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29/09/2023 | LUXEMBOURG | N°46734

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 septembre 2023, 46734


Tribunal administratif Numéro 46734 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46734 1re chambre Inscrit le 29 novembre 2021 Audience publique extraordinaire du 29 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, … (Allemagne), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46734 du rôle et déposée le 29 novembre 2021 au greffe du tribunal administratif par Mo

nsieur …, demeurant à D-…, portant recours non autrement qualifié contre une décision d...

Tribunal administratif Numéro 46734 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46734 1re chambre Inscrit le 29 novembre 2021 Audience publique extraordinaire du 29 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, … (Allemagne), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’appel en garantie

_________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46734 du rôle et déposée le 29 novembre 2021 au greffe du tribunal administratif par Monsieur …, demeurant à D-…, portant recours non autrement qualifié contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 27 mai 2019, répertoriée sous le numéro … du rôle, ayant rejeté comme non fondée sa réclamation introduite le 25 mars 2019 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 16 février 2022 ;

Vu le mémoire en réplique, intitulé « Verteidungsschreiben », déposé le 8 avril 2022 au greffe du tribunal administratif par Monsieur …, préqualifié ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 12 juin 2023.

___________________________________________________________________________

En date du 15 février 2019, le bureau d’imposition RTS Luxembourg 1 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par le « bureau d’imposition », émit un bulletin d’appel en garantie (« Haftungsbescheid ») sur le fondement du § 118 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, telle que modifiée, dénommée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », à l’égard de Monsieur … en sa qualité d’administrateur-délégué de la société anonyme …, ci-après désignée par la « société … », déclarée en faillite, ledit bulletin déclarant Monsieur … codébiteur solidaire d’un montant de … euros dont … euros en principal et … euros en des intérêts de retard, au titre de l’impôt sur les traitements et salaires qui aurait dû être retenu et continué à l’administration des Contributions directes, ci-après désignée par l’ « administration », par la société … pour les années d’imposition 2014, 2015 et 2016.

Ledit bulletin est libellé comme suit :

« […] Il est dû à l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg par la société … en faillite ayant eu son siège à L-…, immatriculée sous le numéro fiscal … et enregistrée au Registre de Commerce et des Sociétés sous le numéro … à titre de l’impôt sur les traitements et salaires :

Année Principal Intérêts Total 2014 … € … € … € 2015 … € … € … € 2016 … € … € … € TOTAL … € … € … € Il résulte du dépôt au Mémorial Numéro … du …2014 que vous avez été nommé administrateur de la société … en faillite.

En cette qualité vous avez eu le pouvoir d’engager la société sous votre seule signature depuis le 14.02.2014.

En votre qualité d’administrateur-délégué vous étiez en charge de la gestion de la société … en faillite.

Par conséquent et conformément aux termes des §§ 108 et § 103 AO, vous étiez personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société … en faillite, dont notamment le paiement des impôts dus par la société … en faillite à l’aide des fonds administrés.

En vertu de l’article 136 alinéa 2 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, l’employeur est tenu de retenir l’impôt qui est dû sur les traitements et salaires de son personnel.

En vertu de l’article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, l’employeur est tenu à déclarer et à verser l’impôt retenu à l’Administration des contributions directes.

En vertu de l’article 136 alinéa 6 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu et du règlement grand-ducal modifié du 27 décembre 1974 concernant la procédure de la retenue d’impôt sur les salaires et les pensions, l’employeur est tenu de présenter au bureau RTS compétent les comptes de salaires ainsi que tous autres documents comptables.

Dans le cas d’une société, conformément aux termes du § 103 AO, ces obligations incombant aux employeurs sont transmises à celui qui a le pouvoir de représenter la société à l’égard des tiers.

En votre qualité de représentant de la société … en faillite il vous appartenait de déclarer et de verser/de veiller à la retenue, à la déclaration et au versement de la retenue d’impôt due sur les traitements et les salaires du personnel.

Or pour les années 2014 à 2016 le paiement des salaires a été fait sans que les montants à retenir aient été continués entièrement au receveur.

L’omission de retenir, de déclarer et de payer les sommes dues à titre de retenue d’impôt est à qualifier d’inexécution fautive de vos obligations en tant que représentant de la société … en faillite.

