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19/10/2023 | LUXEMBOURG | N°47079

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 octobre 2023, 47079


Tribunal administratif N° 47079 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47079 2e chambre Inscrit le 1er mars 2022 Audience publique du 19 octobre 2023 Recours formé par la société anonyme A, …, contre une décision du ministre de l’Economie en matière d’aides en faveur des entreprises dans l’ère du Covid-19

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47079 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2022 par Maître François Delvaux, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom

de la société anonyme A, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre...

Tribunal administratif N° 47079 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47079 2e chambre Inscrit le 1er mars 2022 Audience publique du 19 octobre 2023 Recours formé par la société anonyme A, …, contre une décision du ministre de l’Economie en matière d’aides en faveur des entreprises dans l’ère du Covid-19

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47079 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2022 par Maître François Delvaux, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la société anonyme A, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Economie du 9 décembre 2021 refusant l’octroi d’une aide destinée à stimuler les investissements des entreprises dans l’ère du Covid-19 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 mai 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 1er juillet 2022 par Maître François Delvaux, au nom de la société demanderesse, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 septembre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause ainsi que la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître François Delvaux et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 juin 2023.

___________________________________________________________________________

En date du 29 octobre 2021, la société anonyme A, ci-après désignée par « la société A », introduisit auprès du ministère de l’Economie, ci-après désigné par « le ministère », une demande d’aides étatiques pour un projet de construction d’une infrastructure pour … sur le fondement de l’article 3 de la loi modifiée du 24 juillet 2020 visant à stimuler les investissements des entreprises dans l’ère du Covid-19, ci-après désignée par « la loi du 24 juillet 2020 ».

Par décision du 9 décembre 2021, le ministre de l’Economie, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande formulée en date du 29 octobre 2021 dans les termes suivants :

« […] En référence à votre demande d’aide sous rubrique, suite à l’analyse de celle-ci par mes services et vu la loi, je constate que :

 La condition relative à une entreprise en difficulté financière suite à une baisse significative du chiffre d’affaires en raison de la crise économique provoquée par la pandémie du covid-19 telle que prévue au point 2°, du paragraphe (1), de l’article 1er de la loi n’est pas satisfaite. En effet, sur base des déclarations de TVA mensuelles et annuelles concernées, la perte du chiffre d’affaires durant les mois d’avril et décembre 2020 par rapport à la même période de l’année fiscale 2019 (3,76 pour cent) et par rapport à la moyenne mensuelle du chiffre d’affaires concernant l’exercice fiscal 2019 (11,13 pour cent) se situe dans les deux cas en-dessous du seuil minimal de 15 pour cent.

En conséquence, je vous informe que je ne peux pas donner une suite favorable à votre demande. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 1er mars 2022, la société A a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision, précitée, du 9 décembre 2021.

Aucune disposition légale ne prévoyant de recours au fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision entreprise.

Il est, en revanche, compétent pour connaître du recours en annulation introduit à titre subsidiaire contre la même décision, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la société demanderesse fait valoir que le ministre se serait basé à tort sur les seules déclarations de TVA mensuelles et annuelles versées par elle sur demande afférente des services du ministère. Elle cite à cet égard les articles 1er (1) et (6) de la loi du 24 juillet 2020, ainsi que l’article 232 de la loi modifiée du 10 août 1915 concernant les sociétés commerciales lequel définirait le « montant net du chiffre d’affaires » comme étant « les montants résultant de la vente des produits et de la prestation des services correspondant aux activités ordinaires de la société, déduction faite des réductions sur ventes, ainsi que de la taxe sur la valeur ajoutée et d’autres impôts directement liés au chiffre d’affaires », tout en soutenant que cette définition serait également reprise à l’article 28 de la directive 78/660/CEE du Conseil du 25 juillet 1978 fondée sur l’article 54 paragraphe 3 sous g) du traité et concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés. Elle en conclut que « la méthode des TVA mensuelles », telle qu’appliquée par les services du ministère, ne serait pas adaptée, alors qu’elle facturerait des acomptes mensuels selon le chiffre d’affaires réalisé l’année précédente, de sorte que la baisse de son chiffre d’affaires ne serait pas visible. Ces acomptes seraient par la suite annulés et les factures réelles seraient émises en cours d’année et comprises dans le bilan comptable, puis contrôlé par ses auditeurs. Il en irait de même quant à la « méthode des TVA annuels » qui ne serait pas non plus appropriée alors qu’elle reflèterait une image erronée de ses comptes dans la mesure où le chiffre d’affaires y indiqué ne serait pas le chiffre d’affaires « NET », lequel serait pourtant visé par la législation tant nationale qu’européenne.

