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12/10/2023 | LUXEMBOURG | N°47002

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 12 octobre 2023, 47002


Tribunal administratif N° 47002 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47002 2e chambre Inscrit le 8 février 2022 Audience publique du 12 octobre 2023 Recours formé par Monsieur … et consort, … (F), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47002 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 février 2022 par Monsieur … et Madame …, demeurant ensemble à F-… (France), …, dirigée contre une décision du directeur de lâ€

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Tribunal administratif N° 47002 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47002 2e chambre Inscrit le 8 février 2022 Audience publique du 12 octobre 2023 Recours formé par Monsieur … et consort, … (F), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’impôt

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47002 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 février 2022 par Monsieur … et Madame …, demeurant ensemble à F-… (France), …, dirigée contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 4 novembre 2021, ayant rejeté leur réclamation introduite le 22 juin 2020 à l’encontre du bulletin de l’impôt sur le revenu pour l’année d’imposition 2019, émis en date du 17 juin 2020 ;

Vu le mémoire en réponse déposé le 5 mai 2022 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique de Monsieur … et de Madame … déposé au greffe du tribunal administratif le 11 mai 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Steve Collart et Monsieur … et Madame … en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 mai 2023.

En date du 17 juin 2020, le bureau d’imposition Luxembourg 1 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », émit à l’égard de Monsieur … et de Madame …, ci-après désignés par « les consorts … », le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2019.

Par courrier du 22 juin 2020, les consorts … introduisirent une réclamation contre ledit bulletin d’imposition.

Par décision du 4 novembre 2021, référencée sous le numéro …, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », rejeta comme non fondée la réclamation précitée du 22 juin 2020 en les termes suivants :

« […] Vu la requête introduite en date du 22 juin 2020 par le sieur …, demeurant à F-

…, pour réclamer contre le bulletin de l’impôt sur le revenu de l’année 2019, émis en date du 17 juin 2020 ;

1Vu le dossier fiscal ;

Considérant qu’en vertu de l'article 3, alinéa 3 de la loi du 12 mai 2020 portant adaptation de certains délais en matière fiscale, financière et budgétaire dans le contexte de l’état de crise, les délais relatifs à la réclamation, au sens du paragraphe 228 de la loi générale des impôts (AO), sont suspendus du 18 mars 2020 jusqu’au 30 juin 2020 ;

Vu la mise en état du directeur des contributions du 7 juillet 2021 en vertu des §§ 243, 244 et 171 AO, ainsi que la réponse y relative du réclamant entrée le 24 août 2021 ;

Vu les §§ 102, 107, 228, 238, 254, alinéa 2 et 301 AO ;

Considérant que la réclamation a été introduite par qui de droit (§ 238 AO), dans les forme (§ 249 AO) et délai (§ 228 AO) de la loi, qu’elle est partant recevable ;

Considérant que le réclamant fait grief au bureau d’imposition de ne pas l’avoir imposé collectivement avec sa partenaire ;

Considérant qu’en vertu du § 243 AO, une réclamation régulièrement introduite déclenche d'office un réexamen intégral de la cause, sans égard aux conclusions et moyens du réclamant, la loi d'impôt étant d'ordre public ;

qu’à cet égard, le contrôle de la légalité externe de l’acte doit précéder celui du bien-

fondé ;

qu’en l'espèce la forme suivie par le bureau d’imposition ne prête pas à critique ;

Considérant que le réclamant a introduit une déclaration pour l’impôt sur le revenu de l’année 2019 par le site étatique « www.guichet.lu », demandant l’imposition collective au sens de l’article 3bis de la loi concernant l’impôt sur le revenu (L.I.R.) avec sa partenaire, la dame … ;

Considérant que le bureau d’imposition n’a pas donné suite à cette demande au motif que les partenaires n’auraient pas partagé pendant toute l’année en question un domicile commun ;

Considérant qu’aux termes de l’article 3bis, alinéa 1er L.I.R. sont imposés collectivement, sur demande conjointe et à condition d’avoir partagé pendant toute l’année d’imposition un domicile ou une résidence commun:

a) les partenaires résidents dont le partenariat a existé du début à la fin de l’année d’imposition, b) les partenaires qui deviennent contribuables résidents au cours de l’année d’imposition lorsque le partenariat a existé du début à la fin de l’année d’imposition ;

Considérant qu’il ressort des données recueillies au Registre National des Personnes Physiques que l’épouse du requérant a quitté le foyer conjugal en date du 30 septembre 2019 ; qu’elle a déménagé avec son fils … à F-… ; qu’il s’ensuit qu’en l’espèce le réclamant et son épouse, n’ayant pas un domicile commun pendant toute l’année litigieuse, ne remplissent 2pas les conditions pour pouvoir opter pour une imposition collective sur base de l’article 3bis L.I.R. ;

Considérant que le directeur a procédé en date du 7 juillet 2021 à une mise en état du dossier afin de se procurer de plus amples détails en ce qui concerne l’imposition effectuée ;

que la dite mise en état du dossier est libellée comme suit :

- le réclamant est invité à fournir un certificat de scolarité de son fils … pour l’année scolaire 2019-2020, à fournir un certificat de résidence pour son épouse et son fils de la commune … pour la période du 30 septembre 2019 jusqu’au 20 mai 2020, à fournir les contrats de bail des habitations sises à … et à ….

