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25/09/2023 | LUXEMBOURG | N°47912

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 septembre 2023, 47912


Tribunal administratif N° 47912 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47912 2e chambre Inscrit le 9 septembre 2022 Audience publique du 25 septembre 2023 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de protection temporaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47912 du rôle et déposée le 9 septembre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la Co

ur, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … ...

Tribunal administratif N° 47912 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47912 2e chambre Inscrit le 9 septembre 2022 Audience publique du 25 septembre 2023 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de protection temporaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47912 du rôle et déposée le 9 septembre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Françoise Nsan-Nwet, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Nigéria), de nationalité nigériane, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 28 juin 2022 portant refus de sa demande en obtention d’une protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Françoise Nsan-Nwet et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 19 juin 2023.

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Le 9 juin 2022, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection temporaire au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection subsidiaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », suite à la décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 2022 constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, ci-après désignée par « la décision du Conseil du 4 mars 2022 ».

Ses déclarations sur son identité furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, dans un rapport du même jour.

Toujours le 9 juin 2022, elle remplit un questionnaire en relation avec sa demande de protection temporaire.

Par décision du 28 juin 2022, notifiée à l’intéressée en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame … du rejet de sa demande de protection temporaire en les termes suivants :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection temporaire que vous avez introduite le 9 juin 2022.

Le Conseil de l’Union européenne a décidé en date du 4 mars 2022 de déclencher le mécanisme de la protection temporaire. Pourront bénéficier de la protection temporaire les ressortissants ukrainiens, les personnes bénéficiant d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine, les ressortissants de pays tiers qui peuvent établir qu’ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d’origine dans des conditions sûres et durables ainsi que les membres de famille.

Je suis cependant dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

Il ressort en effet des documents que vous m’avez remis en date du 9 juin 2022 qu’aucun élément de votre dossier ne permet de conclure que vous ne seriez pas en mesure de rentrer dans votre pays d’origine, en l’occurrence le Nigéria, dans des conditions sûres et durables.

D’après les informations en ma possession, le Nigéria n’est actuellement pas confronté à une situation de conflit armé ou de violence endémique et au risque grave de violation systématique ou généralisée des droits de l’homme.

De plus, vous n’apportez aucune preuve permettant de conclure qu’il existe dans votre chef, un risque aggravé vous empêchant de retourner au Nigéria dans des conditions sûres et durables. En effet, vous avez quitté votre pays d’origine pour entamer des études universitaires en Ukraine et non pas à cause de craintes respectivement problèmes individuels et personnels permettant d’établir dans votre chef l’existence d’une crainte fondée de persécution, voire d’un risque de subir un traitement inhumain et dégradant dans votre pays d’origine. Vous confirmez ce constat d’ailleurs vous-même alors que vous vous bornez à évoquer des craintes par rapport à la situation générale de certaines régions de votre pays d’origine (tensions causées par des séparatistes) sans toutefois relater de craintes respectivement problèmes individuels et personnels. Or, un sentiment d’insécurité générale ne saurait suffire pour conclure que vous ne pourriez pas retourner dans votre pays d’origine.

Vous évoquez également les conditions de vie difficiles au Nigéria et le fait que vous souhaiteriez poursuivre et terminer vos études en médecine. Or, des motifs de pure convenance personnelle ne sauraient pas justifier l’octroi d’une protection temporaire telle que définie par le Conseil de l’Union européenne. De plus, compte tenu du niveau de formation que vous avez déjà atteint dans votre parcours universitaire, il échet de relever que vous ne devriez pas rencontrer de difficultés à vous établir et poursuivre vos études dans l’une des nombreuses universités au Nigéria.

Finalement, je constate que vos parents ainsi que d’autres membres de votre famille se trouvent actuellement au Nigéria et que vous auriez sans aucun doute un, voire même plusieurs, points d’attache en retournant dans votre pays d’origine.