L’omission de payer sur les fonds disponibles de la société … en faillite les retenues échues avant votre entrée en fonction est à qualifier d’inexécution de vos obligations.

Suite à l’inexécution fautive de vos obligations, le receveur de l’Administration des contributions directes n’a pas perçu les retenues d’impôt d’un montant de … €.

Ce montant de … € se compose comme suit :

Année Principal Intérêts Total 2014 …€ … € … € 2015 … € … € … € 2016 … € … € … € TOTAL … € … € … € En vertu du § 110 AO votre responsabilité pour les actes accomplis pendant la période de vos fonctions survit à l’extinction de votre pouvoir de représentation.

Considérant qu’en vertu du § 103 AO vous êtes tenu de remplir les obligations fiscales incombant à la société … en faillite.

Considérant que l’inexécution de ces obligations est à qualifier de fautive.

Considérant que l’inexécution fautive de vos obligations a empêché la perception d’impôt sur les traitements et salaires d’un montant de … €.

Considérant que dans la mesure où, par l’inexécution fautive de vos obligations, vous avez empêché la perception de l’impôt légalement dû, vous êtes constituée codébiteur solidaire de ce montant conformément au § 109 AO.

Considérant que le § 118 AO m’autorise à engager votre responsabilité.

Considérant le fait qu’en votre qualité de représentant vous êtes chargé de la gestion de la société … en faillite j’engage votre responsabilité, l’appel en garantie s’élève au montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs.

Par conséquent, vous êtes invité à payer sans délai le montant de … €, sans préjudice des intérêts de retard ultérieurs, au receveur de l’Administration des contributions directes à Luxembourg. […] ».

Par courrier daté du 14 mars 2019, réceptionné le 25 mars 2019 par l’administration, Monsieur … introduisit une réclamation auprès du directeur de l’administration, ci-après désigné par le « directeur », contre le bulletin d’appel en garantie émis le 15 février 2019 à son encontre.

Par décision du 27 mai 2019, répertoriée sous le numéro du rôle …, le directeur reçut la réclamation de Monsieur … en la forme, mais la rejeta comme non fondée dans les termes suivants :

« […] Nach Einsicht der am 25. März 2019 eingegangenen Rechtsmittelschrift mit welcher Herr …, D-…, den Haftungsbescheid, ergangen gemäß § 118 der Abgabenordnung (AO) durch das Steueramt RTS 1 am 15. Februar 2019, anficht ;

Nach Einsicht der Steuerakte ;

Nach Einsicht der §§ 119, Absatz 1, 228 und 301 AO ;

In Erwägung, dass das Rechtsmittel form- und fristgerecht eingelegt wurde ;

In Erwägung, dass der angefochtene Haftungsbescheid den Reklamanten persönlich dazu anhält, die Lohnsteuer der Jahre 2014, 2015 und 2016 zu zahlen, mit der Begründung, er habe in seiner Eigenschaft als Vertreter der Aktiengesellschaft Trust TT, in Konkurs, schuldhaft gehandelt, weil er die mangelhafte Entrichtung von Steuern dieses Steuerpflichtigen zu verantworten habe ;

In Erwägung, dass gesetzliche Vertreter alle Steuern zu entrichten haben für die juristischen Personen, welche sie vertreten im Sinne der §§ 103 und 109 AO ; dass gemäß §§103 AO die gesetzlichen Vertreter juristischer Personen alle Pflichten zu erfüllen haben, die den Personen, die sie vertreten, obliegen und insbesondere dafür zu sorgen haben, dass die Steuern aus den Mitteln, die sie verwalten, entrichtet werden ; dass, sofern eine schuldhafte Verletzung durch den Vertreter vorliegt weil er der gesetzlichen Steuerpflicht (im Sinne der §§ 103 bis 108 AO) nicht nachgekommen ist, er persönlich neben dem Steuerpflichtigen haftbar gemacht werden kann, dies gemäß § 109 AO ;

