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29/09/2023 | LUXEMBOURG | N°46823

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 septembre 2023, 46823


Tribunal administratif N° 46823 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46823 4e chambre Inscrit le 23 décembre 2021 Audience publique du 29 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46823 du rôle et déposée le 23 décembre 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître

Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxem...

Tribunal administratif N° 46823 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46823 4e chambre Inscrit le 23 décembre 2021 Audience publique du 29 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46823 du rôle et déposée le 23 décembre 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, demeurant actuellement à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 25 novembre 2021 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi que de la décision portant ordre de quitter le territoire contenue dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 23 février 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Shirley Freyermuth, en remplacement de Maître Ardavan Fatholahzadeh, et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 2 mai 2023.

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Le 18 février 2021, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police judiciaire, section criminalité organisée -

police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Le 18 juin 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 25 novembre 2021, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le 29 novembre 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur … tout en lui enjoignant de quitter le territoire. Cette décision est motivée comme suit :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 18 février 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 18 février 2021, le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 18 juin 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de « … » à Bagdad, d'ethnie arabe et de confession musulmane chiite.

Monsieur, vous avancez qu'en cas de retour en Irak, vous craindriez d'être dans le collimateur des « milices Sadr », plus précisément des milices « Saraya al-Salam » respectivement « Jaysh Mahdi ».

Vous mentionnez avoir participé à plusieurs manifestations à Bagdad entre octobre 2019 et mi-novembre respectivement début décembre 2019 pour réclamer la liberté de votre pays d'origine, étant donné que l'Irak serait, selon vous, occupé par des pays comme l'Iran, l'Arabie saoudite ou encore la Turquie. Vous ajoutez que ces rassemblements se seraient principalement déroulés sur la place « Tahrir » de Bagdad.

Vous indiquez ensuite que des personnes originaires de votre quartier et membres des « milices Sadr » vous auraient vu lors de ces manifestations.

Ces personnes vous auraient vu et salué une première fois pendant un rassemblement lors duquel vous auriez insulté « Muqtada al-Sadr » et scandé des slogans contre des unités dénommées « casques bleus », groupement qui aurait été créé par « Muqtada al-Sadr » dans le but de protéger les manifestants lors des rassemblements et dont les membres seraient initialement issus des « milices Sadr ».

Ces mêmes personnes vous auraient vu une deuxième fois pendant un rassemblement lors duquel vous auriez scandé des slogans en faveur de l'ayatollah « Sistani », étant donné que ce dernier aurait apporté son soutien aux manifestations.

Environ deux semaines plus tard, des personnes non autrement identifiées se seraient adressées à votre cousin et lui auraient demandé si vous participiez toujours aux manifestations. Vous précisez que vous soupçonneriez que ces personnes seraient des membres des « milices Sadr » et plus particulièrement de la milice « Saraya al-Salam ».

Vous auriez interprété ce fait comme une menace, étant donné que: « Bei uns genügt dies schon, dass nach mir gefragt wurde, dann kommt als nächstes mein Tod. Ich wurde ja 2 persönlich zweimal auf den Demonstrationen gesehen. » [sic] (p.4&5/12 de votre rapport d'entretien), raison pour laquelle vous auriez quitté « … » et seriez allé vivre chez votre oncle à … début 2020.

Vous mentionnez en outre que deux « activistes », également originaires de votre quartier, auraient été tués lors des manifestations sur la place « Tahrir ».

Vous auriez passé plusieurs mois chez votre oncle à … et vous auriez finalement quitté votre pays d'origine en date du 23 décembre 2020.

A l'appui de votre demande, vous présentez votre passeport irakien et une clé USB contenant une photo et deux vidéos.

2. Quant à la motivation du refus de vos demandes de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, il convient de constater que les faits que vous relatez et les craintes que vous exprimez entrent dans le champ d'application de la Convention de Genève alors qu'ils sont liés à vos opinions politiques.

Il importe cependant de souligner que les faits que vous mentionnez ne sont clairement pas d'une gravité suffisante pour être qualifiés d'actes de persécution.

