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29/09/2023 | LUXEMBOURG | N°46775

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 septembre 2023, 46775


Tribunal administratif N° 46775 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46775 4e chambre Inscrit le 9 décembre 2021 Audience publique du 29 septembre 2023 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46775 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 décembre

2021 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats ...

Tribunal administratif N° 46775 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46775 4e chambre Inscrit le 9 décembre 2021 Audience publique du 29 septembre 2023 Recours formé par Monsieur … et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46775 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 décembre 2021 par Maître Frank Wies, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de son épouse, Madame …, née le … à …, agissant en leurs noms personnels ainsi qu’au nom et pour le compte de leur enfant mineur, …, né le … à …, ainsi que leurs enfants majeurs, Madame …, née le … à … et Madame …, née le … à …, tous de nationalité irakienne, demeurant tous ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 9 novembre 2021 portant refus de faire droit à leurs demandes de protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 9 février 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions entreprises ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Tara Desorbay en sa plaidoirie à l’audience publique du 21 avril 2023.

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Le 13 décembre 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après dénommée « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, du même jour.

Le 3 février 2020, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Le 8 décembre 2020, Madame …, l’épouse de Monsieur …, accompagnée de leurs trois enfants communs, à savoir leur fille majeure, Madame … et les enfants mineurs … et …, furent transférés de la Grèce vers le Grand-Duché du Luxembourg en vertu du règlement (UE) N°604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

Le 9 décembre 2020, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015, pour son propre compte ainsi que celui de ses trois enfants, Madame …, majeure à ladite date, et les enfants mineurs … et ….1 Les déclarations de Madame … sur leurs identités et sur leur itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, du même jour.

Les 23 mars et 16 avril 2021, Madame … fut entendue par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Les 24 mars et 16 avril 2021, Madame … fut entendue séparément par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Le 22 octobre 2021, Madame …, entretemps devenue majeure, fut, à son tour, entendue séparément par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 9 novembre 2021, notifiée aux intéressés par lettre recommandée expédiée le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta les demandes de protection internationale introduites par Monsieur …, Madame … et leurs filles majeures, Mesdames … et …, ci-après dénommés « les consorts … », tout en prononçant un ordre de quitter le territoire à leur encontre dans les termes suivants :

« (…) J’ai l'honneur de me référer à vos demandes en obtention d'une protection internationale que vous avez introduites, le 13 décembre 2019 Monsieur respectivement le 9 décembre 2020 Mesdames, sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Madame …, vous êtes accompagnée de votre enfant mineur …, né le … à … en Irak, de nationalité irakienne.

Avant tout autre développement, il convient de mentionner que vous Monsieur avez introduit seul votre demande de protection internationale au Luxembourg en date du 13 décembre 2019 alors que votre famille se trouvait encore en Grèce. Une demande de prise en charge a été adressée par les autorités grecques aux autorités luxembourgeoises le 12 juin 2020 sur base des dispositions du Règlement Dublin III. Le Luxembourg a accepté la demande de prise en charge le 24 juin 2020 et votre épouse ainsi que vos enfants vous ont rejoint au Luxembourg le 9 décembre 2020 où ils ont introduit leurs propres demandes de protection internationale.

1 Madame … et sa fille majeure Madame … signèrent une attestation de consentement le 9 décembre 2020 confirmant leur volonté que leurs demandes de protection internationale soient examinées ensemble avec celle de Monsieur ….

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à vos demandes pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains les rapports du Service de Police Judiciaire des 13 décembre 2019 et 9 décembre 2020, votre rapport d'entretien sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 23 mars et 16 avril 2021 Madame …, le vôtre des 24 mars et 16 avril 2021, Madame…, le vôtre du 22 octobre 2021, Madame… et le vôtre du 3 février 2020, Monsieur … ainsi que les documents versés à l'appui de vos demandes de protection internationale.

Mesdames, Monsieur, il résulte de vos déclarations que vous seriez originaires de Bagdad en Irak, d'ethnie arabe et de confession musulmane chiite respectivement sunnite.

Monsieur …, vous avancez craindre d'être dans le collimateur de milices étant donné que vous auriez refusé leur demande de divorcer de votre épouse qui serait de confession musulmane sunnite alors que vous seriez de confession musulmane chiite.

Dans ce contexte, vous expliquez qu'à partir de 2014 des personnes non autrement identifiées, dont vous estimez qu'elles auraient appartenu à des milices dont vous ignorez le nom, auraient fait du porte-à-porte en demandant les données personnelles des résidents de votre quartier et auraient ainsi appris que votre épouse serait de confession musulmane sunnite tandis que vous seriez de confession musulmane chiite. Par conséquent, ces dernières auraient commencé à vous importuner en sollicitant que vous divorciez de votre épouse et ce jusqu'en 2019.

Vous précisez qu'un jour en 2014, deux personnes non autrement identifiées seraient venues à votre domicile afin de solliciter que vous divorciez de votre épouse et seraient ensuite reparties, demande à laquelle vous n'auriez donné aucune suite. Quelques mois plus tard, deux autres personnes non autrement identifiées seraient venues à votre domicile avec lesquelles vous auriez eu une altercation verbale étant donné qu'elles auraient de nouveau insisté que vous divorciez de votre épouse, ce que vous auriez refusé. Une de ces personnes vous aurait alors frappé et les deux seraient reparties.

