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11/10/2023 | LUXEMBOURG | N°49516

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 octobre 2023, 49516


Tribunal administratif Numéro 49516 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49516 5e chambre Inscrit le 5 octobre 2023 Audience publique du 11 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49516 du rôle et déposée le 5 octobre 2023 au greffe du tribunal a

dministratif par Maître Philippe Stroesser, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’O...

Tribunal administratif Numéro 49516 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49516 5e chambre Inscrit le 5 octobre 2023 Audience publique du 11 octobre 2023 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49516 du rôle et déposée le 5 octobre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Philippe Stroesser, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Somalie) et être de nationalité somalienne, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 28 septembre 2023 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 9 octobre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Felipe Lorenzo en sa plaidoirie à l’audience publique du 11 octobre 2023, Maître Philippe Stroesser s’étant excusé et rapporté aux écrits.

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Le 21 décembre 2017, Monsieur …, connu sous différents alias, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche effectuée le même jour dans la base de données EURODAC, que l’intéressé avait introduit des demandes de protection internationale en Italie le 20 février 2013, en Allemagne le 16 décembre 2013, en Suède les 22 mai 2014, 20 novembre 2015 et 31 décembre 2015, en Belgique le 24 juillet 2015, au Danemark les 4 septembre 2015, 23 novembre 2015 et 23 janvier 2017, en Norvège le 11 septembre 2015 et en France le 15 juin 2017.

Par décision du 13 février 2018, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur … en application desdispositions de l’article 28 (2) de la loi du 18 décembre 2015 au motif qu’une protection internationale lui avait été accordée par les autorités italiennes, déclara irrégulier son séjour sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de quitter ledit territoire endéans un délai de 30 jours.

Par courriel du 12 novembre 2018, les autorités ministérielles luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues italiens une demande de réadmission de Monsieur …, demande qui fut acceptée par celles-ci le 21 novembre 2018 en ce que l’intéressé y était bénéficiaire d’une protection subsidiaire ayant expiré le 4 novembre 2016.

En date du 22 novembre 2018, Monsieur … fit l’objet d’un signalement national aux fins de découvrir sa résidence, et, en cas d’interception, en vue d’un placement en rétention.

Il ressort d’un rapport n° … de la police grand-ducale, circonscription régionale Luxembourg, …, du 4 mars 2019, que Monsieur … fit à cette date l’objet d’un contrôle lors duquel il ne fut pas en mesure de présenter des documents d’identité et de séjour valables.

Il ressort d’un rapport n° … de la police grand-ducale, région capitale, commissariat Luxembourg - groupe Gare, du 2 septembre 2023, que Monsieur … fut à cette date interpellé par les agents de la police grand-ducale alors qu’il fut fortement alcoolisé et se montra violent.

Il ressort également dudit rapport que l’intéressé ne fut pas en mesure de présenter des documents d’identité et de séjour valables, mais qu’il était en possession d’une « Anlaufbescheinigung » émise le 25 août 2023 par la « Bundespolizeiinspektion » de … (Allemagne), valable jusqu’au 28 août 2023.

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de se rendre immédiatement vers l’Italie, Etat membre qui lui a accordé la protection subsidiaire, et prononça à son encontre une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée d’un an.

Par arrêté séparé du 2 septembre 2023, notifié à l’intéressé également le même jour, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de sa notification. Ladite décision est basée sur les motifs et considérants suivants :

« (…) Vu les articles 100, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport N° … du 2 septembre 2023 établi par la Police Grand-Ducale, Commissariat de Luxembourg - Groupe Gare ;

Vu ma décision d’irrecevabilité du 13 février 2018 ;

Vu l’accord de réadmission des autorités italiennes du 21 novembre 2018 ;

Vu ma décision de départ du 2 septembre 2023 ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant que l’intéressé est démuni d’un titre de voyage valable ;

Considérant que l’intéressé est démuni de son permis de séjour ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

2 Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé vont être engagées ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Le recours contentieux introduit par Monsieur … contre ladite décision de placement au Centre de rétention fut rejeté pour ne pas être par un jugement du tribunal administratif du 21 septembre 2023, inscrit sous le numéro 49402 du rôle.

Par arrêté du 28 septembre 2023, notifié le 2 octobre 2023, le ministre prorogea le placement au Centre de rétention de Monsieur … pour une durée d'un mois à compter de la notification dudit arrêté, lequel est fondé sur les considérations suivantes :

« (…) Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 2 septembre 2023, notifié le même jour, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 2 septembre 2023 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que les démarches en vue de l’éloignement ont été engagées ;

Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l'éloignement ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 5 octobre 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 28 septembre 2023 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention.

