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25/09/2023 | LUXEMBOURG | N°46781

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 25 septembre 2023, 46781


Tribunal administratif N° 46781 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46781 1re chambre Inscrit le 13 décembre 2021 Audience publique du 25 septembre 2023 Recours formé par l’association sans but lucratif A, …, contre un arrêté grand-ducal en matière d’associations et fondations sans but lucratif

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46781 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 décembre 2021 par Maître Jean Tonnar, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de lâ

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Tribunal administratif N° 46781 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46781 1re chambre Inscrit le 13 décembre 2021 Audience publique du 25 septembre 2023 Recours formé par l’association sans but lucratif A, …, contre un arrêté grand-ducal en matière d’associations et fondations sans but lucratif

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46781 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 13 décembre 2021 par Maître Jean Tonnar, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’association sans but lucratif A, établie ayant son siège à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés à Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une « […] décision de la Ministre de la justice […] » du 30 juillet 2021 refusant de lui reconnaître le statut d’utilité publique au sens de l’article 26-2 de la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et les fondations sans but lucratif ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 mars 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 22 avril 2022 par Maître Jean Tonnar, au nom de l’association sans but lucratif A, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 12 mai 2022 ;

Vu les pièces versées au dossier et notamment l’acte déféré ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Brahim Sahki, en remplacement de Maître Jean Tonnar, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 28 juin 2023.

___________________________________________________________________________

Par courrier électronique de son trésorier du 30 octobre 2020, l’association sans but lucratif A, ci-après désignée par « l’Association », introduisit auprès du ministère de la Justice une demande tendant à la reconnaissance du statut d’utilité publique au sens de l’article 26-2 de la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et les fondations sans but lucratif, ci-

après désignée par « la loi du 21 avril 1928 ».

Par courrier du 16 décembre 2020, le ministre de la Justice, ci-après désigné par « le ministre », transmit ladite demande au ministre des Finances, pour avis.

1 Par transmis du 7 mai 2021, ce dernier soumit au ministre l’avis défavorable du directeur de l’administration des Contributions directes du 28 avril 2021 relatif à la demande de l’Association, en précisant s’y rallier, ledit avis étant libellé comme suit :

« […] Faisant suite à votre transmis du 18 décembre 2020, réf. : 835xac61b, je me permets de vous tenir ci-joint mon avis relatif à la demande susmentionnée telle qu’elle a été présentée aux services du Ministère de la Justice par courrier daté au 30 octobre 2020 par l’Association.

Mon avis s’inspire de critères purement fiscaux, tels que mes services les appliquent afin de déterminer le régime d’imposition d’une association sans but lucratif reconnue d’utilité publique, et ne saurait dès lors servir de base exclusive pour déterminer la reconnaissance d’utilité publique de l’Association au sens de l’article 26-2 de la loi du 21 avril 1928 sur les associations et fondations sans but lucratif, une loi de nature non-fiscale dont l’interprétation ne saurait être de mes compétences.

Le régime fiscal d’une association sans but lucratif qui est reconnue d’utilité publique présente essentiellement les caractéristiques suivantes : (i) elle pourra, en principe, accueillir des dons qui sont fiscalement déductibles dans le chef des donateurs en vertu de l’article 112 L.I.R., (ii) elle est en principe exemptée de l’impôt sur le revenu des collectivités en vertu de l’article 161, al. 1, no 1 L.I.R. ; (iii) de même, elle est en principe exemptée de l’impôt sur la fortune en vertu du § 3 L.I.F. ainsi que (iv) de l’impôt commercial communal en vertu du § 3 L.I.C.C.

A cet effet, la gestion de l’association sans but lucratif et son objet devront être conformes aux critères d’utilité publique tels que définis aux paragraphes 17 à 19 de la loi d’adaptation fiscale (Steueranpassungsgesetz) et à l’ordonnance d’exécution y relative (Gemeinnützigkeits-Verordnung). Ainsi, et à titre d’exemple parmi d’autres, l’œuvre de l’association sans but lucratif devra présenter un caractère d’intérêt général accusé pour la collectivité, et ses activités devront atteindre une certaine envergure. De même, la gestion de l’association sans but lucratif ainsi que le soutien lui apporté par le donateur devront se faire sur une base désintéressée, sans qu’il n’y ait une contrepartie directe ou indirecte de la contribution effectuée.

