La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

29/09/2023 | LUXEMBOURG | N°46340,46690

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 29 septembre 2023, 46340,46690


Tribunal administratif N° 46340 et 46690 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46340:46690 4e chambre Inscrits les 6 août et 15 novembre 2021 Audience publique du 29 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat et un arrêté grand-ducal en matière de discipline

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

I) Vu la requête, inscrite sous le numéro 46340 du rôle et déposée le 6 août 2021 au greffe du tribunal administr

atif par Maître Fränk Rollinger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoc...

Tribunal administratif N° 46340 et 46690 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46340:46690 4e chambre Inscrits les 6 août et 15 novembre 2021 Audience publique du 29 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat et un arrêté grand-ducal en matière de discipline

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

I) Vu la requête, inscrite sous le numéro 46340 du rôle et déposée le 6 août 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Fränk Rollinger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, président du comité d’école de l’école fondamentale … à …, demeurant à L-…, tendant à la réformation de la décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat du 18 mai 2021 ayant prononcé, à son égard, les sanctions du changement d’affectation et de l’exclusion temporaire des fonctions avec privation totale de la rémunération pour une durée de six mois ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 décembre 2021 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 janvier 2022 par Maître Fränk Rollinger, préqualifié, pour compte de son mandant ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 3 février 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

II) Vu la requête, inscrite sous le numéro 46690 du rôle et déposée le 15 novembre 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Fränk Rollinger, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, président du comité d’école de l’école fondamentale … à …, demeurant à L-…, tendant à l’annulation de l’arrêté grand-ducal du 26 juillet 2021, pris en exécution de la décision du Conseil de discipline du 18 mai 2021 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 février 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 mars 2022 par Maître Fränk Rollinger, préqualifié, pour compte de son mandant ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 30 mars 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Fränk Rollinger et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 février 2023.

___________________________________________________________________________

Par arrêté grand-ducal du 9 juillet 2013, Monsieur … fut nommé instituteur de l’enseignement fondamental avec effet au 15 septembre 2013.

Par courrier du 6 octobre 2020, le ministre de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, dénommé ci-après « le ministre », saisit le commissaire du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire, dénommé ci-après « le commissaire du gouvernement », afin de procéder à une instruction disciplinaire à l’encontre de Monsieur …, président du comité d’école de l’école fondamentale … à …, conformément à l’article 56, paragraphe 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, dénommée ci-

après « le statut général ».

Par un courrier adressé au ministre en date du 9 octobre 2020, le commissaire du gouvernement adjoint accusa réception du courrier de saisine précité du 6 octobre 2020.

Par courrier du même jour, le commissaire du gouvernement adjoint informa Monsieur … qu’une instruction disciplinaire avait été ordonnée à son encontre tout en lui transmettant les pièces de son dossier disciplinaire et en l’invitant à se présenter au commissariat du gouvernement chargé de l’instruction disciplinaire pour une audition devant se dérouler le 20 octobre 2020 afin de prendre position par rapport aux faits lui reprochés.

Le 30 octobre 2020, Monsieur …, assisté par son litismandataire, fut entendu par le commissaire du gouvernement adjoint, tel que cela ressort du procès-verbal du même jour.

En date du 29 janvier 2021, le commissaire du gouvernement adjoint clôtura son instruction par l’émission d’un rapport d’instruction et, par un courrier du même jour, informa Monsieur … qu’il envisagea de transmettre le dossier au Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, ci-après dénommé le « Conseil de discipline », conformément à l’article 56, paragraphe 5 du statut général, sans préjudice de son droit de prendre inspection du dossier disciplinaire en vue, le cas échéant, de présenter ses observations, respectivement de demander un complément d’instruction.

Par courrier du 16 février 2021, le dossier disciplinaire de Monsieur … fut transmis au Conseil de discipline, pour attribution.

Le 18 mai 2021, le Conseil de discipline prit la décision qui suit :

« (…) Vu l'instruction disciplinaire diligentée contre … par le commissaire du Gouvernement adjoint, ci-après le commissaire, régulièrement saisi en application de l'article 56, paragraphe 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, ci-après le Statut, par un courrier du Ministre de l'Education nationale, de l'Enfance et de la Jeunesse du 6 octobre 2020 et transmise pour attribution au Conseil de discipline par courrier du 16 février 2021.

Vu le rapport d'instruction du 29 janvier 2021.

Vu la convocation de … pour l'audience du 27 avril 2021.

… se voit reprocher dans la lettre de saisine du 6 octobre 2020 les faits suivants :

« Depuis le mois de mars 2020, et sans préjudice quant à une date plus exacte, Monsieur … n'a cessé de commenter, publiquement, sur un ton et dans des termes inappropriés, polémiques, et totalement exagérés, la prise de politique gouvernementale qu'il est censé exécuter, ainsi que les décisions prises par le Gouvernement en matière d'ouverture des écoles dans le cadre de la crise sanitaire du COVID-19. Monsieur … a employé des termes désobligeants, voire injurieux envers Monsieur le ministre de l'Education nationale, de l'Enfance et de la Jeunesse.

Plus particulièrement les propos incriminés tenus par Monsieur … résultent de plusieurs articles de presse ainsi que d'un message électronique du 9 juillet 2020 qu'il a adressé en sa qualité de Président d'école à des collègues de travail.

Dont notamment :

- Le 28 mars 2020 un article de … intitulé « Net déi néideg didaktesch a pedagogesch Kenntnisser » paru au Luxemburger Wort, dans lequel, ce dernier s'exprime, en sa qualité d'instituteur, de la manière suivante :

« (…) Déi néi Medie gi vum Ministère als Allheelmëttel dohinner gestallt a verherrlecht.

Et gëtt den Eltere versprach, dass d'Schoul weidergeet „Schoul doheem". Mat e bësse logeschem Mënscherverstand wees jiddweree fir sech selwer, dass dat e schéint Mäerchen ass. » - Le 23 mai 2020, dans un article paru au Tageblatt et intitulé « Keine kindgerechten Bedingungen » interview, … est cité comme suit :

« was … richtig wütend macht, ist die Tatsache, dass die Kinder dem Ministerium in der ganzen Geschichte egal zu sein scheinen. „Egal zu welchem Preis, nun muss die Schule aufgehen. Und die Kinder müssen zu jedem Preis den ganzen Tag unterkommen, damit die Eltern wieder arbeiten gehen können, um die Wirtschaft anzukurbeln. Das ist ein groes Problem für mich. Die Schule ist keine billige „Garderie", die es der Wirtschaft eines Landes ermöglicht, wieder zu brummen. Das kann es nicht sein. Damit komme ich nicht klar. Denn die Kinder sind es, die am Ende darunter leiden, weil sie diese fragwürdige Situation ausbaden müssen, weil sie während sechs Wochen in einem Umfeld leben müssen, das meiner Meinung nach nicht kindgerecht ist." 3 (…) „Er (M. …) erklärt wieso: „Claude Meisch operiert stets nach dem gleichen Schema.

Er gibt eine Pressekonferenz und ganz Luxembourg hört zu. Die Bevölkerung, die Lehrer, die Eltern, die Erzieher und die Gemeinde sitzen alle da und erfahren, was beschlossen wurde. Im selben Augenblick klingelt hier das Telefon. Die Leute fragen nach, was das gerade vom Minister Deklarierte nun bedeutet. Und ich muss dann sagen, dass ich es nicht weiss, weil ich es ebenfalls soeben erst erfahren habe. Dann sagen die Leute: „Sie sind doch Schulpräsident.

Wieso wissen Sie das nicht? " Dann steht man da wie einer, der nicht wei, was er tut." … nennt es die „Meisch-Art". Er stelle die Leute einfach vor vollendete Tatsachen. „Das kann doch nicht sein. Man muss sich mit seinen Leuten absprechen." Doch Meisch zeige immer wieder, dass er sich nicht mit den Akteuren des Bildungswesens austauscht. … selbst sei mal Gewerkschafter gewesen. Das Ministerium habe die Gewerkschafter zu sich gerufen und darüber informiert, was beschlossen wurde. Es fand keine Diskussion statt. Vor der Presse habe Meisch das dann als Austausch oder Diskussion mit den Gewerkschaften verkauft. „ Herr Meisch, wieso sprechen Sie nicht mit den Leuten auf dem Terrain? » - Le 26 juin 2020, dans un article paru au journal « Tageblatt » et intitulé „Wünschenswerte Rückkehr zur Normalität", dont … est l'auteur, il s'exprime, en sa qualité d'instituteur et de président du comité d'école, de la façon suivante :

« Ich war bereits vor dem 25. Mai der Meinung, dass man die Schule unter diesen nicht kindgerechten Bedingungen geschlossen hätte lassen sollen. Ein Elternteil hätte CPRF (congé pour raisons familiales) bekommen sollen und die Kinder wären in der bestmöglichen Obhut gewesen, statt oft von 8 Uhr morgens bis 18 Uhr abends von fremden Personen im stets selben Raum betreut zu werden. Dann hätte man den Schulbetrieb zum Datum der Lockerungen und Wiedereröffnungen von Cafés, Terrassen, Restaurants und Bars wieder normal aufgenommen, dies ohne A- und B- Gruppen, und zusätzlich alle Spielplätze freigegeben. Kosten für drei weitere Wochen CPRF hätten wahrscheinlich die aktuellen Ausgaben, zu denen das ganze Material (Buffs, „masques chirurgicaux", Plexiglaswände, Warnsignale, Desinfektionsgel und die dazugehörigen Spender usw…), mit dem Schulen, Kinder, Lehrer und Erzieher ausgerüstet worden sind, gehört, plus 1.500 Studenten und hunderte Erzieher, die zusätzlich für zwei Monate eingestellt werden mussten, nicht überschritten. Ich kann verstehen, dass man als Politiker in einer solch schweren Krisenzeit sehr unter Druck steht. Das ganze Land schaut einem über die Schulter, wartet und hofft. Ständig ist man enormen Belastungen ausgesetzt, man muss Rücksprache mit dem Gesundheitsministerium halten, Gewerkschaften um Rat fragen, mit Verantwortlichen vom „ terrain" reden, Risiken abwiegen und Entscheidungen treffen. Lebensqualität und der Öffentliche Dienst Trotzdem wäre es nett, Herr Meisch, das nächste Mal zuerst Ihre Arbeitskollegen zu informieren und Erklärungen zu geben, bevor alle zusammen auf Stand gesetzt werden. » - Le 9 juillet 2020, …, en sa qualité d'instituteur et président du comité d'école, s'est adressé à ses collègues de travail, par courriel, dans les termes suivants :

« Salut alleguer, 4 Ech soen Iech elo wat ech perseinlech dovunner halen.