En effet, le simple fait que des personnes non autrement identifiées, dont vous ne pouvez que supposer qu'elles appartiendraient à des milices alors que vous n'avancez pas la 3 moindre preuve, s'adressent à une seule et unique reprise à votre cousin afin de demander si vous participeriez toujours à des manifestations est indéniablement exempt d'une gravité particulière et suffisante pour être qualifié d'acte de persécution.

Il ne ressort aucunement de vos dires que vous auriez de quelque manière que ce soit été approché et encore moins menacé personnellement. Vous vous bornez à émettre des spéculations quant aux intentions de ces personnes non autrement identifiées, mais vous n'en avez aucune certitude.

Il y a en outre lieu de préciser qu'étant donné que des membres des « milices Sadr » vous connaitraient et habiteraient dans le même quartier, il convient de retenir que s'ils auraient réellement voulu s'en prendre à vous ils auraient pu le faire rapidement et facilement, surtout après la première rencontre alors que vous auriez insulté le dénommé « Muqtada al-Sadr », chef des « milices Sadr », et que vous vous seriez opposé aux « casques bleus », membres des « milices Sadr ». Or, il découle clairement de vos dires qu'ils n'auraient absolument rien entrepris.

A cela s'ajoute que votre cousin aurait également participé aux manifestations selon vos dires, il est dès lors étonnant que des personnes non autrement identifiées lui auraient demandé que des renseignements sur votre éventuelle participation, mais rien sur celle le concernant lui-même. Il convient de souligner que si les membres des « milices Sadr » auraient été au courant de vos moindres déplacements comme vous le prétendez, ils auraient pu passer à l'action bien avant et pas avoir à demander des renseignements à votre égard à votre cousin.

De plus, le fait que ce dernier soit resté en Irak et qu'après votre fuite personne ne serait passé à votre domicile pour demander des renseignements à votre égard ou même à votre cousin montre indéniablement que votre situation n'est pas aussi dramatique que vous tentez de le faire croire.

Tous ces constats sont d'autant plus vrais alors qu'il ressort incontestablement de votre récit qu'il ne vous serait absolument rien arrivé pendant toutes les mois que vous seriez encore resté en Irak, à savoir d'octobre 2019 jusqu'à décembre 2020.

Ainsi, vos craintes sont à qualifier de purement hypothétiques. Toutefois, des craintes purement hypothétiques ne sauraient suffire pour établir l'existence dans votre chef d'une crainte fondée de persécution dans votre pays d'origine.

Quand bien même ces faits seraient suffisamment graves pour être qualifiés d'actes de persécution, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

En effet, il ressort de façon claire et non équivoque de vos déclarations que vous ne vous seriez à aucun moment adressé aux autorités irakiennes, de sorte que vous restez en défaut de démontrer concrètement que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d'origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection adéquate.

4 Il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Concernant le décès des deux personnes de votre quartier, vous indiquez qu'elles auraient été tuées sur la place « Tahrir » pendant les rassemblements. Il convient de noter qu'il s'agit là indéniablement de faits non personnels.

Des faits non personnels mais vécus par d'autres personnes ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens des prédits textes que si le demandeur de protection internationale établit dans son chef un risque réel d'être victime d'actes similaires en raison de circonstances particulières. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

Il convient de constater que vous ignorez qui aurait été l'auteur de ces faits et a fortiori vous en ignorez également les motifs. Vous tentez de relier le décès de ces personnes à votre personne en indiquant que les « milices Sadr » pourraient être responsables de cet acte. Or, il s'agit en l'occurrence de pures spéculations corroborées par aucun élément concret. En effet, vous n'êtes en mesure de fournir la moindre information concrète sur les incidents en question et sur les personnes qui auraient commis ces actes de sorte qu'aucun lien n'est établi entre vous et le décès des deux personnes.

Il échet dès lors de conclure qu'il n'existe dans votre chef aucune crainte fondée de persécution qui serait lié au décès de ces deux personnes.

Enfin, soulignons que vos déclarations laissent entendre que des raisons économiques et de convenance personnelle sont à la base de votre demande de protection internationale.

