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23/10/2023 | LUXEMBOURG | N°49562

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 octobre 2023, 49562


Tribunal administratif N° 49562 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49562 2e chambre Inscrit le 13 octobre 2023 Audience publique du 23 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49562 du rôle et déposée le 13 octobre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Naïma El Handouz, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, a

u nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algé...

Tribunal administratif N° 49562 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49562 2e chambre Inscrit le 13 octobre 2023 Audience publique du 23 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49562 du rôle et déposée le 13 octobre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Naïma El Handouz, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 5 octobre 2023 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à compter de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 18 octobre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur Xavier Leuck, en remplacement de Maître Naïma El Handouz, et Madame le délégué du gouvernement Hélène Massard en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 octobre 2023.

Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, dit « Fremdennotiz », portant le numéro …, daté du 6 juillet 2023, émanant du commissariat …, que Monsieur … fit l’objet d’un contrôle par les agents de police lors duquel il ne fut pas en mesure de présenter des documents d’identité.

Par arrêté du 6 juillet 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Monsieur … au Luxembourg, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, à savoir l’Algérie, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner et lui interdit l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :

1« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no … du 6 juillet 2023 établi par la Police grand-ducale, unité … ;

Vu ma décision de retour du 6 juillet 2023, lui notifiée le même jour, assortie d’une interdiction d’entrée de 5 ans ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les meilleurs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Il ressort des éléments du dossier administratif que Monsieur … fit l’objet d’un signalement dans la base de données du système d’information Schengen (SIS) aux fins de non-admission en date du 21 avril 2023.

Une vérification faite le 7 juillet 2023 dans les bases de données du Centre de coopération policière et douanière (CCPD) révéla que l’intéressé n’était connu ni en Belgique ni en Allemagne, mais qu’il a fait l’objet d’une « mesure d’obligation de quitter le territoire français avec départ volontaire en date du 21/04/2023 » en France.

Il ressort ensuite de deux recherches effectuées en date des 16 mars et 10 juillet 2023 dans la base de données EURODAC en vue de la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », que Monsieur … avait introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 19 septembre 2022 et aux Pays-Bas en date du 25 mai 2023.

Par arrêtés du 2 août 2023 et du 4 septembre 2023, notifiés à l’intéressé en date du 4 août 2023, respectivement 6 septembre 2023, le ministre décida à chaque fois de prolonger la mesure de placement au Centre de rétention prise à l’égard de Monsieur … pour une durée d’un mois avec effet au 6 août 2023, respectivement à compter de la notification de l’arrêté en question.

Les recours contentieux dirigés contre les arrêtés précités de prorogation de la mesure de placement des 2 août et 4 septembre 2023 furent rejetés par deux jugements du tribunal administratif du 16 août 2023, inscrit sous le numéro 49279 du rôle, respectivement du 21 septembre 2023, inscrit sous le numéro 49413 du rôle.

Par un arrêté du 5 octobre 2023, notifié à l’intéressé en date du 6 octobre 2023, le ministre décida de prolonger la mesure de placement prise à l’égard de Monsieur … pour une 2nouvelle durée d'un mois à compter de la notification. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 6 juillet, 2 août et 4 septembre 2023, notifiés les 6 juillet, 4 août avec effet au 6 août et 6 septembre 2023, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 6 juillet 2023 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 octobre 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel susmentionné du 5 octobre 2023 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, après avoir rappelé les rétroactes relevés ci-avant, Monsieur …, en citant les termes de l’article 120, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, fait valoir que le placement en rétention devrait être considéré comme un « ultime moyen », alors que celui-ci porterait atteinte à la liberté de mouvement, et qu’il ne constituerait qu’une simple faculté pour le ministre qui ne serait pas discrétionnaire, mais devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Tout en admettant que l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », prévoirait expressément la possibilité du placement en rétention d’un étranger en situation irrégulière, le demandeur insiste sur le fait que cette mesure, laquelle équivaudrait à une détention, devrait rester exceptionnelle.

Toutefois, le ministère serait, en l’espèce, parti sur le postulat que s’agissant d’une personne en situation irrégulière, il serait directement placé au Centre de rétention, sans envisager d’autres solutions plus adaptées et moins dommageables en termes de privation de liberté, tant lors de son placement en rétention que lors de la prolongation de la mesure de placement. Il reproche dans ce contexte au ministre de ne pas avoir eu recours à des mesures moins coercitives, tel un « placement » dans la structure d’hébergement d’urgence du 3Kirchberg (SHUK) ou dans « tout autre foyer pour les demandeurs de protection internationale ».

Enfin, il reproche au ministre de ne pas avoir agi avec toute la diligence requise pour écourter au maximum son placement en rétention, respectivement de ne pas avoir renseigné quelles démarches en ce sens avaient été entreprises.