Wäll de Minister keng Eer huet fir d'Joër z'annulléieren fir all Schüler, wäll en soss mengt wichteg Wielerstëmmen ze verléieren, Wielerstëmmen déi en souwéisou net méi huet, wäll mëttlerweil kënnen d'Elteren hien och net méi hunn… (…) (Et soll mer keen mat Differenzéierung kommen, wäll fir mech ass dat net emsetzbar.

Dach, wanns de 5 Schüler hues. Awer net wanns de 20 Schüler hues wou dovunner een Autist an der Klass ass (wou lnklusion gemeet gett = 4 Stonnen d'Woch assistance an duerno debrouille toi), 1 wou dauernd ausflippt, 5 déi ultra schwaach sinn, 3 wou mega staark sinn, 2 wou mega schai sinn etc … do ass Differenzéieren net permanent méiglech. Maybe ab und zu.

Dat wor e Pedagog deen nie eng Klass vu bannen gesinn huet an eng schéin Theorie op sengem Büro erfonnt huet an sech haut Milliounen mat deem Quatsch verdengt. An eise Ministère fennt dat natierlech super, wäll dat kënnt gutt un bei den Elteren) Jiddefalls, eise Schüler am c3.1. kann dann dat Joër do och net duerchfaalen wäll mer jo an deenen wonnerbaren idioteschen Cylen schaffen. Also kinnt en erreicht am c3.2.

duerchfaalen fir eppes wat hien am c2.2 net geléiert huet.

Dem Ministère ass dat elo e bessi ageliicht, a fir sech selwer ofzesecheren (falls häno Elteren meckeren kommen wäll hiert Kand d'Schlappen verléiert am nächsten Joer kënne se soen „mee mir hunn dach Nohellef ugebueden") wellen si Nohellef Cours'en am Summercongé proposéieren, natierlech op eis Käschten. Ok Munscher soen sech „Kommt, mir hunn 2 Méint fräi, da kënne mer dat maachen".

Nee! Eben net! Dann sinn dat Leit déi net anstänneg schaffen wou dat behaapten. Wäll een deen gutt Schoul hällt, deen ass den 15. Juli um Enn an ass frou fir Energie ze tanken.

(zumools no deser Situatioun) (ass och erem kontradiktoresch, de Minister seet an der Pressekonferenz „also wann d Enseignanten eemol eng Summervakanz verdengt hätten, da wier et awer elo" deen Arsch, an all déi aner Joeren net oder wéi soit… an dann seet en am nächsten Otemzuch mir sollen an der Summervakenz schaffen kommen) Mat 20 Kanner all Dag schaffen ass net 8 Stonnen am Büro setzen an virun engem Ecran schaffen. Dat ass eng ganz aner Intensivitéit vum Beruff. Mengen dat brauch ech Iech net z‘erklären. An do ass et gerechtfärtegt dass een méi repos brauch.

Dofir bieden ech Iech dës Offer, och wann se bezuelt ass, net unzehuelen. Wäll domat ennersetzten mir just deen ganzen Schäiss. Se sollen roueg all d'nächst Joër d'Schlappen verléieren. Fir dass d'Leit gesinn dass et Fehler wor. An mir sollen deen natierlech op eis Käschten ausbueden. Virun allem färten ech, vu dass jo emmer méi op eis Schelleren getesselt gett, dass se iergendwann soen „ Hmm dat mat der Nohellef klappt jo gutt am Summer, mir maan dat elo emmer, an iergendwann obligatoresch" Mir mussen eis wieren a net ewei brav Scheewecher all Quatsch matmaachen just wäll de Supérieur dat seet.

Maach sinn dass verschidde Kanner d'Chance haaten doheem Elteren ze hunn déi kapabel woren mat hinnen anstänneg ze léieren, mee weivill Kanner ginn et déi dës Méiglechkeet net haaten, déi wou schoulesch just eppes leeft wann se an der Schoul sinn, an déi wou soss all déi Zäit vum Confinement an homeschooling keen Blat am Buch emgedreint hunn (wat net hir Schold ass, mee déi vun den Elteren). Ass da net sozial Ongerecht? An e 5 Schüler deen gutt geleiert huet an d'Matière nacheemol gesäit gett a mengen Aen net méi domm dovunner. Et sinn eischter d'Elteren vun dësem Schüler déi e Problem domat hunn wäll se d'Situatioun egoistesch gesinn aus hirem point de vue, wäll se mengen hiert Prenzekand hätt dat awer net verdengt bestroft ze ginn an ze doubléieren weent den arme Schwäin déi net dofir kënnen, an dobäi denken se net un dat Gesamt an un d'sozial Gerechtegkeet. Sozial Gerechtegkeet heescht och emol Opfer ginn am Interet vun der Gesellschaft. Wei fillt e Kand sech wat doheem schon souweisou vernoléissegt gett, an duerch dës ongerecht Situatioun och nach gesot kritt du fälls duerch. An säin Kolleeg aus guddem Haus deem all Wonsch doheem vun de Lepsen ofgelies gett, deen kennt duerch. Mir splecken domat eis Gesellschaft. A mir bilden Haass a Näid. » À l'audience du Conseil de discipline du 27 avril 2021, …, assisté par son avocat, a renvoyé à ses prises de position effectuées dans le cadre de l'instruction disciplinaire. Il déclare ne pas pouvoir contester, ni le contenu des articles de presse dont il est l'auteur, publiés respectivement dans deux quotidiens luxembourgeois, ni le contenu du courriel adressé à ses 69 collègues de travail, mais il estime que certains de ses propos reproduits par le journaliste dans un article paru le 25 mai 2020 dans un des quotidiens auraient été déformés, tout en concédant cependant, à l'instar de son audition devant le commissaire, que le « message principal contenu dans l'article traduit cependant plus ou moins fidèlement ce que je voulais dire ». Il admet, en dépit de la connaissance du contenu de la lettre circulaire du Premier Ministre du 7 janvier 2016 sur les droits et devoirs des agents de l'Etat dans leurs relations avec la presse, ne pas s'être adressé à l'attaché de presse du Ministère afin de le mettre en mesure de répondre à la demande du journaliste en question, ni n'avoir sollicité et obtenu l'accord préalable pour pouvoir s'exprimer personnellement. Il considère que même si certaines critiques exprimées par lui au sujet de la politique menée par le Ministre pour lutter contre la propagation du virus se sont avérées infondées, il serait toujours persuadé que l'on aurait mieux pu organiser les différentes mesures mises en place en se donnant la peine d'écouter l'avis des gens du terrain. Ces derniers, d'après lui, se seraient souvent retrouvés devant le fait accompli, réduits à fonctionner en transposant des mesures communiquées par une conférence de presse. … dit avoir agi de manière impulsive et naïve, voire avoir employé dans le courriel adressé à ses 69 collègues des termes, sans réfléchir, ayant dépassé ses pensées et d'avoir ainsi eu recours à des expressions grossières à l'adresse du Ministre. S'il reconnaît que la méthode choisie n'aurait pas été des plus judicieuses, il donne toutefois à considérer qu'il n'aurait pas vu d'autre possibilité, son engagement dans le passé au sein d'un syndicat ne lui aurait pas non plus permis de se faire entendre. Il exprime son intention, une fois la procédure disciplinaire terminée, de s'adresser personnellement au Ministre pour lui présenter des excuses. Finalement, il insiste sur son engagement en tant qu'instituteur, profession qu'il embrasserait toujours et encore avec beaucoup de motivation et qui n'aurait jamais donné lieu à critique, pour réitérer sa volonté de continuer à exercer à l'avenir cet emploi.

Son avocat a plus amplement insisté sur les différents aspects et arguments abordés par son client pour relever que l'opinion de son client aurait reflété celle d'une large majorité d'enseignants plongés dans des situations de stress extrêmes et frustrés par le manque de soutien des différents services du Ministère. Même s'il était indéniable que … n'aurait pas dû se livrer à ces publications et n'aurait pas dû employer à l'encontre du Ministre les expressions mises en exergue dans la lettre de saisine, comportement pour lequel une sanction s'imposerait certes, toujours serait-il que son client aurait agi sans mauvaise arrière-pensée et sans intention de vouloir nuire, mais, ses agissements seraient à situer dans un contexte sans précédent de sorte qu' un risque de récidive ne serait ainsi pas à craindre. Son client aurait 6 par ailleurs continué pendant l'année scolaire 2020/2021 à bénéficier de la confiance aussi bien du Ministre que de ses collègues de travail alors qu'il n'aurait pas été révoqué de sa fonction de président du comité d'école, fonction qu'il exercerait toujours. L'avocat appelle ainsi à la clémence du Conseil de discipline tout en donnant à considérer que … n'a aucun antécédent à charge et que le travail presté par lui en tant qu'instituteur n'a jamais fait l'objet de critiques.

La déléguée du Gouvernement a relevé que tous les reproches formulés dans la lettre de saisine se trouvent dûment documentés au dossier et ne sont par ailleurs pas autrement contestés. Elle ne partage pas les multiples tentatives déployées par … pour minimiser ses agissements alors que le devoir de loyauté, de réserve et de discrétion qui s'impose à lui en tant qu'agent de l'Etat revêtirait une importance toute particulière de nature à justifier certaines restrictions à son droit à la liberté d'expression, tel que garanti par l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, principe qui aurait été confirmé par un arrêt de la Cour administrative du 7 juin 2016. Par ses critiques, souvent purement gratuites, et son dénigrement ciblé de la politique du Gouvernement en général et de la politique du Ministre de l'Education nationale, de l'Enfance et de la Jeunesse en particulier, colorées par le recours à des propos méprisants, insultants et hautement injurieux à l'égard du Ministre, ainsi qu'à des propos irrespectueux adressés à l'attention des parents d'élèves, il aurait ouvertement et intentionnellement d'un côté dénigré et boycotté les mesures qu'il est censé exécuter et d'un autre côté contrevenu à sa fonction primaire de président du comité d'école dont une des missions consiste notamment à assurer les relations avec les parents d'élèves. Il ne serait ainsi plus crédible dans cette fonction et parfaitement indigne de pouvoir briguer à l'avenir un pareil poste. Après concertation avec le Ministère de l'Education nationale, de l'Enfance et de la Jeunesse, elle requiert, au vu de la gravité des reproches à retenir, constitutifs de manquements aux articles 9, 10 et 14 du Statut, le changement d'administration de … avec une exclusion temporaire de ses fonctions pour une période de 6 mois avec privation totale de la rémunération.

