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29/09/2023 | LUXEMBOURG | N°49458

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 septembre 2023, 49458


Tribunal administratif Numéro 49458 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49458 1re chambre Inscrit le 21 septembre 2023 Audience publique extraordinaire du 29 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49458 du rôle et déposée le 21 septembre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric Says, avocat à la Cour, inscrit a

u tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant ê...

Tribunal administratif Numéro 49458 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49458 1re chambre Inscrit le 21 septembre 2023 Audience publique extraordinaire du 29 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49458 du rôle et déposée le 21 septembre 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Eric Says, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Maroc), et être de nationalité marocaine, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 31 août 2023 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 septembre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en sa plaidoirie à l’audience publique du 27 septembre 2023.

Le 18 décembre 2017, Monsieur …, connu sous différents alias, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désignée par « le ministère », sous une différente identité, une demande de protection internationale, au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Une recherche effectuée le même jour par les autorités luxembourgeoises dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur … avait déposé une demande de protection internationale en Allemagne le 5 octobre 2017.

Par arrêté du même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », assigna Monsieur … à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (« SHUK ») pour une durée de trois mois.

Le 19 décembre 2017, l’intéressé fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale sur base du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

En date du 8 janvier 2018, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes en vue de la reprise en charge de l’intéressé, demande qui fut acceptée par lesdites autorités le 12 janvier 2018.

Par décision du 29 janvier 2018, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-après par « le ministre », décida de transférer l’intéressé vers l’Allemagne, l’Etat membre responsable pour le traitement de sa demande de protection internationale.

Par courrier du 7 mars 2018, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités allemandes afin de les informer que le transfert de Monsieur … devrait être temporairement suspendu au motif qu’il avait disparu de la SHUK.

Le 18 juillet 2019, les autorités allemandes informèrent les autorités luxembourgeoises que Monsieur … se trouverait déjà en Allemagne.

Il ressort d’un rapport du service de police judiciaire, section stupéfiants, du 15 mars 2021, référencé sous le numéro …, qu’à cette date, Monsieur … fut appréhendé sans être en mesure de présenter des documents d’identité ou de voyage valables.

Par arrêté du 15 mars 2021, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre prit une décision de retour à l’égard de Monsieur …, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans.

Suivant un relevé journalier du Centre pénitentiaire d’Uerschterhaff du 6 décembre 2022, Monsieur … y fit l’objet d’un mandat de dépôt.

Suivant un rapport du service police judiciaire, section stupéfiants, du 20 septembre 2021, référencé sous le numéro …, Monsieur … fut identifié par le bureau d’Interpol en Tunisie comme étant Monsieur ….

Une nouvelle recherche effectuée le 23 décembre 2022 par les autorités luxembourgeoises dans la base de données EURODAC révéla que Monsieur … avait non seulement introduit une demande de protection internationale en Allemagne le 5 octobre 2017, mais encore une demande au Luxembourg le 18 décembre 2017 et une autre demande aux Pays-Bas le 23 février 2018.

Il se dégage du procès-verbal de la police grand-ducale, Région Sud-Ouest, Commissariat Esch, du 31 août 2023, référencé sous le numéro …, qu’à cette date, Monsieur … fit l’objet d’un contrôle par les agents de la police grand-ducale et qu’il ne fut pas en mesure de présenter des documents d’identité. Par ailleurs, il ressort dudit rapport que l’intéressé était signalé dans le système d’information Schengen par les autorités allemandes pour un refus d’entrée et de séjour.

Par arrêté ministériel du 31 août 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport no … du 31 août 2023 établi par la Police grand-ducale, Région Sud-

Ouest, Commissariat Esch ;

Vu ma décision de retour du 15 mars 2021, lui notifiée le même jour, assortie d'une interdiction d'entrée sur le territoire de 5 ans;

Considérant que l'intéressé a été placé en détention préventive au Centre pénitentiaire d'Uerschterhaff en date du 6 décembre 2022;

Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 21 septembre 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel du 31 août 2023, précité, ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois.

Etant donné que l’article 123 (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours et quant à la légalité externe de la décision déférée, le demandeur se rapporte à prudence de justice quant à la compétence du ministre pour prendre l’arrêté litigieux.

En ce qui concerne la légalité interne de la décision déférée, il conclut à une violation de l’article 120 de la loi du 29 août 2008, en affirmant qu’il ne constituerait pas une menace pour l’ordre public, tout en contestant l’existence d’un danger de fuite dans son chef.

Dans ce contexte, il souligne qu’aucune proposition de retour ne lui aurait été faite et qu’aucune date de son extradition ne lui aurait été proposée.

Enfin, le demandeur fait valoir que ni le manque de démarches nécessaires des autorités, ni l’absence de vol ne sauraient justifier une « prorogation » du placement en rétention.

Le demandeur en conclut que son placement au Centre de rétention ne serait pas justifié.

Le délégué du gouvernement conclut, pour sa part, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

C’est de prime abord à tort que le demandeur conteste, par le fait de s’être rapporté à prudence de justice, la compétence du ministre, étant donné qu’en vertu de l’article 3 g) de la loi du 29 août 2008, le ministre visé dans les dispositions de cette loi est le membre du gouvernement ayant l’immigration dans ses attributions, soit le ministre de l’Immigration et de l’Asile, aux termes de l’arrêté grand-ducal du 22 août 2022 portant constitution des ministères.

Le moyen de légalité externe afférent est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120 (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. […] ».

L’article 120 (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120 (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

S’agissant d’abord des contestations de Monsieur … quant à l’existence, dans son chef, d’un risque de fuite, le tribunal constate qu’il est constant en cause que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 15 mars 2021, se trouve en situation de séjour irrégulier au Luxembourg.

Etant donné qu’à cette dernière date, il a encore fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111 (3) c), point 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite est présumé […] si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 (1) précité de la loi du 29 août 2008, placer l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement, le demandeur n’ayant soumis aucun élément pertinent de nature à renverser la présomption de risque de fuite.

Les contestations quant à l’existence d’un risque de fuite sont partant rejetées.

En ce qui concerne ensuite les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises par le ministre en vue de procéder à son éloignement, le tribunal constate, d’une part, que par courrier du 1er septembre 2023, les autorités luxembourgeoises ont contacté le Consulat général de Tunisie à Bruxelles, en vue de la délivrance d’un laissez-passer dans le chef du demandeur, en y joignant un jeu d’empreintes digitales, ainsi que deux photos d’identité de Monsieur … et, d’autre part, qu’un rappel a été adressé audit Consulat en date du 22 septembre 2023.

Dans ces conditions, le tribunal est amené à retenir qu’en l’état actuel du dossier et au vu des éléments soumis à son appréciation, les démarches entreprises en l’espèce doivent être considérées comme suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 et que les contestations du demandeur y relatives sont à rejeter.

Eu égard aux développements qui précèdent, en l’état actuel du dossier et à défaut d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée, de sorte que le recours sous analyse est à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 29 septembre 2023 par:

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Michel Thai, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 49458
Date de la décision : 29/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 07/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-29;49458 ?

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