Suivant le dossier présenté aux services du Ministère de la Justice, l’objet social de l’Association a la teneur suivante :

« L’association a pour objet d’accueillir en ses locaux les animaux domestiques (chiens et chats) abandonnés ou errants et de veiller à leur trouver au plus vite, une famille d’adoption adéquate.

Elle a encore pour objet de répandre les idées de bonté envers les animaux et d’employer tous les moyens pratiques et légaux pour leur assurer une protection efficace :

a) contre les sévices exercés sur eux par méchanceté, étourdie ou légèreté ;

b) contre les mauvais traitements leur infligés à l’occasion du travail qu’on leur impose ;

- contre les persécutions de ceux qui méconnaissent la dignité des bêtes comme êtres vivants ayant droit à la vie. » 2 Il ressort des pièces transmises que l’Association a participé à quelques activités (grillen beim Cactus …, Chrëscht-Bazar, Chrëschtmart am Lycée …), a organisé des portes ouvertes de l’asile et une journée nettoyage du refuge, et a recueilli et fait adopter un certain nombre de chiens et chats.

Les activités auxquelles l’Association a participé ou organisé sont géographiquement limitées, principalement dans la commune … et/ou ses alentours. Le cercle des bénéficiaires est donc limité à un critère géographique, de sorte que l’intérêt s’analyse principalement comme un intérêt local et non général.

Sans vouloir mettre en doute ni l’intérêt certain que présentent les activités ci-dessus, ni le sérieux de l’Association, l’envergure des activités et la structure de l’organisation ne semblent pas assez étendues ou développées pour rentrer dans le cadre de l’article 112 L.I.R.

Dans l’intérêt du sérieux et de l’esprit de la désignation d’utilité publique ainsi que de la faveur fiscale de l’article 112 L.I.R. y rattachée, il est indispensable de ne pas étendre outre mesure le cercle des bénéficiaires à des associations d’envergure et de portée limitées.

Il résulte dès lors des développements qui précèdent, ainsi que des éléments du dossier, que les activités de l’Association ne correspondent pas aux exigences des dispositions légales régissant le régime fiscal des associations sans but lucratif qui sont reconnues d’utilité publique.

Eu égard aux développements qui précèdent, la reconnaissance du statut d’utilité publique est à déconseiller. […] ».

Aux termes d’une note du 29 juillet 2021, le ministre proposa au Grand-Duc de refuser la reconnaissance du statut d’utilité publique à l’Association, cette note étant rédigée comme suit :

« […] L’association sans but lucratif dénommée « ASSOCIATION A » a sollicité la reconnaissance du statut d’utilité publique.

L’objet social de l’association a la teneur suivante : « L’association a pour objet d’accueillir en ses locaux les animaux domestiques (chiens et chats) abandonnés ou errants et de veiller à leur trouver au plus vite, une famille d’adoption adéquate.

Elle a encore pour objet de répandre les idées de bonté envers les animaux et d’employer tous les moyens pratiques et légaux pour leur assurer une protection efficace :

a) contre les sévices exercés sur eux par méchanceté, étourdie ou légèreté ;

b) contre les mauvais traitements leur infligés à l’occasion du travail qu’on leur impose ;

c) contre les persécutions de ceux qui méconnaissent la dignité des bêtes comme êtres vivants ayant droit à la vie. ».

Il ressort des pièces du dossier que l’association précitée a participé à quelques festivités, a organisé des portes ouvertes de l’asile et une journée nettoyage du refuge, a recueilli et fait adopter un certain nombre de chiens et chats.

Les activités auxquelles l’association précitée a participé ou qu’elle a organisé sont géographiquement limitées, principalement dans la commune … et ses alentours.

3 Par conséquent, le cercle des bénéficiaires est limité à un critère géographique, de sorte que l’intérêt s’analyse principalement comme un intérêt local et non général.

Il ressort de l’avis négatif du Ministre des Finances du 7 mai 2021 que l’envergure des activités et la structure de l’organisation ne semblent pas assez étendues ou développées pour rentrer dans le cadre de l’article 112 L.I.R. et que les activités de l’association ne correspondent pas aux exigences des dispositions légales régissant le régime fiscal des associations sans but lucratif qui sont reconnues d’utilité publique.

Il est par conséquent proposé de refuser le statut d’utilité publique à l’association sans but lucratif dénommée « ASSOCIATION A ». […] ».