Etant donné que l’article 123 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de placement en rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, Monsieur …, après avoir repris les termes de la décision déférée et après avoir cité l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008, souligne, de manière générale, que le placement au Centre de rétention devrait être considéré comme un ultime remède et ne constituerait qu’une simple faculté pour le ministre et non pas une obligation systématique. Cette faculté accordée au ministre devrait se baser sur des motifs sérieux et être proportionnée par rapport à la situation donnée, alors que le placement en rétention d’une personne constituerait une atteinte à la liberté de mouvement qui devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en espèce.

Il indique également qu’en vertu de l’article 120 (3) de la loi du 29 août 2008, le maintien de la rétention serait conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et exécuté avec toute la diligence nécessaire, impliquant que le ministre serait dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter son éloignement dans les meilleurs délais.

Le demandeur conteste ensuite toute perspective d’éloignement, de sorte à remettre en question que son éloignement puisse être réalisé dans un délai raisonnable et avant la durée maximale de la mesure de rétention.

Il en conclut que son placement dans une structure fermée serait disproportionné au regard des prédites circonstances et de son comportement.

Il se fonde, enfin, sur l’article 125 de la loi du 29 août 2008 pour plaider en faveur d’une assignation à résidence dans un lieu à fixer par le ministre et avec l’obligation de se présenter régulièrement auprès des services du ministre ou de toute autre autorité désignée.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne tout d’abord la légalité externe de l’arrêté ministériel litigieux, et plus particulièrement le reproche non autrement circonstancié d’une insuffisance de la motivation fournie par le ministre, il convient de souligner que ces développements sont à rejeter pour ne pas être fondés, étant donné qu’aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention, sans demande expresse de l’intéressé - l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision -, de sorte que le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision litigieuse.

Au-delà de cette considération, il convient d’ajouter qu’en tout état de cause l’arrêté litigieux est motivé à suffisance tant en fait qu’en droit par le renvoi aux articles 111 et 120 à 123 de la loi du 29 août 2008, ainsi que par le renvoi à l’arrêté ministériel initial du 2 septembre 2023 ayant prononcé le placement de l’intéressé au Centre de rétention au motif de l’existence d’une décision d’irrecevabilité d’une demande de protection internationale du 13 février 2018 à son égard, d’un accord de réadmission des autorités italiennes du 21 novembre 2018, d’une décision constatant le séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois et ordonnant à l’intéressé de se rendre immédiatement en Italie du 2 septembre 2023 et, enfin, du fait que l’intéressé est démuni d’un titre de voyage valable et qu’il existe un risque de fuite dans son chef.

Le moyen afférent est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite la légalité interne de la décision de prorogation du placement en rétention litigieux, force est d’abord de constater qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement. C’est ainsi que l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008, sur le fondement duquel l’arrêté ministériel litigieux a été pris, prévoit que : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 4 116 à 118, […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères, notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, force est d’abord de relever à l’instar de ce qui avait été retenu par le jugement précité du 21 septembre 2023 qu’il est constant que par décision du 2 septembre 2023, le ministre a déclaré irrégulier le séjour du demandeur sur le territoire luxembourgeois, lui a ordonné de se rendre immédiatement en Italie, Etat membre qui lui a accordé une protection subsidiaire depuis le 4 novembre 2016, tout en ayant prononcé à son encontre une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois d’une durée d’un an, décision qui ne fait pas l’objet de la présente instance contentieuse. Il est encore constant que l’intéressé ne dispose ni d’un document d’identité ou de voyage valable, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111 (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant encore précisé, à cet égard, que, parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévu au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il aurait, par conséquent, appartenu à Monsieur … de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite présumé dans son chef, ce qu’il reste toutefois en défaut de faire.

Au contraire, il ressort du dossier administratif et notamment d’une recherche effectuée le 21 décembre 2017 dans la base de données EURODAC que le demandeur avait introduit des demandes de protection internationale en Italie le 20 février 2013, en Allemagne le 16 décembre 2013, en Suède le 22 mai 2014, le 24 juillet 2015 en Belgique, le 4 septembre 2015 au Danemark, le 10 septembre 2015 en Norvège, le 20 novembre 2015 et le 31 décembre 2015, en Suède, le 23 novembre 2015 et le 22 janvier 2017 au Danemark et, enfin le 15 juin 2017 en France. Par ailleurs, il se dégage du dossier administratif qu’au moment où il devait être transféré vers l’Italie, Etat membre qui avait accepté sa réadmission le 21 novembre 2018 suite à une demande en ce sens de la part des autorités ministérielles luxembourgeoises, le demandeur avait été signalé comme ayant disparu le 22 novembre 2018. Enfin, il échet encore de relever que lors de son interpellation par la police grand-ducale en date du 2 septembre 2023, le demandeur était en possession d’une « Anlaufbescheinigung » émise par la « Bundespolizeiinspektion » de … (Allemagne) le 25 août 2023, valable jusqu’au 28 août 2023.