Le Conseil de discipline estime qu'il n'y a pas lieu de se méprendre : être fonctionnaire n'est pas synonyme de renonciation à une opinion propre, ni de ne jamais la partager, mais c'est dans la façon dont on s'exprime que tout se joue ; il faut encore être vigilant à ne pas faire d'amalgame entre sa fonction et ses opinions personnelles, dès lors que la nature même de la fonction publique exige de ses membres une obligation de loyauté et de réserve et est partant de nature à constituer une restriction légalement autorisée à la liberté d'expression. Dans son arrêt du 2 septembre 1998 la Cour européenne des droits de l'homme (Ahmed et autres c.

Royaume-Uni) a souligné « la mission des fonctionnaires dans une société démocratique étant d'aider le gouvernement à s 'acquitter de ses fonctions et le public étant en droit d'attendre que les fonctionnaires apportent cette aide et n'opposent pas d'obstacles au gouvernement démocratiquement élu, l'obligation de loyauté et de réserve revêt une importance particulière les concernant ». Cette liberté d'expression ne pourrait l'emporter sur ces devoirs que sous certaines conditions clairement circonscrites par la CEDH dans son arrêt du 12 février 2008 (affaire GUJA/MOLDOVA), lesquelles ne sont pas en cause dans la présente affaire.

À l'instar de l'appréciation effectuée par le commissaire et des conclusions tirées par la déléguée du Gouvernement à l'issue de l'instruction diligentée, il ressort à suffisance du dossier disciplinaire, dont les articles de presse et le courriel versés à l'appui des reproches, que … a publiquement critiqué, dénigré et remis en question la politique d'enseignement et la politique de communication du Ministère de l'Education nationale, de l'Enfance et de la Jeunesse adoptées dans une situation de crise sanitaire mondiale déclarée par l'organisation 7 mondiale de la santé le 30 janvier 2020 (projet de loi 7607), a encouragé, en sa qualité de président du comité d'école fondamentale … à …, ses 69 collègues de travail à se joindre à lui pour boycotter les efforts déployés par le Ministère pour lutter contre la pandémie et ses répercussions, a offensé, insulté, injurié la personne du Ministre, a porté atteinte à sa considération et a jeté le discrédit tant sur l'administration que sur l'honorabilité professionnelle du Ministre.

Il importe de signaler que les prises de positions virulentes truffées d'écarts de langage et de grossièretés dont … a été l'auteur, loin d'avoir été, comme il entend le soutenir, le fruit d'une action impulsive animée par une frustration passagère à expliquer par un contexte exceptionnel, témoignent, par le fait d'être adressées à la presse et contenues dans plusieurs articles publiés à des intervalles espacés, d'une détermination bien réfléchie. Instituteur de formation, de surcroît président du comité d'école, … n'a pas pu et ne peut se méprendre sur le fait que la médiatisation polémique de publications reflétant ses opinions purement personnelles, renforcées par le recours à une terminologie particulièrement vulgaire et inacceptable, s'analyse en une démarche ciblée destinée à contrecarrer la politique d'enseignement mise en œuvre par le Ministère de l'Education Nationale et à nuire au Ministre du ressort. Le courriel du 9 juillet 2020, adressé également en sa qualité d'instituteur et de président du comité d'école à ses 69 collègues, les encourageant, en adoptant une attitude manipulatrice incitant au boycott, constitue une illustration parfaite aussi bien de cette volonté de déjouer les efforts entrepris par le Ministère qu'encore, eu égard à la terminologie employée, aussi bien à l'encontre du Ministre qu'à l'encontre des parents d'élèves, de son inaptitude professionnelle pour satisfaire aux attributions lui confiées en tant que président du comité d'école.

Les reproches dont est convaincu … et amplement caractérisés ci-dessus constituent un manquement aux obligations statuaires suivantes :

- à l'article 9 paragraphe 1 du Statut pour avoir omis à se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l'exercice de ses fonctions lui impose, dont les instructions du Gouvernement qui ont pour objet l'accomplissement régulier de ses devoirs ainsi qu'aux ordres de service de ses supérieurs ;

- à l'article 9 paragraphe 2 du Statut en vertu duquel le fonctionnaire est responsable des tâches qui lui sont confiées pour ne pas avoir respecté les obligations découlant notamment de la lettre circulaire du Premier Ministre du 7 janvier 2016 sur les droits et devoirs des agents de l'Etat dans leurs relations avec la presse ;

- à l'article 10, paragraphe 1, alinéa 1 et alinéa 2, du Statut qui dispose « Le fonctionnaire doit, dans l'exercice comme en dehors de l'exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public. Il est tenu de se comporter avec dignité et civilité tant dans ses rapports de service avec ses supérieurs, collègues et subordonnés que dans ses rapports avec les usagers de son service qu'il doit traiter avec compréhension, prévenance et sans aucune discrimination » pour avoir porté atteinte à la dignité de sa fonction, à la capacité de l'exercer, donné lieu à scandale et compromis les intérêts du service public ;

- à l'article 14 paragraphe 1 du Statut selon lequel le fonctionnaire est tenu aux devoirs de disponibilité, d'indépendance et de neutralité.

8 Aux termes de l'article 53 du Statut, l'application des sanctions se règle notamment d'après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé. Elles peuvent être appliquées cumulativement.

Il ne faut pas avoir beaucoup d'imagination pour se rendre à l'évidence quel sort aurait été réservé à … dans le secteur privé dès la première publication critique de la politique de son employeur, lequel, de surcroît, se serait vu gratifier de qualificatifs humiliants, offensants et hautement injurieux de la part de son salarié.

Il est indéniable que l'argument de … de n'avoir aucun antécédent disciplinaire et d'avoir pu continuer à occuper la fonction de président du comité d'école s'estompe face au constat avéré qu'il a, à d'itératives reprises, contrevenu à ses obligations de dignité, d'impartialité, d'intégrité, de probité, d'obéissance hiérarchique, de neutralité, de discrétion professionnelle et de réserve. La violation flagrante et extrêmement grave des obligations lui incombant aurait certes pu justifier le recours à la sanction prévue par l'article 47.9 du Statut.

Le Conseil de discipline tient cependant compte des considérations relatives à la sanction à prononcer émises par la déléguée du Gouvernement de concert avec le Ministère du ressort pour ne pas envisager cette éventualité.

…, en tant que président d'école, nommé, conformément à l'article 41 de la loi modifiée du 6 février 2009 portant organisation de l'enseignement fondamental, par le Ministre parmi les instituteurs membres du comité d'école et sur proposition de ce dernier, s'est, eu égard aux manquements retenus, disqualifié par rapport aux missions et attributions lui confiées par l'article 42 de la loi précitée notamment aussi par rapport au rôle à assumer vis-à-vis des parents d'élèves. Il est ainsi tout simplement inconcevable que … puisse continuer à assumer la fonction de président du comité d'école vu que son comportement déloyal, non seulement vis-à-vis du Ministre mais également vis-à-vis des parents d'élèves, est de nature à entacher irrémédiablement et définitivement la relation de confiance qui doit nécessairement se trouver à la base d'une pareille mission. De surcroît, la façon de communiquer avec ses collègues, notamment de les instiguer au boycott des mesures décidées par le Ministère, démontre clairement son incapacité d'assurer une gestion du personnel efficace et de maîtriser le défi lui imposé par la crise sanitaire.

Le Conseil prononce ainsi, conformément aux dispositions de l'article 47.8 du Statut, l'exclusion temporaire avec privation totale de la rémunération de … pour la durée de 6 mois ainsi que, conformément à l'article 47.4 du Statut, le déplacement de … consistant en un changement d'affectation.

Par ces motifs :

le Conseil de discipline, siégeant en audience publique, … régulièrement convoqué, assisté par son avocat, statuant contradictoirement, sur le rapport oral de son président, le fonctionnaire et son avocat entendus en leurs moyens de défense et la déléguée du Gouvernement entendue en ses conclusions, prononce à l'égard de … du chef des manquements retenus ci-dessus la sanction disciplinaire prévue à l'article 47.8 et à l'article 47.4 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, à savoir, le déplacement de … consistant en un 9 changement d'affectation ainsi que l'exclusion temporaire avec privation totale de la rémunération de … pour la durée de 6 mois ;

condamne … aux frais de la procédure, ces frais étant liquidés à 48,30 euros. (…) ».

Par un arrêté grand-ducal du 26 juillet 2021, les sanctions disciplinaires du changement d’affectation ainsi que celle de l’exclusion temporaire avec privation totale de la rémunération pour une durée de six mois furent appliquées à l’encontre de Monsieur ….

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 6 août 2021, inscrite sous le numéro 46340 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision précitée du Conseil de discipline du 18 mai 2021.

Par requête séparée déposée au greffe du tribunal administratif en date du 15 novembre 2021, inscrite sous le numéro 46690 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de l’arrêté grand-ducal du 26 juillet 2021, pris en exécution de la décision du Conseil de discipline.

Quant au recours dirigé contre la décision du Conseil de discipline Aux termes de l’article 54, paragraphe 2 du statut général prévoyant un recours au fond contre les décisions du Conseil de discipline prononçant une sanction disciplinaire à l’encontre d’un fonctionnaire, sur renvoi du commissaire du gouvernement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par Monsieur … contre la décision précitée du Conseil de discipline du 18 mai 2021, lequel est encore à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que le délégué du gouvernement se rapporte à la prudence de justice, en ce qui concerne la recevabilité en la pure forme de la requête introductive d’instance, ce tant en ce qui concerne la compétence ratione materiae que la compétence ratione temporis, puis demande que le recours soit déclaré irrecevable dans le dispositif de son mémoire en réponse, sans développer d’argumentation afférente, alors qu’une contestation non autrement développée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence des parties dans la présentation de leurs moyens, étant encore relevé que le tribunal n’entrevoit pas de moyen d’irrecevabilité qui serait à soulever d’office.

Argumentation des parties A l’appui de son recours et en fait, tout en reprenant les rétroactes passés en revue ci-

avant, le demandeur explique être instituteur dans l’école fondamentale … à … et, au moment des faits, avoir également été président du comité d’école de l’école fondamentale … à …. En date des 28 mars et 26 juin 2020, deux articles de presse rédigés par lui auraient été publiés sous son nom dans le Luxembourg Wort, respectivement dans le Tageblatt. L’édition du Tageblatt du 23 mai 2020 contiendrait en outre un article d’un journaliste de ce quotidien dans lequel ses déclarations ainsi que celles d’autres personnes seraient reprises, l’article se basant sur des recherches du journaliste auprès d’une multitude de personnes. Le demandeur indique que les articles feraient partie du dossier lui remis dans le cadre de la procédure disciplinaire dont il aurait fait l’objet. Il fait valoir que ferait également partie de ce dossier disciplinaire un courriel qu’il aurait adressé en date du 9 juillet 2020 à des collègues de travail.