Vous ne remplissez dès lors pas les conditions d’éligibilité relatives aux personnes auxquelles s’applique la protection temporaire telles que retenues par l’article 2 de la décision d’exécution 2022/382 du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 2022. […] ».

Toujours le 28 juin 2022, le ministre prit encore à l’encontre de l’intéressée un arrêté sur base des articles 100 et 109 à 115 de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulationdes personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », pour déclarer son séjour irrégulier, tout en lui ordonnant de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de 30 jours, décision qui n’a pas fait l’objet d’un recours au fond.

Par requête déposée le 9 septembre 2022 et inscrite sous le numéro 47912 du rôle, Madame … a fait introduire un recours en annulation à l’encontre de la décision du ministre du 28 juin 2022 lui ayant refusé le bénéfice de la protection temporaire.

Etant donné qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en ce qui concerne le refus d’une protection temporaire, seul un recours en annulation a pu être introduit en l’espèce.

A titre liminaire, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours pour violation de l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », en soutenant que la demanderesse n’aurait à aucun moment invoqué des moyens de légalité propres à son recours en annulation.

La demanderesse n’a pas pris position par rapport au moyen d’irrecevabilité soulevé.

S’il est vrai que dans le cadre d’un recours en annulation, le tribunal administratif statue sur la légalité de la décision administrative lui déférée sur la base des moyens invoqués par la partie demanderesse tirés d’un ou de plusieurs des cinq cas d’annulation énumérés à l’article 2, paragraphe (1) de la loi précitée du 7 novembre 1996, l’exigence de l’indication formelle de l’un ou l’autre des cinq cas d’ouverture du recours en annulation ainsi légalement prévus n’est toutefois pas requise par la loi1.

Il convient, en outre, de relever que la demanderesse indique expressément dans sa requête introductive d’instance qu’elle entend introduire un recours en annulation contre la décision déférée, en reprochant au ministre (i) de ne pas l’avoir suffisamment motivée au regard de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 », (ii) d’avoir outrepassé son pouvoir discrétionnaire et (iii) d’avoir contrevenu à l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, ainsi qu’au principe de non-

refoulement qui serait consacré aux articles 3 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », 78 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, ci-après désigné par « le TFUE », et 19 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ».

Etant donné que l’indication formelle du ou des cas d’ouverture tels que prévus par l’article 2 de la loi précitée du 7 novembre 1996 n’est pas requise de façon impérative et que, par ailleurs, le délégué du gouvernement n’a pas pu se méprendre sur la portée effective des moyens tels qu’invoqués à l’appui du recours sous analyse, pour y avoir pris position dans son mémoire en réponse, il y a lieu d’écarter le moyen d’irrecevabilité afférent pour manquer de fondement.

A défaut d’autres moyens d’irrecevabilité, il échet de déclarer le recours en annulation recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

En fait, la demanderesse expose être de nationalité nigériane et avoir dû fuir l’Ukraine, où elle aurait résidé, en raison de la guerre qui y aurait débuté le 24 février 2022. Elle explique 1 Trib. adm., 29 octobre 2009, n° 24392, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 2.qu’au moment de sa fuite, elle aurait été victime de discrimination de la part des autorités ukrainiennes, qui l’auraient empêchée de monter dans l’un des trains affrétés pour rejoindre les pays limitrophes de l’Ukraine, de sorte qu’elle aurait été obligée d’entreprendre le voyage à pied jusqu’à la frontière avec la Pologne. Arrivée à cette frontière, elle aurait été de nouveau victime de discrimination et de violence, alors que les ressortissants de pays tiers auraient été empêchés de franchir la frontière pour entrer sur le territoire de l’Union européenne. Suite à un périple de plusieurs jours, elle serait arrivée au Luxembourg, où elle aurait déposé une demande de protection temporaire.

