement (UE) n°604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 sera adressé aux autorités compétentes dans les meilleurs délais ;

Considérant que les mesures moins coercitives prévue à l’article 22(3) ne peuvent être efficacement appliquées ;

Par conséquent la décision de placement s’avère nécessaire ;

Considérant qu’il existe des motifs raisonnables de penser que le demandeur a présenté sa demande de protection internationale à la seule fin de retarder ou d’empêcher l’exécution de la décision de retour ; […] ».

Il ressort du dossier administratif et plus particulièrement d’un procès-verbal de la police grand-ducale du 15 septembre 2023, intitulé « Rapport d’identité », référencé sous le numéro …, que Monsieur … avait, en date du 9 juillet 2018, introduit une première demande de protection internationale en Grèce, en date du 21 juin 2020, une deuxième demande de protection internationale en Allemagne et, en date du 11 juin 2021, une troisième demande de protection internationale en France. Il ressort en outre du même document que la demande de protection internationale introduite par Monsieur … en Allemagne fut rejetée en date du 12 septembre 2020 et qu’il est signalé par les autorités françaises pour « Obligation de quitter le territoire avec délai notifié à PARIS le 18 janvier 2023 (délai d’exécution 1 mois) ».

Une recherche effectuée le 19 septembre 2023 dans la base de données EURODAC pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays 2tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III » confirma que Monsieur … avait auparavant introduit des demandes de protection internationale en Grèce, en Allemagne et en France.

Toujours le 19 septembre 2023 Monsieur … fut encore entendu par un agent de la Direction de l’Immigration en application du règlement Dublin III, entretien au cours duquel il déclara qu’il aurait été débouté de ses demandes de protection internationale introduites dans les trois Etats membres prévisés.

Le même jour, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues français en vue de la reprise en charge du demandeur sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces derniers en date du 1er octobre 2023.

Le 6 octobre 2023, le ministre prit une décision de transfert vers la France dans le chef de Monsieur ….

Le 11 octobre 2023, le ministre demanda au service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale d’organiser le transfert de Monsieur ….

D’après un plan de vol du 20 octobre 2023, le transfert de Monsieur … vers la France était initialement prévu pour le 26 octobre 2023.

Par courrier du 23 octobre 2023, le service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers transmit un nouveau plan de vol à destination de Paris au ministre, plan de vol d’après lequel le transfert du concerné est finalement prévu pour le 13 novembre 2023.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 octobre 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel, précité, du 14 septembre 2023.

Etant donné que l’article 22, paragraphe (6) de la loi du 18 décembre 2015 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par le requérant à titre principal.

Ledit recours est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur reprend, en substance, les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus, tout en précisant que ce serait lors de son séjour au Centre de rétention sur base de la décision de placement du 11 septembre 2023 et dans l’attente de son éloignement vers le Pakistan, qu’il aurait « souhaité » introduire une demande de protection internationale au Luxembourg.

3En droit et après avoir cité l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur conteste la légalité de l’arrêté ministériel litigieux en donnant à considérer que son placement en rétention ne serait pas justifié alors qu’il n’existerait aucun risque de fuite dans son chef, alors qu’il aurait coopéré avec les services de police dans le cadre de son identification et aurait, par ailleurs, exprimé sa volonté de respecter les obligations lui imposées par le ministre dans l’attente de son transfert vers l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale. Il ajoute que le placement au Centre de rétention devrait rester une mesure exceptionnelle dans la mesure où il s’agirait d’une entrave à sa liberté d’aller et venir laquelle serait une liberté fondamentale garantie par la Constitution, ainsi que par l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désigné par « la CEDH », et qu’il y aurait dès lors lieu de réexaminer sa situation et de recourir à une alternative à son placement en rétention, à savoir une des mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 22 paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015.

Dans ce même contexte, le demandeur s’empare encore de l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 28, paragraphe (2) du règlement Dublin III pour souligner qu’un placement en rétention ne serait envisageable que s’il existe en risque de fuite dans son chef et si le placement en rétention n’est pas disproportionné et sans que d’autres mesures moins coercitives puissent être effectivement appliquées. Or, il n’existerait aucun risque de fuite dans son chef, de sorte que ce serait à tort qu’il aurait été placé au Centre de rétention, le demandeur mettant encore en exergue qu’il aurait fait preuve d’un comportement irréprochable lors de son placement en rétention, comportement qui témoignerait du fait qu’il serait une personne responsable, particulièrement bien intégrée et respectueuse qui ne présenterait aucun danger pour l’ordre public. Son maintien en rétention ne serait partant plus justifié et disproportionné au but recherché.

Il y aurait dès lors lieu de rechercher si l’objectif visé par la rétention ne pourrait, au vu de sa situation personnelle, pas être atteint par une assignation à résidence, le demandeur soutenant à cet égard que son placement dans la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK) constituerait une garantie de représentation suffisante dans son chef.