Le demandeur explique avoir délibérément énuméré les écrits lui reprochés de façon séparée étant donné qu’ils seraient à considérer séparément.

En droit, le demandeur fait valoir qu’il travaillerait depuis le 15 septembre 2013 dans l’enseignement public et que ses compétences professionnelles n’auraient à aucun moment été mises en doute à ce jour, alors qu’au contraire, de nombreux collègues de travail mettraient en avant ses multiples qualités qui feraient de lui un collègue et enseignant très largement apprécié, qualité qui lui aurait également permis d’assumer en tant qu’enseignant relativement jeune, la fonction de président du comité d’école de l’école fondamentale … à ….

Il donne à considérer que tout au long de la crise sanitaire, et donc aussi durant la période visée par l’instruction disciplinaire, il aurait, notamment en sa qualité de président du comité d’école, été amené à constater quotidiennement sur le terrain des faits qui l’auraient inquiétés, lui, aussi bien qu’un nombre significatif d’autres acteurs au sens large, concernés par l’enseignement, ce qui serait d’ailleurs confirmé par le journaliste Monsieur R. dans son article paru en date du 23 mai 2020 dans le Tageblatt, faisant état d’un nombre important d’inquiétudes lui adressées, formulées par des acteurs de l’enseignement, sur la prochaine rentrée des classes des élèves.

En se référant aux développements du Conseil de discipline dans sa décision du 18 mai 2021, appréciant son comportement contraire aux obligations statutaires, le demandeur estime que toute personne pourrait évidemment interpréter différemment des articles de presse et y apposer les qualificatifs qu’elle estimerait appropriée, ce en fonction des considérations et sensibilités personnelles.

Le demandeur met en exergue qu’il serait utile de traiter de manière séparée les articles de presse visés et le courriel unique qu’il aurait adressé à certains de ses collègues de travail, ainsi que leur contenu, au regard du fait que le courriel visé contiendrait indubitablement des tournures pouvant être qualifiées de vulgaires et grossières, ce qui ne serait cependant pas le cas pour les articles de presse, et ce, tout en tenant compte des sensibilités personnelles précitées. Il critique le Conseil de discipline et le délégué du gouvernement au Conseil de discipline d’avoir également prêté de telles qualifications aux articles de presse, sans cependant détailler d’aucune façon les passages visés ni en quoi lesdits passages revêtiraient un tel caractère. Le demandeur estime que tout au long de la procédure, il lui aurait essentiellement été reproché d’avoir manqué, en sa qualité de fonctionnaire, de loyauté, de dignité, de retenue et d’objectivité, alors que, selon lui, ces mêmes principes s’appliqueraient aussi aux fonctionnaires intervenants tout au long de la procédure disciplinaire.

Il reproche ainsi à la décision du Conseil de discipline du 18 mai 2021, de ne pas avoir été suffisamment motivée. Le demandeur estime à cet égard que la décision litigieuse se limiterait à formuler des reproches, de surcroît graves, de façon très générale sans rattacher de façon précise les reproches formulés aux faits visés, ce qui ne saurait être maintenu en tant que tel. Il donne à considérer que la décision du Conseil de discipline du 18 mai 2021 ne contiendrait pas de motivation suffisamment précise ayant pu lui permettre de comprendre en quoi les différentes déclarations lui reprochées pourraient être qualifiées d’un ou de plusieurs des adjectifs parsemant de façon imprécise et générale la décision.

Quant à la gravité des faits commis, le demandeur souligne qu’en tout état de cause, au stade actuel, il ne pourrait que se limiter à contester que les articles de presse critiqués contiendraient des déclarations qui heurteraient les obligations découlant du statut général desfonctionnaires de l’Etat de sorte qu’il estimerait ne pas avoir commis de faute au niveau des articles de presse discutés, et ce sur base du droit lui assuré par l’article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après dénommée « la CEDH », à savoir celui d’exprimer son opinion.

À cet égard, il fait relever que si l’application de l’article 10 de la CEDH à son cas d’espèce serait discutée par le commissaire du gouvernement adjoint, le délégué du gouvernement au Conseil de discipline et le Conseil de discipline, en se référant à des décisions européennes et nationales, ils seraient tous arrivés à la conclusion qu’il ne pourrait pas bénéficier dudit article en raison des faits propres à son cas et l’obligation de réserve du fonctionnaire. Or, le demandeur souligne que toutes ces décisions auraient en commun de comporter une partie d’analyse plutôt générale dans laquelle les principes et limitations de l’article 10 de la CEDH seraient exposés et une partie particulière dans laquelle ils seraient discutés par rapport à un cas particulier au vu des faits propres à ce cas et quant à l’atteinte ou non à la liberté d’expression in concreto. Le demandeur soutient que si tous les cas cités par les acteurs de la procédure disciplinaire concluraient que le fonctionnaire visé ne pouvait pas faire valoir le principe de la liberté d’expression en sa faveur pour les actions spécifiques y afférentes, il y aurait lieu de relever que les faits visés dans lesdites décisions n’auraient aucun lien avec les faits de la présente espèce. Ainsi, dans l’affaire Vogt, concernant une enseignante allemande très politiquement active au sein d’un parti politique ayant ouvertement appelé au renversement du système démocratique instauré en Allemagne de l’Ouest, qui aurait notamment donné une interview au cours de laquelle elle se serait plainte d’un harcèlement contre sa personne à son lieu de travail en indiquant de fausses informations sur un supérieur ainsi que des faits concernant la vie privée de celui-ci. L’affaire Ahmed et autre / Royaume Uni concernerait, quant à elle, une question relative à la restriction d’un engagement politique à côté de leur travail d’une catégorie très limitée de fonctionnaires locaux. Le demandeur en conclut que ces décisions auraient été utilisées hors contexte sans que les cas d’espèces ressemblent à celui du présent dossier.

Le demandeur donne ensuite à considérer que les pièces communiquées par le ministère de l’Education nationale, de l’Enfance et de la Jeunesse, ci-après dénommée « le ministère », démontreraient que ce dernier aurait été en possession des articles de presse en date du 30 mars, 25 mai, respectivement 26 juin 2020 sans qu’aucun de ces articles n’aurait appelé la moindre remarque du ministère avant le courrier de Monsieur M. du 27 juillet 2020. Il estime que si les points de vue y contenus auraient vraiment eu un quelconque impact et auraient été tellement inacceptables tel qu’exposé ultérieurement, il ne s’expliquerait pas pour quelle raison il n’y aurait pas eu de réaction telle que notamment la mise en application d’un droit de réponse ou un ordre de justification à son égard, avant le courrier du 27 juillet 2020. Cette absence totale de réaction face à un comportement apparemment tellement grave prouverait à lui seul que les articles visés ne comporteraient aucun élément d’une quelconque gravité.

Par référence au courriel du demandeur adressé à ses collègues de travail le 9 juillet 2020, il concède avoir utilisé dans ce courriel des mots vulgaires et certainement inappropriés pour lesquels il se serait d’ailleurs excusé à l’occasion de son audition ainsi que lors de l’audience du Conseil de discipline. Le demandeur soutient que malgré la dureté des termes utilisés, il conviendrait d’analyser le cadre et les conditions dans lesquels les termes auraient été écrits, étant d’abord à relever que ce courriel n’aurait pas été adressé au public, contrairement aux articles parus. Il considère ensuite que la lecture du texte permettrait de constater qu’il se serait trouvé dans un état émotionnel certain au moment de la rédaction dudit courriel.

Le demandeur donne à considérer que le qualificatif utilisé par rapport au ministre serait uniquement à voir en relation direct avec les déclarations de ce dernier à l’occasion d’une conférence de presse tenue peu avant la rédaction dudit courriel, lequel aurait déclaré « also wann d’Enseignanten eemol eng Summervakanz verdengt hätten, da wier et awer elo ». Il fait valoir que le ministre aurait véhiculé l’idée très populiste que les enseignants disposeraient de trop de temps libre par rapport au travail qu’ils fournissent, ce qui aurait été difficile à entendre après une phase dans laquelle les enseignants, comme évidemment d’autres corps de métier, auraient fourni un effort sensiblement supérieur par rapport à un quotidien habituellement déjà difficile, ce qui serait forcément très mal reçu. Le demandeur avoue avoir réagi à chaud et rédigé un courriel peu cohérent, mélangeant tout un tas de points différents lequel lui aurait valu essentiellement sinon exclusivement la présente procédure, de sorte qu’il sollicite du tribunal d’apprécier à sa juste valeur ledit courriel et sa teneur et d’en tirer une conséquence juste qui ne serait pas celle retenue par le Conseil de discipline dans sa décision du 18 mai 2021.

Quant aux obligations imposées à tout fonctionnaire, il estime que son courriel ne serait pas considéré en son intégralité par le Conseil de discipline qui passerait complètement sous silence la fin dudit courriel, pouvant aboutir à des conclusions moins évidentes que celles retenues par le Conseil de discipline.

S’agissant d’un manque de respect par rapport à certains parents d’élèves, le demandeur donne à considérer que son courriel n’aurait pas été destiné au grand public et que personne ne pourrait lui reprocher d’avoir discriminé d’une quelconque façon un élève ou un parent. Il explique être surpris par la façon dont le Conseil de discipline semblerait vouloir justifier la sévérité de sa décision en comparant son sort probable pour des faits similaires dans le secteur privé, comparaison qu’il juge sans pertinence.

Le demandeur affirme qu’il serait conscient que le portefeuille ministériel assuré par le ministre ne serait certainement pas la charge ministérielle la plus facile à remplir, mais il estime que la sanction prononcée à son encontre serait largement surfaite.

