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16/10/2023 | LUXEMBOURG | N°49427

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 octobre 2023, 49427


Tribunal administratif N° 49427 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49427 2e chambre Inscrit le 14 septembre 2023 Audience publique du 16 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49427 du rôle et déposée le 14 septembre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître EdÃ

©vi Amegandji, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, ...

Tribunal administratif N° 49427 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49427 2e chambre Inscrit le 14 septembre 2023 Audience publique du 16 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49427 du rôle et déposée le 14 septembre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Edévi Amegandji, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (République démocratique du Congo), de nationalité congolaise, actuellement assigné à résidence à …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 29 août 2023 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la Suède, comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 27 septembre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Amadou Ndiaye, en remplacement de Maître Edévi Amegandji, et Madame le délégué du gouvernement Corinne Walch en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 octobre 2023.

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Le 17 juillet 2023, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section …, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant introduit une demande de protection internationale en Suède en date du 28 août 2018.

Toujours le 17 juillet 2023, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

1 Par arrêté du 17 juillet 2023, notifié à l’intéressé en mains propres en date du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à … pour une durée de trois mois.

Le 1er août 2023, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues suédois une demande de reprise en charge de Monsieur …, sur base de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, demande qui fut formellement acceptée en date du 3 août 2023.

Par décision du 29 août 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 1er septembre 2023, le ministre informa Monsieur … du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la Suède sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 17 juillet 2023 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Suède qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judicaire et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 17 juillet 2023.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 17 juillet 2023, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Suède en date du 28 août 2018.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 17 juillet 2023.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 1er août 2023 une demande de reprise en charge aux autorités suédoises sur base de l'article 18(1)d du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités suédoises en date du 3 août 2023.

2. Quant aux bases légales En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement 2DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 17 juillet 2023 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Suède en date du 28 août 2018.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Congo en 2018. Vous auriez voyagé en avion vers la Suède à l'aide de faux documents. Vous indiquez que votre demande de protection internationale en Suède aurait été rejetée et que les autorités suédoises vous auraient notifié un ordre de quitter leur territoire. Selon vos dires, vous seriez rentré au Congo en 2020. Cependant, vous n'auriez aucun document qui fait preuve de vos déclarations.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 17 juillet 2023, vous avez fait mention d'être diabétique et d'avoir des problèmes de tension. Cependant, vous n'avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Suède qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous déclarez ne pas vouloir retourner en Suède parce que les autorités suédoises ont déjà rejeté votre demande une première fois.

Rappelons à cet égard que la Suède est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

3 Il y a également lieu de soulever que la Suède est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la Suède profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la Suède est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Suède sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires suédoises.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Suède ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence la Suède. Vous ne faites valoir aucun indice que la Suède ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions suédoises, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Suède revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir 4discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers la Suède, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la Suède, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la Suède en informant les autorités suédoises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités suédoises n'ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 septembre 2023, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 29 août 2023.

Etant donné que l’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28 (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et après avoir exposé les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, le demandeur fait valoir, en droit, que ce serait à tort que le ministre aurait décliné la compétence du Luxembourg sans faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17 (1) du règlement Dublin III.

Il rappelle dans ce contexte qu’en 2018 il aurait quitté son pays d’origine, la République démocratique du Congo, pour solliciter une protection internationale en Suède laquelle aurait cependant été rejetée par les autorités suédoises qui lui auraient notifié, ensemble avec le refus, un ordre de quitter le territoire suédois. Il aurait exécuté cet ordre de quitter le territoire et serait retourné dans son pays d’origine en 2020, lequel il aurait cependant à nouveau quitté en date du 2 juillet 2023 suite à un avis de recherche qui aurait été lancé à son égard « dans le chef d’association des malfaiteurs de son pays d’origine le Congo ». Il s’ensuivrait qu’avant de venir au Luxembourg, il aurait demeuré en République démocratique du Congo, où il aurait subi un certain nombre de traumatismes à cause du rejet de sa demande de protection internationale en Suède.