Par ailleurs, le demandeur fait valoir que « dans le droit commun », le juge aurait « une certaine habitude de formules permettant à un justiciable d’indiquer qu’il sera présent à une audience sans qu’il soit nécessaire de recourir à son emprisonnement jusque-là ».

D’après le demandeur, le risque de « volatilité » pourrait être contré du moment que l’intéressé n’aurait pas enfreint ses obligations et vivrait dans un cadre lui permettant de rendre compte de sa présence.

Au vu de l’ensemble de ces considérations, il conclut à la réformation de l’arrêté de placement litigieux et à sa libération immédiate.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Aux termes de l’article 22 de la loi du 18 décembre 2015 :

« (1) On entend par rétention, toute mesure d’isolement d’un demandeur dans un lieu déterminé où le demandeur est privé de sa liberté de mouvement. […] 4Le placement en rétention est effectué au Centre de rétention créé par la loi du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention.

(2) Un demandeur ne peut être placé en rétention que:

[…] d) conformément à l’article 28 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride (refonte) et lorsqu’il existe un risque non négligeable de fuite établissant que le demandeur a l’intention de se soustraire aux autorités dans le seul but de faire obstacle à une mesure d’éloignement. […] (3) La décision de placement en rétention est ordonnée par écrit par le ministre sur la base d’une appréciation au cas par cas, lorsque cela s’avère nécessaire et si d’autres mesures moins coercitives ne peuvent être efficacement appliquées.

On entend par mesures moins coercitives:

a) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité;

b) l’assignation à résidence dans les lieux fixés par le ministre, si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite;

l’assignation à résidence peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour le demandeur l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence du demandeur dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer au demandeur, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne. La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé;

c) l’obligation pour le demandeur de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de 1’Etat. Cette somme est acquise à 1’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder si les motifs énoncés au paragraphe (2) ne sont plus applicables ou en cas de retour volontaire.

Les mesures moins coercitives sont ordonnées par écrit et peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné.

5[…] Lorsque, à la suite du contrôle juridictionnel, le placement en rétention a été jugé illégal en dernier ressort, le demandeur concerné est libéré immédiatement. ».

En vertu de l’article 22, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 « […] La décision de placement en rétention indique les motifs de fait et de droit sur lesquelles elle est basée. Elle est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois. Sans préjudice des dispositions du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 en matière de rétention, la mesure de placement en rétention peut être reconduite par le ministre chaque fois pour une durée de trois mois tant que les motifs énoncés au paragraphe 2, sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

Les procédures administratives liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue. Les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne peuvent justifier une prolongation de la durée de rétention. […] ».

L’article 22, paragraphe (2), point d) de la loi du 18 décembre 2015, sur base duquel la mesure litigieuse a été prise, qui renvoie à l’article 28 du règlement Dublin III, permet dès lors de placer un demandeur de protection internationale en rétention administrative pour une durée maximale de trois mois en vue de garantir les procédures de transfert prévues par ledit règlement, sous condition, (i) qu’il existe un risque de fuite non négligeable dans le chef de cette personne, risque de fuite qui est présumé dans les circonstances précisées ci-après, (ii) que le placement en rétention soit proportionnel et (iii) que d’autres mesures moins coercitives ne puissent être effectivement appliquées.

L’article 22, paragraphe (3) de la même loi ajoute que le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues à ses points a), b) et c) - à savoir, (i) l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement, à des intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, (ii) l’assignation à résidence, assortie, le cas échéant, d’une mesure de surveillance électronique, et (iii) le dépôt d’une garantie financière d’un montant de cinq mille euros - ne peut être efficacement appliquée.

L’article 22, paragraphe (4) de la même loi précise, par renvoi au règlement Dublin III, que la mesure de placement en rétention est prise pour une durée la plus brève possible ne dépassant pas trois mois et que les procédures liées aux motifs de rétention énoncés au paragraphe (2) sont exécutées avec toute la diligence voulue, sans que les retards dans les procédures administratives qui ne sont pas imputables au demandeur ne puissent justifier une prolongation de la durée de rétention, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter le transfert dans les meilleurs délais et que le placement ne se prolonge pas au-delà du délai raisonnable nécessaire pour accomplir les procédures administratives requises. Cette mesure de placement en rétention peut être reconduite, chaque fois pour une durée de trois mois, tant que les motifs énoncés à l’article 22, paragraphe (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 sont applicables, mais sans que la durée de rétention totale ne puisse dépasser douze mois.

En l’espèce, le demandeur conteste tant la légalité que le bien-fondé de la décision de placement en rétention en arguant en premier lieu qu’il n’existerait aucun risque de fuite dans son chef.

6 Le tribunal rejoint toutefois la partie étatique dans son constat de l’existence d’un risque de fuite non négligeable dans le chef du demandeur.