En droit, la demanderesse fait, tout d’abord, valoir que la décision litigieuse manquerait de motivation en se basant sur l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979. Elle soutient, à ce propos, qu’il s’agirait d’une décision de refus au sens de l’article 6 dudit règlement grand-

ducal et qu’à ce titre, le ministre serait dans l’obligation de la motiver. Après avoir cité l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, elle donne à considérer que le ministre se contenterait de se référer à l’absence de violence endémique et de risque de violation systématique ou généralisée des droits de l’Homme, sans expliquer ce que ces situations impliqueraient. Ainsi, elle estime que la décision litigieuse ne comporterait pas de motivation suffisante et en conclut qu’elle encourrait l’annulation de ce fait.

Ensuite, Madame … donne à considérer qu’en application de l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, les autorités luxembourgeoises auraient étendu le champ d’application de la protection temporaire en incluant également les ressortissants de pays tiers bénéficiant d’un titre de séjour temporaire en Ukraine et que la condition retenue serait celle de la détention d’un titre de séjour en cours de validité délivré régulièrement par les autorités ukrainiennes, ce dont elle disposerait, de sorte que la première condition visée au prédit article 2 serait remplie.

En ce qui concerne le retour dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables, la demanderesse fait valoir que le Nigéria serait en proie à une violence endémique due à la prolifération de groupes terroristes armés sur le territoire, en particulier Boko Haram, qui serait une organisation terroriste qui ciblerait les civils, et principalement les filles et les jeunes femmes. Les attaques menées par Boko Haram viseraient massivement des lycéennes et des étudiantes qui seraient enlevées, mariées de force à des combattants de Boko Haram ou échangées contre des prisonniers, alors que les membres dudit groupe considéreraient l’éducation comme un danger, voire une perversion. Ainsi, entre 2013 et 2014, Boko Haram aurait perpétré plusieurs attaques dans des lycées et sur des campus, tuant des étudiants et des professeurs et enlevant des lycéennes à Mamudo, Gujba et Buni Yadi. En avril 2014, Boko Haram aurait enlevé 276 lycéennes scolarisées au lycée de Chibok, dont 112 seraient toujours portées disparues en 2018 et 16 seraient mortes. Comme elle-même serait étudiante en médecine, elle serait une cible pour Boko Haram et pourrait, de ce fait, être victime de traitements inhumains et dégradants, tels qu’un enlèvement ou un mariage forcé avec un combattant de Boko Haram. Dans ce contexte, elle soutient que la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique du 11 mai 2011, dite « Convention d’Istanbul », imposerait aux Etats contractants des obligations positives afin de protéger les femmes contre toutes les formes de violence, dont notamment les mariages forcés. Elle explique que le Luxembourg, étant partie à la Convention d’Istanbul depuis 2018, devrait mettre en œuvre les dispositions de cette convention et que le ministre devrait respecter les impératifs de protection en découlant, ce qu’il aurait manqué de faire en considérant qu’elle pourrait retourner au Nigéria dans des conditions sûres et durables.

Enfin, la demanderesse soutient que la décision litigieuse contreviendrait au principe de non-refoulement qui serait consacré aux articles 3 de la Convention de Genève, 78 du TFUE, 19 de la Charte et 61 de la Convention d’Istanbul, alors qu’elle ne pourrait être renvoyée vers unterritoire où sa vie et sa sécurité seraient menacées, la demanderesse insistant, dans ce contexte, plus particulièrement sur le fait que son genre l’exposerait au Nigéria à des risques de traitements inhumains ou dégradants, en renvoyant à cet égard à un rapport d’Amnesty International sur la situation générale au Nigéria en 2021.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

En ce qui concerne en premier lieu la légalité externe de la décision ministérielle, et plus particulièrement le moyen de la demanderesse tiré d’un défaut de motivation de la décision litigieuse, l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 prévoit que toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et les catégories de décisions y énumérées limitativement, en l’occurrence notamment celles refusant de faire droit à la demande de l’intéressé, tel que c’est le cas en l’espèce, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base.