Le demandeur reproche ainsi une erreur manifeste d’appréciation au ministre qui, au vu des éléments du dossier et notamment de l’avis de recherche émanant de « l’officier du Ministère 5Public de son pays d’origine », lesquels témoignent manifestement du fait que sa vie y serait en danger, aurait tout de même « [procédé] par une décision d’acceptation tacite du Suède de la demande de reprise, pour justifier la présente décision ».

Monsieur … rappelle à cet égard qu’il aurait déclaré lors de son entretien Dublin III être « diabétique sucré non insulino-dépendant » et avoir des problèmes de tension.

Au vu du caractère exceptionnel de sa situation, il estime que la clause de souveraineté telle que prévue à l’article 17 du règlement Dublin III aurait dû être appliquée et que les autorités luxembourgeoises auraient dû le prendre en charge.

Le demandeur ajoute que le transfert vers la Suède aurait pour conséquence la dégradation de son état de santé, ce qui permettrait de conclure à un traitement inhumain et dégradant tel que prévu à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après dénommée « la CEDH ». De ce point de vue également, le ministre aurait dû, selon lui, en application de l’article 17 du règlement Dublin III, décider d’examiner sa demande de protection internationale.

En effet, il estime qu’en se trouvant au Luxembourg, il serait non seulement « à l’abri et en sécurité » et protégé, mais que sa demande de protection internationale pourrait également enfin être « examinée dans des conditions optimales, en possession de toutes ses facultés pour se faire mieux entendre sur son vécu ».

Il conclut de tout ce qui précède que le ministre n’aurait guère pris en considération la particularité de sa situation personnelle.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal relève qu’en vertu de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités suédoises pour reprendre en charge Monsieur …, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection 6internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale laquelle a fait l’objet d’une décision de refus.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers la Suède et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait la Suède où le demandeur a, tel que soutenu par lui-même, infructueusement déposé une demande de protection internationale et que les autorités suédoises ont formellement accepté sa reprise en charge le 3 août 2023, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Le tribunal relève ensuite que même si le demandeur n’a indiqué aucune disposition législative dans sa requête introductive d’instance, il en ressort cependant qu’il semble contester la compétence de principe de la Suède puisqu’il soutient être retourné en République démocratique du Congo après le rejet de sa demande de protection internationale en Suède, et donc avoir quitté le territoire des Etats membres avant le dépôt d’une nouvelle demande de protection internationale au Luxembourg.

En effet, aux termes de l’article 19 du règlement Dublin III, « 1. Si un État membre délivre au demandeur un titre de séjour, les obligations prévues à l’article 18, paragraphe 1, lui sont transférées.

2. Les obligations prévues à l’article 18, paragraphe 1, cessent si l’État membre responsable peut établir, lorsqu’il lui est demandé de prendre ou reprendre en charge un demandeur ou une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), que la personne concernée a quitté le territoire des États membres pendant une durée d’au moins trois mois, à moins qu’elle ne soit titulaire d’un titre de séjour en cours de validité délivré par l’État membre responsable.

Toute demande introduite après la période d’absence visée au premier alinéa est considérée comme une nouvelle demande donnant lieu à une nouvelle procédure de détermination de l’État membre responsable.

3. Les obligations prévues à l’article 18, paragraphe 1, points c) et d), cessent lorsque l’État membre responsable peut établir, lorsqu’il lui est demandé de reprendre en charge un demandeur ou une autre personne visée à l’article 18, paragraphe 1, point c) ou d), que la personne concernée a quitté le territoire des États membres en exécution d’une décision de retour ou d’une mesure d’éloignement délivrée à la suite du retrait ou du rejet de la demande.

Toute demande introduite après qu’un éloignement effectif a eu lieu est considérée comme une nouvelle demande et donne lieu à une nouvelle procédure de détermination de l’État membre responsable. ».