Il réitère ses développements en ce qui concerne le caractère inapproprié des termes utilisés dans son courriel à l’égard du ministre, tout en estimant que ses autres déclarations contenues dans les articles de presse ne constitueraient pas, par leur forme et contenu, un manquement à ses devoirs de fonctionnaire, déclarations devant être considérées comme permises en raison de son droit de s’exprimer librement, de sorte à ne pas entraîner de sanction disciplinaire. Il sollicite partant une sanction moins sévère.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement fait relever que si le demandeur aurait sollicité la clémence au cours de la procédure disciplinaire, il aurait toutefois récidivé deux jours après avoir réceptionné le rapport d’instruction en publiant un message sur son compte public Facebook en y faisant part de ses réserves quant au concept de « homeschooling », de sorte que son repentir ne serait pas sincère et que ses agissements ne constitueraient en rien un étourdissement momentané, mais bel et bien l’expression d’une inimitié inacceptable et purement personnelle à l’égard de la personne du ministre qu’il viserait à décrédibiliser vis-à-vis du public et de ses collègues. Il rajoute qu’une personne ayant agi sans intention véritable ne se serait pas permise de faire une telle publication en sachant pertinemment que des reproches vis-à-vis de son expression, jugée déplacée, venaient d’être formulés.

Quant au fond, le délégué du gouvernement, conclut au rejet du recours du demandeur pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

S’agissant d’un prétendu manque de motivation de la décision du Conseil de discipline, il soutient que les faits reprochés ainsi que les obligations que le demandeur aurait violées ressortiraient, à suffisance de droit, du rapport du commissaire du gouvernement adjoint ainsi que de la décision du Conseil de discipline. Le délégué du gouvernement fait ensuite relever que le Conseil de discipline aurait cité des extraits des articles de presse ainsi que du courriel du 9 juillet 2020 en soulignant et marquant en gras les mots et les expressions frappants, tout en expliquant en détail les raisons pour lesquelles les sanctions prononcées auraient été retenues et quels articles du statut général auraient été violés.

L’allégation du demandeur de ne pas comprendre en quoi ses déclarations violeraient ses obligations statutaires prouverait qu’il ne serait pas conscient du comportement fautif de sa part et qu’il serait toujours d’avis, tel que cela ressortirait clairement de son acte introductif d’instance, qu’il n’aurait commis aucune faute au niveau des articles de presse discutés. La partie étatique souligne qu’il n’y aurait aucun repentir de la part du demandeur. Il soutient à cet égard que malgré le fait que le demandeur aurait réceptionné le rapport d’instruction du commissaire du gouvernement adjoint le 2 février 2021 et sollicité la clémence du fait que la forme de ses écrits aurait dépassé ses intentions sous le feu de l’émotion, il aurait toutefois récidivé dès le 4 février 2021 par une publication sur son Facebook, de sorte que ce moyen encourrait le rejet pur et simple.

En ce qui concerne les faits reprochés, la partie étatique tient à souligner que le demandeur serait en aveu d’être l’auteur des articles de presse ainsi que du courriel du 9 juillet 2020 dont il ne contesterait pas le contenu. Or, contrairement à l’argumentation du demandeur, les mots et propos utilisés dans les articles de presse ainsi que dans le courriel seraient hautement injurieux et insultants à l’égard du ministre, mais également à l’égard du gouvernement voire même des élèves ainsi que de leurs parents.

Dans le cadre de l’article de presse du 28 mars 2020, le demandeur, accuserait le ministre, dont il serait censé exécuter la politique d’enseignement, de glorifier les nouveaux médias comme la panacée et que toute personne disposant d’un minimum de bon sens logique saurait qu’il s’agirait là d’une fable, de sorte qu’il accuserait le ministre de n’avoir aucun bon sens et de raconter publiquement des histoires sans lien avec la réalité. Le demandeur soulèverait également que les parents qui travailleraient eux-mêmes dans l’enseignement disposeraient des compétences et de l’expérience nécessaires afin de faire du « homeschooling » en laissant ainsi sous-entendre que les parents qui ne travailleraient pas en tant qu’enseignant ne disposeraient pas de telles compétences, mots étant d’autant plus frappants venant de la plume du président d’école qui serait l’interlocuteur des parents.

Concernant l’article de presse du 23 mai 2020, le délégué du gouvernement fait relever qu’il s’agirait d’une interview donnée par le demandeur, ce dernier ne contestant ni le message de l’article, ni son contenu lequel traduirait ce qu’il aurait voulu dire. Le demandeur serait dès lors en aveu de ne pas avoir respecté la circulaire du premier ministre du 7 janvier 2016 sur les droits et devoirs des agents de l’Etat dans leurs relations avec la presse suivant laquelle en cas de demande d’interview, il appartiendrait à l’agent, soit de s’adresser à l’attaché de presse du ministère afférent, soit de solliciter et d’obtenir l’accord préalable de son ministre, de sorte qu’il aurait violé l’article 9, paragraphe (1) et (2) du statut général. Dans le cadre de cetteinterview, le demandeur corroborerait qu’il ne serait pas d’accord avec la décision du ministre de rouvrir les écoles et parlerait de « keine kindsgerechte und menschliche Bedingungen unter denen die Schüler am Montag empfangen werden ». La partie étatique estime que le demandeur affirmerait donc que le ministère semblerait indifférent au bien-être des enfants et que l’unique but derrière la réouverture des écoles serait de permettre aux parents de pouvoir retravailler afin de faire redémarrer l’économie, cet état des choses le mettant en rage et constituerait un grand problème pour lui alors que l’école ne serait pas une « garderie » bon marché destinée à faire tourner l’économie du pays. Le demandeur aurait été d’avis que les écoles auraient dû rester fermées jusqu’au 15 septembre et que le congé pour raisons familiales aurait dû être accordé aux parents. Enfin dans ce même article, le demandeur aurait encore critiqué la politique de communication du ministre en la qualifiant de « Meisch Art », tout en affirmant que le ministre ne parlerait pas aux gens du terrain qui seraient mis devant les faits accomplis.

Dans l’article de presse du 26 juin 2020, la partie étatique soutient que le demandeur critiquerait une fois de plus l’ouverture des écoles et la communication du ministre.

Quant au courriel du 9 juillet 2020, le délégué du gouvernement souligne que le demandeur aurait envoyé, en sa qualité de président d’école, à 69 collègues de travail, un message dans un langage haineux et dédaigneux à l’égard du ministre et de certains parents d’élèves. Dans le cadre dudit courriel, le demandeur aurait accusé le ministre d’avoir « keng Eer » pour ne pas avoir osé annuler l’année scolaire, et ce pour ne pas perdre de voix électorales dont il ne disposerait d’ailleurs même plus, selon lui, puisque les parents d’élèves ne le supporteraient plus non plus. Il y aurait également qualifié le ministre de « Arsch », prétendu que la différenciation serait du « Quatsch » et impossible à transposer et que l’organisation scolaire en cycle serait idiote. Le demandeur aurait affirmé que la majorité des parents d’élèves n’auraient rien fait ou rien pu faire pour encadrer et supporter le « homeschooling » de leurs enfants, cette affirmation, non autrement prouvée par le demandeur, constituerait, selon la partie étatique, une gifle pour la majorité des parents qui auraient redoublé d’efforts pendant la période de confinement afin de garantir, à côté de leurs obligations professionnelles et autres, un enseignement et encadrement approprié pour leurs enfants à domicile. Le demandeur aurait également affirmé que la défaillance coupable de ces parents d’élèves aurait engendré des enfants ayant largement décroché de leur cursus scolaire, lesquels n’auraient dès lors pas les mêmes chances de succès que les enfants qui auraient été bien encadrés par leurs parents. Le demandeur estimerait que la rupture d’égalité des chances au détriment des enfants n’ayant pas été parfaitement encadrés par leurs parents, justifierait le redoublement obligatoire de tous les élèves de l’enseignement fondamental au niveau national au nom de la justice sociale, tout en reprochant aux parents d’élèves, ne partageant pas ses thèses, d’avoir des vues égoïstes en refusant que leurs enfants, qu’il qualifierait de « Prenzenkand » et « Kolleeg aus guddem Haus deem all Wonsch doheem vun den Lepsen ofgelies gett », pourraient faire un sacrifice dans l’intérêt de la société.

La partie étatique estime que par ces propos, le demandeur, aurait traité les usagers du service, parents et élèves, avec dédain et irrespect en usant un langage haineux. Il aurait insulté les parents d’élèves et aurait propagé ses convictions personnelles. Ce comportement serait d’autant plus grâve que le demandeur ne serait pas seulement enseignant, mais également le président d’école dont l’une des missions consisterait à assurer les relations avec les parents d’élèves.

Elle fait encore souligner que dans ce même courriel du 9 juillet 2020, le demandeur aurait incité les autres enseignants à boycotter les cours d’appui, ainsi au lieu d’aider lesenfants, il préférerait plutôt les abandonner à eux-mêmes en leur souhaitant un échec scolaire pour démontrer au public qu’il aurait raison et que le gouvernement et plus précisément le ministre auraient pris les mauvaises décisions. Un tel comportement serait sans doute le pire égarement imaginable dans le chef d’un enseignant et président du comité d’école. Par ailleurs, la partie étatique fait relever que pour arriver à ses fins, le demandeur aurait dénigré les enseignants qui ne partageraient pas ses vues en insinuant notamment que les enseignants qui accepteraient l’offre du ministère ne travailleraient pas correctement alors qu’un bon enseignant serait à tel point fatigué après l’année scolaire qu’il devrait se reposer entièrement pendant 2 mois et ne serait pas en mesure de donner des cours d’appui pendant les vacances d’été. Le demandeur aurait ainsi mis tout son poids de président d’école dans la balance pour pousser ses collègues de travail au boycott des mesures de cours d’appui prises en faveur des enfants par le ministère. Si le demandeur a expliqué qu’il aurait rédigé ce mail en colère, il importerait cependant de soulever qu’il ne s’agirait pas d’un mail de 2 phrases rédigées avec agitation, mais d’un mail d’une page et demie dont les formulations auraient été choisies très soigneusement et certainement relues à plusieurs reprises, de sorte que le demandeur aurait parfaitement été conscient des mots utilisés et du message que ce mail devrait refléter.

La partie étatique donne à considérer que le demandeur se contenterait de dire que les articles de presse ne contiendraient pas de déclarations heurtant les obligations découlant du statut général et estimerait ne pas avoir commis de faute en raison notamment du droit d’exprimer son opinion, prévu à l’article 10 de la CEDH. Or, elle tient à soulever que si le demandeur pourrait bien évidemment avoir sa propre opinion dans sa vie privée, il n’en serait pas de même dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, les articles de presse faisant référence à sa qualité d’enseignant et de président d’école, où il lui appartiendrait d’exécuter les décisions prises par le gouvernement et plus précisément par son ministre. En plus, la liberté d’expression garantie par l’article 10 de la CEDH ne serait pas sans limites, alors que tout en étant un droit fondamental, sa pratique serait accompagnée d’obligations et de responsabilités, raisons pour lesquelles il existerait des limites juridiquement fixées dont le but serait de protéger la réputation ou les droits des autres personnes, notamment à l’égard des fonctionnaires où la liberté d’expression s’arrêterait là où elle heurterait d’autres droits et intérêts légitimes.