In Erwägung, dass dem Reklamanten, als Vertreter der Aktiengesellschaft société …, in Konkurs (zusammen mit Herrn … und Frau …, welche ihrerseits mittels Haftungsbescheiden haftbar gemacht wurden), alle oben erwähnten Steuerpflichten anheim fielen im Sinne des § 103 AO ; dass die Pflichtverletzung eines Vertreters als schuldhaft anzusehen ist, wenn er seinen steuerlichen Auflagen nicht nachkommt, insbesondere jene, dafür Sorge zu tragen, dass die geschuldeten Steuern aus den Mitteln beglichen werden, die er verwaltet ;

In Erwägung, dass laut § 118 AO die in den §§ 103 bis 108 AO bezeichneten Personen persönlich zur Erfüllung der ihnen obliegenden Verpflichtung angehalten werden können ;

dass die Ausführung des § 118 AO, im Gegensatz zur Besteuerung eines Steuerpflichtigen, jedoch immer eine Ermessensentscheidung darstellt, und demzufolge laut § 2 des Steueranpassungsgesetzes (StAnpG) sich in den Grenzen halten muss, die das Gesetz dem Ermessen zieht und demnach nach Billigkeit und Zweckmäßigkeit zu treffen sind (BFH 19.

Februar 1965 StRK § 44 EStG R.13 ; BFH 24. November 1961, BStBl. 1962.37 ; 3. Februar 1981, BStBl. 1981 II 493 ; cf. Becker-Riewald-Koch § 2 StAnpG, Anm. 5, Abs. 3) ;

In Erwägung, dass der Haftungsbescheid als Ermessensentscheidung sowohl eine Begründung für die persönliche Haftung eines oder mehrerer Vertreter beinhalten muss, als auch die Bezeichnung des Vertreters dessen Haftung in Anspruch genommen wird, sowie ebenfalls das Quantum seiner Haftbarkeit ; dass allein eine Verletzung der steuerlichen Pflichten im Sinne des § 103 AO durch den Vertreter nicht ausreichend ist, um seine persönliche Haftung laut § 109, Abschnitt 1 AO durch Zustellung eines Haftungsbescheides in Anspruch zu nehmen ; dass dem gegenüber laut Gesetzgeber zusätzlich eine schuldhafte Verletzung vorliegen muss (CA vom 22.Februar 2000, n° 11694C) ;

In Erwägung, dass, gemäß Artikel 136, Absatz 2 des Einkommensteuergesetzes (L.I.R.), der Arbeitgeber verpflichtet ist, die Einkommensteuer, welche auf den Löhnen und Gehältern seines Personals geschuldet ist, in Form eines Quellenabzugs (i.e. Lohnsteuer) einzubehalten,;

dass entsprechend Artikel 136, Absatz 6 L.I.R. der Arbeitgeber außerdem verpflichtet ist, diese Lohnsteuer anzumelden und zu zahlen ; dass der Reklamant nach § 103 AO dafür zu sorgen hatte, dass der Lohnsteuerabzug auf den Löhnen des Personals errechnet, angemeldet und gezahlt wird ; dass, gemäß konstanter Jurisprudenz (CA vom 6. Mai 2003, n° 15989C ; CA vom 6. Januar 2011, n° 27126C ; TA vom 15. Januar 2009, n° 24145) die Nichtauszahlung der Lohnsteuer an das zuständige Steueramt per se eine schuldhafte Verletzung seiner steuerlichen Pflichten des gesetzlichen Vertreters einer juristischen Person darstellt ;

In Erwägung, dass, was die Definition der schuldhaften Verletzung seiner steuerlichen Pflichten durch den Vertreter im Sinne des § 109, Abschnitt 1 AO angeht, der Verwaltungsgerichtshof in seinen Urteilen CA 38378C vom 23. August 2016 und CA 38343C vom 31. Januar 2017, Folgendes festgehalten hat:

« Dans la mesure où il n’est pas contesté que les bilans pour les années litigieuses n’ont pas été déposés dans les délais au RCS et que les déclarations fiscales n’ont pas non plus été déposées, ce qui a contraint le bureau d’imposition à procéder par la voie de la taxation d’office pour les années 2008 à 2010 et par la fixation d’avances pour les années 2012 à 2014, le bureau d’imposition a en principe valablement pu retenir une inexécution fautive dans le chef de l’appelant, étant donné qu’en sa qualité de gérant unique, il était conformément au paragraphe 103 AO personnellement tenu à l’accomplissement de toutes les obligations fiscales incombant à la société (…), de sorte qu’il était tenu de veiller au dépôt des déclarations fiscales et au paiement des créances d’impôt et que l’omission de ce faire est à qualifier de comportement fautif (…) Or, le fait pour l’appelant de ne pas avoir veillé, en tant que gérant unique de la société (…), à ce que les déclarations d’impôt soient déposées en temps utile auprès de l’administration des Contributions directes, est à qualifier d’inexécution fautive des obligations du représentant d’une société envers les autorités fiscales, de sorte que les conditions pour la mise en oeuvre de sa responsabilité personnelle à l’égard des créances d’impôt visées dans le bulletin d’appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. Cette conclusion ne saurait être invalidée par l’argumentation de l’appelant selon laquelle il serait inéquitable de le poursuivre personnellement après tous les efforts entrepris pour régulariser les affaires de la société, étant donné qu’il est resté trop longtemps inactif et qu’il semblerait, d’après les éléments du dossier, qu’il n’est devenu actif que lorsque le Parquet a décidé de demander la dissolution judiciaire de la société. » (CA 38378C vom 23. August 2016) ;

« Les premiers juges ont essentiellement retenu que le « § 103 AO soumet les dirigeants d’une société à l’obligation de veiller à ce que les impôts dus soient payés au trésor public », pointant de la sorte essentiellement l’obligation des représentants d’une société de veiller au paiement des impôts dus (…).

La Cour ne saurait entériner cette vision des choses.

En premier lieu, il est erroné de limiter l’analyse sur l’obligation de paiement des impôts dus, mais il convient d’avoir égard à l’ensemble des obligations incombant au contribuable en vue de la fixation et du paiement de l’impôt dû.

(…) Cette façon de procéder au cours de la procédure d’imposition est aux antipodes de l’attitude que l’on peut attendre d’une société raisonnablement prudente et diligente et elle caractérise manifestement une violation des obligations incombant aux organes d’administration de la société (…). Le manquement ainsi dépeint est encore de toute évidence grave.

(…) (…), il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent que Monsieur (…) a de façon prolongée rendu impossible la détermination exacte des bases d’imposition et qu’il a singulièrement et fautivement manqué de remplir les obligations fiscales qui lui incombaient en tant que représentant de la société (…), de sorte que les conditions pour la mise en œuvre de sa responsabilité personnelle pour les impôts visés par le bulletin d’appel en garantie litigieux se trouvent réunies en cause. » (CA 38343C vom 31. Januar 2017) ;

In Erwägung, dass, angesichts obiger Erläuterungen sowie angesichts der vom Verwaltungsgerichtshof festgelegten Kriterien, ob und inwiefern eine schuldhafte Verletzung seiner steuerlichen Pflichten durch den Vertreter im Sinne des § 109, Abschnitt 1 AO vorliegt, Kriterien welche allesamt im Rahmen des vorliegenden Streitfalls genauestens überprüft und für wahr und gegeben empfunden wurden, im vorliegenden Fall eine schuldhafte Verletzung seiner Pflichten durch den Reklamanten zweifellos vorliegt, insbesondere deswegen, weil er als Delegierter des Verwaltungsrates, die Befugnis hatte, die Gesellschaft unter allen Umständen durch seine Einzelunterschrift rechtsgültig zu verpflichten ;

AUS DIESEN GRÜNDEN Die Anfechtung ist zulässig, Sie wird jedoch als unbegründet zurückgewiesen.[…] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2021, Monsieur … a introduit un recours non autrement qualifié contre la décision du directeur du 27 mai 2019, précitée.

Il convient de prime abord de relever que l’intégralité de la requête introductive d’instance et du mémoire en réplique est formulée en langue allemande.

Aux termes des articles 3 et 4 de la loi modifiée du 24 février 1984 sur le régime des langues, ci-après désignée par la « loi du 24 février 1984 ».

« Art.3. – Langues administrative et judiciaires En matière administrative, contentieuse ou non contentieuse, et en matière judiciaire, il peut être fait usage des langues française, allemande ou luxembourgeoise, sans préjudice des dispositions spéciales concernant certaines matières.