Vous indiquez ensuite qu'en date du 12 décembre 2014 vous auriez été victime d'une « Magnetmine (Zeit Mine) » [sic] qui aurait été placée sous votre voiture et vous précisez que :

« An diesem Tag, wie an jedem Tag, verlie ich mein Haus, stieg in mein Auto und fuhr los.

Zirka nach 1 km, explodierte das Auto. Ich wurde zirka 1 Jahr lang stationär behandelt » [sic] (p.6/13 de votre rapport d'entretien).

Vous ajoutez qu'en 2015 vous seriez allé en Iran afin de vous faire soigner et que pendant votre absence votre fils, qui serait resté en Irak, aurait été heurté par une voiture jaune devant votre domicile. Vous n'êtes cependant pas à même de donner d'autres précisions concrètes et liez cet accident à vos problèmes antérieurs sans néanmoins avoir de certitude.

Vous mentionnez en outre que : « Ich glaube im Jahr 2017 gab es zwei ähnliche Vorfälle. Aber in diesen beiden Fällen wurde unsere Wohnung nicht beobachtet. Es kam ein 3 Auto und parkte vor unserem Haus in der Strae. Es wurde aber nicht an unserer Haustür geklopft. Immer nachts haben Männer Steine auf unser Haus geworfen, besonders auf die Fassade bei den Kinderzimmern. » (p.6/13 de votre rapport d'entretien).

Vous relatez ensuite un incident survenu en 2019, lors duquel vous auriez été importuné par des personnes non autrement identifiées dans la rue qui auraient demandé que vous divorciez de votre épouse en menaçant d'enlever vos filles et vous auraient poussé vous faisant tomber par terre avant de repartir. Enfin, vous mentionnez un dernier fait qui aurait eu lieu entre le 15 et 20 juillet 2019 au cours duquel une personne non autrement identifiée serait arrivée devant votre domicile avec une voiture jaune et aurait frappé à votre porte. Votre épouse et votre fille auraient commencé à crier de peur et les voisins seraient sortis dans la rue, ce qui aurait fait fuir la personne en question.

Vous auriez dès lors décidé de quitter votre pays d'origine et vous seriez parti avec votre épouse et vos enfants en Turquie en date du 3 août 2019.

Madame … vous confirmez les dires de votre époux. Vous ajoutez que vous seriez tous partis une première fois en Turquie en 2016 et que vous y auriez séjourné pendant un an et demi pour ensuite rentrer en Irak.

Vous relatez également un fait qui serait survenu en 2016, un mois avant votre départ pour la Turquie, et vous indiquez que : « Es kam ein gelbes Auto und drängte mich in eine Ecke. Passanten aus unserer Nachbarschaft waren auch drauen und sahen dies. Diese kamen dann sofort hinzu. Nachdem der Taxifahrer dies merkte, fuhr er wieder los », [sic] (p.8/18 de votre rapport d'entretien).

Vous ajoutez en outre qu'en 2016, votre mari aurait commencé à vendre sur un stand divers accessoires dans la rue devant votre domicile et qu'un jour en novembre 2016, des personnes non autrement identifiées l'auraient agressé pendant qu'il vaquait à ses occupations, raison pour laquelle vous seriez partis en Turquie dix jours plus tard.

Mesdames … et…, vous confirmez les dires de vos parents.

Monsieur, vous remettez votre passeport irakien ainsi que des copies de votre carte d'identité irakienne et de votre certificat de nationalité irakien. Madame, vous présentez des copies certifiées par les autorités grecques de votre passeport irakien et celui de vos enfants, ainsi que des copies de votre carte d'identité irakienne et de votre certificat de nationalité irakienne et celles de vos enfants. Monsieur, vous remettez en outre les documents suivants :

- votre acte de mariage irakien ;

- votre ancienne carte militaire ;

- votre permis de conduire irakien ;

- une copie d'une attestation médicale irakienne établie par la Direction de Santé d' … à Bagdad et datée à 2014, munie d'une traduction en langue anglaise datée au 2 novembre 2016.

2. Quant à la motivation du refus de vos demandes de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

4  Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, vous avancez craindre d'être dans le collimateur des milices dans votre pays d'origine du fait que vous seriez marié à une femme de confession musulmane sunnite alors que vous seriez de confession musulmane chiite.

Dans ce contexte, vous faites état de divers incidents isolés qui se seraient déroulés au cours des sept dernières années.

Mesdames et Monsieur, il convient avant tout autre développement de souligner que vous faites état de divers faits qui auraient eu lieu au cours des sept dernières années pour tenter d'établir que vous auriez été dans le collimateur de milices pendant toutes ces années, ce qui vous aurait conduit à quitter l'Irak une première fois en 2016 et une seconde fois en 2019. Vous tentez de lier ces divers petits faits entre eux pour faire croire que depuis plus de sept ans vous seriez menacés par des prétendues milices. Or, il échet de conclure qu'il n'existe aucun lien établi entre les faits que vous relatez.

Premièrement, hormis le fait qu'il parait invraisemblable que des milices pendant sept ans vous importunent de cette manière, il convient de souligner que vous n'apportez pas non plus la preuve qu'il y aurait un quelconque lien entre les incidents dont vous faites état et de surcroit entre ces faits et les milices. Vous vous bornez en effet à émettre de simples spéculations de sorte qu'on ne saurait établir un lien entre les faits et motifs énumérés dans la Convention de Genève et la Loi de 2015, à savoir votre religion, votre race, votre nationalité, vos opinions politiques ou encore votre appartenance à un groupe social déterminé.

