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25/09/2023 | LUXEMBOURG | N°47803

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 septembre 2023, 47803


Tribunal administratif N° 47803 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47803 2e chambre Inscrit le 9 août 2022 Audience publique du 25 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, sans adresse connue, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection temporaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47803 du rôle et déposée le 9 août 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, avocat à la Co

ur, assisté de Maître Elena Frolova, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre...

Tribunal administratif N° 47803 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47803 2e chambre Inscrit le 9 août 2022 Audience publique du 25 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, sans adresse connue, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection temporaire

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47803 du rôle et déposée le 9 août 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, assisté de Maître Elena Frolova, avocat, tous les deux inscrits au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Liban), de nationalité libanaise, actuellement sans adresse connue, tendant, aux termes de son dispositif, à l’annulation, sinon à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 juillet 2022 portant refus de sa demande en obtention d’une protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elena Frolova, en remplacement de Maître Michel Karp, et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 juin 2023.

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Le 7 juin 2022, Monsieur …, accompagné de son fils mineur …, né le … à … (Ukraine) et de nationalité ukrainienne, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection temporaire au sens la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection subsidiaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », suite à la décision d’exécution (UE) 2022/382 du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 2022 constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, ci-après désignée par « la décision du Conseil du 4 mars 2022 ».

Ses déclarations sur son identité furent actées par un agent de la police grand-ducale, section …, dans un rapport du même jour.

Toujours le même jour, il remplit un questionnaire en relation avec sa demande de protection temporaire.

Par décision du 14 juillet 2022, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … du rejet de sa demande de protection temporaire en les termes suivants :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection temporaire que vous avez introduite le 7 juin 2022, pour votre propre compte ainsi que pour celui de votre fils mineur …, né le … à …, de nationalité ukrainienne.

Le Conseil de l’Union européenne a décidé en date du 4 mars 2022 de déclencher le mécanisme de la protection temporaire. Pourront bénéficier de la protection temporaire les ressortissants ukrainiens, les personnes bénéficiant d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine, les ressortissants de pays tiers qui peuvent établir qu’ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d’origine dans des conditions sûres et durables ainsi que les membres de famille.

Je suis cependant dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande.

Il ressort en premier lieu des éléments de votre dossier ainsi que des informations obtenues par les autorités belges que votre épouse, de laquelle vous êtes séparé, a introduit une demande de protection internationale en Belgique ensemble avec vos enfants mineurs … et … en date du 29 août 2013. Votre épouse ainsi que vos deux enfants sont titulaires du statut de réfugié en Belgique depuis le 18 juillet 2014. Il s’ensuit que votre fils …, lequel vous avez amené au Luxembourg pour introduire une demande de protection temporaire, a son séjour régulier auprès de sa mère en Belgique depuis plusieurs années, de sorte qu’il n’est pas éligible pour l’octroi d’une protection temporaire au Luxembourg. Votre fils aurait par ailleurs quitté l’Ukraine en août 2021 de sorte à ne pas remplir les conditions pour se voir octroyer une protection temporaire. Relevons par ailleurs qu’en tant que ressortissant ukrainien, bénéficiaire du statut de réfugié, votre fils n’avait en principe de toute façon pas le droit de retourner dans son pays d’origine.

Concernant votre propre situation, il ressort des éléments de votre dossier que vous êtes de nationalité libanaise et que vous êtes titulaire d’un titre de séjour permanent en Ukraine. Il ressort de votre passeport que vous auriez travaillé à … pour … en tant que …. Les résultats de la recherche effectuée dans la base de données VIS montrent en outre que vous seriez « Diplomate », sinon « fonctionnaire » de profession. Il en ressort encore que vous êtes titulaire d’un visa polonais pour études valable du 3 octobre 2021 au 2 septembre 2022.

Vous déclarez avoir quitté l’Ukraine en date du 18 février 2022. Or, il ne ressort, d’une part, pas des éléments de votre dossier que vous auriez effectivement quitté l’Ukraine à cette date. D’autre part, vous laissez d’établir que vous ne pourriez pas retourner au Liban dans des conditions sûres et durables.