Art.4 – Requêtes administratives Lorsqu’une requête est rédigée en luxembourgeois, en français ou en allemand, l’administration doit se servir, dans la mesure du possible, pour sa réponse de la langue choisie par le requérant. ».

Il en résulte que si ces dispositions prévoient dans le chef des administrations une obligation de répondre dans la mesure du possible dans la langue choisie par l’administré dans sa requête, cette obligation ne s’applique toutefois pas aux autorités juridictionnelles devant lesquelles s’applique le seul principe de la liberté dans le choix de la langue. Ainsi, le tribunal est libre de faire usage de la langue française qui est employée traditionnellement en matière de rédaction des actes de procédure, et notamment des jugements1.

Dans ce contexte, le tribunal est amené à rejeter les reproches de Monsieur … dirigés à son encontre selon lesquels il aurait appartenu au tribunal de lui fournir une traduction en langue allemande ou anglaise des éléments de procédure, en ce compris le mémoire en réponse de la partie étatique, ainsi que le dossier fiscal.

Dans la mesure où Monsieur … n’a pas qualifié son recours, il convient ensuite de rappeler, concernant la question de la compétence du tribunal, que lorsque la requête introductive d’instance omet d’indiquer si le recours tend à la réformation ou à l’annulation de la décision critiquée, il y a lieu d’admettre que le demandeur a entendu introduire le recours admis par la loi2.

Conformément aux dispositions du § 119 AO, la personne à l’encontre de laquelle un bulletin d’appel en garantie a été émis, bénéficie des mêmes voies de recours que celles ouvertes au contribuable, débiteur principal.

Il résulte d’une lecture combinée des dispositions du § 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par la « loi du 7 novembre 1996 », que le tribunal est compétent pour statuer comme juge du fond sur le recours dirigé par un contribuable contre une décision du directeur ayant statué sur les mérites d’une réclamation de sa part contre un bulletin d’imposition, tandis qu’un recours contre un bulletin n’est prévu à l’article 8, paragraphe (3), point 3. de la même loi que dans l’hypothèse où une réclamation a été introduite par le contribuable et qu’aucune réponse n’est intervenue dans un délai de six mois.

1 Trib. adm. 14 juillet 2003, n°15882 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Langues, n° 3, et les autres références y citées 2 Trib. adm. 19 janvier 1999, n° 10760 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 1248 et les autres références y citées.

Dès que le directeur a statué, le recours dirigé directement contre le bulletin est irrecevable3.

Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours en réformation introduit par Monsieur … en date du 29 novembre 2021 à l’encontre de la décision directoriale précitée du 27 mai 2019 ayant rejeté comme non fondée sa réclamation introduite le 25 mars 2019 à l’encontre du bulletin d’appel en garantie émis le 15 février 2019.

En revanche, et dans la mesure où Monsieur … sollicite également, de l’entendement du tribunal, l’annulation du bulletin d’appel en garantie émis le 15 février 2019 à son encontre, il y a lieu de déclarer irrecevable ledit recours en réformation pour autant qu’il est dirigé contre ledit bulletin.

Par rapport à la question de la recevabilité du recours en réformation contre la décision directoriale précitée du 27 mai 2019, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du dudit recours pour tardivité.

Tout en admettant que la décision directoriale, déférée, aurait été notifiée à Monsieur …, en copie, une deuxième fois en date du 28 septembre 2021, le représentant étatique soutient que la notification initiale serait valablement intervenue le 27 mai 2019 aux motifs que le registre national des personnes physiques (« RNPP ») ne renseignerait pas d’adresse et que la décision litigieuse aurait été expédiée à l’adresse figurant sur la réclamation de Monsieur …, adresse dont l’administration aurait légitimement pu supposer qu’il s’agirait de la bonne.

Le délégué du gouvernement fait valoir que Monsieur … n’aurait pas pris les mesures qui se seraient imposées en déclarant le changement d’adresse à la commune et en apposant son nom sur sa boîte aux lettres, de sorte que l’intéressé devrait tirer les conséquences de son comportement fautif, le représentant étatique considérant que l’Etat n’aurait rien à se reprocher.

