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25/09/2023 | LUXEMBOURG | N°47940

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 septembre 2023, 47940


Tribunal administratif N° 47940 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47940 2e chambre Inscrit le 15 septembre 2022 Audience publique du 25 septembre 2023 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de protection temporaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47940 du rôle et déposée le 15 septembre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la

Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le ...

Tribunal administratif N° 47940 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47940 2e chambre Inscrit le 15 septembre 2022 Audience publique du 25 septembre 2023 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de protection temporaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47940 du rôle et déposée le 15 septembre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Ukraine), de nationalité ukrainienne, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 11 août 2022 portant refus de sa demande en obtention d’une protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst en sa plaidoirie à l’audience publique du 12 juin 2023.

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Le 4 août 2022, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection temporaire au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection subsidiaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », suite à la décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 2022 constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, ci-après désignée par « la décision du Conseil du 4 mars 2022 ».

Ses déclarations sur son identité, ainsi que sur son parcours, furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

Par décision du 11 août 2022, notifiée à l’intéressée en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame … du rejet de sa demande de protection temporaire en les termes suivants :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection temporaire que vous avez introduite le 4 août 2022.

Le Conseil de l’Union européenne a décidé en date du 4 mars 2022 de déclencher le mécanisme de la protection temporaire afin de permettre aux ressortissants ukrainiens et aux personnes bénéficiant d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine ainsi qu’à leurs membres de famille de s’établir temporairement au sein de l’Union européenne en raison de l’invasion militaire russe en Ukraine.

Je suis cependant dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

Il ne ressort en effet pas de votre dossier administratif que vous vous trouviez en Ukraine au moment du début du conflit. Vous ne remplissez dès lors pas les conditions d’éligibilité relatives aux personnes auxquelles s’applique la protection temporaire telles que retenues par l’article 2 de la décision d’exécution 2022/382 du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 2022. ».

Par requête déposée le 15 septembre 2022, inscrite sous le numéro 47940 du rôle, Madame … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision du ministre du 11 août 2022 lui ayant refusé le bénéfice de la protection temporaire.

Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en ce qui concerne le refus d’une protection temporaire, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève à titre liminaire l’irrecevabilité du recours pour violation de l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », en soutenant que la demanderesse n’aurait à aucun moment invoqué des moyens de légalité propres à son recours en annulation.

La demanderesse n’a pas pris position par rapport au moyen d’irrecevabilité soulevé.

S’il est vrai que dans le cadre d’un recours en annulation, le tribunal administratif statue sur la légalité de la décision administrative lui déférée sur la base des moyens invoqués par la partie demanderesse tirés d’un ou de plusieurs des cinq cas d’annulation énumérés à l’article 2 (1) de la loi précitée du 7 novembre 1996, l’exigence de l’indication formelle de l’un ou l’autre des cinq cas d’ouverture du recours en annulation ainsi légalement prévus n’est toutefois pas requise par la loi1.

Il convient, en outre, de relever que la demanderesse indique expressément dans sa requête introductive d’instance qu’elle entend introduire un recours en annulation contre la décision déférée, en reprochant au ministre (i) de ne pas l’avoir suffisamment motivée au regard de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 », (ii) d’avoir outrepassé son pouvoir discrétionnaire et (iii) d’avoir contrevenu à l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, ainsi qu’au principe de non-

refoulement qui serait consacré aux articles 3 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », 78 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ci-après désigné par « le TFUE », et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ».

1 Trib. adm., 29 octobre 2009, n° 24392, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 2.

Etant donné que l’indication formelle du ou des cas d’ouverture tels que prévus par l’article 2 de la loi précitée du 7 novembre 1996 n’est pas requise de façon impérative et que, par ailleurs, le délégué du gouvernement n’a pas pu se méprendre sur la portée effective des moyens tels qu’invoqués à l’appui du recours sous analyse, pour y avoir pris position dans son mémoire en réponse, il y a lieu d’écarter le moyen d’irrecevabilité afférent pour manquer de fondement.

A défaut d’autres moyens d’irrecevabilité, il échet de déclarer le recours en annulation recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse expose être de nationalité ukrainienne et avoir quitté son pays d’origine en septembre 2021 pour aller travailler à Dubaï, aux Emirats arabes unis. Elle indique que son contrat de travail à durée déterminée aurait expiré en avril 2022 et que son permis de séjour émirien aurait expiré en même temps que ledit contrat de travail. En raison de l’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022, elle se serait trouvée dans l’impossibilité de rentrer dans son pays d’origine et serait venue déposer une demande de protection temporaire au Luxembourg en date du 4 août 2022.