La société demanderesse soutient qu’en l’espèce, sa demande d’aides du 29 octobre 2021 renseignerait un chiffre d’affaires net pour la période du 1er avril 2020 au 31 décembre 2020 de … euros, pour un chiffre d’affaires net de … euros pour la même période de l’année 2019, correspondant à une baisse de …%, de sorte à dépasser le seuil minimal de 15%, tel qu’exigé par l’article 1er de la loi du 24 juillet 2020. Elle aurait d’ailleurs fourni à l’appui de sa demande d’aides, une synthèse financière de son projet d’investissement, de même qu’elle aurait versé, à titre de preuve, telle qu’exigée par l’article 6 (2) de la même loi, son compte de profits et pertes pour l’exercice du 1er avril 2020 au 31 décembre 2020. En outre et surtout, elle aurait versé le « rapport … » du 15 octobre 2021 qui constituerait un rapport objectif de ses auditeurs, la société demanderesse soutenant, à cet égard, qu’un tel document validé par une fiduciaire ou un auditeur externe démontrant la baisse du chiffre d’affaires ne saurait être contesté en tant que « preuve » au sens de l’article 6 précité. Elle en conclut que la décision litigieuse ne se justifierait pas.

Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse conteste tout d’abord le moyen du délégué du gouvernement selon lequel le Luxembourg se mettrait dans l’illégalité en octroyant une aide étatique après le 31 décembre 2021. Elle met en avant que si la loi du 24 juillet 2020 prévoit effectivement en son article 7 (5) que le régime d’aides arrive à expiration le 31 décembre 2021, elle aurait cependant introduit sa demande en temps utile, soit le 2 novembre 2021, tout en insistant sur le fait que la décision entreprise lui aurait été notifiée peu avant la prédite date d’expiration, en l’informant qu’un recours à son encontre pourrait être déposé endéans un délai de trois mois. Après avoir tenté de trouver un arrangement extrajudiciaire, elle n’aurait pas eu d’autre choix que d’introduire le présent recours. Elle estime encore que ce moyen soulevé par le délégué du gouvernement n’aurait aucune pertinence par rapport au recours sous analyse alors qu’elle demanderait uniquement au tribunal de trancher si le ministre a refusé à tort de donner une suite favorable à sa demande d’aides. Si le présent recours aboutissait, la décision entreprise serait purement et simplement annulée et le ministre pourrait ensuite prendre toute décision qui lui paraîtrait opportune, appropriée et juridiquement exacte. Cette décision dépendrait également de l’évolution pandémique et d’une éventuelle prolongation du régime d’aides. Elle précise encore qu’elle aurait parfaitement conscience que la loi du 24 juillet 2020 prévoirait dans son article 1er (1) que l’Etat pourrait sous certaines conditions octroyer des aides en faveur des entreprises, de sorte que, même si les conditions d’éligibilité étaient remplies et qu’il était démontré que la baisse exigée du chiffre d’affaires était en relation causale, certaine et directe avec les conséquences économiques de la pandémie du Covid-19, l’Etat « [pourrait] accorder ou refuser une aide financière demandée, selon son bon vouloir ».