En effet, il ressort de façon claire et non équivoque de vos dires que les faits que vous relatez auraient été perpétrés par des personnes non autrement identifiées, dont vous supposez uniquement qu'elles appartiendraient à des milices, sans néanmoins être à même de préciser lesquelles. Par conséquent, vous ignorez également a fortiori leur motivation.

5 Ainsi, tant les personnes que leurs motivations sont non identifiées, de sorte qu'on ne saurait retenir l'existence dans votre chef d'une persécution.

Quand bien même il existerait un tel lien pour l'un ou l'autre de ces faits, notons que les incidents que vous relatez ne sont pas d'une gravité suffisante pour valoir comme actes de persécution au sens des prédits textes.

En effet, le simple fait que des personnes non autrement identifiées, dont vous ne pouvez que supposer qu'elles appartiendraient à des milices alors que vous n'avancez pas la moindre preuve, se rendent à votre domicile à deux reprises pour solliciter votre divorce et que l'une d'entre elles vous aurait une fois frappé suite à une altercation verbale est indéniablement exempt d'une gravité particulière et suffisante au point de valoir comme acte de persécution.

Pareille conclusion vaut pour les menaces verbales et respectivement altercations physiques de 2016 et 2019 ainsi que les divers faits qui auraient eu lieu en 2017. Tous ces faits sont certes regrettables, il ne saurait toutefois être question de l'existence dans votre chef d'une persécution respectivement d'une crainte fondée de persécution.

Même à supposer que ces faits seraient d'une gravité suffisante pour valoir comme actes de persécution, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités.

Or, tel n'est pas le cas en l'espèce. En effet, il ressort clairement de vos déclarations que vous n'auriez à aucun moment porté plainte auprès des autorités de votre pays d'origine, de sorte que vous restez en défaut de démontrer concrètement que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d'origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection adéquate.

Madame … vous avancez que vous auriez porté plainte suite à l'incident du 12 décembre 2014 et vous alléguez que la police n'aurait rien entrepris. Monsieur, contrairement à votre épouse, vous concédez ne pas avoir déposé de plainte et vous indiquez que la police se serait néanmoins rendue à l'hôpital et qu'elle aurait pris vos déclarations. Il ressort ainsi de vos dires que la police aurait diligenté une enquête de sorte qu'aucun reproche ne saurait être formulé à l'égard de forces de l'ordre irakiennes. Le simple fait que personne n'aurait été arrêté, faute de preuves, dans le cadre d'une plainte déposée contre X ne saurait suffire pour établir une quelconque défaillance dans le chef des autorités.

Dans ce contexte, il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Mesdames et Monsieur, à cela s'ajoute que vous n'avez pas hésité à retourner en Irak alors que vous auriez une première fois quitté votre pays d'origine en 2016 pour gagner la 6 Turquie. Une personne réellement persécutée ne prendrait aucunement le risque de retourner dans le pays où sa vie serait en danger et resterait dans le pays sûr dans lequel elle aurait réussi à s'installer. Le fait que vous soyez retournés démontre clairement que vous n'avez pas estimé la situation vous empêcherait de continuer à y mener votre vie.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi. Or, en l'espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

Il ressort de vos déclarations que vous basez votre demande en octroi du statut conféré par la protection subsidiaire sur les mêmes motifs invoqués dans le cadre de votre demande en obtention du statut de réfugié. Or, et tout en renvoyant aux arguments développés ci-dessus, force est de constater que vous ne risquez pas de devenir victime d'atteintes graves au sens des prédits textes dans le cas d'un retour dans votre pays d'origine.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Vos demandes de protection internationale sont dès lors refusées comme non fondées au sens des articles 26 et 34 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d'Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisés à séjourner (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 décembre 2021, inscrite sous le numéro 46775 du rôle, les consorts … ont fait introduire un recours tendant à la réformation des décisions ministérielles précitées du 9 novembre 2021.

1) Quant au recours contre la décision du ministre portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 9 novembre 2021, telle que déférée, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs expliquent que Monsieur … serait de confession musulmane chiite et son épouse, Madame …, serait de confession musulmane sunnite. Ils auraient tous vécu ensemble dans le quartier … à Bagdad, lequel serait majoritairement peuplé d’habitants de confession musulmane chiite.

Au début de l’année 2014, deux personnes faisant partie de milices chiites, se seraient présentés à Monsieur … comme étant membres des services de renseignements. Ils l’auraient questionné sur son mariage et en particulier sur l’appartenance religieuse de son épouse. Dès la découverte par les milices de l’appartenance à la confession musulmane sunnite de l’épouse, elles auraient tenté de convaincre Monsieur … de divorcer de son épouse alors qu’un mariage entre chiite et sunnite ne serait pas acceptable à leurs yeux. Les membres de la milice seraient venus une seconde fois afin de questionner Monsieur … sur les raisons pour lesquelles il n’aurait pas encore divorcé, ce dernier ayant alors répondu qu'il ne divorcerait jamais de son épouse, à la suite de quoi les deux hommes l’auraient agressé physiquement.