En droit, la demanderesse fait, tout d’abord, valoir que la décision litigieuse manquerait de motivation en se basant sur l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979. Elle soutient, à ce propos, qu’il s’agirait d’une décision de refus au sens de l’article 6 dudit règlement grand-

ducal et qu’à ce titre, le ministre serait dans l’obligation de la motiver. Après avoir cité l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, elle donne à considérer que le ministre aurait motivé sa décision en une seule phrase et sans prendre en compte le fait qu’elle se serait trouvée dans l’impossibilité de rentrer en Ukraine après l’expiration de son contrat de travail aux Emirats arabes unis, avant de conclure que la décision attaquée encourrait l’annulation pour défaut de motivation.

Après avoir cité l’article 7 et le considérant 12 de la directive 2001/55/CE du Conseil du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil, ci-après désignée par « la directive 2001/55 », Madame … donne à considérer que ces dispositions laisseraient aux Etats membres une marge de manœuvre qui leur permettrait d’étendre le champ d’application de la protection temporaire à des cas de figure qui ne seraient pas explicitement visés par ladite directive. Dans ce contexte, elle cite le considérant 14 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, avant de reprocher au ministre d’avoir fait une application stricte et automatique de l’article 2 de cette même décision en raison de son absence sur le territoire ukrainien avant le 24 février 2022 et de ne pas avoir analysé les éléments de faits propres à sa situation, qui justifieraient pourtant un besoin urgent de protection dans son chef.

Elle ajoute qu’elle n’aurait pas pu imaginer, en se rendant aux Emirats arabes unis pour y travailler en septembre 2021, qu’une guerre se déclencherait dans son pays d’origine en février 2022 et qu’il lui serait impossible d’y retourner à la fin de son contrat de travail. Elle estime, de ce fait, qu’en ne lui octroyant pas une protection temporaire, le ministre aurait méconnu son pouvoir discrétionnaire.

Enfin, la demanderesse soutient que la décision litigieuse contreviendrait au principe de non-refoulement qui serait consacré aux articles 3 de la Convention de Genève, 78 du TFUE et 19 de la Charte, alors que de nombreuses parties du territoire ukrainien seraient le théâtre d’affrontements, notamment la région de …, dont elle serait originaire et où elle disposerait d’un logement, et qu’il serait, par conséquent, totalement exclu qu’elle puisse rejoindre l’Ukraine et s’y réinstaller en toute sécurité.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

En ce qui concerne la légalité externe de la décision ministérielle, et plus particulièrement le moyen de la demanderesse tiré d’un défaut de motivation de la décision litigieuse, l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 prévoit que toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et les catégories de décisions y énumérées limitativement, en l’occurrence notamment celles refusant de faire droit à la demande de l’intéressé, tel que c’est le cas en l’espèce, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base.

A cet égard, il échet de remarquer qu’au vœu de cet article 6, il suffit que la motivation soit sommaire.

Or, force est de constater que le ministre a indiqué, contrairement à l’affirmation de la demanderesse, de manière certes succincte, mais suffisante, qu’elle ne remplirait pas les conditions de l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022 alors qu’il ne ressortirait pas des éléments du dossier qu’elle se serait trouvée en Ukraine au moment du début du conflit.

Par ailleurs, il échet de préciser qu’il est de jurisprudence constante que l’administration peut utilement produire ou compléter les motifs postérieurement à la décision prise et même pour la première fois au cours de la phase contentieuse2, de sorte que le délégué du gouvernement peut compléter la motivation contenue dans la décision ministérielle.

A cet égard, si ce dernier n’a pas pris position sur le moyen de la demanderesse tendant à l’annulation de la décision litigieuse pour défaut de motivation, il a néanmoins précisé que Madame … ne remplirait pas les conditions de l’article 2 de la décision du Conseil car elle ne se serait pas trouvée pas en Ukraine ni y aurait eu sa résidence avant le 24 février 2022, alors qu’elle aurait été aux Emirats arabes unis depuis le 22 septembre 2021 et qu’elle ne serait revenue en Europe qu’en avril 2022 en passant par Paris et Barcelone avant d’arriver au Luxembourg.

Dans la mesure où la demanderesse disposait, dans ce contexte, de la motivation complète à la base de la décision litigieuse et de la possibilité de faire valoir ses éventuels griefs dans le cadre d’un mémoire en réplique - ce dont elle n’a pas fait usage -, le tribunal est amené à retenir que le moyen afférent de Madame … encourt le rejet pour être non fondé.