En effet, vous indiquez que : « Es gab auch keine Zukunft mehr in Irak. Es fehlte auch die Sicherheit. Jeder Mensch wünscht sich ein besseres und schöneres Leben » [sic] (p.9/12 de votre rapport d'entretien).

Or, des motifs économiques et de convenance personnelle ne sauraient justifier l'octroi du statut de réfugié, alors qu'ils ne répondent à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et la Loi de 2015, garantissant une protection à toute personne persécutée ou qui risque d'être persécutée dans son pays d'origine à cause de sa race, de sa nationalité, de ses opinions politiques, de sa religion ou de son appartenance à un groupe social déterminé.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence 5 habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi. Or, en l'espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

Il ressort de vos déclarations que vous basez votre demande en octroi du statut conféré par la protection subsidiaire sur les mêmes motifs invoqués dans le cadre de votre demande en obtention du statut de réfugié. Or, et tout en renvoyant aux arguments développés ci-dessus, force est de constater que vous ne risquez pas de devenir victime d'atteintes graves au sens des prédits textes dans le cas d'un retour dans votre pays d'origine.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Quant à la fuite interne En vertu de l'article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine.

Selon les lignes directrices de l'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.

En l'espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n'auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d'origine aux motifs : « „Ihre Hände erreichen jede Stelle in Irak." [Sic] Sie sind doch Teil der Regierung. Man würde mich überall finden. Mein Gesicht ist jetzt bei ihnen bekannt. Es ist ein großes Risiko sich irgendwo anders in Irak niederzulassen. Mein Foto wird dann überall unter den Milizen geteilt. » (p.9/12 de votre rapport d'entretien).

Or, ces motifs ne constituent pas un obstacle à une réinstallation dans votre pays d'origine. Monsieur, vous déclarez être né et avoir vécu à Bagdad, être d'ethnie arabe et de confession musulmane chiite. Vous auriez dès lors pu vous installer dans une autre région de la République d'Irak, notamment dans le sud de votre pays d'origine.

6 Il convient de remarquer dans ce contexte que les provinces de Kerbala, Najaf, Muthanna, Babil, Missan, Qadissiya, Nasiriya et Bassora sont des régions majoritairement chiites. Il ressort des informations en nos mains qu'il n'existe aucun risque réel pour un citoyen irakien ordinaire de voyager entre Bagdad et les régions du sud de l'Irak à condition d'être en possession des documents appropriés, respectivement des documents d'identité valables. Ces provinces ne sont non seulement accessibles par voie terrestre, mais de nombreuses compagnies aériennes proposent des vols domestiques et même internationaux.

Vu la densité de la population dans les grandes villes de ces régions, le fait que les faits que vous relatez étaient des cas isolés et que la crainte que vous exprimez s'avère être tout au plus un sentiment générale d'insécurité, il appert que vous ne soulevez aucune raison valable qui puisse justifier l'impossibilité d'une fuite interne.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d'Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 décembre 2021, inscrite sous le numéro 46823 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du ministre du 25 novembre 2021 portant rejet de sa demande de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 25 novembre 2021, telle que déférée.

Ledit recours est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

À l’appui de son recours et en fait, le demandeur affirme être de nationalité irakienne, de confession religieuse musulmane chiite, appartenir à l’ethnie arabe et avoir vécu à …, sous l’autorité de la milice Sadr.

Il expose ensuite les faits à la base de sa demande de protection internationale en relatant par renvoi à son rapport d’entretien que suite à la réception de menaces par l’intermédiaire de son cousin de la part de membres de la milice Sadr, il aurait quitté l’Irak par crainte de se faire assassiner par ladite milice. Le demandeur estime qu’il résulterait de son dossier administratif qu’il aurait été un homme impliqué dans la vie politique dans son pays d’origine et qu’il aurait participé aux manifestations politiques entre le mois d’octobre et novembre 2019 contre le régime mis en place en Irak.