A cet égard, il insiste sur le fait que dans l’arrêté ordonnant son placement en rétention initial, le ministre aurait reconnu lui-même que « l’éloignement de l’intéressé [serait engagé] dans les plus brefs délais », ce qui impliquerait qu’aucune diligence en vue d’organiser son éloignement n’aurait encore été entreprise au moment de son placement en rétention, et ce alors même que le ministre serait légalement tenu « d’engager des démarches, de faire état, et de documenter les démarches qu’il estime requises » pour écourter au maximum la privation de liberté.

Dans ce contexte, il ajoute que le simple fait pour le ministre d’indiquer, sans autre précision que toutes les diligences seraient engagées en vue de son identification, serait insuffisant pour justifier une mesure de placement, alors que cela sous-entendrait que le ministre n’aurait engagé des diligences qu’après son placement en rétention. Le demandeur souligne également que le ministre se serait limité à affirmer dans la décision déférée que les « démarches n’ont pas encore abouti », sans renseigner quelles démarches auraient été entreprises afin de permettre son éloignement, ce qui impliquerait qu’aucune diligence permettant d’écourter son maintien en rétention n’aurait été entreprise par le ministre.

Il reproche à cet égard au ministre de se contenter d’adresser des courriers de rappels stéréotypés aux autorités consulaires algériennes, sans pour autant agir avec plus de diligence afin d’écourter son placement en rétention. Il conclut qu’eu égard au manque de diligence du ministre et à l’absence de réponse des autorités consulaires algériennes, les chances d’aboutir à un éloignement resteraient très hypothétiques à l’heure actuelle.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, de manière que les moyens tenant à la validité formelle d’une décision doivent être examinés, dans une bonne logique juridique, avant ceux portant sur son caractère justifié au fond.

S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée et, plus particulièrement, du moyen tiré d’une insuffisance de motivation de ladite décision, le tribunal relève qu’aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention - l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision. Le ministre n’avait, dès lors, pas à motiver spécialement la décision litigieuse, de sorte que le moyen sous analyse est à rejeter.

4Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal précise qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement.

C’est ainsi que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite en premier lieu l’identification de l’intéressé et la mise à la disposition de documents d’identité et de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée.

C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

Au vu des considérations qui précèdent et dans la mesure où c’est justement afin de préparer l’exécution de la mesure d’éloignement qu’un étranger peut, sous réserve qu’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement, être placé en rétention, l’argumentation non autrement sous-tendue par une quelconque base légale ou référence jurisprudentielle visant, de l’entendement du tribunal, à critiquer le fait qu’aucune démarche en vue de l’exécution de son éloignement n’aurait été prise préalablement à son placement en rétention est dès lors d’ores et déjà à rejeter pour ne pas se dégager des dispositions légales applicables en la matière.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté 5avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, et tel que cela avait déjà été retenu par le tribunal dans ses jugements des 16 août et 24 septembre 2023, prémentionnés, il est constant que le demandeur est en situation irrégulière au Luxembourg, étant relevé qu’une décision de retour ainsi qu’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de 5 ans, ont été prises à son encontre le 6 juillet 2023, décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse, et qu’il ne dispose ni de documents d’identité, ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite […] est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il aurait, par conséquent, appartenu à Monsieur … de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite, ce qu’il est, toutefois, resté en défaut de faire. Au contraire, force est de constater que le demandeur a affirmé, lors de son audition par la police grand-ducale en date du 6 juillet 2023, qu’il ne quitterait pas volontairement le Luxembourg et qu’il souhaiterait être transféré au Pays-Bas, affirmations qui sont de nature à renforcer, au contraire, le risque de fuite tel que retenu ci-avant.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

En ce qui concerne ensuite le reproche suivant lequel ce serait à tort que le ministre n’a pas appliqué au demandeur des mesures moins coercitives qu’un placement en rétention, il y a lieu de relever que l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, prévoit que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour 6des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 947 et les autres références y citées.

7En l’espèce, tel que relevé ci-avant, le demandeur n’a pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef. Il est, par ailleurs, constant qu’il ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg, ni d’une quelconque autre attache, et qu’il n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes, et plus particulièrement à celle visée au point b) dudit article, s’impose, étant encore précisé que la SHUK, respectivement « tout autre foyer pour les demandeurs de protection internationale » ne sauraient être considérés comme domiciles stables ni comme fournissant à eux seuls une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une telle mesure n’est pas concevable. Le tribunal constate également que le demandeur ne dispose pas de passeport ou de tout autre document justificatif de son identité et qu’il n’a pas proposé le dépôt d’une garantie financière, de sorte à ne pas non plus pouvoir bénéficier des mesures listées à l’article 125, paragraphe (1), (a) et (c) de la loi du 29 août 2008.

Au vu des considérations qui précèdent, l’application de mesures moins coercitives prévues par ledit article 125 de la loi du 29 août 2008, en ce compris l’assignation à résidence, n’est pas envisageable en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

Quant à l’invocation par le demandeur d’une atteinte à son droit à la liberté consacré par l’article 5 de la CEDH, ensemble la violation alléguée du principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 5 de la CEDH : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f) précité de la CEDH que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays2.