Le délégué du gouvernement insiste sur le fait qu’insulter son ministre de « Arsch », « keng Eer », de dénommer les cours d’appui pour les élèves de « Quatsch » et l’organisation scolaire en cycle d’« idiotesch », tout en critiquant publiquement les mesures prises par le ministre, ne feraient certainement plus partie de la liberté d’expression. En s’appuyant sur un arrêt de la Cour administrative du 7 juin 2016, inscrite sous le numéro 37367C du rôle, la partie étatique considère qu’il se dégagerait de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, ci-après dénommée « la CourEDH », que dans une société démocratique, la liberté d’expression ne serait pas absolue, mais qu’elle pourrait être soumise à des restrictions en vertu des dispositions légales, motivées par des considérations tenant à la défense de l’ordre et à la protection de la réputation ou des droits d’autrui. Le devoir de loyauté, de réserve et de discrétion envers son employeur auquel serait tenu un agent de la fonction publique, revêtirait une importance toute particulière au vu de la mission des fonctionnaires et employés publics dans une société démocratique, dès lors que la nature même de la fonction publique exigerait de ses membres une obligation de loyauté et de réserve et serait partant de nature à constituer une restriction légalement autorisée à la liberté d’expression. Ainsi, par référence à une jurisprudence du tribunal correctionnel des Sables d’Olonne du 1er février 1951, la partie étatique conclut que l’outrage pourrait résulter de paroles, d’attitudes ou de gestes quelconques, dès qu’il serait de nature à porter atteinte à l’autorité morale de la personne visée et à diminuer le respect dû à sa fonction. Cette obligation de retenue et de réserve vaudrait, conformément àl’article 10 paragraphe (1) du statut général, pour tous les actes commis par le fonctionnaire tant dans l’exercice qu’en dehors de l’exercice de ses fonctions. Le demandeur aurait manifestement dépassé ce qui paraîtrait admissible dans une société démocratique vu qu’il aurait critiqué publiquement la politique gouvernementale et aurait attaqué personnellement le ministre, les propos établis dans son chef étant dès lors indubitablement à qualifier d’excessifs, injurieux, insultants, démesurés et absolument inacceptables.

La partie étatique conclut de tous ces éléments que le demandeur aurait manqué à ses obligations résultant de l’article 9, paragraphe (1) et (2), de l’article 10, paragraphe (1), alinéa 1 et 2, ainsi que de l’article 14, paragraphe (1) du statut général, de sorte que ce serait à bon droit que le Conseil de discipline aurait retenu les sanctions prononcées à son égard.

Dans le cadre de son mémoire en réplique, le demandeur note que la partie étatique semblerait s’intéresser aux publications apparaissant sur son profil privé Facebook alors qu’il lui serait reproché, en sa qualité de fonctionnaire, d’avoir exposé en public son opinion. Il fait valoir que le reproche nouvellement formulé à son encontre n’aurait certainement aucun lien avec sa qualité de fonctionnaire alors qu’il ne saurait lui être reproché d’avoir publié quelque chose en tant que personne privée, les sanctions prononcées à son égard trouvant justement leur fondement dans le fait d’avoir fait des déclarations en sa qualité d’instituteur et de président d’un comité d’école. Le demandeur critique en outre l’Etat de s’intéresser à ses publications privées.

Il considère en outre que les incohérences et amalgames du ministère au niveau du traitement du dossier sous examen ne s’arrêteraient pas à ce stade, alors que le Conseil de discipline aurait, quant à lui, également été victime d’erreurs ou d’approximations similaires.

Le demandeur estime qu’il existerait une différence objective entre les articles parus dans la presse et le courriel adressé à ses collègues de travail. Les expressions grossières seraient contenues dans le seul courriel, les articles de presse ne contenant ni éléments grossiers ni éléments vulgaires, mais des critiques modérées de la part d’un fonctionnaire par rapport à des décisions prises. Il donne encore à considérer qu’une lecture complète des articles soumis à discussion démontrerait d’ailleurs que sa position serait encore plus nuancée que pourrait le faire paraître les seuls extraits mis en avant par la partie étatique.

Le demandeur réitère son reproche selon lequel ni le Conseil de discipline ni la partie étatique ne préciseraient quels passages justifieraient les sanctions prises à son encontre. En ce qui concerne les trois articles de presse visés la seule expression « Meisch Art » aurait été soulignée en gras par le Conseil de discipline. Il serait encore à noter que si le Conseil de discipline aurait repris des passages des articles censés être polémiques et totalement inappropriés, la partie étatique aurait, quant à l’article de presse du 28 mars 2020, cité un passage supplémentaire à celui qui aurait posé problème aux yeux du Conseil de discipline, sans que le Conseil de discipline ou encore la partie étatique n’auraient tenu compte des nuances que le demandeur aurait apporté aux extraits cités. Le demandeur en conclut que cette façon de procéder manquerait définitivement de loyauté.

Quant au principe de liberté d’expression, le demandeur critique le Conseil de discipline en ce qu’il aurait mis en avant le droit du fonctionnaire à avoir une opinion propre et de la partager, sans cependant expliquer en quoi l’opinion exprimée par le demandeur dans les trois articles de presse serait, in concreto, en contradiction avec son obligation de loyauté et de réserve.

Le demandeur explique que le premier article concernerait plus particulièrement le « homeschooling », pratique qu’il ne critiquerait pas en tant que telle, mais où il entendrait mettre en garde qu’une telle méthode d’enseignement ne saurait fidèlement remplacer un enseignement en classe et qu’elle comporterait un risque d’injustice sociale, ce qu’il développerait de façon compréhensible. Finalement le demandeur estime que cette injustice sociale se serait malheureusement avérée être une des conséquences du « homeschooling » alors qu’un article de presse paru dans l’édition du Le Quotidien le 2 avril 2020, rédigé suite à une conférence de presse tenue par le ministre, aurait indiqué que certains élèves auraient disparu du radar malgré tous les efforts de leurs enseignants pour les contacter, ce qui aurait d’ailleurs également préoccupé le ministre. Il fait ensuite référence à un article de presse du même journal publié le 15 janvier 2021 où le président du syndicat SEW-OGBL aurait confirmé que l’école en présentiel, contrairement à l’école à distance, marcherait uniquement pour les bons élèves qui seraient bien encadrés à la maison, les autres auraient beaucoup perdu et que pour les enseignants, il s’agirait de rattraper le retard, étant donné que la promesse du ministre de les soutenir par des cours d’appui en leur envoyant des renforts, serait restée lettre morte.

Il en conclut que le « homeschooling » n’équivaudrait pas à un enseignement en présentiel et risquerait de défavoriser davantage les élèves socialement moins solides.

Concernant les deux autres articles de presse, le demandeur estime avoir tout d’abord fait part de ses craintes à un journaliste peu avant la reprise des cours en présentiel, et ce ne serait que par après qu’il aurait publié une lettre en date du 26 juin 2020 dans laquelle il aurait tiré un résumé personnel de cette première rentrée post COVID. Il explique avoir fait ses premières déclarations au moment même où les préparatifs pour cette rentrée auraient été prises, alors qu’il aurait été responsable local et mis devant des faits accomplis, comme tant d’autres enseignants, mais aussi élèves et parents. À titre d’exemple, il se prévaut d’un article de presse publié le 23 mai 2020 dans le journal Tageblatt duquel il ressortirait qu’il aurait fait des déclarations dans un contexte spécifique, à savoir à la suite d’une conférence de presse du ministre où les parents d’élèves auraient tenté de le contacter afin d’avoir des détails sur les mesures prises, de sorte qu’il souligne que cette lettre subséquente dresserait un premier bilan du déroulement de cette première rentrée, les deux articles de presse contenant des remarques critiques, sans pour autant contenir des éléments de nature à entraîner une sanction disciplinaire, voire les sanctions sévères prononcées par le Conseil de discipline à son encontre.

Le demandeur, en faisant référence à une pièce y afférente versée par ses soins, fait valoir qu’il contesterait le fait que, selon le Conseil de discipline, il ne serait plus crédible dans sa fonction de président du comité d’école, ce qui ne serait d’ailleurs absolument pas l’avis de la majorité de ses collègues de travail.

Il critique encore la politique de communication du ministère et du ministre lui-même en affirmant que les acteurs de l’enseignement reprocheraient de façon récurrente au ministre de ne pas les consulter avant d’annoncer des décisions, les mettant ainsi devant des faits accomplis, et que ce dernier ne ferait que penser à son image, lorsqu’il invoquerait des mises en scène pénibles lors de conférences de presse. D’autres acteurs de l’enseignement reprocheraient également à ce dernier de faire primer l’intérêt de l’économie nationale sur le droit de l’élève au libre développement de ses capacités. Le demandeur fait relever à cet égard qu’à aucun moment, au niveau desdits articles, il ne critiquerait avec une telle dureté un quelconque de ses supérieurs hiérarchiques.

En ce qui concerne plus particulièrement le courriel du 9 juillet 2020, faisant suite à un courriel du ministère du 8 juillet 2020, le demandeur maintient l’intégralité de ses développements, tout en faisant relever que le fait que ledit courriel aurait été adressé à un cercle restreint de personnes, sans l’intention de le rendre public, pourrait expliquer un langage plus direct et sans filtre, de même que le fait qu’il aurait été rédigé dans un état émotionnel extrême, à la suite d’une conférence de presse du ministre récitant la légende urbaine des vacances non-méritées des enseignants, sans que le caractère grossier et vulgaire de certains termes utilisés ne soit contestable. Il soutient en outre qu’en temps normal il n’aurait jamais rédigé un tel écrit, en contredisant la thèse que ses formulations auraient été soigneusement réfléchies par lui.

Concernant un prétendu appel au boycott des mesures de cours d’appui, le demandeur estime que ce serait le plus grave reproche formulé à son encontre alors que la partie étatique ignorerait ses conclusions à ce sujet, à savoir qu’il s’agirait uniquement de sa propre opinion et que tout le monde serait libre de penser et de faire ce qu’il voudrait. Il donne encore à considérer qu’il n’aurait pas été le seul à avoir peu de sympathie pour l’idée du ministre de procéder par voie de cours d’appui, la preuve en serait qu’un article de presse du 10 juillet 2020, publié dans le journal Luxemburger Wort, critiquerait également cette pratique, tout en précisant, dans ce contexte, que l’appel du ministre aux enseignants pour se déclarer volontaire pour dispenser de tels cours aurait d’ailleurs connu un succès particulièrement mince.