Par arrêté grand-ducal du 30 juillet 2021, la reconnaissance du statut d’utilité publique fut refusée à l’Association, ledit arrêté reposant sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu l’article 26-2 de la loi modifiée du 21 avril 1928 sur les associations et les fondations sans but lucratif ;

Considérant l’acte sous seing privé du 4 mars 2014 contenant les statuts modifiés de l’association sans but lucratif dénommée « ASSOCIATION A », inscrite au registre de commerce et des sociétés sous le numéro … ;

Considérant l’avis négatif du Ministre des Finances du 7 mai 2021 ;

Considérant que l’association sans but lucratif dénommée « ASSOCIATION A » a sollicité la reconnaissance du statut d’utilité publique ;

Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que l’association précitée a participé à quelques festivités, a organisé des portes ouvertes de l’asile et une journée nettoyage du refuge, et a accueilli et fait adopter un certain nombre de chiens et chats ;

Considérant que les activités auxquelles l’association précitée a participé ou qu’elle a organisé sont géographiquement limitées, principalement dans la commune … et ses alentours ;

Considérant que le cercle des bénéficiaires est dès lors limité à un critère géographique, de sorte que l’intérêt s’analyse principalement comme un intérêt local et non général ;

Considérant qu’il ressort de l’avis négatif du Ministre des Finances du 7 mai 2021 que l’envergure des activités et la structure de l’organisation ne semblent pas assez étendues ou développées pour rentrer dans le cadre de l’article 112 L.I.R. et que les activités de l’association précitée ne correspondent pas aux exigences des dispositions légales régissant le régime fiscal des associations sans but lucratif qui sont reconnues d’utilité publique ; […] ».

Par courrier recommandé avec accusé de réception du 21 septembre 2021, réceptionné le lendemain, le ministre transmit ledit arrêté grand-ducal à l’Association, tout en l’informant des voies de recours applicables.

4 Par courrier recommandé de son litismandataire du 8 octobre 2021, réceptionné le 19 octobre 2021, l’Association fit introduire auprès du ministre un recours gracieux à l’encontre de l’arrêté grand-ducal, précité, du 30 juillet 2021, qui resta sans réponse.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 13 décembre 2021, l’Association a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation dudit arrêté grand-ducal du 30 juillet 2021, étant relevé que la référence faite dans ladite requête à une « […] décision de la Ministre de la justice […] du 30 juillet 2021 […] » est manifestement constitutive d’une erreur matérielle, alors qu’il ressort sans équivoque des pièces versées à l’appui de la requête, ainsi que de l’ensemble des circonstances de la cause que l’acte déféré est bien le susdit arrêté grand-ducal.

Aucune disposition légale ne prévoyant de recours au fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours principal en réformation.

Il est, en revanche, compétent pour connaître du recours subsidiaire en annulation, lequel est recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A titre liminaire, le tribunal relève qu’à l’audience publique des plaidoiries du 28 juin 2023, le délégué du gouvernement a déclaré renoncer à son moyen ayant trait à la tardiveté du mémoire en réplique de l’Association. Il y a lieu d’en donner acte à la partie étatique.

Arguments des parties A l’appui de son recours, l’Association conteste la motivation fournie à l’appui de l’avis du ministre des Finances du 7 mai 2021, telle que reprise par l’arrêté grand-ducale déféré, aux termes de laquelle ses activités seraient géographiquement limitées, principalement dans la commune … et ses alentours, de sorte que le cercle des bénéficiaires serait limité à un critère géographique et que, dès lors, l’intérêt s’analyserait principalement comme un intérêt local et non général.

A cet égard, elle fait valoir qu’elle accueillerait des animaux en provenance, non seulement de la ville … et de ses alentours, mais de l’ensemble du territoire luxembourgeois.

Ainsi, le cercle de ses bénéficiaires ne serait pas limité à un critère géographique et l’intérêt invoqué serait d’ordre général et concernerait l’intégralité du Grand-Duché de Luxembourg, l’Association ajoutant que toutes ses activités et la structure de son organisation seraient étendues et développées et rentreraient dans le cadre de l’article 112 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu.

Par ailleurs, elle donne à considérer que la liste des associations sans but lucratif bénéficiant du statut d’utilité publique serait très variée et étendue et qu’il serait « frappant » de constater qu’y figurerait l’association sans but lucratif B, ci-après désignée par « l’association B ».