Considérant que le réclamant a omis de fournir toutes les pièces et informations demandées pour le 24 août 2021, délai imparti par la mise en état du dossier, notamment le certificat de scolarité de son fils … pour l’année scolaire 2019-2020, ainsi que le certificat de résidence pour son épouse et son fils de la commune de … pour la période du 30 septembre 2019 jusqu'au 20 mai 2020 ; qu’il s’ensuit que le réclamant est resté en défaut de démontrer qu’il a partagé avec sa partenaire un domicile ou une résidence commun pendant toute l’année litigieuse ;

Considérant qu’à ce jour, malgré la demande d’éclaircissement de la présente instance, avec attribution d’un délai confortable, le réclamant n’a pas apporté tous les justificatifs demandés ;

Considérant que dans cette configuration, en l’absence d’éléments permettant de démontrer le lieu de résidence de l’épouse du réclamant et de son fils pendant l’année litigieuse, la présente instance se voit dans l’impossibilité non seulement de poursuivre son instruction mais également de trancher, des éléments impérativement nécessaires à la base d’une perception claire et nette de la situation de fait et de droit faisant défaut ;

Considérant que pour le surplus l’imposition est conforme à la loi et aux faits de la cause et n’est d’ailleurs pas autrement contestée ;

PAR CES MOTIFS reçoit la réclamation en la forme, la rejette comme non fondée. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 février 2022, les consorts … ont introduit un recours contentieux contre la décision directoriale, précitée, du 4 novembre 2021.

Force est de prime abord de constater que les consorts … ne précisent pas s’ils entendent introduire un recours en réformation ou en annulation, de sorte qu’il y a lieu d’admettre qu’ils ont entendu introduire le recours admis par la loi.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des 3juridictions de l’ordre administratif, désignée ci-après par « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur ayant statué sur le mérite d’une réclamation contre des bulletins de l’impôt sur le revenu.

Il y a dès lors lieu d’admettre que les consorts … ont entendu introduire un recours en réformation contre la décision directoriale du 4 novembre 2021, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation.

Le délégué du gouvernement conclut à l’irrecevabilité ratione temporis du recours. Il soutient, à cet égard, que la décision litigieuse aurait été expédiée le 4 novembre 2021 et serait présumée avoir été notifiée le 7 novembre 2021. Le délai de recours serait ainsi venu à expiration le 7 février 2022, de sorte que le recours, introduit le 8 février 2022, serait tardif.

Les demandeurs n’ont pas pris position par rapport audit moyen dans leur mémoire en réplique.

Il ressort de l'article 8, paragraphe (3), alinéa (4) de la loi du 7 novembre 1996 que le délai pour agir à l’encontre d’une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation introduite à l’encontre d'un bulletin d’impôts, telle que la décision déférée, est de trois mois.

Aux termes du paragraphe 258, alinéa (2) AO, « Die Entscheidungen sind dem Steuerpflichtigen verschlossen zuzustellen. Der Minister der Finanzen kann statt der Zustellung eine einfachere Form der Bekanntgabe zulassen ».

La notion de « Zustellung » se trouve explicitée par le paragraphe 88 AO, qui s’applique également aux décisions directoriales sur réclamation, aux termes duquel « (1) Für Zustellungen gelten die Vorschriften der Zivilprozessordnung über Zustellungen von Amts wegen.

(2) Zustellen können auch Beamte der Steuer-, der Polizei- oder der Gemeindeverwaltung.

(3) Die Behörde kann durch eingeschriebenen Brief zustellen. Die Zustellung gilt mit dem dritten Tag nach der Aufgabe zur Post als bewirkt, es sei denn, dass der Zustellungsempfänger nachweist, dass ihm das zuzustellende Schriftstück nicht innerhalb dieser Zeit zugegangen ist. ».

Il se dégage du paragraphe 88 AO que si la « Zustellung » doit, au vœu de son alinéa (1), en principe être opérée en conformité avec les dispositions de la « Zivilprozessordnung », renvoi qui doit être compris au Luxembourg comme visant le Nouveau code de procédure civile (NCPC), il autorise à travers son alinéa (3) toute « Behörde » visée par ses dispositions, donc également le directeur en sa qualité de « Rechtsmittelbehörde » au sens des paragraphes 228 et suivants AO, à utiliser un mode simplifié de « Zustellung » par le biais de la notification par voie de « eingeschriebener Brief » dans tous les cas où la « Zustellung » est prescrite1, partant 1 Jean OLINGER, La procédure contentieuse en matière d’impôts directs, ETUDES FISCALES n° 81- 85, n° 92, p. 66.