Le demandeur critique encore le Conseil de discipline ainsi que le délégué du gouvernement au Conseil de discipline d’avoir affirmé qu’il ne serait plus crédible dans sa position de président du comité d’école, tout en soulignant que cette conviction se serait probablement forgée au moment même de l’ouverture de la procédure disciplinaire. Or, malgré la prétendue absence totale de confiance en sa personne, il aurait cependant continué à assumer le poste de président du comité d’école, la partie étatique n’ayant d’ailleurs pas pris position quant à ce point et l’aurait laissé en poste même après le prononcé de la décision du Conseil de discipline en date du 18 mai 2021. Ce ne serait que par un arrêté du 28 juillet 2021 que démission honorable de sa fonction de président du comité de l’école fondamentale … de la ville de … lui aurait été accordée à la suite de sa propre demande de démission dudit poste en date du 2 juillet 2021. Ainsi, la perte de confiance par rapport à sa crédibilité et quant à ses qualités n’aurait pas été si importante, alors qu’il aurait été maintenu à son poste pendant presque un an encore après la dénonciation des faits, de sorte que les faits lui reprochés n’auraient donc pas été perçus comme suffisamment graves pour le priver d’une démission honorable, même à un moment où le Conseil de discipline aurait déjà rendu sa décision.

Le délégué du gouvernement duplique que le fait de s’intéresser aux publications Facebook du demandeur ne devrait en rien donner lieu à une quelconque crainte, alors que les publications mises en cause seraient publiques et non pas privées. Il rappelle en outre qu’en vertu de l’article 10 du statut général, le fonctionnaire devrait respecter toutes les prérogatives relatives à son statut, de manière constante, dans sa vie privée, comme dans sa vie professionnelle. Si ces publications permettaient de démontrer l’intention véritable du demandeur et surtout le fait que ses excuses ne reflèteraient pas la réalité, il serait tout à fait normal que la partie étatique puisse les présenter au tribunal.

Il critique en outre le fait que le demandeur considère que le contenu des articles de presse ne devrait pas entraîner une sanction disciplinaire sinon une sanction moins importante, alors que les sanctions n’auraient pas été prises au seul regard de ces articles.

En ce qui concerne le fait que le demandeur aurait été maintenu au poste de président du comité d’école même après le prononcé de la décision du Conseil de discipline du 18 mai 2021, cela s’expliquerait tout simplement par le fait qu’une telle décision devrait faire l’objet d’un arrêté grand-ducal dans certains cas, ministériel dans d’autres, afin d’être exécuté. Ainsi, la signature d’un tel arrêté connaîtrait une procédure relativement longue expliquant le délai entre la prise de décision par le Conseil de discipline et son exécution. La prise de décision du Conseil de discipline serait totalement indépendante de la démission présentée par le demandeur.

Concernant les raisons ayant conduit à la prise de la décision litigieuse, la partie étatique maintient l’intégralité de ses précédents écrits et renvoie également à l’argumentation du Conseil de discipline. Elle considère en outre que le seul fait de ne pas être le seul à être en désaccord avec les choix du ministre n’aurait pas d’importance et ne dédouanerait pas le demandeur de ses obligations. Par ailleurs, la perte de confiance à l’égard du demandeur serait réelle et ne saurait être jugée peu importante du seul fait qu’il aurait été maintenu en poste pendant presque un an encore après la dénonciation des faits. La partie étatique considère que le maintien en poste aurait été justifié alors qu’il n’existerait raisonnablement pas péril en la demeure et que la procédure visant l’instruction disciplinaire diligentée à l’encontre du demandeur aurait suivi son cours, à charge et à décharge, tel que cela serait toujours le cas. Elle n’entrevoit pas non plus de raison pour laquelle la démission du demandeur aurait dû être refusée puisqu’il n’en existerait pas. Le même constat s’imposerait quant à l’absence de suspension du demandeur de ses fonctions à la fin du mois de mai 2021, alors que l’année scolaire aurait touché à sa fin et que son remplacement n’aurait finalement visé qu’un laps de temps extrêmement court, créant ainsi plus de désagréments que de résultats. Enfin la démission présentée par le demandeur semblerait plutôt refléter sa reconnaissance de la perte de confiance de l’Etat vis-à-vis de lui.

Appréciation du tribunal Il y a lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par le demandeur, mais détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, de sorte que le tribunal statuera, tout d’abord, sur les moyens de légalité externe avant de toiser les moyens concernant le fond du litige.

En ce qui concerne d’abord le moyen tiré d’un défaut de motivation ou d’une motivation insuffisante de la décision déférée du Conseil de discipline du 18 mai 2021, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 70 du statut général « 1. La décision du Conseil de discipline est motivée et arrêtée par écrit. (…) ».

Ainsi et au-delà du constat que suivant une jurisprudence constante, un défaut de motivation formelle d’une décision administrative n’est pas de nature à entraîner l’annulation de cette dernière, mais seulement la suspension du délai de recours contre cette dernière, et que l’autorité administrative est toujours autorisée à fournir de plus amples motifs même en cours de procédure contentieuse1, ce que le délégué du gouvernement a fait, en l’occurrence, force est de constater à la lecture de la décision du Conseil de discipline du 18 mai 2021, repris in extenso ci-avant, qu’elle est motivée sur plusieurs pages tant en fait qu’en droit dans le respect de la disposition légale.

1 Trib. adm., 26 avril 2004, n° 17153 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 87 et les autres références y citées.

Ainsi, la décision du Conseil de discipline du 18 mai 2021, se réfère, en droit, expressément aux articles 9, paragraphe (1) et (2), 10, paragraphe (1), alinéa 1 et 2 et 14, paragraphe (1) du statut général concernant les obligations considérées comme violées, de même qu’aux articles 53 et 47 du statut général en ce qui concerne la sanction disciplinaire retenue, tout en précisant en fait les circonstances à la base des reproches, en se référant à la lettre de saisine du 6 octobre 2020 et en faisant une analyse en détail des passages des articles de presse litigieux et du courriel du 9 juillet 2020 jugés inappropriés, de sorte que le demandeur ne saurait légitimement ignorer les reproches lui adressés, d’autant plus au regard de la lettre circulaire du premier ministre du 7 janvier 2016 sur les droits et devoirs des agents de l’Etat dans leur relation avec la presse, lui applicable en tant que fonctionnaire d’Etat.

Il s’ensuit que le moyen tenant à une insuffisance de motivation de la décision du Conseil de discipline du 18 mai 2021 est à rejeter, étant relevé que le fait, pour le demandeur, de reprocher au Conseil de discipline de ne pas avoir suffisamment rattaché les reproches formulés aux faits visés, dans le cadre de sa motivation, concerne plutôt le bien-fondé de la motivation qui se vérifie dans le cadre de l’analyse au fond laquelle se fera ci-après.

Quant au fond, concernant le moyen du demandeur relatif à une violation de l’article 10 de la CEDH en ce que le Conseil de discipline a considéré que les articles de presse litigieux, excluant ainsi expressément le courriel du 9 juillet 2020, contiendraient des déclarations qui heurteraient les obligations découlant du statut général, il y a d’abord lieu d’en rappeler les termes :

« (…) 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière. (…) 2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l’intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire. » Il est rappelé que les restrictions à cette liberté d’expression peuvent consister en des sanctions postérieures à un exercice excessif de ce droit, de sorte que la sanction disciplinaire, qui comme en l’espèce, se base sur un excès dans l’exercice du droit à la liberté d’expression, est susceptible d’être analysée par le tribunal au regard des critères dégagés par la Cour européenne des droits de l’Homme.2 Dans son arrêt du 8 décembre 2009 dans une affaire Aguilera Jiménez et autres contre Espagne, la CourEDH rappelle que la liberté d’expression constitue l’un des fondements essentiels d’une société démocratique et que les exceptions sont à interpréter de manière stricte par le juge national dans le cadre de sa marge d’appréciation des circonstances de l’espèce lui soumise.3 2 CourEDH, Ezelin c. France, 26 avril 1991, § 53.

3 CourEDH, Aguilera Jiménez et autres c. Espagne, 8 décembre 2009, § 24.

21 D’après les critères dégagés par la jurisprudence de la CourEDH, les restrictions à la liberté d’expression doivent être prévues par la loi, dans un but légitime et être nécessaires dans une société démocratique.

Le droit disciplinaire des fonctionnaires a pour objet de sanctionner les violations des obligations leur incombant du chef des règles qui leur sont applicables, à savoir en l’occurrence les obligations prévues au chapitre 5 du statut général intitulé « Devoirs du fonctionnaire », et notamment aux articles 9, 10 et 14 du statut général aux termes desquels :

« Art. 9. 1. Le fonctionnaire est tenu de se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l’exercice de ses fonctions lui impose. Il doit de même se conformer aux instructions du gouvernement qui ont pour objet l’accomplissement régulier de ses devoirs ainsi qu’aux ordres de service de ses supérieurs. (…) ».

« Art 10. 1. Le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public.

Il est tenu de se comporter avec dignité et civilité tant dans ses rapports de service avec ses supérieurs, collègues et subordonnés que dans ses rapports avec les usagers de son service qu’il doit traiter avec compréhension, prévenance et sans aucune discrimination. (…) ».

« Art. 14. 1. Le fonctionnaire est tenu aux devoirs de disponibilité, d’indépendance et de neutralité. (…) ».

Il s’ensuit que les restrictions à la liberté d’expression sont à considérer comme étant prévues par la loi.

Ces restrictions sont également prévues dans un but légitime, à savoir notamment la sauvegarde de l’image d’autrui, en l’occurrence la renommée de la fonction publique, et du service public qu’elle exerce.

En ce qui concerne la nécessité de la restriction à la liberté d’expression, cette dernière se résout par une analyse de la proportionnalité de la mesure de restriction prise par rapport au but légitime poursuivi.4 En l’espèce, selon le rapport du commissaire du gouvernement adjoint, tel que relevé à bon droit par le délégué du gouvernement, le demandeur reconnaît être l’auteur de deux articles de presse litigieux publiés en date des 28 mars et 26 juin 2020 sous son nom et avoir donné l’interview litigieuse parue en date du 23 mai 2020 pour laquelle il assume le contenu.