Or, les personnes membres de la milice Sadr le connaîtraient et auraient envoyé un avertissement par l’intermédiaire de son cousin maternel, afin de l’empêcher de continuer à participer aux manifestations. Ainsi, suite à la menace reçue de la part des personnes identifiées comme appartenant à la milice Sadr et face aux assassinats dans le quartier de jeunes hommes ayant également participé à des manifestations, son père, inquiet pour son sort alors qu’il serait fils unique, aurait décidé de le cacher chez un de ses frères avant de le faire quitter l’Irak.

En droit, le demandeur fait valoir que la décision ministérielle sous analyse devrait être réformée pour violation de la loi et plus particulièrement des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 1er, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, ci-après désignée par « la Convention de Genève », respectivement pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

A cet égard, le demandeur rappelle que la notion de crainte prévue à la Convention de Genève devrait être qualifiée de raisonnable lorsqu’elle est basée sur une évaluation objective de la situation dans le pays d’origine du demandeur d’asile et que cette crainte découle du manquement de l’Etat d’origine dudit demandeur de remplir ses obligations de protection de ses citoyens, ces obligations de protection résultant de la déclaration universelle des droits de l’Homme adoptée par l’assemblée générale des Nations Unies le 10 décembre 1948, désignée ci-après par « la DUDH », obligations auxquelles le Pacte International relatif aux droits civils et politiques, entré en vigueur le 23 mars 1976, désigné ci-après par « le PICP », aurait donné force obligatoire, de sorte que la mise en cause de ces droits civils et politiques constituerait une persécution.

Dans ce contexte, le demandeur estime que ses droits tels qu’énumérés dans la DUDH et dans le PICP auraient été violés, de sorte que le ministre aurait fait une appréciation erronée des faits de l’espèce en retenant que ces mêmes faits ne justifieraient pas, dans son chef, une crainte fondée de persécution en raison de son opinion politique, alors qu’il s’opposerait au régime en place dans son pays d’origine, qu’il aurait participé à des manifestations politiques et qu’il aurait refusé d’obéir aux directives des membres de la milice Sadr.

Monsieur … éprouverait dès lors une menace réelle d’être persécuté par la milice Sadr en raison de son refus de coopérer respectivement d’obéir aux directives lui interdisant de participer aux susdites manifestations.

Il soutient en outre qu’il serait dans l’incapacité de demander une protection auprès des autorités de son pays d’origine.

Quant aux arguments ministériels, le demandeur reproche au ministre d’avoir retenu, d’une part, qu’il serait étonnant que son cousin ayant également participé aux manifestations, n’aurait pas été inquiété à son tour et, d’autre part, que les membres de la milice Sadr auraient pu directement passer à l’action au lieu de demander des renseignements le concernant à son cousin. Il fait relever à cet égard que le cousin ayant participé aux manifestations serait son cousin … et non pas son cousin … auquel on avait demandé des renseignements sur lui, lequel n’aurait jamais participé aux manifestations, de sorte que le ministre aurait commis une erreur d’appréciation des faits.

Il critique encore le ministre d’avoir affirmé qu’il ignorerait l’identité des auteurs de l’assassinat des deux jeunes du quartier et leurs motifs pour conclure à l’absence d’une crainte fondée de persécution dans son chef. Or, le demandeur constate qu’il craindrait pour sa vie s’il n’obéirait pas aux directives des milices, à l’instar de ces jeunes personnes de son quartier, alors que les milices auraient obtenu certains pouvoirs de la part de l’Etat irakien et exerceraient les mêmes prérogatives, en toute impunité. Il invoque à cet égard un article de presse publié le 4 décembre 2016 dans le Middle East Eye, intitulé « L’Irak vote une loi pour légaliser les milices chiites : le monstre indomptable est lâché », ainsi qu’un autre article publié sur le site france24.com, le 18 juillet 2021, intitulé « Assassinats en Irak : des centaines de manifestants réclament à Bagdad la "fin de l’impunité" », suivant lequel le peuple irakien rejetterait les milices irakiennes lesquelles seraient coupables d’exactions en Irak. Le demandeur conclut de son refus d’obéir aux miliciens qu’il serait considéré comme hostile à leur opinion et par voie de conséquence serait une cible idéale pour ces derniers, de sorte qu’il serait une victime à abattre par les groupes milices, à l’instar de ces voisins ayant été froidement assassinés par lesdites milices.

