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25/09/2023 | LUXEMBOURG | N°48070

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 septembre 2023, 48070


Tribunal administratif N° 48070 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48070 2e chambre Inscrit le 20 octobre 2022 Audience publique du 25 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de protection temporaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48070 du rôle et déposée le 20 octobre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Cora Maglo, avocat à la Cour, inscri

te au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Ukr...

Tribunal administratif N° 48070 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48070 2e chambre Inscrit le 20 octobre 2022 Audience publique du 25 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de protection temporaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48070 du rôle et déposée le 20 octobre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Cora Maglo, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Ukraine), de nationalité ukrainienne, demeurant à L-…, tendant, aux termes de son dispositif, à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 21 juillet 2022 portant refus de sa demande en obtention d’une protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 janvier 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Apenyin Otua Nyante, en remplacement de Maître Cora Maglo, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 mai 2023.

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Le 13 mai 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection temporaire au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection subsidiaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », suite à la décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 2022 constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, ci-après désignée par « la décision du Conseil du 4 mars 2022 ».

Ses déclarations sur son identité, ainsi que sur son parcours pour venir au Luxembourg, furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

Par décision du 21 juillet 2022, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … du rejet de sa demande de protection temporaire en les termes suivants :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection temporaire que vous avez introduite le 13 mai 2022.

Le Conseil de l’Union européenne a décidé en date du 4 mars 2022 de déclencher le mécanisme de la protection temporaire. Pourront bénéficier de la protection temporaire les ressortissants ukrainiens, les personnes bénéficiant d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine, les ressortissants de pays tiers qui peuvent établir qu’ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d’origine dans des conditions sûres et durables ainsi que les membres de famille.

Je suis cependant dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

Il ressort en effet de votre dossier administratif que vous n’étiez pas en mesure de fournir des preuves claires qui confirmeraient votre séjour en Ukraine au début du conflit. Dès lors, vous ne remplissez pas les conditions d’éligibilité relatives aux personnes auxquelles s’applique la protection temporaire telles que retenues par l’article 2 de la décision d’exécution 2022/382 du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 2022. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 20 octobre 2022, inscrite sous le numéro 48070 du rôle, Monsieur … a fait introduire, aux termes de son dispositif, un recours en annulation, sinon en réformation à l’encontre de la décision du ministre du 21 juillet 2022 lui ayant refusé le bénéfice de la protection temporaire.

Quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, alors qu’en vertu de l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation introduit contre l’acte déféré.

Il est par contre compétent pour connaître du recours principal en annulation, lequel est encore à déclarer recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur indique qu’il serait un masseur diplômé et que, dans le cadre de son activité professionnelle, il aurait été amené à voyager dans l’espace Schengen pour offrir ses services à sa clientèle. Il explique, à cet égard, que le 31 janvier 2022, il se serait rendu en Pologne pour une mission ponctuelle d’un mois en tant que masseur. A la fin de sa mission, il n’aurait pas été en mesure de retourner dans son pays d’origine en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en date du 24 février 2022.

En droit, le demandeur estime que la décision litigieuse serait à annuler pour erreur manifeste d’appréciation et d’interprétation. Il fait valoir, dans ce contexte, que l’argument principal du ministre pour lui refuser la protection temporaire, à savoir le fait qu’il ne se soit pas trouvé sur le territoire ukrainien avant le début du conflit, ne serait pas une condition posée par la décision du Conseil du 4 mars 2022 pour l’obtention d’une protection temporaire. En effet, il y serait seulement exigé de prouver que le ressortissant ukrainien résidait en Ukraine avant le 24 février 2022. Il fait encore valoir que la foire aux questions qui aurait été publiée sur le site du ministère prévoirait que, pour bénéficier de la protection temporaire, le demandeur devrait avoir résidé en Ukraine avant le 24 février 2022 et qu’il devrait avoir quitté le pays depuis ou peu avant cette date, de sorte que la présence physique sur le territoire ukrainien au moment du début des conflits ne serait pas une condition de l’octroi de la protection temporaire.