Il s’ensuit que l’article 19 du règlement Dublin III exige que le demandeur ait quitté le territoire des Etats membres pendant une durée d’au moins trois mois, à moins qu’il ne soit titulaire d’un titre de séjour en cours de validité délivré par l’Etat membre responsable, sinon qu’il ait quitté l’espace Schengen en exécution d’une décision de retour ou d’une mesure d’éloignement délivrée à la suite du retrait ou du rejet de sa demande de protection internationale, pour que la clause de la cessation de la responsabilité puisse jouer et que la demande introduite après qu’un 7éloignement effectif ait eu lieu puisse être considérée comme une nouvelle demande donnant lieu à une nouvelle procédure de détermination de l’Etat membre responsable1.

Pour ce qui est de l’article 19 (2) du règlement Dublin III, force est de constater que le demandeur ne verse aucune pièce prouvant son allégation selon laquelle il aurait quitté la Suède en 2020 pour se rendre en République démocratique du Congo, laquelle il aurait quitté à nouveau le 2 juillet 2023, de sorte à rester en défaut de prouver avoir séjourné dans son pays d’origine entre 2020 et 2022. Il se limite, en effet, à verser un document intitulé « AVIS DE RECHERCHE » du 1er juillet 2023 qui ne saurait être considéré comme preuve, ni même comme indice qu’il aurait quitté le territoire des Etats membres pour retourner dans son pays d’origine suite au rejet définitif de sa demande de protection internationale par les autorités suédoises.

En effet, le règlement d’exécution (UE) n°118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 modifiant le règlement (CE) n°1560/2003 portant modalités d’application du règlement (CE) n°343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers prévoit dans son annexe II comme preuves de sortie du territoire des Etats membres en application de l’article 19 (2) du règlement Dublin III :

« - cachet de sortie;

- extraits de registres de l’État tiers (prouvant le séjour);

- titre de transport permettant formellement d’établir la sortie ou l’entrée par une frontière extérieure;

- rapport/confirmation de la part de l’État membre à partir duquel le demandeur a quitté le territoire des États membres;

- cachet d’un État tiers limitrophe d’un État membre, en tenant compte de l’itinéraire utilisé par le demandeur ainsi que de la date du franchissement de la frontière. », et comme indices de sortie du territoire des Etats membres :

« - déclarations circonstanciées et vérifiables du demandeur;

- rapports/confirmation des informations par une organisation internationale, telle que le HCR ;

- rapports/confirmation des informations par un autre État membre;

- Ad article 19, paragraphe 2: cachet de sortie lorsque le demandeur en cause a quitté le territoire des États membres pendant une période d’au moins trois mois;

- rapports/confirmation des informations par des membres de la famille, compagnons de voyage, etc.;

- empreintes digitales, sauf dans les cas où les autorités auraient été amenées à relever les empreintes digitales lors du franchissement de la frontière extérieure.

Dans ce cas, elles constituent des preuves au sens de la liste A;

- billets de transport;

- notes d’hôtel;

- carte de rendez-vous chez un médecin, dentiste, etc., dans un État tiers;

- données attestant que le demandeur a eu recours aux services d’un passeur ou d’une agence de voyage;

- autres indices de même nature. ».

Or, le demandeur reste en défaut d’apporter une preuve telle qu’énoncée ci-avant, sinon 1 Trib. adm., 3 avril 2019, n° 42387 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

8un indice permettant de conclure qu’il se serait effectivement trouvé en République démocratique du Congo avant de se rendre au Luxembourg et y déposer une demande de protection internationale.

En outre, si son avis de recherche est certes daté au 1er juillet 2023, force est de constater qu’il n’en ressort pas qu’il n’a pas trait à des faits ayant eu lieu avant son premier départ de son pays d’origine.