Quant au fond, le tribunal relève que la notion de « protection temporaire » est définie par l’article 2 r) de la loi du 18 décembre 2015 comme « […] une procédure de caractère exceptionnel assurant, en cas d’afflux massif ou d’afflux massif imminent de personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine, une protection immédiate et temporaire à ces personnes, notamment si le système d’asile risque également de ne pouvoir traiter cet afflux sans provoquer d’effets contraires à son bon fonctionnement, dans l’intérêt des personnes concernées et celui des autres personnes demandant une protection.

[…] ».

L’article 69 de la même loi dispose que « Le régime de protection temporaire est déclenché par une décision du Conseil de l’Union européenne prise dans les conditions définies par les articles 4 à 6 de la directive 2001/55/CE du 20 juillet 2001 relative à des normes 2 Cour adm., 20 décembre 2007, n° 22976C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 92 et les autres références y citées.minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil. ».

Il est constant en cause que dans sa décision d’exécution n° 2022/382 du 4 mars 2022, le Conseil de l’Union européenne, après avoir constaté l’existence d’un afflux massif dans l’Union européenne de personnes déplacées qui ont dû quitter l’Ukraine en raison d’un conflit armé, a précisé les catégories de personnes pouvant bénéficier de la protection temporaire dans son deuxième article, dont les termes sont les suivants :

« […] 1. La présente décision s’applique aux catégories suivantes de personnes déplacées d’Ukraine le 24 février 2022 ou après cette date, à la suite de l’invasion militaire par les forces armées russes qui a commencé à cette date :

a) les ressortissants ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022;

b) les apatrides, et les ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui ont bénéficié d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022; et, c) les membres de la famille des personnes visées aux points a) et b).

2. Les Etats membres appliquent la présente décision ou une protection adéquate en vertu de leur droit national à l’égard des apatrides, et des ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui peuvent établir qu’ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 sur la base d’un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d’origine dans des conditions sûres et durables.

3. Conformément à l’article 7 de la directive 2001/55/CE, les Etats membres peuvent également appliquer la présente décision à d’autres personnes, y compris aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui étaient en séjour régulier en Ukraine et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables. […] ».

Il ressort de cette disposition, et plus particulièrement de son premier paragraphe, point a), que les ressortissants ukrainiens ayant résidé en Ukraine avant le 24 février 2022 peuvent se voir octroyer une protection temporaire.

Dans sa prédite décision du 4 mars 2022, le Conseil de l’Union européenne a indiqué, en son considérant 12, que « […] Les personnes souhaitant bénéficier de la protection [temporaire] devraient être en mesure de prouver qu’elles remplissent ces critères d’éligibilité en présentant les documents pertinents aux autorités compétentes de l’Etat membre concerné. » et que dans l’hypothèse contraire, il appartenait à cet Etat de les « réorienter vers la procédure appropriée ».

Or, force est de constater qu’il ressort des éléments du dossier administratif, et plus particulièrement de la copie de son passeport, que Madame … est entrée sur le territoire émirien en date du 22 septembre 2021, avant d’en sortir le 7 avril 2022 pour se rendre en Turquie où son entrée a été enregistrée le 8 avril 2022. Sa sortie du prédit pays a été enregistrée le 10 juillet 2022 et son entrée en France a été consignée le même jour. En outre, le fait qu’elle ne se soit pas trouvée en Ukraine avant le 24 février 2022 est confirmé par les propres déclarations de la demanderesse selon lesquelles, après s’être rendue aux Emirats arabes unis en septembre 2021,elle est entrée en Europe via Paris en juillet 2022. Ainsi, le tribunal est amené à constater que Madame … ne résidait pas en Ukraine avant le 24 février 2022, de sorte à ne pas remplir la condition visée à l’article 2 (1) a) de la décision du Conseil du 4 mars 2022.

La demanderesse fait valoir, dans ce contexte, que le considérant 14 de la décision du Conseil du 4 mars 2022 trouverait application, considérant rédigé comme suit : « (14) Les États membres peuvent également faire bénéficier de la protection temporaire d’autres catégories de personnes déplacées outre celles auxquelles la présente décision s’applique, lorsqu’elles sont déplacées pour les mêmes raisons et à partir du même pays ou de la même région d’origine que celles et ceux visés dans la présente décision. Dans ce cas, les États membres devraient en informer immédiatement le Conseil et la Commission. Dans ce contexte, les États membres devraient être encouragés à envisager d’étendre la protection temporaire aux personnes qui ont fui l’Ukraine peu avant le 24 février 2022, alors que les tensions augmentaient, ou qui se sont retrouvées sur le territoire de l’Union (par exemple, en vacances ou pour des raisons professionnelles) juste avant cette date et qui, en raison du conflit armé, ne peuvent pas retourner en Ukraine ».