D’après les informations en ma possession, le Liban n’est actuellement pas confronté à une situation de conflit armé ou de violence endémique et au risque grave de violation systématique ou généralisée des droits de l’homme.

De plus, vous n’apportez aucune preuve permettant de conclure qu’il existe dans votre chef, un risque aggravé vous empêchant de retourner au Liban dans des conditions sûres et durables. En effet, il ressort des éléments de votre dossier que vous auriez travaillé pour les autorités libanaises en Ukraine en tant que …, de sorte que vous ne devez pas rencontrer de problèmes majeurs pour vous installer au Liban, pays où vos frères et sœur séjournent toujours.

Vos affirmations selon lesquelles la situation au Liban ne serait pas stable et que vous y auriez été menacé par une personne n’étant pas de nature à contrebalancer les conclusions ci-dessus.

2 Finalement, il peut être relevé que votre souhait que votre fils puisse aller à l’école au Luxembourg n’est pas de nature à vous permettre de bénéficier de la protection temporaire au Luxembourg. En effet votre fils dispose de son séjour légal et régulier en Belgique où il peut évidemment également suivre sa scolarité. De toute façon, le souhait d’aller à l’école dans un pays déterminé n’est pas un critère déterminant dans l’analyse d’une demande de protection temporaire.

Vous ne remplissez dès lors pas les conditions d’éligibilité relatives aux personnes auxquelles s’applique la protection temporaire telles que retenues par l’article 2 de la décision d’exécution 2022/382 du Conseil de l’Union européenne du 4 mars 2022. […] ».

Par requête déposée le 9 août 2022 et inscrite sous le numéro 47803, Monsieur … a fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation à l’encontre de la décision du ministre du 14 juillet 2022 lui ayant refusé le bénéfice de la protection temporaire.

Quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, alors qu’en vertu de l’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.

Aucune disposition légale ne prévoyant un recours au fond en la présente matière, le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation introduit contre l’acte entrepris.

Il est par contre compétent pour connaître du recours principal en annulation.

A titre liminaire, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours pour violation de l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996, en soutenant que le demandeur n’aurait à aucun moment invoqué les moyens de légalité propres à son recours en annulation.

Le demandeur n’a pas pris position par rapport au moyen d’irrecevabilité soulevé.

S’il est vrai que dans le cadre d’un recours en annulation, le tribunal administratif statue sur la légalité de la décision administrative lui déférée sur la base des moyens invoqués par la partie demanderesse tirés d’un ou de plusieurs des cinq cas d’annulation énumérés à l’article 2, paragraphe (1) de la loi précitée du 7 novembre 1996, l’exigence de l’indication formelle de l’un ou l’autre des cinq cas d’ouverture du recours en annulation ainsi légalement prévus n’est toutefois pas requise par la loi1.

Il convient de relever que si le demandeur n’a pas indiqué les cas d’ouverture de son recours en annulation et que sa motivation en droit reste assez succincte, il a néanmoins précisé dans sa requête introductive d’instance qu’il entendait introduire un recours en annulation contre la décision déférée, en reprochant au ministre d’avoir refusé de lui accorder une protection temporaire en violation de l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022 et de l’article 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », qui interdirait les discriminations.

1 Trib. adm., 29 octobre 2009, n° 24392 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 2.Etant donné que l’indication formelle du ou des cas d’ouverture tels que prévus par l’article 2 de la loi précitée du 7 novembre 1996 n’est pas requise de façon impérative et que, par ailleurs, le délégué du gouvernement n’a pas pu se méprendre sur la portée effective des moyens tels qu’invoqués à l’appui du recours sous analyse, pour avoir pris position dans son mémoire en réponse sur la violation alléguée de l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, il y a lieu d’écarter le moyen d’irrecevabilité afférent pour manquer de fondement.