La société demanderesse continue en affirmant que si les calculs de la perte du chiffre d’affaires réalisés par le ministre sur base de ses seules déclarations de TVA sont exacts, ce serait toutefois à tort qu’il aurait procédé de cette manière en comparant son chiffre d’affaires sur base de ses seules déclarations de TVA. Elle avance que l’argumentation de la partie étatique suivant laquelle cette méthodologie serait plus usuelle et facile à mettre en pratique, de même qu’elle aurait été appliquée à toutes les demandes d’aides introduites par d’autres entreprises, ne serait pas convaincante dans la mesure où il s’agirait d’interpréter et d’appliquer la loi du 24 juillet 2020 correctement.

A cet égard elle fait valoir, en premier lieu, que la loi du 24 juillet 2020 aurait eu pour but de créer un système d’aides ayant un effet incitatif, en ce que l’aide financière en question devait permettre la réalisation d’un projet de développement ou d’innovation lequel aurait été décidé avant l’ère du Covid-19, mais qui aurait dû être annulé, sinon du moins reporté, en raison de la pandémie, de sorte que les entreprises qui se seraient déjà trouvées en difficulté financière avant la pandémie seraient exclues tout comme celles ayant déjà bénéficié d’autres aides.

En deuxième lieu, elle soutient que la loi du 24 juillet 2020 n’exigerait nullement que des déclarations de TVA mensuelles ou annuelles soient jointes à une telle demande d’aides.

L’article 6 de cette loi, lequel énoncerait les informations et pièces qui devraient être déposées ensemble avec la demande d’aides, exigerait que soient communiqués, pour la question de la baisse du chiffre d’affaires, « les comptes annuels de l’année fiscale 2019 […] y compris une preuve concernant la baisse du chiffre d’affaires pour les mois d’avril à décembre 2020 par rapport à la même période en 2019 ; une justification que cette baisse est liée à la pandémie du Covid-19 ». Elle en déduit que la loi du 24 juillet 2020 préciserait que le bilan de l’année 2019 devrait être versé, sans faire une quelconque référence à des déclarations de TVA.

La société demanderesse considère dès lors que pour vérifier si la baisse du chiffre d’affaires avait atteint les 15% exigés, il aurait fallu déterminer la réelle situation financière de l’entreprise, ou mieux encore, son réel « état de santé financière ». Or, pour ce faire, les déclarations de TVA seraient peu fiables alors qu’elles contiendraient de nombreuses positions qui ne reflèteraient pas la santé économique de l’entreprise, raison pour laquelle le chiffre d’affaires net aurait été utilisé par les réviseurs d’entreprise pour la validation des comptes annuels. Elle précise qu’en ce qui la concerne, ses déclarations de TVA contiendraient de nombreuses positions relatives à un système de refacturation interne. Ainsi, si une entreprise externe facturait par erreur à une société du groupe plutôt qu’à une autre, afin de simplifier le processus administratif et d’éviter des impayés pouvant mettre à mal la santé financière d’autres entreprises, le choix serait fait de refacturer sans aucune marge la prestation ou le produit à la « bonne » société. Il s’agirait d’une opération neutre qui ne contribuerait pas à sa richesse puisqu’elle serait compensée par une charge du même montant. Ces positions neutres feraient gonfler artificiellement le chiffre d’affaires en se rapportant à des factures sans lien avec l’activité normale de l’entreprise. D’autres exemples de ce genre existeraient, tels que pour la vente d’équipements et de machines à des entreprises tierces et pour les indemnités de chômage partiel.

La société demanderesse poursuit en soutenant que ses déclarations de TVA mensuelles seraient en partie liées au chiffre d’affaires de l’année précédente. Des acomptes estimatifs calculés selon les « chiffres de l’année N-1 » seraient facturés en intragroupe et les redressements « réels » se feraient seulement quelques mois plus tard au niveau de la déclaration de TVA annuelle, de sorte qu’il existerait un gros décalage notamment entre la déclaration de TVA de décembre et le redressement qui se ferait l’année suivante. Il serait dès lors impossible de garantir que les prestations effectuées ont bien été facturées alors qu’une prestation pourrait effectivement avoir été facturée plusieurs mois plus tard, ce qui provoquerait inévitablement une baisse du chiffre d’affaires repris dans la déclaration de TVA. Cet élément serait détecté et corrigé par les réviseurs dans les comptes annuels, la société demanderesse en concluant que le bilan serait ainsi le seul document à refléter le chiffre d’affaires réellement réalisé au cours de l’année.