4notamment pour une décision directoriale sur réclamation laquelle est « geschlossen zuzustellen » au prescrit du paragraphe 258, alinéa (2) AO 2.

En vue de déterminer les formalités obligatoirement attachées à l’envoi d’un « eingeschriebener Brief », il convient de constater que la « Zustellung » au sens du paragraphe 88 AO s’analyse par essence en une remise actée entourée d’un certain formalisme, lequel est destiné à constituer une preuve de la réception de l’acte à notifier par son destinataire.

L’originalité de l’alinéa (3) du paragraphe 88 AO par rapport à son alinéa (1) réside dans le fait que l’autorité est dispensée de l’obligation de s’aménager une preuve concrète de la prise de connaissance effective de l’acte par son destinataire et que l’autorité est seulement tenue de prouver la date à laquelle l’enveloppe contenant l’acte a été remise à la poste. En outre, la preuve concrète de la réception par le destinataire est remplacée par l’alinéa (3) en cas de notification par « eingeschriebener Brief » par une présomption jures tantum de réception au troisième jour après la remise à la poste.

Le paragraphe 88, alinéa (3) AO autorise ainsi les autorités visées à procéder à une notification par voie de lettre recommandée simple, un avis de réception n’étant point requis au vu de la dispense de la preuve d’une réception effective par le destinataire, la seule preuve à charge de l’autorité étant celle de la remise de l’acte à la poste sous forme de pli fermé expédié en tant que lettre recommandée 3.

Il y a encore lieu de relever que le paragraphe 88, alinéa (3) AO est une émanation du principe général à valeur constitutionnelle de sécurité juridique, en ce qu’il vise à éviter autant que possible les litiges relatifs à la date exacte de réception de la décision du directeur. Il remplit par ailleurs une fonction de décharge de preuve au profit de l’administration des Contributions directes, laquelle n’a pas à prouver la réception effective de cette décision. En outre, la date de réception effective ne devient pertinente que si le contribuable n’a pas reçu la décision endéans le délai présumé – c’est seulement dans cette mesure que la présomption de réception est réfragable4. Il n’incombe donc pas à l’administration des Contributions directes de vérifier la date de réception effective de la décision du directeur du 4 novembre 2021, mais uniquement de s’assurer que le recours a été introduit endéans le délai imparti par rapport à la date présumée de réception de cette décision.

Force est de constater que suivant le récépissé de dépôt d’un envoi recommandé figurant au dossier fiscal, le courrier portant notification de la décision déférée a été expédié aux consorts … le 4 novembre 2021. Dans la mesure où la notification est réputée faite trois jours après la remise à la poste, elle est, en l’espèce, réputée faite le 7 novembre 2021.

Il s'ensuit qu’a priori, le délai de recours contentieux a commencé à courir à cette dernière date, de sorte à avoir expiré le lundi 7 février 2022.

Les consorts … n’ayant pas prouvé la réception de la décision déférée à une date ultérieure, mais ayant, au contraire, admis dans leur recours introductif d’instance avoir réceptionné la décision directoriale en date du 6 novembre, le tribunal relève qu’en dehors des cas dans lesquels la loi prévoit qu’un recours gracieux ou contentieux est valablement exercé par l’expédition d’un courrier dans un certain délai, un recours n’est valablement formé que 2 Trib. adm., 21 juin 2004, n° 17075 du rôle, confirmé par Cour adm., 13 janvier 2005, n° 18477C du rôle, Pas.

adm. 2022, V° Impôts, n° 1145 et les autres références y citées.

3 Ibidem.

4 Cour adm., 9 juin 2022, n° 46415 C du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

5s’il parvient à l’autorité compétente dans le délai légal. Il est également rappelé que si l’administré décide de ne pas déposer directement son recours, mais opte pour une transmission par voie de courrier postal, il s’organiser de manière à ce qu’il remette le document contenant le recours suffisamment à temps pour que le recours parvienne à destination avant l’expiration du délai légal. Une requête n’est pas recevable du seul fait qu’elle aurait été remise aux services postaux dans ce délai pour être expédiée.

Au vu des considérations qui précèdent, il y a lieu de déclarer le recours en réformation sous analyse, introduit en date du 8 février 2022, c’est-à-dire postérieurement à l’échéance du délai légal de trois mois prévu à l’article 8, paragraphe (3), alinéa (4) de la loi du 7 novembre 1996, irrecevable ratione temporis.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours en réformation irrecevable, partant le rejette ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens de l’instance .

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 12 octobre 2023 par le premier vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard.

Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 13 octobre 2023 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47002
Date de la décision : 12/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-10-12;47002 ?

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