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23/10/2023 | LUXEMBOURG | N°49561

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 23 octobre 2023, 49561


Tribunal administratif N° 49561 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49561 2e chambre Inscrit le 13 octobre 2023 Audience publique du 23 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49561 du rôle et déposée le 13 octobre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Naïma El H

andouz, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom ...

Tribunal administratif N° 49561 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49561 2e chambre Inscrit le 13 octobre 2023 Audience publique du 23 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49561 du rôle et déposée le 13 octobre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Naïma El Handouz, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Algérie) et être de nationalité algérienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 11 octobre 2023 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 octobre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Xavier Leuck, en remplacement de Maître Naïma El Handouz, et Madame le délégué du gouvernement Hélène Massard en leurs plaidoiries à l’audience publique de ce jour.

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Il se dégage d’un rapport de la police grand-ducale, référencé sous le n°…, dit « Fremdennotiz », du 12 août 2023, que Monsieur … fut interpellé par les forces de l’ordre pour vol à l’étalage, et qu’à cette occasion, l’intéressé ne fut pas en mesure de présenter des documents d’identité ou de voyage valables.

Il ressort encore dudit rapport de police que suite à une radiographie de la main gauche effectuée le même jour à l’hôpital, il fut constaté que Monsieur … est âgé de plus de 18 ans.

Par arrêté du 12 août 2023, notifié à Monsieur … le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », déclara le séjour de celui-ci sur le territoire luxembourgeois irrégulier, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, l’Algérie, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité, ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner et lui interdit l’entrée sur le territoire pour une durée de 5 ans à partir de la sortie de l’Espace Schengen.

Par arrêté séparé du même jour, notifié également le même jour à l’intéressé, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question. Ledit arrêté est basé sur les considérations suivantes :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport médical du Docteur … du 12 août 2023 ;

Vu le rapport no … du 12 août 2023 établi par la Police grand-ducale ;

Considérant que l’intéressé est démuni d’un document de voyage valable ;

Considérant que l’intéressé n’est pas en possession d’un visa en cours de validité ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par jugement du tribunal administratif du 30 août 2023, inscrit sous le numéro 49340 du rôle, Monsieur … fut débouté de son recours contentieux introduit le 22 août 2023 à l’encontre de l’arrêté ministériel, précité, du 12 août 2023, ayant ordonné son placement en rétention.

Par arrêté du 11 septembre 2023, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre prorogea la mesure de placement initiale prise à l’égard de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification.

Par arrêté du 11 octobre 2023, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre prorogea une deuxième fois la mesure de placement prise à l’égard de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 12 août et 11 septembre 2023, notifiés le 12 août respectivement le 12 septembre 2023, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 12 août 2023 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 octobre 2023, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision ministérielle, précitée, du 11 octobre 2023.

Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, après avoir rappelé les faits et rétroactes relevés ci-avant, le demandeur reproche, tout d’abord, au ministre d’avoir apprécié sa situation de manière erronée et estime que la décision litigieuse devrait être réformée pour excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, tels qu’ils seraient énumérés à l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, et violation de l’article 121 de la loi du 29 août 2008.

Il reproche, à cet égard, au ministre de ne pas avoir pris en considération les éléments liés aux faits de l’espèce et à sa personne, alors qu’une rétention équivaudrait à une détention et serait une mesure privative de liberté ne devant être prononcée que de manière exceptionnelle et être proportionnée à la situation de l’étranger visé. Il faudrait, ainsi, vérifier si le placement dans une structure fermée était approprié, et ce non seulement par rapport à l’opportunité du principe de l’enfermement, mais également par rapport au type de structure fermée retenu par le ministre, en prenant en considération tous les éléments liés à la personne concernée.

Le demandeur soutient dans ce contexte qu’il serait mineur, tout en se référant aux articles 22 (1) de la loi modifiée relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », et 120 (1) de la loi du 29 août 2008. Il reproche au ministre de ne pas avoir appliqué des mesures moins coercitives ou encore de ne pas l’avoir placé dans un lieu « plus approprié », alors qu’il ne serait pas établi que la mesure de prorogation litigieuse serait une mesure « de dernier ressort », et ce d’autant plus qu’il se trouverait en rétention depuis plus de deux mois.

Monsieur … se réfère encore au projet de loi n° 7633 relatif à l’interdiction du placement en rétention des personnes mineures et à un « article du quotidien du 19 mai 2021 », dans lequel la Commission consultative des droits de l’Homme (CCDH) aurait souligné que la législation et la pratique luxembourgeoises ne seraient pas « conformes aux recommandations des experts nationaux et internationaux », ni d’ailleurs à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme. Cet article préciserait que « tous s’accorderaient à dire que la rétention d’enfants migrants, seuls ou avec leur famille, [ne serait] jamais de l’intérêt supérieur de l’enfant et qu’elle constituerait toujours une violation des droits de l’enfant en vertu du droit international des droits de l’homme ».