En troisième lieu, la société A met en avant que la loi du 24 juillet 2020 exigerait « une perte du chiffre d’affaires d’au moins 15% », de sorte à ne pas préciser si elle fait « référence au chiffre d’affaires « net » ou « brut » ». Il serait encore étonnant de constater que parmi les nombreuses définitions, celle du chiffre d’affaires n’y figurerait pas. En outre, ni la Chambre de commerce, ni le Conseil d’Etat, ni la Chambre des métiers ne se seraient prononcés sur cette question dans leur avis respectif. La société demanderesse conteste à cet égard l’argument du délégué du gouvernement selon lequel, si le législateur avait voulu se référer au chiffre d’affaires net, il l’aurait précisé dans la loi, argument qui pourrait en effet être retourné dans l’autre sens, à savoir que si le législateur avait voulu se référer au chiffre d’affaires brut, il aurait repris ces termes précis dans la loi. De l’avis de la société demanderesse, la loi du 24 juillet 2020 se réfèrerait nécessairement au chiffre d’affaires « net » puisque le chiffre d’affaires « brut » n’aurait pas de lien direct avec la réelle richesse d’une entreprise. Or, pour déterminer le chiffre d’affaires d’une entreprise, seuls les produits de son activité professionnelle, normale et courante devraient être pris en compte. Le chiffre d’affaires « brut » comprendrait cependant de nombreuses positions qui n’auraient aucun lien avec cette activité normale et courante de l’entreprise et qui feraient gonfler artificiellement sa richesse.

Elle renvoie, enfin, au « plan comptable normalisé 2020 (PCN 2020) », mis en place par le gouvernement luxembourgeois et applicable à toutes les entreprises luxembourgeoises, exigeant d’elles de présenter leurs exercices comptables conformément à ce plan. Les positions qui figureraient sous le « chiffre d’affaires (position 70) » seraient bien plus limitées que celles reprises dans les déclarations de TVA. Il s’agirait pourtant d’un plan comptable normalisé, imposé par le gouvernement luxembourgeois aux entreprises luxembourgeoises et qui préciserait en outre que ce serait le montant net du chiffre d’affaires qui devrait y être indiqué.

Elle aurait donc, à juste titre, procédé à une comparaison de ses chiffres d’affaires « net » réalisés en 2019, puis entre avril et décembre 2020 pour conclure à une perte de l’ordre de …%.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre préliminaire, le tribunal relève que dans le cadre d’un recours en annulation, le juge administratif est appelé à vérifier, d’un côté, si, au niveau de la décision administrative querellée, les éléments de droit pertinents ont été appliqués et, d’un autre côté, si la matérialité des faits sur lesquels l’autorité de décision s’est basée est établie. Au niveau de l’application du droit aux éléments de fait, le juge de l’annulation vérifie encore s’il n’en est résulté aucune erreur d’appréciation se résolvant en dépassement de la marge d’appréciation de l’auteur de la décision querellée, dans les hypothèses où l’auteur de la décision dispose d’une telle marge d’appréciation, étant relevé que le contrôle de légalité à exercer par le juge de l’annulation n’est pas incompatible avec le pouvoir d’appréciation de l’auteur de la décision qui dispose d’une marge d’appréciation. Ce n’est que si cette marge a été dépassée que la décision prise encourt l’annulation pour erreur d’appréciation. Ce dépassement peut notamment consister dans une disproportion dans l’application de la règle de droit aux éléments de fait. Le contrôle de légalité du juge de l’annulation s’analyse alors en contrôle de proportionnalité1 appelant le juge administratif à opérer une balance valable et équilibrée des éléments en cause et à vérifier plus particulièrement si l’acte posé est proportionné à son but2.

Le tribunal relève encore qu’en présence de plusieurs moyens invoqués, il n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

1 Cour adm., 9 décembre 2010, n° 27018C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

2 Cour adm., 12 janvier 2021, n° 44684C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 31 et les autres références y citées.

