La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

25/09/2023 | LUXEMBOURG | N°47913

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 septembre 2023, 47913


Tribunal administratif N° 47913 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47913 2e chambre Inscrit le 9 septembre 2022 Audience publique du 25 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de protection temporaire

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47913 du rôle et déposée le 9 septembre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la

Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le...

Tribunal administratif N° 47913 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47913 2e chambre Inscrit le 9 septembre 2022 Audience publique du 25 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de protection temporaire

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47913 du rôle et déposée le 9 septembre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (République démocratique du Congo), de nationalité congolaise, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 30 juin 2022 portant refus de sa demande en obtention d’une protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Françoise Nsan-Nwet et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 juin 2023.

___________________________________________________________________________

Le 8 juin 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection temporaire au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection subsidiaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », suite à la décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 2022 constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, ci-après désignée par « la décision du Conseil du 4 mars 2022 ».

Ses déclarations sur son identité furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Toujours le 8 juin 2022, il fut entendu par un agent du ministère et il remplit un questionnaire en relation avec sa demande de protection temporaire.

Par décision du 30 juin 2022, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … du rejet de sa demande de protection temporaire en les termes suivants :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection temporaire que vous avez introduite le 8 juin 2022.

Le Conseil de l’Union européenne a décidé en date du 4 mars 2022 de déclencher le mécanisme de la protection temporaire afin de permettre aux ressortissants ukrainiens et aux personnes bénéficiant d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine ainsi qu’à leurs membres de famille de s’établir temporairement au sein de l’Union européenne en raison de l’invasion militaire russe en Ukraine.

Je suis cependant dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

Il ressort de votre dossier administratif que vous êtes en possession d’un titre de séjour temporaire en Ukraine valable jusqu’au 5 septembre 2022 et que vous avez quitté l’Ukraine le 28 février 2022.

De plus, selon les informations en ma possession, force est de constater qu’aucun élément de votre dossier ne permet de conclure que vous ne seriez pas en mesure de rentrer dans votre pays d’origine, en l’occurrence la République Démocratique de Congo, dans des conditions sûres et durables. En effet, la République Démocratique de Congo n’est actuellement pas confrontée à une situation de conflit armé ou de violence endémique et au risque grave de violation systématique ou généralisée des droits de l’homme.

Il convient encore de relever que vous n’apportez aucune preuve permettant de conclure que vous présentez, au niveau individuel, un risque aggravé vous empêchant de retourner en République Démocratique de Congo dans des conditions sûres et durables. En effet, vous n’avez pas quitté votre pays d’origine à cause de craintes respectivement problèmes individuels et personnels permettant d’établir dans votre chef l’existence d’une crainte fondée de persécution, voire d’un risque de subir un traitement inhumain et dégradant dans votre pays d’origine. Au contraire, vous avez quitté votre pays d’origine en 2021 pour entamer des études universitaires en Ukraine.

A cela s’ajoute que vous ne souhaitez pas retourner en République Démocratique de Congo, étant donné que vous n’auriez plus de point d’attache dans votre pays d’origine et que vous souhaiteriez poursuivre vos études au Luxembourg. Or, des motifs de pure convenance personnelle ne sauraient pas justifier l’octroi d’une protection temporaire telle que définie par le Conseil de l’Union européenne.

De plus, le fait qu’une partie de votre famille se trouverait au Luxembourg, ne constitue également pas une raison valable, qui justifierait l’octroi d’une protection temporaire.

Vous ne remplissez dès lors pas les conditions d’éligibilité relatives aux personnes auxquelles s’applique la protection temporaire telles que retenues par l’article 2 de la décision d’exécution 2022/382 du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 2022. […] ».

Toujours le 30 juin 2022, le ministre prit encore à l’encontre de l’intéressé un arrêté sur base des articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », pour déclarer son séjour irrégulier, tout en lui ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de 30 jours, décision qui n’a pas fait l’objet d’un recours au fond.

Par requête déposée le 9 septembre 2022 et inscrite sous le numéro 47913 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision du ministre du 30 juin 2022 lui ayant refusé le bénéfice de la protection temporaire.

Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en ce qui concerne le refus d’une protection temporaire, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce.