Or, l’ensemble de ces éléments sont de nature à corroborer l’existence d’un risque de fuite dans le chef de Monsieur … dans la mesure où ils indiquent que l’intéressé ne semble pas avoir l’intention de se rendre en Italie, étant à cet égard précisé que la notion de risque de fuite se définit comme le risque de se soustraire à la mesure d’éloignement.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

S’agissant de l’argumentation de Monsieur … selon laquelle le ministre aurait dû lui appliquer des mesures moins coercitives, telles que visées à l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, et notamment une assignation à résidence, le tribunal relève que cette disposition légale dispose que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre 6 la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125 (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111 (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger setrouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

Or, en l’espèce, et tel que retenu ci-avant, le demandeur, lequel ne dispose ni d’un domicile fixe, ni d’une quelconque autre attache au Luxembourg, n’a pas soumis au tribunal d’éléments de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite existant dans son chef. Il s’ensuit que l’intéressé ne présente pas de garanties de représentation effectives suffisantes au sens de l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose, ceci plus particulièrement au vu de la disparition de l’intéressé en novembre 2018 et de la persistance dans son refus de se rendre volontairement en Italie, tels que constatés ci-avant.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125 (1) de la loi du 29 août 2008, et plus particulièrement celle visée au point b) dudit article dont l’application est sollicitée par le demandeur ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à écarter.

S’agissant ensuite des critiques du demandeur quant aux diligences entreprises par le ministre pour exécuter son éloignement, le tribunal a relevé dans son jugement précité du 21 septembre 2023 que les autorités ministérielles avaient accompli les démarches en vue de l’identification et de l’éloignement subséquent de Monsieur … avec la diligence légalement requise. A travers le recours sous examen, le tribunal est uniquement saisi de la décision du ministre de proroger la mesure de rétention de Monsieur …, de sorte qu’il lui appartient seulement d’examiner le bien-fondé de ladite décision en s’assurant qu’à l’heure actuelle le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire.

A cet égard, il résulte des pièces versées en cause qu’en réponse à une demande d’informations supplémentaires des autorités italiennes du 15 septembre 2023, les autorités luxembourgeoises leur ont transmis par courrier électronique du 19 septembre 2023 des informations complémentaires relatives à la situation de Monsieur …. En date du même jour les autorités ministérielles ont contacté le Centre de coopération policière et douanière (CCPD) en vue d’obtenir des renseignements sur la situation administrative et policière de l’intéressé en France, en Belgique ainsi qu’en Allemagne. Il ressort de la réponse des autorités françaises et belges que le demandeur fait l’objet d’un refus d’entrée sur le territoire français et qu’il est inconnu au registre national en Belgique. Les autorités allemandes, quant à elles, ont répondu que le demandeur est entré une première fois sur leur territoire le 9 décembre 2013, que sa demande de protection internationale avait été refusée le 13 septembre 2019, que son séjour irrégulier a été constaté en date du 25 août 2023 et qu’il était connu par les autorités policières pour différentes infractions.

Il ressort encore du dossier administratif que toujours en date du 19 septembre 2019, les autorités luxembourgeoises ont saisi les autorités néerlandaises d’une demande d’information au sujet de la situation du demandeur. Par ailleurs, un agent ministériel a relancé les autorités italiennes par courrier électronique du 4 octobre 2023, en réponse duquel les autorités italiennes ont au cours de la même journée, de nouveau, sollicité des renseignements supplémentaires sur la situation de l’intéressé. Il ressort du dossier administratif que l’agent ministériel leur a répondu en date du même jour en les renvoyant à son courrier précédent du 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 947 et les autres références y citées.19 septembre 2023 par lequel il avait fourni des informations complémentaires relatives au demandeur.

Au vu des démarches ainsi entreprises le tribunal est amené à conclure que les diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise doivent être considérées, à ce stade de l’avancement du dossier, comme étant suffisantes, de manière que dans ces conditions la nécessité requise au sens de l’article 120 (3) de la loi du 29 août 2008 pour la prolongation de la mesure de rétention est vérifiée en l’espèce.

Contrairement aux affirmations du demandeur, relatives à l’impossibilité de l’exécution de son éloignement, il convient, en l’état actuel du dossier, de retenir qu’à ce jour, l’éloignement de l’intéressé demeure une perspective raisonnable notamment au vu de l’existence d’un échange de communications au sujet de l’intéressé entre les autorités luxembourgeoises et italiennes, de sorte qu’il n’existe à l’heure actuelle pas d’élément permettant de conclure que l’éloignement vers l’Italie ne puisse pas être mené à bien.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que contrairement à l’argumentation du demandeur, la mesure de placement en rétention litigieuse n’est pas disproportionnée et qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, il ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, cinquième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 octobre 2023 par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Carine Reinesch, premier juge, Benoît Hupperich, juge en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 octobre 2023 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Cinquième chambre
Numéro d'arrêt : 49516
Date de la décision : 11/10/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 21/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-10-11;49516 ?

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