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26/09/2023 | LUXEMBOURG | N°49441

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 septembre 2023, 49441


Tribunal administratif N° 49441 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49441 4e chambre Inscrit le 18 septembre 2023 Audience publique du 26 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49441 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 septembre 2023 par Maître Sa

nae Igri, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au...

Tribunal administratif N° 49441 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49441 4e chambre Inscrit le 18 septembre 2023 Audience publique du 26 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49441 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 18 septembre 2023 par Maître Sanae Igri, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … en …, et être de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 septembre 2023 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 septembre 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Nur Celik, en remplacement de Maître Sanae Igri, et Monsieur le délégué du gouvernement Marc Lemal en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

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Il se dégage d’un rapport de police dit « Fremdennotiz », portant le numéro 2023/24301/595-JA, daté du 13 juin 2023, émanant du commissariat Belvaux C2R – Région Sud-Ouest, que Monsieur … fit l’objet d’un contrôle par les agents de la police grand-ducale lors duquel il ne fut pas en mesure de présenter des documents d’identité.

Par arrêté du 14 juin 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », constata le séjour irrégulier de Monsieur … au Luxembourg, lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité, à savoir la Tunisie, ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité ou à destination d’un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner et lui interdit l’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :

« (…) Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le rapport numéro 2023/24301/595-JA du 13 juin 2023 établi par la Police grand-

ducale, Région Sud-Ouest, Commissariat Belvaux C2R ;

Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant que l’intéresse évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’identification et de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les meilleurs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel susmentionné du 14 juin 2023 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, recours contentieux dont il fut débouté par un jugement du tribunal administratif du 12 juillet 2023, inscrit sous le numéro 49141 du rôle.

Par arrêté du 13 juillet 2023, notifié à l’intéressé le lendemain, le ministre prorogea pour une durée d’un mois le placement en rétention de Monsieur ….

Le recours contre l’arrêté ministériel susmentionné du 13 juillet 2023, introduit par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 août 2023, fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 16 août 2023, inscrit sous le numéro 49278 du rôle.

Par arrêté du 10 août 2023, notifié à l’intéressé le 14 août 2023, le ministre prorogea à nouveau le placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois.

En date du 12 septembre 2023, Monsieur … se désista de son recours contentieux déposé au greffe du tribunal administratif en date du 11 septembre 2023, tel qu’acté dans un jugement du tribunal administratif du 18 septembre 2023, inscrit sous le numéro 49404.

Par arrêté du 13 septembre 2023, notifié à l’intéressé le 14 septembre 2023, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur … pour une nouvelle durée d’un mois, à partir de la notification, sur base des considérations suivantes :

« (…) Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 14 juin, 13 juillet et 10 août 2023, notifiés les 14 juin, 14, juillet et 14 août 2023, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 14 juin 2023 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure d'éloignement ; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 septembre 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel susmentionné du 13 septembre 2023 ordonnant la prolongation de son placement au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à compter de la notification de la décision en question.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, après avoir rappelé les rétroactes relevés ci-avant, Monsieur …, fait plaider en droit que la légalité d'une mesure de rétention administrative devrait s'inscrire dans un contexte permettant d'établir l'existence d'un risque non négligeable de fuite, apprécié à la lumière de la situation individuelle de l'étranger, ainsi que le caractère proportionné d'un placement en rétention basé sur ce premier critère et l'inexistence de mesures adéquates moins coercitives.

Tout en citant l’article 120, paragraphes (1) et (3) de la loi du 29 août 2008, le demandeur fait relever que le recours au placement de l'étranger au Centre de rétention devrait être écarté, lorsqu'il n'existerait aucun risque de fuite dans son chef, du fait notamment de l'existence de garanties de représentation, soumise à l'appréciation souveraine du juge.

Il donne à considérer que lors de son interpellation, il aurait coopéré avec les services de police afin de permettre son identification, tout en exprimant sa volonté de respecter les obligations lui imposées en vue d'organiser son éloignement.

Tout en soulignant que le placement au Centre de rétention devrait rester une mesure exceptionnelle en raison de l’entrave à sa liberté d'aller et venir, garantie par la Constitution, ainsi que par l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », le demandeur estime qu’il aurait appartenu au ministre de recourir à une alternative à son placement au Centre de rétention, en ordonnant une mesure moins coercitive au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, notamment au sein de la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK).