Si le Conseil de l’Union européenne encourage, dans ce considérant 14, les Etats membres à étendre la protection temporaire aux Ukrainiens ou aux ressortissants de pays tiers résidant légalement en Ukraine, qui ont fui ledit pays peu avant le 24 février 2022 ou qui se sont retrouvés sur le territoire de l’Union européenne, dans le cadre notamment d’un séjour privé ou pour des raisons professionnelles, juste avant cette date et qui, en raison du conflit armé, ne peuvent pas retourner en Ukraine, force est néanmoins de constater qu’il ne les oblige pas à procéder à cette extension et donne ainsi aux Etats membres toute latitude pour en faire application.

A cet égard, il échet de préciser que le tribunal a été amené à retenir dans un précédent jugement du 18 septembre 2023, inscrit sous le numéro 47775 du rôle, que l’octroi d’une protection temporaire n’avait pas été étendu par le gouvernement luxembourgeois aux Ukrainiens ou aux ressortissants de pays tiers résidant légalement en Ukraine, qui ont fui ledit pays peu avant le 24 février 2022 ou qui se sont retrouvés sur le territoire de l’Union européenne, dans le cadre notamment d’un séjour privé ou pour des raisons professionnelles, juste avant cette date et qui, en raison du conflit armé, ne pouvaient pas retourner en Ukraine, situation en relation avec le considérant 14 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, mais que l’octroi de la protection temporaire avait seulement été étendu aux personnes, autres que les Ukrainiens, en séjour régulier en Ukraine, qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables, ce qui correspond au considérant 133 de cette même décision4.

Dans la mesure où le tribunal a retenu, dans les développements qui précèdent que Madame … ne résidait pas en Ukraine avant le 24 février 2022, la décision du ministre de lui refuser l’octroi d’une protection temporaire n’encourt aucune critique et les moyens afférents sont à rejeter.

Dans ce contexte, quant aux reproches de la demanderesse ayant trait au pouvoir discrétionnaire du ministre d’étendre les conditions d’octroi de la protection temporaire conformément à la directive 2001/55, transposée en droit national par la loi du 5 mai 2006 3 « (13) Conformément à la directive 2001/55/CE, les États membres peuvent faire bénéficier de la protection temporaire tous les autres apatrides ou ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine résidant légalement en Ukraine qui ne sont pas en mesure de retourner dans leur pays ou leur région d’origine dans des conditions sûres et durables. Il pourrait notamment s’agir des ressortissants de pays tiers qui étudiaient ou travaillaient en Ukraine pour une courte période au moment des événements ayant conduit à l’afflux massif de personnes déplacées. […] ».

4 cf. trib. adm., 18 septembre 2023, n° 47775 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, loi abrogée par la loi du 18 décembre 2015, pouvoir discrétionnaire qui a également été visé dans le considérant 14 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, il échet de préciser que le pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge5, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en annulation, à vérifier, d’après les pièces et éléments du dossier administratif, si les faits sur lesquels s’est fondée l’administration, sont matériellement établis à l’exclusion de tout doute et s’ils sont de nature à justifier la décision, de même qu’il peut examiner le caractère proportionnel de la mesure prise par rapport aux faits établis. Au cas où une disproportion devait être retenue par le tribunal administratif, celle-ci laisserait dès lors entrevoir un usage excessif du pouvoir par l’autorité qui a pris la décision6.

Or, étant donné que le tribunal vient de retenir ci-avant, dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision attaquée par rapport à l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, que le gouvernement luxembourgeois avait décidé d’étendre le bénéfice de la protection temporaire seulement aux situations visées au considérant 13 de ladite décision du Conseil et non pas à celles visées en son considérant 14, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a décidé de refuser l’octroi d’une protection temporaire à Madame …, de sorte que le reproche ayant trait à l’usage excessif de son pouvoir discrétionnaire par le ministre est également non fondé.

Cette conclusion n’est pas non plus remise en cause par le moyen de la demanderesse sous-tendant une prétendue violation du principe de non-refoulement, dans la mesure où Madame … ne fait l’objet d’aucun ordre de quitter le territoire luxembourgeois dans la décision litigieuse. Le moyen afférent est dès lors à rejeter pour être non fondé.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, le recours en annulation est à rejeter pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, 5 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 58 et les autres références y citées.

6 Trib. adm., 18 octobre 2016, n° 36844 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 58 et les autres références y citées.Alexandra Bochet, premier juge, Annemarie Theis, premier juge, et lu à l’audience publique du 25 septembre 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47940
Date de la décision : 25/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 30/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-25;47940 ?

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