L’article 1er (1) de la loi du 24 juillet 2020 dispose que « L’Etat, représenté par le ministre ayant soit l’Economie, soit les Classes moyennes dans ses attributions, désigné ci-

après par « ministre », peut octroyer des aides en faveur des entreprises qui :

[…] 2° ont subi une perte du chiffre d’affaires d’au moins 15 pour cent suite à la pandémie du Covid-19 durant les mois d’avril à décembre 2020 par rapport à la même période de l’année fiscale 2019 ou à la moyenne mensuelle du chiffre d’affaires concernant l’exercice fiscal 2019.

Lorsque l’entreprise a été créée au cours des années fiscales 2019 ou 2020, la perte du chiffre d’affaires est constatée sur base de la moyenne mensuelle de l’ensemble du chiffre d’affaires réalisé depuis sa création. […] ».

Aux termes de l’article 6 de la loi du 24 juillet 2020, en sa version applicable au moment de la prise de la décision litigieuse, « (1) La présente loi s’applique aux aides ayant un effet incitatif. Une aide est réputée avoir un effet incitatif lorsque le début des travaux a eu lieu après l’octroi de l’aide.

(2) La demande d’aide doit être soumise au ministre avant le 1er novembre 2021. Elle est jugée complète lorsque les informations suivantes y figurent:

1° le nom et la taille de l’entreprise;

2° les comptes annuels de l’année fiscale 2019, y compris une preuve concernant la baisse du chiffre d’affaires pour les mois d’avril à décembre 2020 par rapport à la même période en 2019 et une justification que cette baisse est liée à la pandémie du Covid-19;

3° une description du projet;

4° la date de début et de fin du projet;

5° le cas échéant, une description détaillée du respect des critères d’une économie circulaire et de l’investissement alternatif, ou du bilan d’énergie de la situation avant et après le projet d’investissement, ou du dépassement des normes;

6° la localisation du projet;

7° une liste des coûts du projet;

8° la forme de l’aide et le montant de l’aide nécessaire pour réaliser le projet;

9° un plan de financement du projet d’investissement;

10° une déclaration attestant l’absence de condamnation visée à l’article 1er, paragraphe 2, point 4° et l’absence des causes d’exclusion visées à l’article 1er, paragraphe 3.

La demande d’aide peut contenir toute autre pièce que l’entreprise requérante estime utile afin de permettre au ministre d’apprécier le bien-fondé de sa demande. ».

Au vu de ce qui précède, le ministre de l’Economie, respectivement le ministre des Classes moyennes peut octroyer des aides financières à des entreprises ayant subi une perte de leur chiffre d’affaires d’au moins 15% durant les mois d’avril à décembre 2020 par rapport aux mois d’avril à décembre 2019 ou à la moyenne mensuelle du chiffre d’affaires concernant l’exercice fiscal 2019 en raison de la pandémie du Covid-19. A cet égard, les entreprises concernées doivent soumettre au ministre notamment leurs comptes annuels de l’année fiscale 2019, y compris une preuve relative à la baisse du chiffre d’affaires pour les mois d’avril à décembre 2020 par rapport à la même période en 2019, de même qu’un justificatif reliant cette baisse du chiffre d’affaires à la pandémie du Covid-19.

Il est constant que le ministre a refusé de faire droit à la demande d’aides de la société demanderesse au motif que la condition prévue à l’article 1er (2), point 2. de la loi du 24 juillet 2020 ne serait pas respectée en l’espèce alors que la perte du chiffre d’affaires durant les mois d’avril à décembre 2020 par rapport à la même période de l’année fiscale 2019 et par rapport à la moyenne du chiffre d’affaires concernant l’exercice fiscal 2019 se situerait dans les deux cas en-dessous du seuil minimal de 15%.

Le tribunal constate qu’en l’espèce, les parties sont plus particulièrement en désaccord quant à ce qui est visé par la notion de « chiffre d’affaires » inscrite dans la loi du 24 juillet 2020 et essentielle pour déterminer si la société demanderesse pouvait bénéficier de l’aide étatique, la société A estimant que cette notion viserait le chiffre d’affaires net.