Par conséquent, au vu de tous ces éléments, le demandeur explique qu’en raison de ses opinions politiques, à savoir son opposition à l’idéologie des milices chiites et du gouvernement irakien, il aurait à suffisance démontré qu’il risquerait sa vie sans que les autorités en place ne seraient en mesure de le protéger, respectivement veuillent le protéger contre ces faits, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait considéré qu’il s’agirait de faits non personnels.

En se prévalant de l’article 42, paragraphe (2), points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, le demandeur fait relever qu’il ne ferait aucun doute qu’il risquerait d’être victime de violences, alors qu’il serait citoyen irakien, de confession sunnite, de sorte que face à l’intensité de la menace de mort, d’une part, mais également face à la crainte de faire face à une exécution arbitraire, il n’aurait pas eu d’autre choix que de quitter son pays d’origine.

Ces violences existant toujours dans son pays d’origine au vu des éléments développés, il conclut que ces actes constitueraient immanquablement des actes de persécution au sens de l’article 42, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, sans qu’il ne puisse faire valoir ses droits auprès des autorités étatiques, de sorte qu’il devrait être admis qu’il aurait été victime d’une persécution à caractère politique et religieux.

Quant aux « mesures de police », elles auraient été mises en œuvre de manière discriminatoire au sens de l’article 42, paragraphe (2), point b) de la loi du 18 décembre 2015.

S’agissant du fait d’établir si une persécution était inspirée par les opinions politiques du demandeur d’asile, le demandeur considère qu’il faudrait examiner si son comportement serait perçu par les autorités comme un acte d’opposition contre le pouvoir et donc comme une expression politique au sens d’une décision favorable de la commission permanente de recours des réfugiés du 23 mars 1992, même une abstention pouvant revêtir le caractère d’une opinion politique selon une décision de la même commission du 29 septembre 1992.

Ainsi, le demandeur soutient qu’en raison de son refus d’obéir quant aux injonctions des membres de la milice Sadr de ne plus participer aux manifestations anti-

gouvernementales serait perçu par les milices chiites comme un acte d’opposition contre le pouvoir en place et donc comme une conviction politique, de sorte qu’en cas de retour en Irakle traitement lui réservé serait grave et dangereux, le demandeur estimant en outre que le risque pour lui d’être victime de persécutions de nature politique rendrait sa vie intolérable dans son pays d’origine, risque étant établi en l’espèce.

En ordre subsidiaire, le demandeur fait plaider qu’il remplirait les conditions d’octroi de la protection subsidiaire, au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015.

En se prévalant de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-

après désignée par « la CourEDH », relative à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après dénommée « la CEDH », il fait valoir que le caractère fondé de sa crainte de subir des atteintes graves se dégagerait du dossier administratif, alors qu’il aurait d’ores et déjà dû subir de telles atteintes dans son pays d’origine, sans qu’il n’existe de « bonne raison », au sens de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, de croire que les atteintes graves dont il aurait été victime ne se reproduiraient pas en cas de retour dans son pays d’origine.

Par ailleurs, il donne à considérer que le fait de vivre dans la crainte constante qu’il subisse le même sort que les deux jeunes de son quartier, tués par les miliciens, constituerait pour lui un véritable traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH. Il fait encore valoir que sa déposition aurait été assez éloquente concernant un manque de sécurité en Irak, ainsi que du fait qu’il n’y bénéficierait d’aucune protection étatique efficace.

Finalement, le demandeur conteste toute possibilité de fuite interne dans son chef et estime dès lors remplir toutes les conditions pour se voir accorder la protection internationale, de sorte qu’il y aurait lieu de réformer la décision ministérielle en ce sens.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Quant au fond, il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de ladite loi comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 :

« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou 10 b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2, point g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays », l’article 48 de la même loi énumérant, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En outre, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et l’article 40 de la même loi dispose que : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), 11 le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la prédite loi, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la même loi, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Il s’ensuit également que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. L’article 2, point g), précité, définit également la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 ». Cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 établit une présomption simple que de telles persécutions ou les atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions, respectivement ces atteintes graves ne se reproduiront pas.