A défaut d’autres moyens d’irrecevabilité, il échet de déclarer le recours principal en annulation recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A titre liminaire, il échet de constater que la décision ministérielle déférée refuse l’octroi d’une protection temporaire non seulement au demandeur mais également à son fils mineur. Or, force est de constater que Monsieur … n’invoque aucun moyen pour remettre en cause la légalité de la décision ministérielle en ce qu’elle a trait à son fils, de sorte que le tribunal n’est pas saisi de ce volet de la décision, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer à la carence des parties et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

En fait, le demandeur expose être de nationalité libanaise, être résident permanent en Ukraine et avoir travaillé comme … pour un …, ainsi que pour … à …. Il aurait quitté l’Ukraine le 18 février 2022 pour se rendre en Pologne, pays dans lequel il aurait eu un visa pour études valable jusqu’en septembre 2022, avant de venir au Luxembourg. Il explique avoir été ainsi présent en Ukraine au moment du début du conflit et avoir été résident de ce pays depuis de nombreuses années, qui serait ainsi devenu « le centre vital de ses intérêts ». Il précise qu’il ne serait pas en mesure de retourner dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables car un individu y aurait proféré des menaces de mort à son encontre suite à des faits d’adultère qui, au Liban, serait un délit puni par la loi. Il explique qu’il aurait tout perdu, comme des millions d’Ukrainiens qui auraient pu fuir la guerre, de sorte qu’il devrait être considéré comme « réfugié ukrainien » sans être discriminé en raison de sa nationalité libanaise.

En droit, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir pris en considération sa situation particulière. En renvoyant à l’article 2 (3) de la décision du Conseil du 4 mars 2022, il soutient qu’en ayant vécu légalement plusieurs années en Ukraine, il devrait être traité comme « un réfugié qui fuit la guerre » dans le prédit pays. Il explique qu’il ne serait pas en mesure de rentrer dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables en invoquant (i) le fait que le Liban serait depuis des années dans un chaos complet et se trouverait dans une crise économique qui serait, selon « la Banque mondiale », l’une des dix crises les plus graves survenues dans le monde depuis le milieu du XIXe siècle, le demandeur renvoyant dans ce contexte à un rapport d’Amnesty International, dont les références ne sont pas citées, et (ii) un accord qu’il aurait passé avec une famille libanaise dans le cadre d’un délit d’adultère afin de protéger sa famille et lui-même, le demandeur renvoyant à cet égard à une attestation sur l’honneur qu’il aurait rédigée. Il ajoute que la situation de guerre régnant actuellement en Ukraine rendrait la décision de retour vers ce pays impossible et déraisonnable à exécuter.

Après avoir cité l’article 14 de la CEDH, qui interdirait la discrimination, le demandeur fait valoir que le principe d’égalité serait un principe « constitutif de l’ordre juridique de l’Union » et de « droit constitutionnel ». Il explique, à ce propos, que le principe d’égalité aurait une double vocation, à savoir celle de fonder un « statut de citoyen », qui permettrait aux ressortissants des Etats membres d’être unis, indépendamment de leurs nationalités, par la garantie d’un « même traitement juridique », et celle de constituer « la pierre angulaire de chacun des fondements de la Communauté », tout en admettant que le principe d’égalité en droit, pour être pleinement effectif, exigerait non seulement l’identité de traitement des situations similaires, mais qu’il supposerait également que des personnes se trouvant dans dessituations différentes soient soumises à des régimes distincts. Il donne à considérer, à cet égard, qu’il subirait les conséquences de la guerre en Ukraine et qu’il aurait le droit, selon lui, de choisir, comme les Ukrainiens, un endroit pour y vivre et subvenir à ses besoins. Il reproche dans ce contexte au ministre de lui avoir suggéré de se rendre en Pologne. Enfin, il ajoute que son fils et lui seraient menacés d’être expulsés de la structure d’hébergement dans laquelle ils auraient été placés à compter du 14 août 2022. Il en conclut que la décision ministérielle encourrait l’annulation.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

A titre liminaire, le tribunal rappelle qu’il n’est pas tenu par l’ordre des moyens tel que présenté par le demandeur mais qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

En ce qui concerne tout d’abord le moyen ayant trait à une violation de l’article 14 de la CEDH aux termes duquel « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l’origine nationale ou sociale, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation. » et du principe d’égalité de traitement, le tribunal relève tout d’abord que la Cour administrative a retenu à propos de l’article 14 de la CEDH que celui-ci, à travers le principe de non-discrimination qu’il consacre, s’apparentait au principe d’égalité contenu à l’article 10bis (1) de la Constitution2, tel que rédigé au moment où elle a été amenée à statuer.