A cet égard, le tribunal relève tout d’abord que la loi du 24 juillet 2020 se limite à se référer à la notion de « chiffre d’affaires », dont une preuve de la baisse est à rapporter.

Ensuite, il y a lieu de constater que lors de l’entrée en vigueur de la loi du 24 juillet 2020, la période prévue par son article 1er (1), point 2. couvrait les mois d’avril à juin 2020 par rapport à la même période de l’année fiscale 2019 ou à la moyenne mensuelle du chiffre d’affaires concernant l’exercice fiscal 2019. Tel qu’il ressort des travaux parlementaires, l’objectif de la loi était de permettre aux entreprises se trouvant en difficulté financière suite à une baisse de leur chiffre d’affaires de réaliser des investissements qui auraient sinon été annulés ou reportés en raison de la crise économique provoquée par la pandémie du Covid-19 et de rebondir ainsi de cette crise. Dès l’entrée en vigueur de la loi, à savoir le 24 juillet 2020, et avant le 1er décembre 2020, les entreprises pouvaient formuler leurs demandes d’aides. Or, le tribunal constate, à l’instar de la partie étatique, qu’au moment du dépôt de leurs demandes, les entreprises concernées, soumises aux dispositions de la loi du 24 juillet 2020 en sa version initiale, ne disposaient pas encore de leurs comptes annuels de l’année fiscale 2020, au vu du fait que la période en cause était une période plus courte que celle d’un exercice annuel, ni d’un autre document prouvant leur chiffre d’affaires net pour les mois d’avril à juin 2020. Il doit dès lors être admis que dans l’esprit du législateur, la démonstration de la baisse du chiffre d’affaires ne se ferait pas sur le fondement des comptes des entreprises élaborés sur base du plan comptable normalisé de 2020 et de la loi du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ou encore sur le fondement des comptes annuels de l’entreprise, - qui reflètent certes tous les deux le chiffre d’affaires net, mais qui ne pouvaient être établis qu’une fois l’année en cause, en l’occurrence l’année 2020, terminée, c'est-à-dire après l’écoulement de la période d’octroi des aides prévue par la loi du 24 juillet 2020 dans sa version initiale -, mais bien sur le fondement des déclarations de TVA mensuelles qui étaient, quant à elles, à disposition des entreprises en temps utile et qui visent l’intégralité du chiffre d’affaires de l’entreprise.

Le tribunal relève à ce propos pour être tout à fait complet que la communication des comptes annuels de l’année fiscale 2019 est exigée à l’article 6 de la loi du 24 juillet 2020 uniquement pour vérifier si les entreprises ne se sont pas déjà trouvées en difficultés financières en 2019, mais que les difficultés financières résultaient bien de la pandémie du Covid-19, étant rappelé que les aides sont destinées aux seules entreprises dont les difficultés financières sont apparues suite à la pandémie du Covid-19.

Au vu de toutes les considérations qui précèdent, il ne saurait être conclu que la notion de « chiffre d’affaires » vise le « chiffre d’affaires net », sinon le législateur aurait pris le soin de le préciser.

En outre, aucune des lois modificatives de la loi du 24 juillet 2020, applicables au cas d’espèce, n’ayant apporté des modifications relatives à la notion de « chiffre d’affaires » dans le sens qu’une baisse du chiffre d’affaires net serait dorénavant à prouver, c’est à bon droit que le ministre n’a pas pris en compte le chiffre d’affaires net pour apprécier si la société demanderesse remplit les conditions prévues par la loi du 24 juillet 2020 en vue de l’obtention de la demande d’aides sollicitée.