Enfin, en ce qui concerne les autres pièces se trouvant dans le dossier administratif, à savoir la « carte d’électeur » et la « carte de membre », elles ne démontrent non plus que Monsieur … aurait quitté le territoire des Etats membres pour retourner en République démocratique du Congo. En effet, la « carte d’électeur » a été émise en date du 7 juillet 2017, soit avant qu’il ait quitté la République démocratique du Congo pour la première fois pour rejoindre la Suède, et la « carte de membre » démontre uniquement que le demandeur est membre de l’« Alliance pour le changement ». L’article 19 (2) du règlement Dublin III n’est dès lors pas applicable.

En ce qui concerne le paragraphe (3) de l’article 19 du règlement Dublin III, dans la mesure où ledit règlement ne donne pas de définition de la notion de décision de retour, il convient de se référer à la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier qui définit dans son article 3, point 4) la décision de retour comme étant « une décision ou un acte de nature administrative ou judiciaire déclarant illégal le séjour d’un ressortissant d’un pays tiers et imposant ou énonçant une obligation de retour », tandis que la notion de « retour » y est définie comme « le fait, pour le ressortissant d’un pays tiers, de rentrer - que ce soit par obtempération volontaire à une obligation de retour ou en y étant forcé - dans :

- son pays d’origine, ou - un pays de transit conformément à des accords ou autres arrangements de réadmission communautaires ou bilatéraux, ou - un autre pays tiers dans lequel le ressortissant concerné d’un pays tiers décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel il sera admis ; […] ».

Pour qu’il y ait eu exécution d’une décision de retour, respectivement d’une mesure d’éloignement, il faut dès lors que l’étranger ait non seulement fait l’objet d’une décision ayant déclaré illégal son séjour sur le territoire d’un Etat membre et lui ayant imposé de quitter ledit territoire, mais également qu’en exécution de la décision de retour prise à son encontre, il soit retourné ou bien volontairement dans le cadre d’un retour organisé, ou bien par la contrainte soit (i) dans son pays d’origine, soit (ii) dans un pays de transit conformément à des accords ou autres arrangements de réadmission communautaires ou bilatéraux, soit (iii) dans un autre pays tiers dans lequel il décide de retourner volontairement et sur le territoire duquel il sera admis2.

Le tribunal est, à cet égard, tout d’abord amené à relever que s’il est constant en cause que la demande de protection internationale de Monsieur … déposée en Suède a été définitivement rejetée, les autorités suédoises ayant en effet accepté de reprendre en charge le demandeur sur le fondement de l’article 18 (1) d) du règlement Dublin III, il ne se dégage toutefois pas des éléments soumis au ministre et au tribunal que le demandeur ait quitté le territoire suédois en exécution d’une décision de retour ou d’une mesure d’éloignement prise à son encontre par les autorités suédoises suite au rejet de sa demande de protection internationale.

2 ….

9 Au vu du fait (i) que le demandeur est resté en défaut de prouver qu’il a quitté le territoire des Etats membres pendant une durée d’au moins 3 mois, sinon d’avoir fait l’objet d’un éloignement vers son pays d’origine, et (ii) que les autorités suédoises ont expressément accepté la reprise en charge du demandeur, il y a lieu de retenir la compétence de principe de la Suède pour connaître de la demande de protection internationale de Monsieur …, respectivement des suites à y réserver. Le moyen afférent du demandeur tendant à contester la compétence de principe de la Suède, est dès lors à rejeter.

Ensuite, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3 (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17 (1), précité, du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En l’espèce, force est de constater que le demandeur reste en défaut d’alléguer et a fortiori de démontrer l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Suède, ce dernier soutenant, en substance, uniquement qu’en raison de son état de santé, son transfert serait contraire à l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, ainsi qu’à l’article 17 (1) du règlement Dublin III.

En ce qui concerne le moyen tendant à la violation par la décision ministérielle litigieuse de l’article 3 de la CEDH en raison de l’état de santé du demandeur, il y a, tout d’abord, lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et le Protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3. C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants4,5.

Il échet de constater qu’aux termes de l’arrêt de la CJUE du 16 février 20176, l’article 4 3 CJUE, 21 décembre 2011, N. S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10, et M. E. et autres c.

Refugee Applications Commissioner et Minister for Justice, Equality and Law Reform, C-493/10, point 78.