A cet égard, il échet de remarquer qu’au vœu de cet article 6, il suffit que la motivation soit sommaire.

Or, force est de constater que le ministre a indiqué, contrairement aux affirmations de la demanderesse, qu’elle ne remplirait pas les conditions de l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022 en retenant qu’elle pourrait retourner au Nigéria dans des conditions sûres et durables, le ministre invoquant à cet égard le fait que ledit pays ne serait actuellement pas confronté à une situation de conflit armé ou de violence endémique, que Madame … n’aurait pas prouvé qu’elle y risquerait d’être victime de traitements inhumains et dégradants, qu’elle se serait rendue en Ukraine pour y étudier et que les conditions difficiles de vie au Nigéria et le fait de ne pas pouvoir y poursuivre des études seraient des motifs de convenance personnelle ne permettant pas de justifier l’octroi d’une protection temporaire.

Dans la mesure où la demanderesse disposait de la motivation complète à la base de la décision litigieuse et qu’elle avait, en outre, la possibilité de compléter dans le cadre d’un mémoire en réplique ses éventuels griefs à l’encontre de la motivation de ladite décision, ainsi qu’à l’encontre de celle contenue dans le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, ce dont elle n’a pas fait usage, le tribunal est amené à retenir que le moyen afférent de Madame … encourt le rejet pour être non fondé.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève que la notion de « protection temporaire » est définie par l’article 2 r) de la loi du 18 décembre 2015 comme « […] une procédure de caractère exceptionnel assurant, en cas d’afflux massif ou d’afflux massif imminent de personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine, une protection immédiate et temporaire à ces personnes, notamment si le système d’asile risque également de ne pouvoir traiter cet afflux sans provoquer d’effets contraires à son bon fonctionnement, dans l’intérêt des personnes concernées et celui des autres personnes demandant une protection. […] ».

L’article 69 de la même loi dispose que « Le régime de protection temporaire est déclenché par une décision du Conseil de l’Union européenne prise dans les conditions définies par les articles 4 à 6 de la directive 2001/55/CE du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil. ».

Il est constant en cause que dans sa décision d’exécution n° 2022/382 du 4 mars 2022, le Conseil de l’Union européenne, après avoir constaté l’existence d’un afflux massif dans l’Union européenne de personnes déplacées qui ont dû quitter l’Ukraine en raison d’un conflit armé, a précisé les catégories de personnes pouvant bénéficier de la protection temporaire dans son deuxième article, dont les termes sont les suivants :

« […] 1. La présente décision s’applique aux catégories suivantes de personnes déplacées d’Ukraine le 24 février 2022 ou après cette date, à la suite de l’invasion militaire par les forces armées russes qui a commencé à cette date :

a) les ressortissants ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022;

b) les apatrides, et les ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui ont bénéficié d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022; et, c) les membres de la famille des personnes visées aux points a) et b).

2. Les Etats membres appliquent la présente décision ou une protection adéquate en vertu de leur droit national à l’égard des apatrides, et des ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui peuvent établir qu’ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 sur la base d’un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d’origine dans des conditions sûres et durables.

3. Conformément à l’article 7 de la directive 2001/55/CE, les Etats membres peuvent également appliquer la présente décision à d’autres personnes, y compris aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui étaient en séjour régulier en Ukraine et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables. […] ».

Il ressort de l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, et plus particulièrement de son troisième paragraphe, que les Etats membres peuvent étendre l’octroi d’une protection temporaire aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers qui étaient en séjour régulier en Ukraine sans y disposer d’un titre de séjour permanent en cours de validité, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables.

Tel qu’indiqué par le délégué du gouvernement dans ses écrits contentieux, le gouvernement luxembourgeois a pris le 18 mars 2022 la décision d’appliquer l’article 2 (3) de la décision du Conseil du 4 mars 2022 aux demandeurs de protection temporaire ressortissants de pays tiers en séjour régulier en Ukraine.