Le 12 novembre 2014, le véhicule de Monsieur …, après environ un kilomètre de conduite, aurait explosé, en raison d’un engin explosif placé sous sa voiture. Cet incident aurait causé à Monsieur … la perte de ses jambes entraînant de ce fait un handicap permanent et irréversible. Après une année de soins, les services médicaux irakiens ne pouvant plus lui fournir les soins nécessaires, Monsieur … aurait dû partir en Iran, accompagné de son épouse, afin de pouvoir avoir accès au traitement adéquat de ses blessures, les enfants étant restés en Irak et y auraient été déscolarisés en raison de menaces et d’attaques de la part de membres des milices.

Au cours de l’année 2015, les demandeurs relatent que l’enfant Sameer ce serait fait renverser par une voiture de couleur jaune alors qu’il se serait trouvé dehors. Les époux …, inquiets pour leurs enfants, seraient alors retournés en Irak. Afin d’essayer de se reconstruire suite à l’accident, Monsieur … aurait décidé d’ouvrir un petit kiosque dans lequel il aurait travaillé la journée, mais des hommes auraient saccagé les lieux en sa présence. Les demandeurs affirment qu’ils auraient également été surpris par des personnes ayant lancé des pierres sur la façade de leur maison et qui auraient tenté de s’introduire dans celle-ci.

Suite à toutes ces menaces, les demandeurs auraient alors vécu dans une insécurité permanente et auraient décidé de quitter le pays pour la Turquie où ils auraient connu diverses difficultés notamment liées à leur titre de séjour qu’ils n’auraient pas pu renouveler, ayant pour conséquence leur retour en Irak où ils auraient désormais habité une maison différente. Malgré ce déménagement, à la fin du mois de juillet 2019, un homme aurait tenté de s’introduire dans leur maison en forçant la poignée extérieure. Les cris de la famille ayant alerté les voisins, l’homme se serait alors enfui à bord d’une voiture jaune identique à celle qui aurait renversé l’enfant Sameer.

Les demandeurs expliquent enfin s’être rendu compte qu’ils ne pourraient jamais vivre en sécurité en Irak et que la famille aurait donc décidé quitter définitivement l’Irak en date du 3 août 2019.

En droit, quant au statut de réfugié, les demandeurs reprochent, tout d’abord, au ministre d’avoir commis une erreur manifeste d’appréciation, du fait d’avoir conclu que les actes invoqués ne seraient pas motivés par un des critères de fond prévus à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 et ne rentreraient pas dans le champ d’application de la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, adoptée le 28 juillet 1951, ci-après désignée par « la Convention de Genève ». Ils se fondent à ce titre sur l’article 1er de ladite Convention et sur un jugement du 27 juin 2013 du tribunal administratif, inscrit sous le n° 31543 du rôle.

Les demandeurs estiment que le ministre aurait, à tort, fondé sa décision sur le fait qu’il serait invraisemblable que des milices les auraient importunés pendant sept ans et sur le fait qu’ils n’auraient pas apporté la preuve qu’il y aurait un quelconque lien entre les milices et les incidents dont ils auraient fait état, respectivement entre les faits et les motifs énumérés à la Convention de Genève. Ils considèrent au contraire qu’il serait indéniable qu’ils auraient été directement victimes d’attaques et menaces répétées et incessantes, leur mariage interconfessionnel ayant fait d’eux des cibles pour les milices chiites. Ils invoquent à cet égard des articles et rapports attestant de façon incontestable que les milices chiites établies en Irak, sous couvert de répondre aux actes des organisations terroristes, seraient à l’origine de multiples violences aveugles et attaques ciblées principalement envers les individus de confession musulmane sunnite, notamment une déclaration publique, publiée le 5 février 2016 par l’organisation internationale Amnesty International, intitulée « Irak. Les crimes de guerre commis à Muqdadiya sont révélateurs de l'incapacité persistante des autorités à demander des comptes aux milices ».

Concernant les mariages interconfessionnels, ils se réfèrent à un rapport publié en mars 2019 par l’European Asylum Support Office (EASO), devenu actuellement l’European Union Agency for Asylum (EUAA), intitulé « Rapport d’information sur les pays d'origine Iraq Individus pris pour cible », ainsi qu’à un rapport rendu en 2015 par le Home Office britannique, intitulé « Country Information and Guidance Iraq : Security situation in Baghdad, southern governorates and the Kurdistan Region of Iraq (KRI) April 2015 ».

Au regard de tous ces éléments et, tout en alléguant que les milices chiites constitueraient une menace réelle et avérée les ciblant, les demandeurs affirment que ce serait à tort que le ministre aurait retenu l’absence de liens entre les faits dont ils auraient été victimes et les motifs énumérés dans la Convention de Genève.

Ils reprochent encore au ministre d’avoir soutenu ne pas pouvoir retenir l’existence, dans leur chef, d’une persécution en raison du défaut d’identification tant des personnes que de leurs motivations, de même qu’un défaut de gravité suffisante des incidents invoqués.