4 Ibidem, point 79.

5 Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

6 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.

10de la Charte, et partant également par analogie l’article 3 de la CEDH, doit être interprété en ce sens que même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert a pour conséquence un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article7, étant précisé qu’il ressort de l’arrêt de la CJUE du 19 mars 20198, qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant9.

Néanmoins, il ne se dégage pas de cette jurisprudence que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé pour toute personne déclarant avoir un quelconque problème de santé.

En effet, dans l’arrêt en question, la CJUE a d’abord mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale, que les Etats membres liés par la directive 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte) sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats […] ». Elle a retenu ensuite que « […] dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. […] »10. Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « […] d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte 7 Ibidem, points 65 et 96.

8 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, C-163/17.

9 Ibidem, point 88.

10 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, points 74 et 75.

11tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert […] » 11.

Ainsi, cet arrêt concerne l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, telles que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée12.

En l’espèce, le demandeur indique qu’il serait « diabétique sucré non insulino-

dépendant » et qu’il aurait des problèmes de tension. Or, outre le fait que le demandeur ne verse aucun document prouvant qu’il souffre de problèmes de tension, il y a encore lieu de constater que s’il ressort certes de l’ordonnance médicale du 6 septembre 2023 établie par le docteur …, médecin auprès de la cellule santé des demandeurs de protection internationale, que le demandeur est « diabète sucré non insulino-dépendant », il n’en ressort toutefois pas qu’un transfert du concerné vers la Suède pourrait avoir des conséquences significatives et irrémédiables sur son état de santé, respectivement que son état de santé s’opposerait à son transfert vers la Suède.

Ce constat s’impose d’autant plus que le demandeur reste en défaut de verser une quelconque pièce, voire de soumettre un quelconque indice concret, susceptible de laisser conclure qu’il ne pourrait pas bénéficier en Suède des soins médicaux dont il pourrait avoir besoin, respectivement que ce même pays ne respecterait pas les obligations lui imposées à travers la CEDH, la Charte ou encore le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels adopté par l’Assemblée générale des Nations Unies le 16 décembre 1966 et entré en vigueur le 3 janvier 1976, ses affirmations à cet égard restant en effet à l’état de pures allégations, ce d’autant plus que le demandeur a affirmé dans le cadre de son entretien Dublin III qu’il ne suit aucun traitement médical spécifique, de même que l’ordonnance médicale du 6 septembre 2023 ne mentionne aucun traitement dont Monsieur … aurait besoin.

Partant, le tribunal est amené à retenir qu’il ne se dégage pas des éléments lui soumis que l’état de santé du demandeur s’oppose à son transfert vers la Suède.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen fondé sur une violation par la décision ministérielle litigieuse de l’article 3 de la CEDH est à rejeter pour être non fondé.

En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17 (1) du règlement Dublin III, celui-ci dispose que « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ». A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation 11 …, points 76 à 85 et point 96.

12 …, point 83.

12étendu aux Etats membres13.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge14, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration15.

En l’espèce, le demandeur estime que sa situation particulière et plus spécifiquement son état de santé auraient dû amener le ministre à faire application de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 (1) du règlement Dublin III.

Or, étant donné que le tribunal vient de rejeter, pour ne pas être fondés, aussi bien l’argumentation du demandeur visant à contester la compétence de principe de la Suède que le moyen tiré d’une violation de l’article 3 de la CEDH sur base de l’état de santé de Monsieur …, il n’entrevoit pas non plus d’éléments de nature à justifier dans le cas du demandeur le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17 (1), précité, du règlement Dublin III.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 16 octobre 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

13 CJUE, 21 décembre 2011, N. S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10, et M. E. et autres c.

Refugee Applications Commissioner et Minister for Justice, Equality and Law Reform, point 65.

14 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 58 et les autres références y citées.

15 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.

13 s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 octobre 2023 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 49427
Date de la décision : 16/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 28/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-10-16;49427 ?

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