Il donne à considérer que le placement d'un étranger dans une structure fermée alors qu'il présenterait des garanties de représentation propres à limiter sinon exclure tout risque de fuite dans son chef, serait par conséquent à considérer comme illégal, tel que cela ressortirait de l’article 15, paragraphe (2) de la directive 2008/115/CE du Parlement Européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, dénommée ci-

après la « directive 2008/115 », selon lequel le ressortissant concerné d'un pays tiers devrait être immédiatement remis en liberté si sa rétention n’est pas légale. Par ailleurs, l'article 15, paragraphe (4) de ladite directive disposerait que la rétention ne se justifierait plus lorsqu'il n'existerait plus de perspective raisonnable d'éloignement pour des considérations d'ordre juridique ou autres. Or, les dispositions dudit article 15, paragraphe (2), lesquelles seraient suffisamment claires et inconditionnelles, n’auraient pas été transposées en droit luxembourgeois, faute d’une disposition dans la loi du 29 août 2008 prévoyant la remise en liberté du ressortissant de pays tiers en cas d’illégalité de la décision de placement.

A cet égard, le demandeur fait encore préciser qu’il présenterait toutes les garanties légales de représentation et qu’il afficherait un comportement irréprochable au centre de rétention et serait une personne responsable et respectueuse, de même que du fait qu’il n’aurait pas commis d’infraction au Luxembourg, il ne représenterait pas un danger pour l’ordre public luxembourgeois, de sorte que son placement en rétention serait disproportionné par rapport au but poursuivi.

Le demandeur cite encore, dans ce contexte, un jugement du tribunal administratif du 19 février 2009 qui aurait souligné l’importance de vérifier, par rapport à la situation d'un étranger, si une structure particulière répondrait aux critères posés par le principe de proportionnalité et si le placement serait nécessaire au but légitime poursuivi, principe qui figurerait non seulement dans la loi du 29 août 2008 mais également dans la directive 2008/115.

Il en conclut qu’une assignation à résidence à la SHUK constituerait une garantie de représentation suffisante, alors qu’une seule garantie de représentation serait exigée, donnant à considérer que dans le droit commun, le juge aurait « une certaine habitude de formules permettant à un justiciable d'indiquer qu'il sera présent à une audience sans qu'il soit nécessaire de recourir à son emprisonnement jusque-là » et que « Le risque de volatilité p[ourrai]t être contré à partir du moment où la personne n'a pas enfreint ses obligations et vit dans un cadre qui permet de rendre compte de sa présence. ».

Le demandeur fait encore relever dans ce contexte qu'il ressortirait d'une jurisprudence constante de la Cour de cassation française que la loi n'exigerait pas que l'étranger qui sollicite le bénéfice d'une assignation à résidence invoque des circonstances à caractère exceptionnel de nature à justifier cette mesure, de même que cette dernière ne pourrait être refusée sous prétexte de l'absence de domicile.

Finalement, le demandeur estime que les perspectives de son éloignement s'avéreraient être impossibles sinon demeureraient floues à ce jour, alors que le Consulat général de Tunisie, contacté par le ministère en date du 15 juin 2023 aux fins de la délivrance d'un laissez-passer, n'aurait accusé réception de cette requête que le 27 juillet 2023, soit après l'écoulement d'un délai d'un mois et de 12 jours et qu’à ce jour aucune prise de position concrète ne serait intervenue de la part dudit Consulat, de sorte qu’il y aurait lieu de conclure que son éloignement vers la Tunisie ne pourrait être mené à bien.

De surcroît, les démarches en vue de son éloignement ne seraient pas exécutées avec toute la diligence requise, alors que, depuis le 10 août 2023 à ce jour, le ministre aurait laissé écouler vingt-neuf jours sans s'enquérir auprès des autorités tunisiennes des suites réservées à la demande de délivrance d’un laissez-passer aux fins de procéder à l'éloignement envisagé, le demandeur relevant qu’en application de la jurisprudence constante de la Cour européenne des droits de l'Homme, dénommée ci-après « la CourEDH », la détention cesserait d'être justifiée au regard de l'article 5, paragraphe 1, point f) de la CEDH si la procédure d'expulsion ou d'extradition ne serait pas menée avec la diligence requise.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118, (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement (…) ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, le tribunal constate qu’il est constant que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, ayant notamment fait l’objet d’une décision de retour en date du 14 juin 2023, ainsi que d’une décision du même jour valant interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans, décisions qui ne font pas l’objet de la présente instance contentieuse, de même qu’il ne dispose pas de documents de voyage valables, ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’il existe, dans le chef du demandeur, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé (…) s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 (…) », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Force est ensuite de relever que le demandeur reste en défaut de soumettre au tribunal un quelconque élément de nature à renverser cette présomption de risque de fuite dans son chef par la fourniture d’éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite.

En effet, il n’est pas allégué que le demandeur serait actuellement en possession d’un quelconque titre de séjour valable, respectivement qu’il aurait une adresse ou une quelconque attache au Luxembourg, étant relevé que le simple souhait de se voir assigner à résidence dans une structure d’accueil de demandeurs de protection internationale ne saurait être qualifié de garantie de représentation suffisante à cet égard. De même, un comportement irréprochable au Centre de rétention, respectivement une prétendue absence de danger pour l’ordre public manquent de pertinence à cet égard.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement et ordonner la prorogation de ladite mesure par la suite, de sorte que le moyen tenant à contester tout risque de fuite dans le chef du demandeur est à rejeter.