A titre liminaire, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours pour violation de l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », en soutenant que le demandeur n’aurait à aucun moment invoqué des moyens de légalité propres à son recours en annulation.

Monsieur … n’a pas pris position par rapport au moyen d’irrecevabilité soulevé.

S’il est vrai que dans le cadre d’un recours en annulation, le tribunal administratif statue sur la légalité de la décision administrative lui déférée sur la base des moyens invoqués par la partie demanderesse tirés d’un ou de plusieurs des cinq cas d’annulation énumérés à l’article 2, paragraphe (1) de la loi précitée du 7 novembre 1996, l’exigence de l’indication formelle de l’un ou l’autre des cinq cas d’ouverture du recours en annulation ainsi légalement prévus n’est toutefois pas requise par la loi1.

Il convient, en outre, de relever que le demandeur indique expressément dans sa requête introductive d’instance qu’il entend introduire un recours en annulation contre la décision déférée, en reprochant au ministre (i) de ne pas l’avoir suffisamment motivée au regard de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 », (ii) d’avoir outrepassé son pouvoir discrétionnaire et (iii) d’avoir contrevenu à l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, ainsi qu’au principe de non-

refoulement qui serait consacré aux articles 3 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », 78 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ci-après désigné par « le TFUE », et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ».

Etant donné que l’indication formelle du ou des cas d’ouverture tels que prévus par l’article 2 de la loi précitée du 7 novembre 1996 n’est pas requise de façon impérative et que, par ailleurs, le délégué du gouvernement n’a pas pu se méprendre sur la portée effective des moyens tels qu’invoqués à l’appui du recours sous analyse, pour y avoir pris position dans son mémoire en réponse, il y a lieu d’écarter le moyen d’irrecevabilité afférent pour manquer de fondement.

A défaut d’autres moyens d’irrecevabilité, il échet de déclarer le recours en annulation recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

En fait, le demandeur expose être de nationalité congolaise et avoir dû fuir l’Ukraine, où il aurait résidé depuis 2021, en raison de la guerre qui y aurait débuté le 24 février 2022.

En droit, il fait, tout d’abord, valoir que la décision litigieuse manquerait de motivation en se basant sur l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979. Il soutient, à ce propos, qu’il s’agirait d’une décision de refus au sens de l’article 6 dudit règlement grand-ducal et qu’à ce 1 Trib. adm., 29 octobre 2009, n° 24392, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 2.

titre, le ministre serait dans l’obligation de la motiver. Après avoir cité l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, il donne à considérer que le ministre se contenterait de se référer à l’absence de violence endémique et de risque de violation systématique ou généralisée des droits de l’Homme, sans expliquer ce que ces situations impliqueraient. Ainsi, il estime que la décision litigieuse ne comporterait pas de motivation suffisante et en conclut qu’elle encourrait l’annulation de ce fait.

Ensuite, le demandeur donne à considérer qu’en application de l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, les autorités luxembourgeoises auraient étendu le champ d’application de la protection temporaire en incluant également les ressortissants de pays tiers bénéficiant d’un titre de séjour temporaire en Ukraine et que la condition retenue serait celle de la détention d’un titre de séjour en cours de validité délivré régulièrement par les autorités ukrainiennes, ce dont il disposerait, de sorte que la première condition visée au prédit article 2 serait remplie.

En ce qui concerne le retour dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables, le demandeur indique avoir fait l’objet de menaces de la part de rebelles rwandais. Il fait valoir que diverses parties du territoire de la République démocratique du Congo (RDC) feraient l’objet de graves tensions, en particulier, l’est du pays qui serait depuis plusieurs années le théâtre d’affrontements violents entre les forces gouvernementales et des miliciens affiliés à des groupes islamistes et prétendument soutenus par le Rwanda, notamment le groupe de rebelles appelé « Mouvement du 23 mars » (M23), en renvoyant dans ce contexte à un article publié sur le site internet de TV5 Monde le 13 juin 2022, intitulé « Le M23 au cœur des tensions entre la RDC et le Rwanda ». Il explique encore que la ville de …, dont il serait originaire, serait située dans la province du Haut-Katanga, au sud du pays, et que ses habitants se trouveraient, selon un rapport d’Amnesty International, intitulé « République démocratique du Congo 2021 », dans une zone à risque. Par ailleurs, le demandeur soutient que les habitants de … constateraient une hausse exponentielle des crimes, tels des viols, des cambriolages et des meurtres, sans pouvoir obtenir une réponse adéquate de la part des autorités compétentes, en s’appuyant sur un autre article publié sur le site internet www.rfi.fr le 14 octobre 2020, intitulé « RDC : qu’en est-il de l’insécurité à … », avant de conclure que sa sécurité serait menacée dans son pays d’origine.