Force est d’abord au tribunal de relever qu’il est effectivement à tort qu’il est reproché au demandeur d’avoir utilisé, dans les articles de presse litigieux, des termes jugés hautement injurieux vis-à-vis du ministre, respectivement à l’égard du gouvernement ainsi que des usagers de son service public, à savoir les élèves et parents d’élèves. Or, si un fonctionnaire peut a priori rédiger un article de presse, étant relevé à cet égard que la période d’incertitudes marquée par la pandémie du COVID-19, pouvant expliquer la prise de parole d’un instituteur inquiet, il ne saurait néanmoins être toléré que celui-ci dénigre la politique de son ministre qui est son 4 CourEDH, Ezelin c. France, 26 avril 1991, § 53.supérieur hiérarchique, de sorte qu’il a en l’espèce outrepassé les limites à sa liberté d’expression consacrée à l’article 10 de la CEDH.

En effet, dans l’article de presse du 28 mars 2020, le demandeur emploie une formule déplacée insinuant que les décisions du ministre n’auraient pas été prises avec « gesonde Menscheverstand ». En ce qui concerne l’article de presse du 26 juin 2020, le demandeur critique durement la politique de communication du ministre, dépassant ainsi les limites à sa liberté d’expression.

Il s’ensuit que force est de retenir que ces deux articles de presse, dont le demandeur est l’auteur en sa qualité d’enseignant, ont fait l’objet d’un exercice excessif de la liberté d’expression.

De même, les propos du demandeur, sous forme d’interview, relatives à la réouverture des écoles, décidée par le ministre, repris dans l’article de presse du 23 mai 2020, constituent des critiques assez sévères à l’égard des mesures prises par le gouvernement, même s’il n’est pas l’auteur de cette publication.

Or, les propos du demandeur ont été reprises sous forme d’une interview, ce qui est a priori contraire à une lettre circulaire du premier ministre du 7 janvier 2016 sur les droits et devoirs des agents de l’Etat dans leur relation avec la presse, étant relevé qu’une circulaire est à considérer comme un ordre de service émanant du supérieur hiérarchique.

Force est ensuite de relever qu’il est constant en cause que Monsieur … est encore en aveu d’avoir rédigé et envoyé le courriel litigieux du 9 juillet 2020 à 69 de ses collègues de travail, de sorte que la matérialité des faits reprochés n’est pas contestée par le demandeur, celle-ci devant être considérée comme étant établie, étant précisé à cet égard que le demandeur a uniquement contesté l’appréciation par le Conseil de discipline de la gravité du fait, élément étant sans incidence sur la matérialité des faits, mais pouvant, tout au plus, avoir une influence sur l’envergure de la sanction à retenir à son encontre.

Concernant les faits concrètement reprochés au demandeur, force est de relever qu’ils se caractérisent par l’envoi d’un courriel à 69 de ses collègues de travail, dans un langage vulgaire et inapproprié, contenant des propos hautement injurieux, irrespectueux et haineux à l’égard du ministre, de certains parents d’élèves, ainsi qu’à l’égard des collègues de travail ouverts à l’idée d’accepter l’offre du ministre de s’adonner à des cours d’appui pendant les vacances d’été 2021, ainsi qu’un appel au boycott des mesures prises par le ministre, et ce, en qualité d’instituteur et de président du comité d’école, cette dernière fonction l’amenant à être en charge de la communication avec les parents d’élèves.

Le demandeur ne conteste pas non plus la qualification disciplinaire de ce fait lui reproché, alors qu’il lui est reproché d’avoir manqué à ses obligations statutaires, plus particulièrement d’avoir manqué à l’article 9, paragraphe 1 du statut général, en vertu duquel le fonctionnaire est tenu de se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l’exercice de ses fonctions lui impose, dont les instructions du gouvernement qui ont pour objet l’accomplissement régulier de ses devoirs ainsi qu’aux ordres de service de ses supérieurs, à l’article 9, paragraphe 2 du statut général en vertu duquel le fonctionnaire est responsable des tâches qui lui sont confiées pour ne pas avoir respecté les obligations découlant notamment de la lettre circulaire du premier ministre du 7 janvier 2016 sur les droits et devoirs des agents de l’Etat dans leur relation avec la presse, à l’article 10,paragraphe 1, alinéa 1 et 2 du statut général, en vertu duquel le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ses fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public, et qu’il est tenu de se comporter avec dignité et civilité tant dans ses rapports de service avec ses supérieurs, collègues et subordonnés que dans ses rapports avec les usagers de son service qu’il doit traiter avec compréhension, prévenance et sans aucune discrimination, pour notamment avoir porté atteinte à la dignité de sa fonction, à la capacité de l’exercer, donner lieu à scandale et compromis les intérêts du service public, ainsi qu’à l’article 14 du statut général selon lequel le fonctionnaire est tenu au devoir de disponibilité, d’indépendance et de neutralité.

En revanche, le demandeur conteste la proportionnalité de la sanction et conclut à une disproportion de la sanction qu’il qualifie de trop sévère par rapport aux circonstances de l’espèce.

En ce qui concerne la mise en cause, par Monsieur …, de la proportionnalité des sanctions disciplinaires retenues à son encontre par la décision du Conseil de discipline du 18 mai 2021, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 53 du statut général « L’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé. (…) », impliquant, d’après la jurisprudence en la matière, que les critères d’appréciation de l’adéquation de la sanction prévus légalement sont énoncés de manière non limitative, de sorte que le tribunal est susceptible de prendre en considération tous les éléments de fait lui soumis qui permettent de juger de la proportionnalité de la sanction à prononcer, à savoir, entre autres, l’attitude générale du fonctionnaire.5 Il a également été jugé que, dans le cadre du recours en réformation exercé contre une sanction disciplinaire, le tribunal est amené à apprécier les faits commis par le fonctionnaire en vue de déterminer si la sanction prononcée par l’autorité compétente a un caractère proportionné et juste, en prenant notamment en considération la situation personnelle et les antécédents éventuels du fonctionnaire.6 Quant à la gravité du comportement et à la sanction adéquate à prononcer, force est de relever que le fait pour un fonctionnaire de l’Etat, ayant un poste à responsabilité, de publiquement dénigrer la politique, de manière inappropriée, de son ministre qu’il est censé mettre en œuvre, tout en s’exprimant dans un langage vulgaire et inapproprié, manquant de respect non seulement à son supérieur hiérarchique, en l’offensant par des termes injurieux en mettant en doute ses capacités professionnelles tout en lui prêtant des intentions politiques, mais également aux usagers de son service public, bien que le courriel litigieux n’ait pas été adressé au public, ainsi qu’à ses collègues de travail défendant un avis contraire au sien, tout en communiquant son message à un nombre important de ses collègues de travail, à savoir à 69 personnes, et lui conférant ainsi une certaine publicité, constitue un grave manquement à son obligation de loyauté, de réserve et de discrétion, de dignité, de civilité et de neutralité lui incombant en tant que fonctionnaire, en violation des articles 9, 10 et 14 du statut général.

5 Trib. adm. 12 juillet 2019, nos 40837 et 41256 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction Publique, n° 345 et les autres références y citées.

6 Trib. adm. 1er juillet 1999, n° 10936 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction Publique, n° 384 et les autres références y citées.Tout en tenant compte de la gravité du comportement de Monsieur …, de l’absence d’antécédents disciplinaires dans son chef, de son ancienneté de service depuis septembre 2013, ainsi que du contexte spécifique s’inscrivant dans la crise sanitaire de la pandémie COVID-19, force est de constater que le manquement disciplinaire reproché à Monsieur … est effectivement d’une gravité non négligeable justifiant une sanction disciplinaire conséquente.

Toutefois vu son casier disciplinaire vierge, les sanctions disciplinaires du changement d’affectation et de l’exclusion temporaire des fonctions avec privation totale de la rémunération pour une durée de six mois telles que fixées par le Conseil de discipline apparaissent comme étant trop sévères, de sorte qu’il y a lieu, par réformation de la décision déférée, de prononcer comme sanction adéquate par rapport aux faits de l’espèce la peine disciplinaire de l’exclusion temporaire des fonctions avec privation totale de la rémunération pour une durée de deux mois.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à accueillir comme étant partiellement fondé.

Quant au recours dirigé contre l’arrêté grand-ducal du 26 juillet 2021 :

À défaut d’une disposition légale conférant au juge administratif des pouvoirs de juge de fond à l’égard d’un recours dirigé contre un arrêté grand-ducal exécutant une décision du Conseil de discipline, seul un recours en annulation y relatif, tel que celui introduit en l’espèce, est admissible, recours qui a, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Conformément à l’article 52 du statut général, « L’autorité de nomination est tenue d’appliquer la sanction disciplinaire conformément à la décision du Conseil de discipline visée à l’article 70 [du statut général] (…). ».

L’arrêté du ministre déféré du 26 juillet 2021 s’analyse ainsi en une décision d’application de la sanction disciplinaire prise conformément à la décision du Conseil de discipline du 18 mai 2021.

En ce qui concerne le recours dirigé contre la décision ministérielle du 26 juillet 2021, force est de relever que la décision de l’autorité de nomination prise en exécution d’une décision du Conseil de discipline constitue un acte attaquable en justice pour des causes qui lui sont propres, alors même qu’il ne fait qu’appliquer la sanction disciplinaire retenue par le Conseil de discipline7.

Au vu de la décision prise ci-avant de réformer la décision du Conseil de discipline du 18 mai 2021, il y a partant lieu d’annuler l’arrêté grand-ducal du 26 juillet 2021 prise en son exécution, alors qu’elle suit le même sort que la décision du Conseil de discipline dont elle n’est que l’acte d’exécution, sans statuer plus en avant sur la demande subsidiaire de surseoir à statuer.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

7 Trib. adm.,11 juillet 2014, n° 21635 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 333.reçoit en la forme le recours en réformation dirigé contre la décision du Conseil de discipline du 18 mai 2021 ;

au fond, le déclare partiellement justifié, partant, par réformation de la décision déférée du 18 mai 2021, prononce à l’égard de Monsieur … la sanction disciplinaire de l’exclusion temporaire des fonctions avec privation totale de la rémunération pour une durée de deux mois ;

reçoit en la forme le recours en annulation dirigé contre l’arrêté grand-ducal du 26 juillet 2021 ;

au fond, le déclare justifiée et partant annule l’arrêté grand-ducal du 26 juillet 2021 ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 29 septembre 2023 par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, premier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 29 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 26


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 46340,46690
Date de la décision : 29/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 07/10/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-29;46340.46690 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award