Les demandeurs font relever que le ministre ne ferait à aucun moment mention de la tragique attaque dont Monsieur … aurait été victime en date du 12 novembre 2014, laquelle aurait conduit à l’amputation de ses deux jambes, tel que cela ressortirait pourtant des auditions de tous les membres de la famille, ainsi que du rapport médical du 2 novembre 2016 versé dans le dossier administratif. Ils critiquent le ministre en ce qu’il se bornerait à commenter les autres faits relatés par les consorts … tout en qualifiant le tout de « divers petits faits ». Outre l’explosion dont Monsieur … aurait été victime, il aurait été menacé et frappé à plusieursreprises par les milices chiites, son magasin aurait été dévasté, des individus auraient également tenté de s’introduire dans le domicile familial et les milices auraient menacé Monsieur … de kidnapper sa fille. Les milices n’auraient jamais cessé leurs menaces et n'auraient pas hésité à attaquer physiquement Monsieur …, même après que ce dernier ait perdu l’usage de ses jambes.

Les demandeurs relatent avoir vécu des années dans la peur perpétuelle des milices instauré un climat de terreur et perpétré de multiples menaces et attaques à leur encontre, de sorte que la gravité des faits invoqués dépasserait le seuil fixé à l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 et les faits devraient dès lors être qualifiés comme persécutions au sens de la Convention de Genève et de la loi du 18 décembre 2015. Ils insistent encore sur le fait que le ministre en omettant, respectivement en minimisant, dans le cadre de l’examen de leur demande de protection internationale, un événement d’une telle gravité, alors même que l’intégrité physique de Monsieur … aurait été sévèrement atteinte en raison des persécutions qu’il aurait subies dans son pays d’origine, aurait commis une erreur manifeste d’appréciation.

Par ailleurs, les demandeurs critiquent le ministre en ce qu’il affirmerait, dans sa décision sous examen, que la notion de protection de la part du pays d’origine n’impliquerait pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d’actes de violences, mais supposerait des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Ils relèvent à cet égard que les attaques perpétrées par les milices chiites resteraient, pour la majorité, impunies en raison de l’influence et de la place des milices au sein du gouvernement, en se référant à cet égard à deux articles publiés par Amnesty International, du 14 octobre 2014, intitulé « Iraq : Evidence of war crimes by government-backed Shi’a militias », et du 5 février 2016, intitulé « Iraq : Authorities turn blind eye to Shi’a militia vicious reprisal killings ». Ainsi, les demandeurs considèrent qu’au vu de la non-intervention manifeste des autorités irakiennes dans les divers événements tragiques impliquant les milices chiites et dans la mesure où il serait évident que la plainte introduite par eux n’aurait entraîné aucune poursuite pénale, ce serait à tort que le ministre aurait estimé que les autorités irakiennes auraient fourni une protection adéquate simplement en indiquant qu’elles auraient diligenté une enquête suite à l’attaque dont aurait été victime Monsieur ….

Ils mettent encore en exergue que le fait pour eux de ne pas pouvoir établir précisément quelle milice chiite serait à l’origine des persécutions dont ils auraient été victimes, ne pourrait en aucun cas avoir pour effet de décrédibiliser leur discours dans la mesure où il ne serait en effet pas commun pour les auteurs d’attaques ou d’intimidations ciblées de clamer leur identité.

Ceci serait d’autant plus vrai que le rapport rendu par le Home Office britannique mentionnerait que la plupart des attaques seraient perpétrées par des auteurs inconnus, de sorte que l’identification des acteurs de violences à Bagdad serait difficile. Les demandeurs rappellent également la position du Conseil de l’Europe du 4 mars 1996 concernant la preuve des faits, suivant laquelle celle-ci serait totalement favorable au bénéfice du doute. En effet, les demandeurs font encore noter que le handicap physique de Monsieur …, causé par les événements relatés, attesterait très clairement de la gravité des événements dont il aurait été victime.

Sur base de tous ces éléments, les demandeurs estiment que les raisons ayant amené les demandeurs à quitter leur pays natal seraient suffisamment graves pour pouvoir retenir l’existence d’une crainte fondée de persécutions dans leur chef au sens de la Convention de Genève.

Quant à la qualification d’acteurs, en se référant à l’article 28 de la loi du 18 décembre 2015, les demandeurs exposent que les milices chiites en Irak auraient des pouvoirs extrêmement étendus et, tel que démontré précédemment, les personnes persécutées par ces milices ne pourraient malheureusement pas bénéficier de la protection de l’Etat qui demeurerait impuissant face à ces derniers, de sorte qu’ils n’auraient pas eu d’autres solutions que de fuir et de quitter leur pays d’origine afin de solliciter la protection internationale.

Les demandeurs estiment remplir l’ensemble des critères d’octroi du statut de réfugié, de sorte qu’il y aurait lieu, à titre principal, de réformer la décision ministérielle et de leur accorder le statut de réfugié.

Concernant la demande d’octroi du statut conféré par la protection subsidiaire, sur base des articles 2, point g), et 48, points b) et c) de la loi du 18 décembre 2015, les demandeurs soutiennent qu’ils auraient été la cible de faits qui revêtiraient une gravité suffisante au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Tandis que le pouvoir des milices en Irak deviendrait de plus en plus notable, et que l’Etat irakien serait impuissant face aux milices chiites, leur situation n’aurait pas pu ne saurait alors connaître d’amélioration.

Un décret irakien du 8 mars 2018 aurait d’ailleurs reconnu aux milices irakiennes les mêmes droits et privilèges qu’aux forces armées conventionnelles notamment en ce qui concerne l’attribution de ressources financières.