Enfin, le demandeur soutient que la décision litigieuse contreviendrait au principe de non-

refoulement qui serait consacré aux articles 3 de la Convention de Genève, 78 du TFUE et 19 de la Charte, alors qu’il ne pourrait être renvoyé vers un territoire où sa vie et sa sécurité seraient menacées.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

En ce qui concerne en premier lieu la légalité externe de la décision ministérielle, et plus particulièrement le moyen du demandeur tiré d’un défaut de motivation de la décision litigieuse, l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 prévoit que toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et les catégories de décisions y énumérées limitativement, en l’occurrence notamment celles refusant de faire droit à la demande de l’intéressé, tel que c’est le cas en l’espèce, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base.

A cet égard, il échet de remarquer qu’au vœu de cet article 6, il suffit que la motivation soit sommaire.

Or, force est de constater que le ministre a indiqué, contrairement aux affirmations du demandeur, qu’il ne remplirait pas les conditions de l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022 en retenant qu’il pourrait retourner en RDC dans des conditions sûres et durables, le ministre invoquant à cet égard le fait que ledit pays ne serait pas actuellement confronté à une situation de conflit armé ou de violence endémique, que Monsieur … n’aurait pas prouvé qu’il y risquerait d’être victime de traitements inhumains et dégradants, qu’il se serait rendu en Ukraine pour y étudier et que le fait de ne plus avoir de points d’attache en RDC et le fait de vouloir poursuivre ses études au Luxembourg seraient des motifs de convenance personnelle ne permettant pas de justifier l’octroi d’une protection temporaire.

Dans la mesure où le demandeur disposait de la motivation complète à la base de la décision litigieuse et qu’il avait, en outre, la possibilité de compléter dans le cadre d’un mémoire en réplique ses éventuels griefs à l’encontre de la motivation de ladite décision, ainsi qu’à l’encontre de celle contenue dans le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, ce dont il n’a pas fait usage, le tribunal est amené à retenir que le moyen afférent de Monsieur … encourt le rejet pour être non fondé.

Quant au fond, le tribunal relève que la notion de « protection temporaire » est définie par l’article 2 r) de la loi du 18 décembre 2015 comme « […] une procédure de caractère exceptionnel assurant, en cas d’afflux massif ou d’afflux massif imminent de personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine, une protection immédiate et temporaire à ces personnes, notamment si le système d’asile risque également de ne pouvoir traiter cet afflux sans provoquer d’effets contraires à son bon fonctionnement, dans l’intérêt des personnes concernées et celui des autres personnes demandant une protection.

[…] ».

L’article 69 de la même loi dispose que « Le régime de protection temporaire est déclenché par une décision du Conseil de l’Union européenne prise dans les conditions définies par les articles 4 à 6 de la directive 2001/55/CE du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil. » Il est constant en cause que dans sa décision d’exécution n° 2022/382 du 4 mars 2022, le Conseil de l’Union européenne, après avoir constaté l’existence d’un afflux massif dans l’Union de personnes déplacées qui ont dû quitter l’Ukraine en raison d’un conflit armé, a précisé les catégories de personnes pouvant bénéficier de la protection temporaire dans son deuxième article, dont les termes sont les suivants :

« […] 1. La présente décision s’applique aux catégories suivantes de personnes déplacées d’Ukraine le 24 février 2022 ou après cette date, à la suite de l’invasion militaire par les forces armées russes qui a commencé à cette date :

a) les ressortissants ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022;

b) les apatrides, et les ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui ont bénéficié d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022; et, c) les membres de la famille des personnes visées aux points a) et b).