Il rejette, par ailleurs, l’argumentation du demandeur selon laquelle la notification serait intervenue à une fausse adresse, alors que l’administration n’aurait pas été mise au courant du changement d’adresse, le délégué du gouvernement se référant à un jugement du tribunal administratif du 2 février 2022, inscrit sous le numéro 45045 du rôle.

Dans son mémoire en réplique, Monsieur … argumente, en substance, que la notification de la décision directoriale déférée ne serait intervenue qu’en date du 1er octobre 2021, au motif que ce serait la date à laquelle l’administration lui aurait notifié le bulletin d’appel en garantie litigieux, en partie, et en allemand.

Le tribunal relève que la question pertinente qui se pose en l’espèce est celle de savoir si la décision directoriale déférée du 27 mai 2019 a été régulièrement notifiée à Monsieur …, en ce sens que la notification doit être regardée comme étant de nature à avoir fait courir le délai de recours contentieux.

Aux termes de l’article 8, paragraphe (3), points 1. et 4. de la loi du 7 novembre 1996, le recours en réformation contre une décision du directeur statuant sur une réclamation du contribuable par rapport à son bulletin d’impôt doit être introduit dans un délai de trois mois, 3 Trib. adm. 6 janvier 1999, n° 10357 et 10844, confirmés par Cour adm. 14 octobre 1999, n° 11126C, Pas. adm.

2022, V° Impôts, n° 1264 et les autres références y citées.

à partir de la notification de ladite décision, sans autre précision quant à la date effective du départ du délai de recours4.

En ce qui concerne la manière dont une décision directoriale est régulièrement portée à la connaissance de son destinataire, le § 258, alinéa (2) AO dispose comme suit : « Die Entscheidungen sind dem Steuerpflichtigen verschlossen zuzustellen. Der Minister der Finanzen kann statt der Zustellung eine einfachere Form der Bekanntgabe zulassen ». Le §§258 AO, en employant le terme « zuzustellen », renvoie au § 88 AO, lequel prévoit le régime de la notification formelle (« Zustellung »). Cette exigence de la notification formelle exclut donc la simple communication (« Bekanntgabe ») du § 91 AO comme voie de notification.

Le § 88 AO dispose en ses alinéas (1) à (3) que : « (1) Für Zustellungen gelten die Vorschriften der Zivilprozessordnung über Zustellungen von Amts wegen.

(2) Zustellen können auch Beamte der Steuer-, der Polizei- oder der Gemeindeverwaltung.

(3) Die Behörde kann durch eingeschriebenen Brief zustellen. Die Zustellung gilt mit dem dritten Tag nach der Aufgabe zur Post als bewirkt, es sei denn, dass der Zustellungsempfänger nachweist, dass ihm das zuzustellende Schriftstück nicht innerhalb dieser Zeit zugegangen ist. […] ».

Il se dégage du 88 AO que si la « Zustellung » doit, au vœu de son alinéa (1), en principe être opérée en conformité avec les dispositions de la « Zivilprozessordnung », renvoi qui doit être compris au Luxembourg comme visant le Nouveau Code de procédure civile, il autorise à travers son alinéa (3) toute « Behörde » visée par ses dispositions, donc également le directeur en sa qualité de « Rechtsmittelbehörde » au sens des § 228 AO et suivants, à utiliser un mode simplifié de « Zustellung » par le biais de la notification par voie de « eingeschriebener Brief » dans tous les cas où la « Zustellung » est prescrite ; partant notamment pour une décision directoriale sur réclamation laquelle est « geschlossen zuzustellen » au prescrit du § 258, alinéa (2) AO5.

En vue de déterminer les formalités obligatoirement attachées à l’envoi d’un « eingeschriebener Brief », il convient de constater que la « Zustellung » au sens du § 88 AO s’analyse par essence en une remise actée entourée d’un certain formalisme, lequel est destiné à constituer une preuve de la réception de l’acte à notifier par son destinataire. L’originalité de l’alinéa (3) du § 88 AO par rapport à son alinéa (1) réside dans le fait que l’autorité est dispensée de l’obligation de s’aménager une preuve concrète de la prise de connaissance effective de l’acte par son destinataire et que l’autorité est seulement tenue de prouver la date à laquelle l’enveloppe contenant l’acte a été remise à la poste. En outre, la preuve concrète de la réception par le destinataire est remplacée par l’alinéa (3) en cas de notification par « eingeschriebener Brief » par une présomption juris tantum de réception au troisième jour après la remise à la poste6.