Dans la mesure où (i) le demandeur a fait l’objet d’une décision de retour et d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de 5 ans le 6 juillet 2023, de sorte qu’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire, tel que cela a été retenu ci-avant, et où (ii) une procédure d’éloignement à son encontre est en cours d’exécution, le ministre a valablement pu placer le demandeur au Centre de rétention et maintenir cette mesure de placement sans violer l’article 5 de la CEDH.

Il s’ensuit que les développements du demandeur relatifs à une prétendue disproportion de la mesure de prorogation de son placement en rétention basés sur une absence d’un risque de fuite dans son chef ainsi qu’une violation de l’article 5 de la CEDH sont à rejeter pour ne pas être fondés.

2 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 804 et les autres références y citées.

8S’agissant ensuite des critiques du demandeur quant aux diligences entreprises par le ministre pour exécuter son éloignement, le tribunal a relevé dans ses jugements, précités, des 16 août et 21 septembre 2023 que le dispositif de l’éloignement était en cours et poursuivi avec la diligence légalement requise.

En ce qui concerne les diligences concrètement entreprises par le ministre pour procéder à l’éloignement du demandeur et ainsi écourter la durée de son placement en rétention, le tribunal a, dans son jugement du 16 août 2023 relatif à la première prorogation du placement en rétention de Monsieur …, retenu qu’il ressortait du dossier administratif, qu’un agent du ministère avait, par courrier du 12 juillet 2023, pris contact avec les autorités consulaires algériennes en vue de l’identification de Monsieur … et l’obtention d’un laissez-passer en y annexant les empreintes digitales de l’intéressé ainsi que quatre photos d’identité.

Le tribunal a également constaté, qu’en date du 1er août 2023, les autorités luxembourgeoises avaient encore adressé un rappel du courrier du 12 juillet 2023, prémentionné, aux autorités consulaires algériennes de sorte à en conclure que les démarches entreprises jusque-là étaient à qualifier de suffisantes au regard des exigences posées par la loi.

Dans son jugement du 21 septembre 2023, relatif à la deuxième prorogation du placement en rétention de Monsieur …, le tribunal avait été amené à constater que les autorités ministérielles avaient, d’une part, adressé une nouvelle fois des rappels aux autorités consulaires algériennes par courriers des 28 août et 11 septembre, afin de connaître l’état d’avancement du dossier, et, d’autre part, contacté les autorités néerlandaises en date du 10 juillet 2023 afin de se renseigner sur l’état de sa demande de protection internationale et que celles-ci ont répondu le même jour que ladite demande n’avait pas fait l’objet d’une analyse au fond en raison d’un précédent accord de prise en charge du demandeur de la part des autorités espagnoles. Le tribunal en a conclu qu’au moment où il était amené à statuer, le dispositif de l’éloignement était en cours et toujours poursuivi avec la diligence légalement requise.

En ce qui concerne ensuite les démarches entreprises depuis lors, le tribunal est amené à constater qu’il ressort du dossier administratif que les autorités ministérielles ont une nouvelle fois adressé un rappel aux autorités consulaires algériennes par courriel du 25 septembre 2023 afin de connaître l’état d’avancement du dossier. Il ressort encore d’une note au dossier administratif à la suite d’un entretien téléphonique avec les autorités consulaires algériennes en date du 29 septembre 2023, de même que d’un courriel des autorités consulaires algériennes du même jour, que le dossier du demandeur « est toujours en cours d’instruction ». Par courriel du 13 octobre 2023, les autorités luxembourgeoises ont à nouveau relancé les autorités consulaires algériennes. Par courrier du 30 septembre 2023, réceptionné par le ministère en date du 16 octobre 2023, les autorités consulaires algériennes ont informé le ministre qu’elles seraient disposées à délivrer un laissez-passer au nom du demandeur, de sorte que, le même jour, le ministre a chargé le service de police judiciaire, Unité de Garde et d’Appui Opérationnel, Service de garde et de Protection, d’organiser le départ du demandeur.

Au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, c’est, dès lors, à tort que le demandeur estime que le ministre n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder le plus rapidement possible à son éloignement du territoire luxembourgeois. En effet, le tribunal est amené à conclure que non seulement le dispositif de l’éloignement est en cours, mais qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

9 Il en est de même de l’argumentation de demandeur ayant trait à l’absence de perspective d’un éloignement. Au contraire, force est de constater, qu’en l’état actuel du dossier, l’éloignement de Monsieur … demeure une perspective raisonnable au vu de la coopération des autorités algériennes et qu’il n’existe à l’heure actuelle pas d’élément permettant de conclure que l’éloignement vers l’Algérie ne puisse pas être mené à bien.

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence de moyens à soulever d’office, la légalité et le bien-fondé de la décision déférée ne portent pas à critique.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Bochet, premier juge, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 23 octobre 2023 par le premier juge Alexandra Bochet en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Bochet Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 octobre 2023 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49562
Date de la décision : 23/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-10-23;49562 ?

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