A titre liminaire, force est au tribunal de retenir que le ministre n’a pas mis en cause la crédibilité du récit du demandeur, de sorte que les faits invoqués à la base de sa demande de protection internationale doivent être considérés comme étant avérés.

Force est ensuite de relever que l’invocation d’une persécution à caractère religieux par le demandeur, de confession religieuse chiite et non pas sunnite, dans le cadre de son recours relève d’une erreur matérielle du recours, étant donné qu’il invoque exclusivement des persécutions à caractère politique.

En l’espèce, à l’appui de sa demande de protection internationale, le demandeur invoque avoir été menacé de mort par des membres de la milice Sadr après sa participation à des manifestations politiques contre le régime en place, menaces caractérisées par le fait que des membres de ladite milice se seraient informés auprès de son cousin de sa participation à ces manifestations. Par ailleurs, il fait état de deux jeunes de son quartier qui auraient été assassinés par des membres de la milice Sadr lors de manifestations.

Concernant la crainte du demandeur d’être la cible d’une persécution de la part des membres de la milice Sadr, en raison de ses convictions politiques, force est de retenir que si une telle crainte rentre a priori dans le champ d’application du statut de réfugié, le tribunal est amené à constater qu’elle ne revêt pas un degré de gravité suffisant, au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, pour pouvoir être qualifiée d’actes de persécution, de sorte à ne pas justifier l’octroi du statut de réfugié dans son chef.

Ainsi, le seul fait que des personnes non autrement identifiées, dont le demandeur suppose qu’elles appartiendraient à la milice Sadr, sans fournir des éléments de nature à corroborer cet état de fait, ce dernier affirmant d’ailleurs que son cousin ne connaissait aucune de ses personnes, s’adressent une seule fois à son cousin afin de demander s’il participait toujours à des manifestations, sans qu’il ne se dégage d’aucun élément du dossier qu’une menace concrète lui ait été personnellement adressée à cette occasion, ni qu’un incident concret ait eu lieu par après, n’est pas de nature suffisamment grave pour être qualifié d’acte de persécution.

Ce constat est renforcé par le fait que le demandeur est encore resté sur le territoire irakien pendant plusieurs mois, sans qu’il ne fasse état d’un quelconque incident le concernant.

Concernant finalement la crainte de subir le même sort que deux jeunes de son quartier, dont il affirme qu’ils auraient été assassinés par la milice Sadr lors de manifestations, force est au tribunal de relever que des faits non personnels, mais vécus par des tiers ne sont susceptibles de fonder une crainte de persécution au sens de la Convention de Genève que si le demandeur d’asile établit dans son chef un risque réel d’être victime d’actes similaires en raison de circonstances particulières.1 A défaut par le demandeur d’avoir étayé un lien concret entre ces faits et des éléments personnels l’exposant à des actes similaires, ces faits ne sont pas de nature à constituer dans son chef des indices sérieux d’une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève, étant encore précisé que ni les motifs, ni les auteurs de ces meurtres ne sont connus. Si Monsieur … affirme que l’assassinat des jeunes de son quartier aurait un lien avec leurs convictions politiques, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit uniquement d’une supposition de la part du demandeur, à défaut de précisions quant aux circonstances dans lesquelles ces personnes auraient trouvées la mort.

______________________

1 Trib. adm. 10 janvier 2011, n° 27191 du rôle, Pas. adm. 2022 V° Etrangers, n° 191 et l’autre référence y citée.Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les conditions permettant l’octroi du statut de réfugié ne sont pas remplies dans le chef de Monsieur …, de sorte que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne le volet de la protection subsidiaire, le tribunal constate qu’à l’appui de sa demande, le demandeur invoque en substance les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié. Dans la mesure où il ne prend pas position quant aux points a) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et invoque risquer de subir, en cas de retour dans son pays d’origine, des atteintes graves au sens du seul article 48, point b) de la même loi, le tribunal se limitera à examiner si les difficultés dont il fait état peuvent être qualifiées de torture, de traitements, respectivement de sanctions inhumains ou dégradants.