Pour les mêmes considérations, le tribunal est encore amené à rejeter le reproche du demandeur suivant lequel une mesure d’assignation à résidence aurait dû être appliquée en l’espèce.

A cet égard, le tribunal relève que l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, dispose que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes.1 En l’espèce, le tribunal est amené, pour les mêmes considérations que celles retenues ci-avant, à retenir que le demandeur ne lui a pas soumis suffisamment d’éléments concluants permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.

En effet, il est rappelé que le demandeur ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg ni d’une quelconque autre attache. De plus, une assignation à résidence à la SHUK, tel que préconisée par le demandeur, ne saurait être considérée ni comme domicile stable ni comme fournissant à elle seule une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une assignation à résidence n’y est pas concevable, tel que cela avait déjà été retenu dans les jugements précités des 12 juillet et 16 août 2023.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce, étant d’ailleurs relevé que le demandeur ne prétend pas remplir les conditions pour une des deux autres mesures moins coercitives y prévues.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation du demandeur selon laquelle il serait prêt à coopérer avec les autorités luxembourgeoises et selon laquelle son comportement au Centre de rétention serait irréprochable, respectivement qu’il se considérerait comme une personne responsable et respectueuse.

Quant à l’invocation par le demandeur d’une atteinte à son droit à la liberté consacré par l’article 5 de la CEDH, ensemble la violation alléguée du principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 5 de la CEDH : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: (…) f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. (…) ».

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f) précité de la CEDH que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays2.

Dans la mesure où le demandeur a fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire, de sorte qu’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire, tel que cela a été retenu ci-avant, et où une procédure d’éloignement à son encontre est en cours d’exécution, le ministre a valablement pu placer le demandeur au Centre de rétention et maintenir cette mesure de placement sans violer l’article 5 de la CEDH.

1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 947 et les autres références y citées.

2 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 804 et les autres références y citées.

Il s’ensuit que les développements du demandeur relatifs à une prétendue disproportion de la mesure de prorogation de son placement en rétention basés sur une absence d’un risque de fuite dans son chef ainsi qu’une violation de l’article 5 de la CEDH sont à rejeter pour ne pas être fondés.

Au vu de l’absence d’illégalité de l’arrêté ministériel déféré et du défaut de l’établissement d’éléments justifiant des mesures moins coercitives, l’argumentation fondée sur l’éventuelle applicabilité directe de l’article 15, paragraphe (2) de la directive 2008/115 est à rejeter, étant donné que l’hypothèse afférente ne se trouve pas vérifiée en l’espèce.

En ce qui concerne, finalement, les diligences accomplies pour écourter au maximum sa privation de liberté, il échet de prime abord de constater que dans le cadre du jugement précité du 12 juillet 2023, le tribunal administratif avait retenu que les démarches accomplies par les autorités luxembourgeoises à cette date, à savoir, une demande d’identification en vue de la délivrance d’un laissez-passer adressée au Consulat général de Tunisie à Bruxelles dès le lendemain de son placement, devaient être considérées comme étant suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008.

Par jugement précité du 16 août 2023, le tribunal a encore estimé que par le fait pour le ministre d’avoir adressé deux relances y afférentes au Consulat tunisien en date des 19 juillet et 10 août 2023, les démarches en vue de procéder à un éloignement de Monsieur … seraient toujours en cours, ledit jugement ayant également constaté qu’en date du 27 juillet 2023, un chargé d’affaires du Consulat général de Tunisie avait assuré au ministre que le dossier d’identification serait en cours.

En ce qui concerne les démarches entreprises depuis cette date, force est au tribunal de céans de relever que les autorités consulaires ont encore été relancées à trois reprises, à savoir le 24 août et les 7 et 21 septembre 2023, de sorte que le tribunal n’entrevoit pas, à travers les éléments à sa disposition, un manque de diligences dans le chef du ministre, de sorte que le tribunal est amené à retenir qu’au moment où il statue, le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire pour procéder dans les meilleurs délais à l’éloignement de l’intéressé du territoire, étant relevé que le ministre est actuellement tributaire de la collaboration et de l’efficacité des autorités tunisiennes.

Il suit de ces considérations et notamment du constat que la demande d’identification de Monsieur … est bien en cours d’instruction auprès des services compétents tunisiens, il ne se dégage pas d’ores et déjà du dossier que l’éloignement ne puisse pas être mené à bien, de sorte que la mesure de placement n’est pas non plus sujette à critique à cet égard.

Au vu des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait, en l’état actuel du dossier, utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Au vu de l’issue du litige, il y a finalement lieu de rejeter la demande de Monsieur … de se voir octroyer une indemnité de procédure de 1.000,- euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 26 septembre 2023 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, permier juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 49441
Date de la décision : 26/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 30/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-26;49441 ?

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