Ainsi, il se dégage de ces développements que, pour bénéficier d’une protection temporaire, le ressortissant de pays tiers doit démontrer (i) qu’il était en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022, à titre permanent ou temporaire, et (ii) qu’il n’est pas en mesure de rentrer dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables.

Dans la mesure où un permis de séjour temporaire a été délivré par les autorités ukrainiennes à Madame … en date du 7 septembre 2021, qui était valable jusqu’au 22 août 2022, et qu’elle a quitté l’Ukraine le 27 février 2022, force est de constater qu’elle remplit la première condition, à savoir celle d’avoir été en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022, ce qui est d’ailleurs admis par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse.

En ce qui concerne la deuxième condition, à savoir le fait que la demanderesse ne soit pas en mesure de rentrer dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables, il échet de relever que dans sa communication du 21 mars 2022, la Commission européenne a précisé que (i) l’incapacité de « retourner dans des conditions sûres » devait se fonder sur la situation générale dans le pays ou la région d’origine de la personne concernée et que celle-ci devait être en mesure de prouver et/ou de fournir des éléments attestant à première vue, au niveau individuel, qu’elle n’est pas en mesure d’y retourner, notamment en démontrant, par exemple, l’existence d’un risque évident pour sa sécurité, de situations de conflit armé ou de violence endémique, ou de risques documentés de persécution ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, et (ii) un retour « durable » supposait que la personne concernée puisse jouir dans son pays ou sa région d’origine de droits actifs lui offrant la perspective d’y voir ses besoins fondamentaux satisfaits, ainsi que la possibilité d’être réintégrée dans la société, et qu’il y avait lieu de savoir si elle avait toujours un lien significatif avec son pays d’origine, en prenant en considération, par exemple, le temps de résidence passé en Ukraine ou l’existence d’une famille dans son pays d’origine. Elle a également souligné qu’il convenait de tenir dûment compte des besoins particuliers des personnes vulnérables et des enfants, notamment les mineurs non accompagnés et les orphelins, sur la base du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Ainsi, il appartient à la demanderesse de prouver et/ou de fournir des éléments attestant à première vue, et au niveau individuel, qu’elle ne peut pas retourner au Nigéria dans des conditions sûres et durables.

A cet effet, Madame … fait valoir que la situation générale au Nigéria ne lui permettrait pas d’y retourner dans des conditions sûres et durables, en raison des violences qui seraient perpétrées par le groupe Boko Haram et du risque, en tant qu’étudiante, qu’elle y fasse l’objet de traitements inhumains et dégradants, tel qu’un enlèvement ou un mariage forcé avec un membre de cette organisation. Dans le questionnaire lui fourni au moment du dépôt de sa demande de protection temporaire, elle a également fait valoir diverses raisons liées à la situation générale de son pays d’origine, à savoir les coupures d’électricité dues aux grèves de « The Academic Staff Union of Universities (ASUU) », le fait de devoir rester chez elle les lundis en raison de « The Indigenous People of Biafra (IPOB) » et les conflits entre ces individus et les autorités nigérianes, l’augmentation de la criminalité dans les Etats d’Abia et d’Imo, les attaques commises contre des chrétiens par des musulmans, les attaques commises à Bakassy Jetty, 70 cas de trafic d’êtres humains dans l’Etat d’Abia et les enlèvements à travers le pays.