Au vu des conclusions dégagées ci-avant au sujet de la demande en reconnaissance du statut de réfugié, dans la mesure où il a été jugé que les prétendues menaces de la part des membres de la milice Sadr ne sont pas de nature à établir, dans son chef, une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015, à défaut de revêtir un degré de gravité suffisant et qu’il est resté en défaut d’établir un lien suffisant entre sa situation personnelle et l’assassinat de deux jeunes de son quartier, il y a lieu de retenir qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes arguments, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait, en cas de retour dans son pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015 précité, en l’occurrence la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.

C’est dès lors également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours sous examen visant le refus d’octroi d’une protection internationale dans le chef de Monsieur … encourt le rejet pour manquer de fondement.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

A cet égard, le demandeur expose que l’ordre de quitter le territoire devrait encourir la réformation pour violation de la loi, alors qu’il risquerait de subir des atteintes graves, telles que définies aux articles 48 et 49 de la loi du 18 décembre 2015.

Il estime encore que l’ordre de quitter le territoire serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après dénommée « la loi du 29 août 2008 », qui dispose que « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention 14 européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants », dans la mesure où un retour en Irak serait suivi de traitements cruels, inhumains ou dégradants, de sorte à constituer également une violation de l’article 3 de la CEDH. Afin d’appuyer ses déclarations, il se réfère à la jurisprudence de la CourEDH2 ainsi qu’à une décision de la Commission européenne des droits de l’homme3 selon lesquelles l’existence d’un simple risque que l’étranger soit soumis à un traitement contraire à l’article 3 de la CEDH en cas de retour dans son pays d’origine suffirait pour s’abstenir à procéder à un éloignement.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours contre l’ordre de quitter le territoire qui découlerait de jure du rejet de la demande de protection internationale sous examen.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ».

Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale, de sorte que c’est a priori à bon droit qu’un ordre de quitter le territoire a été émis à l’égard des demandeurs.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’invocation de l’article 49 de la loi du 18 décembre 2015 qui vise l’hypothèse du retrait d’une protection subsidiaire, ladite disposition légale étant sans pertinence en l’espèce.

Il convient ensuite de rappeler que si l’article 3 de la CEDH, auquel renvoie l’article 129 de la loi du 29 août 2008, tel qu’invoqué par les demandeurs, proscrit la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3 de celle-

ci, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3 de la CEDH, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 de la CEDH garantit à toute personne. C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 de la CEDH qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à

______________________

2 CEDH, 2 mai 1997, D. c. Royaume-Uni, requête n° 30240/96 ; CEDH, 7 juillet 1989, Soering c. Royaume-Uni, requête n° 14038/88 ; CEDH, 30 octobre 1991, Vilvarajah c. Royaume-Uni, requêtes n° 13163/87, 13164/87, 13165/87, 13447/87 et 13448/87.

3 Commission, 15 décembre 1977, X. c. RFA, requête n° 6699/74, DR 11, p.16.des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la CourEDH soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la Cour évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Irak, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef du demandeur, de tout risque réel et actuel de subir des persécutions ou des atteintes graves au sens de la loi du 18 décembre 2015 dans son pays d’origine, qui est l’Irak, de sorte qu’à défaut d’autres éléments y relatifs, le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 CEDH4, le tribunal retient qu’il n’existe pas un risque suffisamment réel pour que le renvoi du demandeur dans son pays d’origine soit, dans ces circonstances, incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008, ainsi que d’une violation « autonome » de l’article 3 de la CEDH encourt le rejet.

Il s’ensuit que le recours contre l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 25 novembre 2021 rejetant la demande de protection internationale de Monsieur … ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 25 novembre 2021 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 septembre 2023 par :

Paul Nourissier, vice-président,

______________________

4 CEDH, 4 février 2003, Lorsé et autres c. Pays-Bas, requête n° 52750/99, § 59.Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, Laura Urbany, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 46823
Date de la décision : 29/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 07/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-29;46823 ?

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