Les demandeurs se réfèrent également à une note de recherche n° 68 de l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire du Ministère des Armées français suivant laquelle les milices irakiennes cumuleraient la double casquette d’acteur étatique et para-étatique, ayant à la fois un pied à l’intérieur et à l’extérieur de l’Etat irakien. Ils font relever que les milices chiites bénéficieraient, encore à l’heure actuelle, d’une immunité et de pouvoirs très étendus en Irak, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait conclu qu’ils n’encourraient pas un risque réel de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015, en cas de retour dans leur pays d’origine, étant encore relevé à cet égard qu’ils ne pourraient obtenir de protection adéquate à l’encontre de ces atteintes dans leur pays d’origine.

Les demandeurs considèrent que l’ensemble des conditions pour pouvoir bénéficier du statut de protection subsidiaire seraient remplies dans leur chef, de sorte qu’il y aurait lieu de réformer la décision déférée en ce sens et, à titre subsidiaire, de leur accorder le statut conféré par la protection subsidiaire.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Quant au fond, force est d’abord de relever qu’aux termes de l’article 2, point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « demande de protection internationale » se définit comme correspondant à une demande visant à obtenir le statut de réfugié, respectivement celui conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de 11 ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) », tandis que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » est définie par l’article 2, point g) de la même loi comme « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir des atteintes graves définies à l’article 48, (…) et que cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

Force est au tribunal de constater que tant la notion de « réfugié », que celle de « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire » impliquent nécessairement des persécutions ou des atteintes graves, ou à tout le moins un risque de persécution ou d’atteintes graves dans le pays d’origine.

Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). (…) ».

Quant aux atteintes graves, l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 les définit comme :

« a) la peine de mort ou l’exécution ; ou b) la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; ou c) des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Dans les deux hypothèses, les faits dénoncés doivent être perpétrés par un acteur de persécutions ou d’atteintes graves au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels peuvent être :

« a) l’Etat ; b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ; c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves. », et l’article 40 de la même loi dispose que : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

12 a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire. (2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire.

Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. (…) ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et, enfin, que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine. Cette dernière condition s’applique également au niveau de la demande de protection subsidiaire, conjuguée avec les exigences liées à la définition de l’atteinte grave reprises à l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015 et rappelées précédemment.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’entre elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur de protection internationale ne saurait bénéficier du statut de réfugié ou de celui conféré par la protection subsidiaire.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », tandis que l’article 2, point g) de la même loi définit la personne pouvant bénéficier du statut de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle était renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », de sorte que ces dispositions visent une persécution, respectivement des atteintes graves futures sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté ou qu’il ait subi des atteintes graves avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, les persécutions ou atteintes graves antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption réfragable que de telles persécutions ou atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que, dans cette hypothèse, il appartient au ministre de démontrer qu’il existe de bonnes raisons que de telles persécutions ou atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra porter en définitive sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté ou de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, doit, par ailleurs, procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur, cette dernière pouvant notamment être retenue lorsque le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, lorsque tous les éléments pertinents à la disposition du demandeur ont été présentés et une explication satisfaisante a été fournie quant à l’absence d’autres éléments probants ou encore lorsque les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et qu’elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande.2 A titre liminaire, force est au tribunal de retenir que le ministre n’a pas mis en cause la crédibilité du récit des demandeurs, de sorte que les faits invoqués à la base de leur demande de protection internationale doivent être considérés comme étant avérés.

Le tribunal relève ensuite, au vu des considérations de la décision déférée reprise ci-

avant, que c’est à tort que les demandeurs reprochent au ministre d’avoir omis l’incident du 12 décembre 2014 dans le cadre de l’examen de leurs demandes de protection internationale, alors que le ministre, dans le cadre du rappel des faits invoqués dans la décision déférée, a expressément pris en compte ledit fait dans son analyse, de sorte que les critiques quant à l’absence d’un examen intégral de leur situation sont à rejeter pour manquer en fait.

Les raisons invoquées par les demandeurs pour justifier la fuite de leur pays d’origine et donc leurs demandes de protection internationale, se résument, en leur crainte de faire l’objet de persécutions de la part de milices chiites en raison du mariage interconfessionnel de Monsieur … et de Madame …, les consorts … ayant relaté avoir fait l’objet de plusieurs agressions physiques et de menaces de 2014 à 2019.

Quant au statut de réfugié, concernant les faits invoqués par les demandeurs, il y a lieu de constater que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les demandeurs sont restés en défaut d’établir la réalité d’une crainte fondée de persécution dans leur chef.

Si l’incitation au divorce en 2014, puis l’agression physique suite au refus de céder de Monsieur …, par des personnes non autrement identifiées, ainsi que les menaces de kidnapping sont a priori liées au critère de la religion, le tribunal constate néanmoins qu’ils ne sont pas d’une gravité suffisante pour être qualifiés de persécution au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015.

En ce qui concerne ensuite l’incident survenu le 12 décembre 2014 ayant mené à l’amputation des deux jambes de Monsieur … et dont il ne connait ni les auteurs, ni a fortiori leurs motivations, force est au tribunal de constater qu’à défaut d’autres éléments, les motifs à la base de cet incident, certes grave, restent inconnus, de sorte que les faits en question ne sont pas de nature à établir l’existence, dans le chef des demandeurs, d’une crainte fondée d’être persécutés en cas de retour en Irak, fondée sur un des critères de l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, tel que précité.