Le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente des situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée. Il appartient par conséquent aux pouvoirs publics, tant au niveau national qu’au niveau communal, de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but3.

Le tribunal constate que le demandeur soutient principalement qu’il devrait, dans le cadre de sa demande de protection temporaire, être traité comme un ressortissant ukrainien et non comme un Libanais.

Or, dans la mesure où (i) le demandeur n’a pas la nationalité ukrainienne, mais possède la nationalité libanaise, et qu’en conséquence, il se trouve manifestement dans une situation différente des ressortissants ukrainiens et (ii) les conditions d’octroi d’une protection temporaire tant aux ressortissants ukrainiens qu’à ceux provenant de pays tiers et ayant vécu en Ukraine sont expressément prévues dans la décision du Conseil du 4 mars 2022, conditions dont le demandeur ne soutient ni ne démontre qu’elles seraient discriminatoires, le tribunal est amené à retenir que Monsieur … ne peut valablement réclamer à se voir traiter de la même manière que les ressortissants ukrainiens.

Il s’ensuit que le moyen du demandeur ayant trait à une violation de l’article 14 de la CEDH et du principe d’égalité de traitement est à rejeter pour être non fondé.

2 Cour adm., 21 juin 2016, n° 37592C, Pas. adm. 2022, V° Lois et règlements, n° 30.

3 Trib. adm., 6 décembre 2000, n° 10019, Pas. adm. 2022, V° Lois et règlements, n° 9 et les autres références y citées.

Ensuite, le tribunal relève que la notion de « protection temporaire » est définie par l’article 2 r) de la loi du 18 décembre 2015 comme « […] une procédure de caractère exceptionnel assurant, en cas d’afflux massif ou d’afflux massif imminent de personnes déplacées en provenance de pays tiers qui ne peuvent rentrer dans leur pays d’origine, une protection immédiate et temporaire à ces personnes, notamment si le système d’asile risque également de ne pouvoir traiter cet afflux sans provoquer d’effets contraires à son bon fonctionnement, dans l’intérêt des personnes concernées et celui des autres personnes demandant une protection. […] ».

L’article 69 de la même loi dispose que « Le régime de protection temporaire est déclenché par une décision du Conseil de l’Union européenne prise dans les conditions définies par les articles 4 à 6 de la directive 2001/55/CE du 20 juillet 2001 relative à des normes minimales pour l’octroi d’une protection temporaire en cas d’afflux massif de personnes déplacées et à des mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir ces personnes et supporter les conséquences de cet accueil. » Il est constant en cause que dans sa décision d’exécution n° 2022/382 du 4 mars 2022, le Conseil de l’Union européenne, après avoir constaté l’existence d’un afflux massif dans l’Union de personnes déplacées qui ont dû quitter l’Ukraine en raison d’un conflit armé, a précisé les catégories de personnes pouvant bénéficier de la protection temporaire dans son deuxième article, dont les termes sont les suivants :

« […] 1. La présente décision s’applique aux catégories suivantes de personnes déplacées d’Ukraine le 24 février 2022 ou après cette date, à la suite de l’invasion militaire par les forces armées russes qui a commencé à cette date :

a) les ressortissants ukrainiens résidant en Ukraine avant le 24 février 2022;

b) les apatrides, et les ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui ont bénéficié d’une protection internationale ou d’une protection nationale équivalente en Ukraine avant le 24 février 2022; et, c) les membres de la famille des personnes visées aux points a) et b).