A cet égard, il convient en premier lieu de rappeler que l’article 22, paragraphe (2), point d), tel que modifié par la loi du 20 juillet 2023 portant modification de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire dispose que « […] Le risque non négligeable de fuite est présumé dans les cas suivants :

i.

si le demandeur s’est précédemment soustrait, dans un autre État membre, à la détermination de l’État responsable de sa demande de protection internationale en vertu du droit de l’Union européenne ou à l’exécution d’une décision de transfert ou d’une mesure d’éloignement ;

[…] iii.

si le demandeur a été débouté de sa demande de protection internationale dans l’État membre responsable ; […] ».

Or, force est de constater qu’il ressort tant du dossier administratif que des déclarations du demandeur-même que ce dernier a été débouté de ses demandes de protection internationale introduites en France et en Allemagne. Il en ressort encore, et plus particulièrement du procès-verbal de la police grand-ducale du 15 septembre 2023, intitulé « Rapport d’identité », référencé sous le numéro …, ainsi que du document prémentionné établi par le CCPD en date du 11 septembre 2023, que le concerné s’est soustrait à l’exécution d’une décision de transfert prise par les autorités françaises lui notifiée le 18 janvier 2023.

Il s’ensuit, et indépendamment de la question de savoir si le demandeur a coopéré avec les services ministériels en vue de son identification et a fait preuve d’un comportement prétendument irréprochable, question non pertinente en l’espèce, qu’un risque de fuite non négligeable est présumé dans le chef de celui-ci, de sorte que c’est a priori à juste titre que le ministre a pris une décision de placement en rétention à son encontre.

En ce qui concerne ensuite l’application de mesures moins coercitives, le tribunal rappelle que le placement en rétention ne peut être ordonné que si aucune des mesures moins coercitives prévues aux points a), b) et c) de l’article 22, paragraphe (3), précités, de la loi du 18 décembre 2015 ne peut être efficacement appliquée.

A cet égard, et en ce qui concerne plus précisément la mesure moins coercitive prévue au point a) de l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir l’obligation pour le demandeur de se présenter régulièrement devant les services ministérielles, force est de constater que celle-ci n’est pas concevable en l’espèce dans la mesure où il n’est pas contesté en cause que le demandeur ne dispose pas de l’original de son passeport, étant rappelé à cet égard que la remise aux services ministériels de l’original du passeport, accompagné, le cas échéant, d’un autre document justificatif de son identité, est, au vu du libellé du point a) de l’article 22, paragraphe (3) une condition sine qua non à l’application éventuelle de cette même mesure coercitive.

7Quant à l’assignation à résidence telle que prévue par l’article 22, paragraphe (3), point b) de la loi du 18 décembre 2015, il échet de rappeler que celle-ci n’est envisageable que si le demandeur présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite. Or, en l’espèce, le demandeur n’a pas fourni le moindre élément au tribunal qui serait de nature à renverser la présomption de risque de fuite pesant sur lui. Plus particulièrement, le demandeur est resté en défaut de fournir le moindre élément concluant quant à des attaches particulières au Luxembourg, respectivement quant à une possibilité concrète de résidence ou d’hébergement au Luxembourg, éléments qui seraient susceptibles d’établir dans son chef l’existence de garanties de représentation effective propres à prévenir un risque de fuite conformément à la disposition légale prémentionnée, risque de fuite non négligeable, qui, tel que relevé ci-avant, est présumé dans son chef, étant encore précisé, dans ce contexte, que la SHUK ne saurait être considérée comme domicile stable ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante.

S’agissant finalement de la mesure moins coercitive prévue par le point c) de l’article 22, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, force est au tribunal de constater que le demandeur n’a fourni aucune proposition d’une telle garantie financière.

Quant à l’invocation par le demandeur d’une atteinte à son droit à la liberté consacré par l’article 5 de la CEDH, ensemble la violation alléguée du principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 5 de la CEDH : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f) précité de la CEDH que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays.

Dans la mesure où le demandeur a fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire, de sorte qu’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire, tel que cela a été retenu ci-avant, et dans la mesure où une procédure d’éloignement à son encontre est en cours d’exécution, le ministre a valablement pu placer le demandeur au Centre de rétention et maintenir cette mesure de placement sans violer l’article 5 de la CEDH.

Il s’ensuit que les développements du demandeur relatifs à une prétendue disproportion de la mesure de placement en rétention basés sur une absence d’un risque de fuite dans son chef ainsi qu’une violation de l’article 5 de la CEDH sont à rejeter pour ne pas être fondés Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, même à soulever d’office, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Au vu de l’issue du litige, le demandeur est à débouter de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000,- euros fondée sur l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

8 Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.000 euros telle que formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 31 octobre 2023 par :

Thessy Kuborn, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Daniel Weber, vice-président, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 31 octobre 2023 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 49616
Date de la décision : 31/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 05/11/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-10-31;49616 ?

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