2 voir art. 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015 Ensuite, force est de constater qu’il ne ressort d’aucun élément objectif du dossier que l’incitation au divorce, l’agression physique y liée et les menaces de kidnapping soient liés à l’attentat à la bombe, voire qu’ils aient été perpétrées par les mêmes auteurs, ces derniers n’ayant d’ailleurs pas été identifiés par les demandeurs, de sorte que faute d’avoir identifié les auteurs de l’attentat à la bombe, aucune motivation ne saurait a fortiori être établie pour ce dernier fait.

La même conclusion s’impose concernant les autres faits invoqués, alors que faute d’éléments concrets liant ceux-ci au critère religieux invoqué par les demandeurs, voire à des auteurs identiques, restés inconnus, il n’existe aucun lien entre le mariage interconfessionnel des époux … et notamment le renversement de l’enfant Sameer par une voiture jaune en 2015, la destruction du magasin tenu par Monsieur … par des personnes non autrement identifiées en 2016, la voiture jaune ayant tenté de percuter Madame … en 2016, les pierres jetées sur la façade du domicile familial en 2017 et la tentative d’intrusion dans le domicile familial en 2019.

En substance, si les demandeurs affirment que les faits invoqués auraient été perpétrés par la même milice chiite en raison du mariage interconfessionnel entre les époux …, cette affirmation reste cependant à l’état de pure allégation alors qu’il ressort de leurs déclarations que tous les faits ont été commis par des personnes non autrement identifiées dont ils supposent uniquement qu’elles pourraient appartenir à des milices chiites, sans même préciser de quelle milice il s’agirait. Force est au tribunal de constater que la seule allégation d’un lien entre les différents faits invoqués et le mariage interconfessionnel des époux …, sans autres éléments concrets de nature à corroborer ce lien, est insuffisante, de sorte que le tribunal ne dispose pas de suffisamment d’éléments, allant au-delà d’un simple sentiment général d’insécurité, pour retenir qu’il existe une crainte justifiée de persécution en cas de retour dans leur pays d’origine.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a retenu que les demandeurs restent en défaut d’établir un quelconque lien entre les différents faits invoqués, respectivement entre les faits et la religion des époux …, de sorte qu’au regard des considérations qui précèdent, force est de retenir que les faits invoqués se résument en réalité en un sentiment général d’insécurité respectivement en une crainte hypothétique dans leur chef et qu’en conséquence ce fait n’atteint pas le minimum de gravité, tel que requis par l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, n’étant partant pas de nature à fonder une demande d’octroi du statut de réfugié.

De plus le tribunal est également amené à constater que les demandeurs restent en défaut de démontrer que les autorités irakiennes auraient refusé ou seraient incapables de leur fournir une protection.

En effet, chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale 3. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive 3 Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut des réfugiés, UNCHR, décembre 2011, p. 21, n° 100.se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut.4 L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de l’atteinte grave infligée. Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pour autant pas un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux. En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

En l’espèce, force est de retenir d’abord que suite à l’incident du 12 décembre 2014, Madame … avait porté plainte auprès de la police, et que Monsieur … concède que les policiers se seraient déplacés à l’hôpital pour prendre sa déposition, de sorte qu’il résulte dès lors des propres déclarations des demandeurs que la police a diligentée une enquête pour ce fait, de sorte qu’ils ne peuvent pas soutenir que les autorités irakiennes auraient été défaillantes à cet égard, sans que cette constatation ne soit énervée par le fait que l’enquête n’ait pas abouti.

Au-delà de l’incident du 12 décembre 2014, il ressort cependant des déclarations des demandeurs qu’ils n’ont jamais porté plainte pour dénoncer les faits dont ils déclarent avoir été victime, de sorte qu’ils n’établissent pas que les autorités irakiennes compétentes aient refusé ou aient été dans l’incapacité de leur fournir une protection adéquate contre lesdits faits.

En effet, si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas tenté lui-même formellement d’obtenir une telle protection. Si les demandeurs expliquent à ce propos qu’il n’aurait servi à rien de s’adresser à la police, alors que les autorités étatiques ne seraient pas en mesure de fournir une protection contre les milices, cette affirmation, à défaut de tout élément circonstancié le soutenant, n’est en tout état de cause pas de nature à justifier leur inaction de recourir à l’aide de la police ou d’une autre institution étatique.

Cette conclusion n’est pas non plus énervée par les arguments des demandeurs selon lesquels il y aurait un lien entre les autorités militaires, policières et paramilitaires en Irak, qui les aurait empêché de rechercher une protection effective auprès des autorités irakiennes. Force est au tribunal de relever que même s’il se dégage des éléments à sa disposition que l’armée 4 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754.irakienne et les milices travaillent ensemble dans la lutte contre « l’Etat islamique », il n’est pas établi en cause que lesdites milices auraient une quelconque influence sur les autorités policières irakiennes empêchant les demandeurs de solliciter l’assistance de ces dernières, respectivement bénéficieraient d’une iniquité pour d’éventuelles infractions commises.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté les demandes en obtention du statut de réfugié présentées par les demandeurs comme étant non fondées, de sorte que le recours des demandeurs est, pour autant qu’il est dirigé contre le refus du ministre de leur accorder le statut de réfugié, à rejeter.