Le demandeur ajoute que comme le placement en rétention porterait atteinte à sa liberté de mouvement, il devrait être considéré comme étant un « ultime remède » en ce sens qu’il ne constituerait pour le ministre qu’une simple faculté dont l’usage ne serait pas discrétionnaire, mais qui devrait être motivé à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Tout en admettant que l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH) prévoirait expressément la possibilité du placement en rétention d’un étranger en situation irrégulière, le demandeur insiste sur le fait que cette mesure, qui équivaudrait à une détention, devrait rester exceptionnelle.

Il reproche, dès lors, au ministre de ne pas avoir envisagé des mesures moins coercitives dans son chef, notamment un placement dans la structure d’hébergement d’urgence au Kirchberg (SHUK).

Dans la mesure où la liberté d’aller et venir serait reconnue à tout individu, il sollicite sa libération immédiate « et ou » son placement dans un endroit approprié à son âge.

Enfin, le demandeur donne à considérer qu’un placement au Centre de rétention ne serait permis que si une mesure d’éloignement est en cours, si elle est menée avec diligence et surtout si elle a des chances d’aboutir, ce qui ne serait, au vu du dossier administratif, pas le cas en l’espèce.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, de manière que les moyens tenant à la validité formelle d’une décision doivent être examinés, dans une bonne logique juridique, avant ceux portant sur son caractère justifié au fond.

S’agissant d’abord de la légalité externe de la décision déférée et, plus particulièrement, du moyen tiré d’une insuffisance de motivation de ladite décision, le tribunal relève qu’aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention - l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision. Le ministre n’avait, dès lors, pas à motiver spécialement la décision litigieuse, de sorte que le moyen sous analyse est à rejeter.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères, notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En ce qui concerne tout d’abord le moyen fondé sur le fait que le demandeur serait mineur d’âge et que tant son placement au Centre de rétention que la prorogation de la mesure de placement seraient disproportionnés à sa situation, force est de constater qu’il résulte d’un rapport médical du 12 août 2023, établi par le Dr …, médecin spécialiste en imagerie des urgences auprès de …, à la suite d’une radiographie de la main gauche de Monsieur …, que l’âge osseux de l’intéressé est estimé à plus de 18 ans.

Il aurait dès lors appartenu au demandeur d’établir qu’il est mineur d’âge, tel qu’il le soutient actuellement, étant relevé qu’aucune présomption de minorité ne saurait jouer en sa faveur. Force est cependant de constater que le demandeur se contente d’affirmer qu’il serait mineur d’âge et que de ce fait, il ne pourrait faire l’objet d’un placement en rétention, sans toutefois appuyer ses dires par une quelconque pièce tangible, de sorte que ceux-ci restent à l’état de pures allégations. Dès lors, face au résultat de la radiographie de sa main gauche et à défaut pour le demandeur de rapporter la preuve de sa prétendue minorité, le tribunal conclut que Monsieur … est à considérer comme étant majeur d’âge. Il s’ensuit que l’ensemble de ses moyens relatifs à une prétendue minorité sont à rejeter.

Le tribunal constate ensuite qu’il est constant en cause pour se dégager du dossier administratif que le demandeur est en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé qu’une décision de retour, ainsi qu’une décision d’interdiction d’entrée sur le territoire ont été prises à son encontre le 12 août 2023, décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse, et qu’il ne dispose ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111 (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant encore précisé, à cet égard, que, parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1) précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

Compte tenu de l’existence d’une présomption de risque de fuite dans le chef de Monsieur …, il aurait, par conséquent, appartenu à celui-ci de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite présumé dans son chef, ce qu’il reste en défaut de faire. Au contraire, force est de constater que le demandeur a eu un comportement de nature à corroborer ce risque de fuite en sollicitant, en date du 31 août 2023, à être libéré afin qu’il puisse rejoindre sa compagne en France qui serait enceinte de lui, demande qui lui fut refusée en date du même jour. En effet, son souhait de vouloir retourner en France et habiter auprès de sa compagne renforce le risque de fuite retenu dans son chef lequel se définit comme le risque de se soustraire à la mesure d’éloignement.

Au vu de ces considérations, le moyen ayant trait à une absence de risque de fuite dans le chef du demandeur encourt le rejet pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite le reproche suivant lequel ce serait à tort que le ministre n’a pas appliqué au demandeur des mesures moins coercitives qu’un placement en rétention, il y a lieu de relever que l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, prévoit que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125 (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111 (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, tel que relevé ci-dessus, le demandeur n’a pas soumis au tribunal d’éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef. Il est, en effet, constant que le demandeur ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré ni d’autres attaches au Luxembourg et qu’il n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 947 et les autres références y citées.