Ainsi, il soutient qu’en tant que ressortissant ukrainien qui aurait été travailleur sur le territoire polonais le 31 janvier 2022 sans avoir besoin de visa, il aurait eu l’intention de retourner dans son pays d’origine, tout en précisant qu’après le début du conflit le 24 février 2022, il n’aurait plus été en mesure d’y retourner.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

Le tribunal relève que la notion de « protection temporaire » est définie par l’article 2 r) de la loi du 18 décembre 2015 comme « […] une procédure de caractère exceptionnel assurant, en cas d’afflux massif ou d’afflux massif imminent de personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine, une protection immédiate et temporaire à ces personnes, notamment si le système d’asile risque également de ne pouvoir traiter cet afflux sans provoquer d’effets contraires à son bon fonctionnement, dans l’intérêt des personnes concernées et celui des autres personnes demandant une protection. […] ».

L’article 69 de la même loi dispose que « Le régime de protection temporaire est déclenché par une décision du Conseil de l’Union européenne prise dans les conditions définies par les articles 4 à 6 de la directive 2001/55/CE du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil. ».

Il est constant en cause que dans sa décision d’exécution n° 2022/382 du 4 mars 2022, le Conseil de l’Union européenne, après avoir constaté l’existence d’un afflux massif dans l’Union européenne de personnes déplacées qui ont dû quitter l’Ukraine en raison d’un conflit armé, a précisé les catégories de personnes pouvant bénéficier de la protection temporaire dans son deuxième article, dont les termes sont les suivants :

« […] 1. La présente décision s’applique aux catégories suivantes de personnes déplacées d’Ukraine le 24 février 2022 ou après cette date, à la suite de l’invasion militaire par les forces armées russes qui a commencé à cette date :

a) les ressortissants ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022;

b) les apatrides, et les ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui ont bénéficié d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022; et, c) les membres de la famille des personnes visées aux points a) et b).

2. Les États membres appliquent la présente décision ou une protection adéquate en vertu de leur droit national à l’égard des apatrides, et des ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui peuvent établir qu’ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 sur la base d’un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d’origine dans des conditions sûres et durables.

3. Conformément à l’article 7 de la directive 2001/55/CE, les États membres peuvent également appliquer la présente décision à d’autres personnes, y compris aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui étaient en séjour régulier en Ukraine et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables. […] ».

Il ressort de cette disposition, et plus particulièrement de son premier paragraphe, point a), que les ressortissants ukrainiens ayant résidé en Ukraine avant le 24 février 2022 peuvent se voir octroyer une protection temporaire.

Dans sa prédite décision du 4 mars 2022, le Conseil de l’Union européenne a indiqué, en son considérant 12, que « […] Les personnes souhaitant bénéficier de la protection [temporaire] devraient être en mesure de prouver qu’elles remplissent ces critères d’éligibilité en présentant les documents pertinents aux autorités compétentes de l’Etat membre concerné. » et que dans l’hypothèse contraire, il appartenait à cet Etat de les « réorienter vers la procédure appropriée ».

Or, force est de constater que Monsieur … ne verse aucun document pour prouver qu’il se trouvait dans son pays d’origine avant le 24 février 2022. En outre, il ressort de ses propres déclarations qu’il se trouvait en Pologne pour y travailler depuis le 31 janvier 2021 et qu’il n’a pas pu retourner dans son pays d’origine en raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Ainsi, le tribunal est amené à constater que le demandeur n’établit pas avoir résidé en Ukraine avant le 24 février 2022, de sorte à ne pas remplir la condition visée à l’article 2 (1) a) de la prédite décision du Conseil de l’Union européenne.