Quant au volet de la décision litigieuse portant refus de leur accorder le bénéfice du statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de vérifier si les faits décrits par les demandeurs sont de nature à tomber dans le champ d’application de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

En ce qui concerne la protection subsidiaire, les demandeurs ont limité leur recours aux points b) et c) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015. Or, malgré le fait d’avoir cité ledit point c), les demandeurs n’invoquent pas de crainte de faire l’objet d’atteintes graves au sens de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, de sorte que l’analyse du tribunal se limitera à leur crainte de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, points b) de la même loi.

Dans la mesure où la demande en obtention d’un statut de protection subsidiaire au sens de l’article 48, point b) est basée sur les mêmes faits que ceux invoqués dans le cadre de la demande d’un statut de réfugié, à savoir plusieurs agressions physiques et menaces de 2014 à 2019, il y a lieu de rejeter cette demande pour les mêmes motifs que ceux retenus dans le cadre de l’analyse du statut de réfugié, alors que les demandeurs restent en défaut d’avoir établi qu’ils ne pourraient pas obtenir une protection de la part des autorités de leur pays.

Il s’ensuit qu’en l’état actuel d’instruction du dossier et des moyens échangés de part et d’autre, les demandeurs n’ont pas démontré qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’ils encourraient en cas de retour dans leur pays d’origine un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015 en relation avec le mariage interconfessionnel des époux ….

C’est dès lors également à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande tendant à l’obtention du statut conféré par la protection subsidiaire, de sorte que le recours en ce qu’il est dirigé à l’encontre dudit statut est à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire, un recours sollicitant la réformation de pareil ordre contenu dans la décision déférée a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle litigieuse. Le recours en réformation, ayant par ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est recevable.

A l’appui de ce volet du recours, les demandeurs concluent à la réformation de l’ordre de quitter le territoire en tant que conséquence de la réformation de la décision de rejet de leur demande de protection internationale.

A titre subsidiaire, les demandeurs invoquent encore que la décision entreprise serait contraire à l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 concernant la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », alors qu’un retour en Irak impliquerait que leur vie ou leur liberté y seraient gravement menacées.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, également au rejet de ce volet du recours.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour en Irak des demandeurs ne les exposent ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a a priori valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Aux termes de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 : « L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants. ».

Il convient de rappeler que l’article 129, précité, renvoie à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée « la CEDH », aux termes duquel : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

Si l’article 3 de la CEDH proscrit ainsi la torture et les peines ou traitements inhumains ou dégradants, encore faut-il que le risque de subir des souffrances mentales ou physiques présente une certaine intensité.

En effet, si une mesure d’éloignement - telle qu’en l’espèce consécutive à l’expiration du délai imposé au demandeur pour quitter le Luxembourg - relève de la CEDH dans la mesure où son exécution risquerait de porter atteinte aux droits inscrits à l’article 3, ce n’est cependant pas la nature de la mesure d’éloignement qui pose un problème de conformité à la CEDH, spécialement à l’article 3, mais ce sont les effets de la mesure en ce qu’elle est susceptible de porter atteinte aux droits que l’article 3 garantit à toute personne.

C’est l’effectivité de la protection requise par l’article 3 qui interdit aux Etats parties à la CEDH d’accomplir un acte qui aurait pour résultat direct d’exposer quelqu’un à des mauvais traitements prohibés. S’il n’existe pas, dans l’absolu, un droit à ne pas être éloigné, il existe un droit à ne pas être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants, de sorte et a fortiori qu’il existe un droit à ne pas être éloigné quand une mesure aurait pour conséquence d’exposer à la torture ou à une peine ou des traitements inhumains ou dégradants.

Cependant, dans ce type d’affaires, la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après dénommée « la CourEDH », soumet à un examen rigoureux toutes les circonstances de l’affaire, notamment la situation personnelle du requérant dans l’Etat qui est en train de mettre en œuvre la mesure d’éloignement. La CourEDH recherche donc s’il existait un risque réel que le renvoi du requérant soit contraire aux règles de l’article 3 de la CEDH. Pour cela, la CourEDH évalue ce risque notamment à la lumière des éléments dont elle dispose au moment où elle examine l’affaire et des informations les plus récentes concernant la situation personnelle du requérant.

Le tribunal procède donc à la même analyse de l’affaire sous examen.

Or, en ce qui concerne précisément les risques prétendument encourus en cas de retour en Irak, le tribunal a conclu ci-avant à l’absence, dans le chef des demandeurs, de tout risque réel et actuel de subir des atteintes graves, au sens de l’article 48, point b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants, de sorte que le tribunal ne saurait se départir à ce niveau-ci de son analyse de cette conclusion.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH5, le tribunal n’estime pas qu’il existe un risque suffisamment réel pour que le renvoi des demandeurs dans leur pays d’origine soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH, de sorte que le moyen tiré d’une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 et de l’article 3 de la CEDH, encourt le rejet.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est également à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 9 novembre 2021 rejetant les demandes de protection internationale des consorts … ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 9 novembre 2021 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens de l’instance.

5 CourEDH, arrêt Lorsé et autres c/ Pays-Bas, 4 février 2004, § 59.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 septembre 2023 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 20


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 46775
Date de la décision : 29/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 30/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-29;46775 ?

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