4 Trib. adm., 27 octobre 2020, n° 44826 du rôle, trib. adm., 17 novembre 2020, n° 43118 du rôle, , trib. adm., 2 décembre 2020, n° 44006 du rôle, disponibles sur www.justice.public.lu.

5 Trib. adm., 21 juin 2004, n° 17075 du rôle, confirmé par Cour adm., 13 janvier 2005, n° 18477C du rôle, Pas.

adm. 2022, V° Impôts, n° 1145 et les autres références y citées.

6 Ibidem Il en découle que le § 88, alinéa (3) AO autorise les autorités visées à procéder à une notification par voie de lettre recommandée simple, un avis de réception n’étant point requis au vu de la dispense de la preuve d’une réception effective par le destinataire, et que la seule preuve à charge de l’autorité est celle de la remise de l’acte à la poste sous forme de pli fermé expédié en tant que lettre recommandée7.

Ainsi, la date de réception effective ne devient pertinente que si le contribuable n’a pas reçu la décision endéans le délai présumé – c’est seulement dans cette mesure que la présomption de réception est réfragable. Il n’incombe donc pas à l’administration de vérifier la date de réception effective de la décision du directeur du 27 mai 2019, mais uniquement de s’assurer que le recours a été introduit dans le délai imparti par rapport à la date présumée de réception de cette décision.

En ce qui concerne les contribuables résidant à l’étranger, comme c’est le cas en l’espèce, le § 88, alinéa (5) AO, précité, autorise l’administration à notifier une décision du directeur par envoi recommandé ou par voie électronique, directement à une personne établie sur le territoire d’un autre Etat membre de l’Union européenne.

Il s’ensuit que le directeur a valablement pu notifier sa décision par lettre recommandée au demandeur en Allemagne.

Le tribunal relève que la décision directoriale déférée datée du 27 mai 2019 a été expédiée par courrier recommandé du même jour à l’adresse postale en Allemagne indiquée par Monsieur … dans sa réclamation introduite le 25 mars 2019, tel que cela ressort du dossier fiscal soumis à l’appréciation du tribunal. Il s’ensuit que la notification de la décision directoriale du 27 mai 2019, déférée, est a priori censée avoir été effective en date du 30 mai 2019.

Néanmoins, encore que Monsieur … n’ait fourni aucun développement à ce propos, le tribunal constate, eu égard aux reproches avancés par le délégué du gouvernement, qu’il ressort du dossier fiscal que dans le contexte de la notification de la décision directoriale déférée du 27 mai 2019, l’Entreprise des Postes et Télécommunication a coché la case « Empfänger/Firma unter der angegebenen Anschrift nicht zu ermitteln » et « Inconnu/Adresse insuffisante », et que l’intéressé a envoyé, de sa propre initiative, un courrier daté du 20 septembre 2019, respectivement 2021, au bureau d’imposition pour, en substance, connaître l’état d’avancement de son dossier et plus particulièrement de sa réclamation introduite le 25 mars 2019. Il s’ensuit que la question de la validité de la notification de ladite décision directoriale à l’égard de Monsieur … se pose en l’espèce.

Le tribunal constate que le RNPP ne contient pas d’adresse connue de Monsieur … depuis le 7 août 2015 et que la décision directoriale déférée a été notifiée à l’adresse postale en Allemagne que l’intéressé a lui-même indiquée dans sa réclamation introduite le 25 mars 2019.

Etant donné que le demandeur n’allègue pas et a fortiori ne démontre pas que le 30 mai 2019, date de la notification présumée, il n’aurait plus été domicilié à l’adresse indiquée dans sa réclamation, et que, par ailleurs, il n’a, de façon non contestée, pas communiqué un quelconque changement d’adresse à l’administration préalablement à cette date, aucun reproche ne saurait être fait à l’administration d’avoir notifié la décision directoriale du 27 mai 7 Ibidem.