En ce qui concerne le calcul de la perte du chiffre d’affaires, dans la mesure où la société demanderesse a versé comme preuve le compte de profits et pertes pour l’exercice du 1er avril 2020 au 31 décembre 2020, renseignant cependant son chiffre d’affaires net, ainsi que le « rapport BDO » du 15 octobre 2021 qui, suivant ses propres termes, est « présenté sur la ligne « chiffre d’affaires net » du compte de profits et pertes », ensemble avec les déclarations de TVA mensuelles, respectivement annuelles communiquées sur demande du ministre, ce dernier a valablement pu se baser sur les seules déclarations de TVA pour calculer la perte du chiffre d’affaires pour la période concernée, alors qu’elles étaient les seuls documents disponibles pour déterminer si la société demanderesse a subi une perte de son chiffre d’affaires d’au moins 15% durant les mois d’avril à décembre 2020 par rapport à la même période de l’année fiscale 2019 ou à la moyenne mensuelle du chiffre d’affaires concernant l’exercice fiscal 2019.

En effet, et tel que l’affirme la société demanderesse elle-même, l’objectif de la loi du 24 juillet 2020 est d’aider les entreprises qui, en raison de la pandémie du Covid-19, auraient dû annuler ou du moins reporter la réalisation d’un projet de développement ou d’innovation.

Dès lors et tel que retenu ci-avant, ladite loi s’applique uniquement aux entreprises se trouvant en difficultés financières en raison de la pandémie du Covid-19 et non pas à celles s’étant déjà trouvées dans une telle situation avant ladite pandémie. Par ailleurs, force est de constater qu’il ne s’agit pas de soutenir financièrement des entreprises dont la santé financière est affectée, mais celles dont la capacité à investir est affectée suite à la crise sanitaire.

L’exigence d’une baisse du chiffre d’affaires de 15%, telle qu’exigée par l’article 1er (1) de la loi du 24 juillet 2020 permet ainsi de déterminer, par rapport à l’année précédente, si l’entreprise dispose de liquidités suffisantes pour investir en dépit de la pandémie du Covid-19.

Dans ce contexte, la déclaration de TVA mensuelle est un bon indicateur de la capacité à investir d’une entreprise alors que l’intégralité des recettes de l’entreprise y est déclarée. En outre, le fait de prendre en compte l’intégralité des recettes, lesquelles contribuent toutes à la liquidité de l’entreprise, permet d’examiner si une entreprise dispose des liquidités nécessaires pour effectuer des investissements.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par l’affirmation de la société demanderesse selon laquelle il existerait un « gros décalage » notamment entre la déclaration de TVA de décembre et les redressements qui se feraient l’année suivante, puisque, suivant les explications fournies par la société demanderesse et de l’entendement du tribunal, il s’agit de redressements opérés chaque année quelques mois plus tard au niveau de la déclaration de TVA annuelle.

Le chiffre d’affaires figurant dans les déclarations de TVA ne saurait d’ailleurs être utilement contesté par la société demanderesse, alors qu’elle-même a rempli ses déclarations de TVA et renseigné les montants du chiffre d’affaires, de sorte qu’il doit être admis que ces derniers reflètent les ventes et prestations de service réalisées sur la période considérée et nécessaires pour déterminer la baisse éventuelle du chiffre d’affaires. Il s’ensuit que le ministre pouvait valablement se baser sur ces déclarations de TVA pour déterminer si la société demanderesse pouvait ou non se voir octroyer l’aide étatique sollicitée, étant à cet égard encore relevé que la société demanderesse a affirmé dans son mémoire en réplique que les calculs de la perte du chiffre d’affaires effectués par le ministre sur base des seules déclarations de TVA sont exacts. La perte du chiffre d’affaires durant les mois d’avril à décembre 2020 par rapport à la même période de l’année fiscale 2019 étant ainsi de 3,76% et par rapport à la moyenne mensuelle du chiffre d’affaires concernant l’exercice fiscal 2019 de 11,13%, c’est-à-dire en dessous de 15%, c’est à bon droit que le ministre a refusé l’octroi de l’aide étatique.

Au vu de ce qui précède, et sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant, le recours en annulation encourt le rejet pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant le rejette ;

condamne la société demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, premier juge, Annemarie Theis, premier juge, et lu à l’audience publique du 19 octobre 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s.Paulo Aniceto Lopes s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 octobre 2023 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47079
Date de la décision : 19/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 28/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-10-19;47079 ?

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