(1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes, et notamment celle visée au point b) dudit article, s’impose, étant encore précisé que la SHUK ne saurait être considérée comme domicile stable ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une telle mesure n’y est pas concevable. Le tribunal constate également que le demandeur ne dispose pas de passeport ou de tout autre document justificatif de son identité et qu’il n’a pas proposé le dépôt d’une garantie financière, de sorte à ne pas non plus pouvoir bénéficier des mesures visées à l’article 125 (1) a) et c) de la loi du 29 août 2008.

C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, en ce compris l’assignation à résidence à la SHUK, ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

Quant à l’invocation par le demandeur d’une atteinte à son droit à la liberté consacré par l’article 5 de la CEDH, ensemble la violation alléguée du principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 5 de la CEDH : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5 (1) f) précité de la CEDH que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays2.

Etant donné (i) que le demandeur a fait l’objet d’une décision de retour, ainsi que d’une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans le 12 août 2023, et (ii) qu’une procédure d’éloignement à son encontre est en cours d’exécution, le ministre a valablement pu placer le demandeur au Centre de rétention et maintenir cette mesure de placement sans violer l’article 5 de la CEDH, de sorte que le moyen y relatif est à rejeter pour ne pas être fondé.

S’agissant ensuite des critiques du demandeur quant aux diligences entreprises par le ministre pour exécuter son éloignement, le tribunal a relevé dans son jugement, précité, du 30 août 2023 que par courrier du 17 août 2023, l’agent en charge du dossier au sein de la direction de l’Immigration avait contacté les autorités consulaires algériennes en vue de l’identification de l’intéressé et de l’obtention d’un laissez-passer, demande à laquelle étaient joints un jeu d’empreintes digitales, ainsi que des photos d’identité de Monsieur …. Ensuite, par courrier électronique du 22 août 2023, les autorités consulaires algériennes avaient signalé aux autorités luxembourgeoises une erreur dans le référencement du dossier suite à quoi l’agent en charge du dossier de Monsieur … avait envoyé dès le lendemain le dossier rectifié à ses homologues algériens. Le tribunal en a conclu que les services ministériels avaient accompli leurs démarches en vue de l’identification et de l’éloignement subséquent de Monsieur … avec la diligence légalement requise.

2 Trib. adm., 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 804 et les autres références y citées.

En ce qui concerne les démarches entreprises depuis lors, il se dégage du dossier administratif que par courrier électronique du 6 septembre 2023, l’agent en charge du dossier au sein de la direction de l’Immigration s’est enquis de l’état d’avancement du dossier de Monsieur …, auquel les autorités consulaires algériennes ont répondu en date du 8 septembre 2023 que la demande d’identification était en cours d’examen par les autorités compétentes à Alger.

Par courrier électronique du 22 septembre 2023, une nouvelle relance a été envoyée aux autorités consulaires algériennes, suite à laquelle a eu lieu, en date du 29 septembre 2023, un entretien téléphonique entre les autorités luxembourgeoises et les autorités consulaires algériennes, ainsi que l’émission d’un courrier électronique de ces dernières, informant les autorités luxembourgeoises que le dossier de Monsieur … était toujours en cours d’instruction.

Enfin, il ressort du dossier administratif que les autorités luxembourgeoises ont une nouvelle fois relancé les autorités consulaires algériennes en date du 13 octobre 2023 quant à l’état d’avancement du dossier de Monsieur …. Le lendemain celles-ci ont répondu que le dossier était toujours en cours de traitement et qu’une réponse le concernant serait communiquée dans les meilleurs délais.

Force est ainsi de relever, au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, actuellement tributaire de la collaboration des autorités étrangères – étant relevé qu’il ne saurait être nui aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes – que c’est à tort que le demandeur estime que le ministre n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à son éloignement du territoire luxembourgeois. En effet, le tribunal est amené à conclure que non seulement le dispositif de l’éloignement est en cours, mais qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

L’argumentation du demandeur ayant trait à l’absence de perspective d’éloignement encourt également le rejet étant donné qu’il ne se dégage d’aucun élément de la cause que les démarches ainsi accomplies par l’autorité ministérielle luxembourgeoise seraient vouées à l’échec, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il n’existerait, en l’espèce, pas de chances raisonnables de croire que l’éloignement puisse être mené à bien.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Bochet, premier juge, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 23 octobre 2023 par le premier juge Alexandra Bochet, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Bochet Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 23 octobre 2023 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49561
Date de la décision : 23/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-10-23;49561 ?

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