2. Les États membres appliquent la présente décision ou une protection adéquate en vertu de leur droit national à l’égard des apatrides, et des ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui peuvent établir qu’ils étaient en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022 sur la base d’un titre de séjour permanent en cours de validité délivré conformément au droit ukrainien, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou leur région d’origine dans des conditions sûres et durables.

3. Conformément à l’article 7 de la directive 2001/55/CE, les États membres peuvent également appliquer la présente décision à d’autres personnes, y compris aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers autres que l’Ukraine, qui étaient en séjour régulier en Ukraine et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables. […] ».

Il ressort de l’article 2 de la décision du Conseil du 4 mars 2022, et plus particulièrement de son troisième paragraphe, que les Etats membres peuvent étendre l’octroi d’une protection temporaire aux apatrides et aux ressortissants de pays tiers qui étaient en séjour régulier en Ukraine sans y disposer d’un titre de séjour permanent en cours de validité, et qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays ou région d’origine dans des conditions sûres et durables.

Tel qu’indiqué par le délégué du gouvernement dans ses écrits contentieux, le gouvernement luxembourgeois a pris le 18 mars 2022 la décision d’appliquer l’article 2 (3) de la décision du Conseil du 4 mars 2022 aux demandeurs de protection temporaire ressortissants de pays tiers en séjour régulier en Ukraine.

Ainsi, il se dégage de ces développements que, pour bénéficier d’une protection temporaire, le ressortissant de pays tiers doit démontrer (i) qu’il était en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022, à titre permanent ou temporaire, et (ii) qu’il n’est pas en mesure de rentrer dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables.

Dans la mesure où un permis de séjour permanent a été délivré par les autorités ukrainiennes à Monsieur … en date du 30 avril 2021, qui est valable jusqu’au 26 avril 2031, et qu’il a quitté l’Ukraine et est entré, au vu de son passeport, le 18 février 2022 en Pologne, soit quelques jours avant le début du conflit, force est de constater que le demandeur remplit la première condition, à savoir celle d’avoir été en séjour régulier en Ukraine avant le 24 février 2022, ce qui est d’ailleurs admis par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse.

En ce qui concerne la deuxième condition, à savoir le fait que le demandeur ne soit pas en mesure de rentrer dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables, il échet de relever que dans sa communication du 21 mars 2022 relative aux lignes directrices opérationnelles pour la mise en œuvre de la décision d’exécution 2022/382 du Conseil constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, n° 2022/C 126 I/01, ci-après désignée par « la communication de la Commission du 21 mars 2022 », la Commission européenne a précisé (i) que l’incapacité de « retourner dans des conditions sûres » devait se fonder sur la situation générale dans le pays ou la région d’origine de la personne concernée et que celle-ci devait être en mesure de prouver et/ou de fournir des éléments attestant à première vue, au niveau individuel, qu’elle n’est pas en mesure d’y retourner, notamment en démontrant, par exemple, l’existence d’un risque évident pour sa sécurité, de situations de conflit armé ou de violence endémique, ou de risques documentés de persécution ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants, et (ii) qu’un retour « durable » supposait que la personne concernée puisse jouir dans son pays ou sa région d’origine de droits actifs lui offrant la perspective d’y voir ses besoins fondamentaux satisfaits, ainsi que la possibilité d’être réintégrée dans la société, et qu’il y avait lieu de savoir si elle avait toujours un lien significatif avec son pays d’origine, en prenant en considération, par exemple, le temps de résidence passé en Ukraine ou l’existence d’une famille dans son pays d’origine. Elle a également souligné qu’il convenait de tenir dûment compte des besoins particuliers des personnes vulnérables et des enfants, notamment les mineurs non accompagnés et les orphelins, sur la base du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Ainsi, il appartient au demandeur de démontrer qu’il ne peut pas retourner au Liban dans des conditions sûres et durables telles que précisées ci-avant.

A cet effet, Monsieur … fait valoir (i) la crise économique à laquelle le Liban serait en proie et (ii) les menaces qui auraient été proférées à son encontre par un individu en raison d’une accusation d’adultère, dans le cadre duquel il aurait signé un accord.