Le demandeur fait valoir, dans ce contexte, que la foire aux questions publiée sur le site du ministère des Affaires étrangères et européennes, dont il verse une copie, prévoirait que les Ukrainiens qui se trouvaient sur le territoire de l’Union européenne peu avant le début du conflit pour des vacances ou des raisons professionnelles devraient se voir attribuer la protection temporaire, ce qui serait son cas.

De l’entendement du tribunal, le demandeur a entendu faire valoir que le considérant 14 de la décision du Conseil du 4 mars 2022 trouverait application, considérant rédigé comme suit :

« (14) Les États membres peuvent également faire bénéficier de la protection temporaire d’autres catégories de personnes déplacées outre celles auxquelles la présente décision s’applique, lorsqu’elles sont déplacées pour les mêmes raisons et à partir du même pays ou de la même région d’origine que celles et ceux visés dans la présente décision. Dans ce cas, les États membres devraient en informer immédiatement le Conseil et la Commission. Dans ce contexte, les États membres devraient être encouragés à envisager d’étendre la protection temporaire aux personnes qui ont fui l’Ukraine peu avant le 24 février 2022, alors que les tensions augmentaient, ou qui se sont retrouvées sur le territoire de l’Union (par exemple, en vacances ou pour des raisons professionnelles) juste avant cette date et qui, en raison du conflit armé, ne peuvent pas retourner en Ukraine », et qu’il devrait, dès lors, en bénéficier.

Si le Conseil de l’Union européenne encourage, dans ce considérant 14, les Etats membres à étendre la protection temporaire aux Ukrainiens ou aux ressortissants de pays tiers résidant légalement en Ukraine, qui ont fui ledit pays peu avant le 24 février 2022 ou qui se sont retrouvés sur le territoire de l’Union européenne, dans le cadre notamment d’un séjour privé ou pour des raisons professionnelles, juste avant cette date et qui, en raison du conflit armé, ne peuvent pas retourner en Ukraine, force est néanmoins de constater qu’il ne les oblige pas à procéder à cette extension et donne ainsi aux Etats membres toute latitude pour en faire application.

A cet égard, il échet de préciser que le tribunal a été amené à retenir dans un précédent jugement du 18 septembre 2023, inscrit sous le numéro 47775 du rôle, que l’octroi d’une protection temporaire n’avait pas été étendu par le gouvernement luxembourgeois aux Ukrainiens ou aux ressortissants de pays tiers résidant légalement en Ukraine, qui ont fui ledit pays peu avant le 24 février 2022 ou qui se sont retrouvés sur le territoire de l’Union européenne, dans le cadre notamment d’un séjour privé ou pour des raisons professionnelles, juste avant cette date et qui, en raison du conflit armé, ne pouvaient pas retourner en Ukraine, situation en relation avec le considérant 14 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, mais que l’octroi de la protection temporaire avait seulement été étendu aux personnes, autres que les Ukrainiens, en séjour régulier en Ukraine, qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables, ce qui correspond au considérant 131 de cette même décision2.

Dans la mesure où le tribunal a retenu, dans les développements qui précèdent, que Monsieur … ne résidait pas en Ukraine avant le 24 février 2022, la décision du ministre de lui refuser l’octroi d’une protection temporaire n’encourt aucune critique et les moyens afférents sont à rejeter.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

1 « (13) Conformément à la directive 2001/55/CE, les États membres peuvent faire bénéficier de la protection temporaire tous les autres apatrides ou ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine résidant légalement en Ukraine qui ne sont pas en mesure de retourner dans leur pays ou leur région d’origine dans des conditions sûres et durables. Il pourrait notamment s’agir des ressortissants de pays tiers qui étudiaient ou travaillaient en Ukraine pour une courte période au moment des événements ayant conduit à l’afflux massif de personnes déplacées. […] ».

2 cf. trib. adm., 18 septembre 2023, n° 47775 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

Alexandra Castegnaro, vice-président, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 25 septembre 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 6


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48070
Date de la décision : 25/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 30/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-25;48070 ?

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