Or, le tribunal est amené à constater que ces éléments ne sont pas suffisants, à eux seuls, pour démontrer qu’il existerait au Nigéria une situation de conflit armé ou de violence endémique ou un risque général d’y subir des persécutions ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l’article 3 de la CEDH. En effet, force est de constater que la demanderesse renvoie principalement à la situation générale dans son pays d’origine, notamment à divers conflits qui se dérouleraient au Nigéria, sans mettre véritablement en relation les éléments invoqués à ce propos avec sa situation personnelle. Par ailleurs, il ressort du rapport d’Amnesty International, intitulé « Nigéria 2021 », et de l’article de France24 du 24 mai 2022, intitulé « Nigéria : une attaque jihadiste fait au moins 30 morts dans l’Etat de Borno », auxquels la demanderesse renvoie pour soutenir que le groupe Boko Haram s’en prendrait principalement aux jeunes filles et femmes étudiantes, que les attaques perpétrées par ledit groupe ont eu lieu dans l’Etat de Borno, dont la demanderesse n’est pas originaire, celle-ci ayant en effet indiqué être originaire d’…, dans l’Etat d’Abia. Ainsi, il ne ressort pas, à première vue, des éléments invoqués par Madame … que le seul fait d’être étudiante ou d’être une femme entraînerait au Nigéria un risque général d’y subir des persécutions ou d’autres peines ou traitements inhumainsou dégradants contraires à l’article 3 de la CEDH ou à la Convention d’Istanbul, contrairement à ce qu’elle invoque.

Par ailleurs, la Commission européenne a encore précisé, dans sa communication précitée, que « Lorsqu’une personne ne peut pas présenter les documents pertinents et que les États membres ne sont pas en mesure de déterminer rapidement si la personne concernée a droit à la protection temporaire ou à une protection adéquate en vertu du droit national, la Commission suggère de réorienter la personne vers la procédure d’asile. De même, les personnes qui déclarent ne pas pouvoir retourner en toute sécurité dans leur pays ou région d’origine, mais dont la procédure visant à déterminer le droit à la protection temporaire ou à une protection adéquate en vertu du droit national devient trop complexe, devraient en tout état de cause être réorientées vers la procédure d’asile »2.

Le tribunal est encore amené à constater que la demanderesse ne démontre pas non plus qu’elle n’aurait aucune perspective de voir ses besoins fondamentaux satisfaits au Nigéria, qu’elle ne pourrait plus être réintégrée dans la société nigériane, dans laquelle elle a vécu la majeure partie de sa vie, et qu’elle n’aurait plus aucun lien significatif avec son pays d’origine, Madame … ayant indiqué, à cet égard, lors du dépôt de sa demande de protection temporaire que ses parents se trouvaient toujours au Nigéria.

Au vu de ces considérations, le tribunal est amené à constater que la demanderesse n’apporte aucune preuve ou élément permettant de retenir, à première vue, qu’elle ne peut pas retourner au Nigéria dans des conditions sûres et durables.

La deuxième condition pour l’obtention d’une protection temporaire n’étant pas remplie, le moyen de la demanderesse y afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Enfin, concernant la violation alléguée par la décision déférée du principe de non-refoulement, dans la mesure où ces considérations concernent l’exécution de la décision de retour et de l’ordre de quitter le territoire du 28 juin 2022, notifiés séparément à la demanderesse le même jour, et qu’aucun recours n’a été introduit contre ces décisions, il n’appartient pas au tribunal d’examiner ces moyens, de sorte qu’ils encourent le rejet.

Au vu des développements qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que le ministre pouvait refuser, à bon droit, l’octroi d’une protection temporaire à Madame …, de sorte que le recours en annulation contre la décision lui refusant ladite protection encourt le rejet pour être non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens.

2 Commission européenne, communication du 21 mars 2022 relative aux lignes directrices opérationnelles pour la mise en œuvre de la décision d’exécution 2022/382 du Conseil constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, n° 2022/C 126 I/01, page 3.

Ainsi jugé par :

Alexandra Bochet, premier juge, Annemarie Theis, premier juge, Caroline Weyland, juge, et lu à l’audience publique du 25 septembre 2023 par le premier juge Alexandra Bochet, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Bochet Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47912
Date de la décision : 25/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 30/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-25;47912 ?

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