En ce qui concerne la crise économique au Liban, force est de constater que cet élément, non autrement étayé, n’est pas suffisant à lui seul pour démontrer qu’il existerait dans ledit pays une situation de conflit armé ou de violence endémique ou un risque général d’y subir des persécutions ou d’autres peines ou traitements inhumains ou dégradants contraires à l’article 3de la CEDH, et ce d’autant plus que le demandeur reste en défaut de mettre en relation la crise économique dans son pays d’origine avec sa situation personnelle.

Si Monsieur … a certes passé plusieurs années en Ukraine, force est néanmoins de constater qu’il n’invoque aucun élément démontrant (i) l’absence de perspective de voir ses besoins fondamentaux satisfaits au Liban, - pays dans lequel il a a priori passé l’essentiel de sa vie -, (ii) qu’il ne pourrait plus être réintégré dans la société libanaise et (iii) qu’il n’aurait plus aucun lien significatif avec son pays d’origine, le tribunal étant amené à relever à cet égard que le contraire ressort de ses propres déclarations selon lesquelles il travaille à l’ambassade du Liban à ….

Quant aux menaces qui auraient été proférées à son encontre dans son pays d’origine, il échet de rappeler que la Commission européenne a précisé, dans sa communication du 21 mars 2022, précitée, que le demandeur d’une protection temporaire devait être en mesure de prouver et/ou de fournir des éléments attestant à première vue, au niveau individuel, qu’il n’est pas en mesure de retourner dans son pays d’origine.

Or, force est de constater que Monsieur … ne démontre pas qu’à première vue, un retour dans son pays d’origine entraînerait un risque évident pour sa sécurité, étant relevé que ses affirmations concernant les prétendues menaces restent essentiellement vagues et que l’accord qu’il verse - outre les questions qu’un tel accord suscite tant au niveau de sa forme que sur son contenu - renseigne que la famille concernée par le litige l’opposant à Monsieur … a renoncé en date du 25 février 2020 à la vengeance et aux poursuites judiciaires à son encontre.

Par ailleurs, la Commission européenne a encore précisé, dans sa communication précitée, que « Lorsqu’une personne ne peut pas présenter les documents pertinents et que les États membres ne sont pas en mesure de déterminer rapidement si la personne concernée a droit à la protection temporaire ou à une protection adéquate en vertu du droit national, la Commission suggère de réorienter la personne vers la procédure d’asile. De même, les personnes qui déclarent ne pas pouvoir retourner en toute sécurité dans leur pays ou région d’origine, mais dont la procédure visant à déterminer le droit à la protection temporaire ou à une protection adéquate en vertu du droit national devient trop complexe, devraient en tout état de cause être réorientées vers la procédure d’asile »4.

Au vu de ces considérations, le tribunal est amené à constater que le demandeur n’apporte aucune preuve ou élément permettant de retenir, à première vue, qu’il ne peut pas retourner au Liban dans des conditions sûres et durables.

La deuxième condition cumulative pour l’obtention d’une protection temporaire n’étant pas remplie, le moyen du demandeur y afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Au vu des développements qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que le ministre pouvait refuser, à bon droit, l’octroi d’une protection temporaire à Monsieur …, de sorte que le recours principal en annulation contre la décision lui refusant ladite protection encourt le rejet pour être non fondé.

Par ces motifs, 4 Commission européenne, communication du 21 mars 2022 relative aux lignes directrices opérationnelles pour la mise en œuvre de la décision d’exécution 2022/382 du Conseil constatant l’existence d’un afflux massif de personnes déplacées en provenance d’Ukraine, au sens de l’article 5 de la directive 2001/55/CE, et ayant pour effet d’introduire une protection temporaire, n° 2022/C 126 I/01, page 3.le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;

reçoit le recours principal en annulation en la forme ;

au fond, le dit non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, premier juge, Annemarie Theis, premier juge, et lu à l’audience publique du 25 septembre 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47803
Date de la décision : 25/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 30/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-25;47803 ?

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