2. Les Etats membres appliquent la présente décision ou une protection adéquate en vertu de leur droit national à l’égard des apatrides, et des ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui peuvent établir qu’ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 5 2022 sur la base d’un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d’origine dans des conditions sûres et durables.

3. Conformément à l’article 7 de la directive 2001/55/CE, les Etats membres peuvent également appliquer la présente décision à d’autres personnes, y compris aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui étaient en séjour régulier en Ukraine et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables. […] ».

Il ressort de l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, et plus particulièrement de son troisième paragraphe, que les Etats membres peuvent étendre l’octroi d’une protection temporaire aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers qui étaient en séjour régulier en Ukraine sans y disposer d’un titre de séjour permanent en cours de validité, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables.

Tel qu’indiqué par le délégué du gouvernement dans ses écrits contentieux, le gouvernement luxembourgeois a pris le 18 mars 2022 la décision d’appliquer l’article 2 (3) de la décision du Conseil du 4 mars 2022 aux demandeurs de protection temporaire ressortissants de pays tiers en séjour régulier en Ukraine.

Ainsi, il se dégage de ces développements que, pour bénéficier d’une protection temporaire, le ressortissant de pays tiers doit démontrer (i) qu’il était en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022, à titre permanent ou temporaire, et (ii) qu’il n’est pas en mesure de rentrer dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables.

Dans la mesure où un permis de séjour temporaire a été délivré par les autorités ukrainiennes à Monsieur … en date du 22 octobre 2021, qui était valable jusqu’au 5 septembre 2022, et qu’il a quitté l’Ukraine le 28 février 2022, force est de constater qu’il remplit la première condition, à savoir celle d’avoir été en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022, ce qui est d’ailleurs admis par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse.

En ce qui concerne la deuxième condition, à savoir le fait que le demandeur ne soit pas en mesure de rentrer dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables, il échet de relever que dans sa communication du 21 mars 2022, la Commission européenne a précisé que (i) l’incapacité de « retourner dans des conditions sûres » devait se fonder sur la situation générale dans le pays ou la région d’origine de la personne concernée et que celle-ci devait être en mesure de prouver et/ou de fournir des éléments attestant à première vue, au niveau individuel, qu’elle n’est pas en mesure d’y retourner, notamment en démontrant, par exemple, l’existence d’un risque évident pour sa sécurité, de situations de conflit armé ou de violence endémique, ou de risques documentés de persécution ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, et (ii) un retour « durable » supposait que la personne concernée puisse jouir dans son pays ou sa région d’origine de droits actifs lui offrant la perspective d’y voir ses besoins fondamentaux satisfaits, ainsi que la possibilité d’être réintégrée dans la société, et qu’il y avait lieu de savoir si elle avait toujours un lien significatif avec son pays d’origine, en prenant en considération, par exemple, le temps de résidence passé en Ukraine ou l’existence d’une famille dans son pays d’origine. Elle a également souligné qu’il convenait de tenir dûment compte des besoins particuliers des personnes vulnérables et des enfants, notamment les mineurs non accompagnés et les orphelins, sur la base du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Ainsi, il appartient au demandeur de prouver et/ou de fournir des éléments attestant à première vue, et au niveau individuel, qu’il ne peut pas retourner en RDC dans des conditions sûres et durables.

A cet effet, Monsieur … fait valoir que la situation générale en RDC ne lui permettrait pas d’y retourner dans des conditions sûres et durables, en raison des violences qui seraient perpétrées par le groupe M23 et de l’insécurité à ….

Force est, dans un premier temps, de constater que dans le questionnaire lui fourni au moment du dépôt de sa demande de protection temporaire, il a seulement indiqué, en ce qui concerne les raisons pour lesquelles il ne voulait pas retourner dans son pays d’origine, l’absence de famille et le fait d’avoir vendu tous ses biens pour aller étudier en Ukraine, contredisant ses affirmations actuelles selon lesquelles il aurait été menacé par des rebelles rwandais en RDC.

Partant, ces affirmations restent à l’état d’allégations, d’autant plus qu’elles sont essentiellement vagues et non étayées.