2019 à l’adresse postale en Allemagne que Monsieur … a lui-même indiquée dans sa réclamation introduite le 25 mars 2019.

C’est, dès lors, à juste titre que le délégué du gouvernement fait plaider que l’administration pouvait légitimement partir du principe, à défaut d’autres éléments, que l’intéressé était toujours établi à cette adresse.

Dans ces conditions, la notification de la décision directoriale déférée du 27 mai 2019 doit être considérée comme ayant été valablement effectuée le 30 mai 2019.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par l’argumentation de Monsieur … consistant à soutenir que la notification ne serait intervenue que le 1er octobre 2021 au motif que ce serait la date à laquelle il aurait reçu une copie du bulletin d’appel en garantie litigieux en langue allemande. En effet, s’il se dégage de l’article 4 de la loi du 24 février 1984, précité, qu’une administration, qui se voit adresser une demande dans une des trois langues administratives, fournisse sa réponse dans la même langue que celle utilisée dans cette demande, il ne s’agit non pas d’une obligation impérieuse pour les administrations, mais d’une recommandation8. Il appartient à l’administré, au cas où il estime ne pas être en mesure de comprendre le sens exact de l’acte qui lui a été notifié, de faire les diligences nécessaires dans un délai utile pour être en mesure de comprendre non seulement le sens mais également la portée de la décision9. Il s’ensuit que l’administration n’avait pas à notifier le bulletin d’appel en garantie litigieux directement en langue allemande, étant relevé, par ailleurs, que la décision directoriale, citée in extenso ci-avant, est rédigée en langue allemande, mise à part les extraits de jurisprudences des juridictions administratives qui ont été cités en français.

En conséquence, le délai de recours de trois mois, tel que fixé par l’article 8, paragraphe (3), point 4. de la loi du 7 novembre 1996, a commencé à courir le 30 mai 2019 pour expirer le 30 août 2019, en application des règles de la Convention européenne sur la computation des délais signée à Bâle le 16 mai 1972, approuvée par la loi du 30 mai 1984 prévoyant à son article 3 que « […] Les délais exprimés en jours, semaines, mois ou années, courent à partir du dies a quo, minuit, jusqu’au dies ad quem, minuit […] » et à son article 4 que « […] 2. Lorsqu’un délai est exprimé en mois ou en années, le dies ad quem est le jour du dernier mois ou de la dernière année dont la date correspond à celle du dies a quo ou, faute d’une date correspondante, le dernier jour du dernier mois. […] » Il s’ensuit que le recours déposé au greffe du tribunal administratif en date du 29 novembre 2021, soit plus de deux ans après l’expiration du délai de recours prévisé de 3 mois, a été introduit en dehors du délai légal, de sorte qu’il est irrecevable ratione temporis.

Force est encore au tribunal de retenir que si Monsieur … sollicite, par ailleurs, l’annulation des bulletins d’appel en garantie qui auraient été émis contre d’autres représentants de la société …, il ne ressort d’aucun élément soumis à son appréciation que Monsieur … aurait qualité pour agir pour les personnes dénommées « … » et « … », tel que relevé à juste titre par le délégué du gouvernement. Il s’ensuit que le recours en réformation est à déclarer irrecevable 8 R. Ergec et F. Delaporte, Le contentieux administratif en droit luxembourgeois, Pas. adm. 2022, n° 149, p.85 et la jurisprudence y citée.

9 Trib. adm., 8 octobre 2001, n° 13133 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 331 et l’autre référence y citée.

pour autant qu’il vise l’annulation de bulletins d’appel en garantie qui concerneraient les personnes dénommées « … » et « … ».

Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est irrecevable, sans qu’il n’y ait lieu de statuer sur la question de l’élection de domicile et sur le fond du litige, cet examen devenant surabondant.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare compétent pour connaître du recours en réformation ;

déclare le recours irrecevable ;

condamne Monsieur … aux frais et dépens.

Ainsi jugé et lu à l’audience publique extraordinaire du 29 septembre 2023 par :

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Benoît Hupperich, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 46734
Date de la décision : 29/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 07/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-29;46734 ?

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