Ensuite, concernant la situation générale en RDC et les documents versés à cet égard, le tribunal est amené à constater que ces éléments ne sont pas suffisants, à eux seuls, pour démontrer qu’il existerait sur tout le territoire de la RDC une situation de conflit armé ou de violence endémique ou un risque général d’y subir des persécutions ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l’article 3 de la CEDH. En effet, force est de constater que le demandeur renvoie principalement à la situation générale dans son pays d’origine, notamment aux violences commises par le groupe M23 et à l’insécurité à …, sans mettre véritablement en relation les éléments invoqués à ce propos avec sa situation personnelle. Par ailleurs, il ressort (i) du rapport d’Amnesty International précité que les violences commises par des groupes armés se situeraient principalement dans les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri et que la région du Kasaï, les provinces du Sud-Kivu, du Tanganyika et du Maniema ont également été le théâtre de violences, et (ii) de l’article publié sur le site internet de TV5 Monde, précité, que les violences perpétrées par le groupe M23 se situaient plus particulièrement dans le Nord-Kivu. Or, le demandeur n’est pas originaire de ces provinces et région, celui-ci ayant en effet indiqué être originaire de …, dans la province du Haut-Katanga. Par ailleurs, l’article de RFI d’octobre 2020, précité, relatant de l’insécurité à … en général, et non pas d’attaques du groupe M23 tel qu’affirmé par le demandeur, ne démontre pas non plus que la situation à … permettrait de conclure que les conditions de l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022 seraient remplies. Ainsi, il ne ressort pas, à première vue, des éléments invoqués par Monsieur … que le seul fait de retourner dans son pays d’origine, et plus particulièrement dans sa ville d’origine, entraînerait dans son chef un risque général d’y subir des persécutions ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l’article 3 de la CEDH, contrairement à ce qu’il invoque.

Par ailleurs, la Commission européenne a encore précisé, dans sa communication précitée, que « Lorsqu’une personne ne peut pas présenter les documents pertinents et que les États membres ne sont pas en mesure de déterminer rapidement si la personne concernée a droit à la protection temporaire ou à une protection adéquate en vertu du droit national, la Commission suggère de réorienter la personne vers la procédure d’asile. De même, les personnes qui déclarent ne pas pouvoir retourner en toute sécurité dans leur pays ou région d’origine, mais dont la procédure visant à déterminer le droit à la protection temporaire ou à une protection adéquate en vertu du droit national devient trop complexe, devraient en tout état de cause être réorientées vers la procédure d’asile »2.

2 Commission européenne, communication du 21 mars 2022 relative aux lignes directrices opérationnelles pour la mise en œuvre de la décision d’exécution 2022/382 du Conseil constatant l’existence d’un afflux massif de Le tribunal est encore amené à constater que le demandeur ne démontre pas non plus qu’il n’aurait aucune perspective de voir ses besoins fondamentaux satisfaits en RDC, qu’il ne pourrait plus être réintégré dans la société congolaise, - étant précisé qu’il n’a passé que quatre mois en Ukraine -, et qu’il n’aurait plus aucun lien significatif avec son pays d’origine dans lequel il a passé l’essentiel de sa vie.

Au vu de ces considérations, le tribunal est amené à constater que le demandeur n’apporte aucune preuve ou élément permettant de retenir, à première vue, qu’il ne peut pas retourner en RDC dans des conditions sûres et durables.

La deuxième condition pour l’obtention d’une protection temporaire n’étant pas remplie, le moyen du demandeur y afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Enfin, concernant la violation alléguée par la décision déférée du principe de non-refoulement, dans la mesure où ces considérations concernent l’exécution de la décision de retour et de l’ordre de quitter le territoire du 30 juin 2022, notifiés séparément au demandeur le même jour, et qu’aucun recours n’a été introduit contre ces décisions, il n’appartient pas au tribunal d’examiner ces moyens, de sorte qu’ils encourent le rejet.

Au vu des développements qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que le ministre pouvait refuser, à bon droit, l’octroi d’une protection temporaire à Monsieur …, de sorte que le recours en annulation contre la décision lui refusant ladite protection encourt le rejet pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Bochet, premier juge, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 25 septembre 2023 par le premier juge Alexandra Bochet, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, n° 2022/C 126 I/01, page 3.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Bochet Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47913
Date de la décision : 25/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 30/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-25;47913 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award