Dans ce contexte, elle s’interroge sur la question de savoir pourquoi « […] les animaux, respectivement les protecteurs des animaux, de la ville de Dudelange [seraient] traités d’une manière différente par rapport aux animaux, respectivement aux protecteurs des animaux, … […] », tout en donnant à considérer qu’il serait « […] incompréhensible pourquoi un chat ou un chien de Dudelange bénéficierait du statut d’utilité publique et les chiens et les chats qui 5 [seraient] recueillis, hébergés, protégés et soignés à travers tout le pays par la « ASSOCIATION A » ne bénéficierai[en]t pas du statut d’utilité publique […] ».

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, en soulignant qu’il ne serait pas établi que l’Association aurait des activités au-delà du territoire de la commune … et que ses activités se répandraient sur l’ensemble du territoire national, tel que soutenu par la partie demanderesse.

Ainsi, en l’absence d’éléments concrets permettant d’apprécier l’intérêt général des activités exercées au niveau national par l’Association, il y aurait lieu de considérer que les acticités de cette dernière seraient essentiellement locales et n’auraient pas l’envergure requise pour l’obtention du statut d’utilité publique.

Le représentant étatique ajoute que l’association B aurait communiqué des éléments concrets dont il se dégagerait que les chiens et chats recueillis proviendraient de 55 communes luxembourgeoises et de 16 communes situées en dehors du territoire national, tandis que l’Association n’aurait pas fourni de tels éléments.

Par ailleurs, il se dégagerait des rapports d’activités de l’Association que les activités de cette dernière seraient de moindre envergure que celles exercées par l’association B.

Il s’ensuivrait que ces deux associations sans but lucratif ne seraient pas dans une situation comparable et qu’un traitement différent de leurs demandes respectives de reconnaissance du statut d’utilité publique serait justifié.

En conclusion, le délégué du gouvernement soutient que ce serait à bon droit que la reconnaissance dudit statut aurait été refusé à l’Association.

Dans son mémoire en réplique, cette dernière soutient qu’« […] il n’y a[urait] aucune différence entre une protection des animaux de Dudelange ou une protection des animaux … […] ».

Par ailleurs, elle se prévaut de deux attestations testimoniales dont il se dégagerait qu’elle accueillerait des animaux de toutes sortes et en provenance de toutes les localités du pays, et non seulement de la ville ….

Subsidiairement, elle formule une offre de preuve par témoins.

Dans son mémoire en duplique, le délégué du gouvernement insiste sur le fait que les activités exercées par l’Association, qui seraient essentiellement locales, seraient insuffisantes pour la reconnaissance du statut d’utilité publique.

A cet égard, il fait valoir que l’article 26-2 de la loi du 21 avril 1928 permettrait de reconnaître la vocation particulière de certaines associations sans but lucratif poursuivant des buts d’intérêt général en les distinguant de la grande majorité des associations constituées uniquement pour des besoins locaux ou regroupant des personnes adonnées à une certaine activité limitée au cercle des adhérents.

Par conséquent, la reconnaissance du statut d’utilité publique présupposerait la poursuite d’activités d’une certaine envergure et ayant un rayonnement national. Une activité 6 limitée, qui présenterait un intérêt certain en soi, ne contribuerait pas forcément à l’intérêt général de la collectivité, le représentant se prévalant, dans ce contexte, d’un jugement du tribunal administratif du 30 mars 2022, portant le numéro 45112 du rôle.

Dès lors, et dans la mesure où, en l’espèce, aucun élément ne permettrait de conclure que les activités de l’Association seraient d’importance nationale et pourraient être qualifiées d’utilité publique, ce serait à juste titre que la reconnaissance du statut d’utilité publique aurait été refusée à l’Association à travers l’arrêté grand-ducal déféré.

Appréciation du tribunal Aux termes de l’article 26-2 de la loi du 21 avril 1928 « Les associations sans but lucratif qui poursuivent un but d’intérêt général à caractère philanthropique, religieux, scientifique, artistique, pédagogique, social, sportif ou touristique peuvent être reconnues d’utilité publique par arrêté grand-ducal […] ».

En l’espèce, il n’est pas litigieux que les activités de protection des animaux poursuivies par l’Association sont, de par leur nature, susceptibles de tomber dans le champ d’application de l’article 26-2, précité, de la loi du 21 avril 1928, la Cour administrative ayant, d’ailleurs, retenu, dans un arrêt du 20 décembre 2022, portant le numéro 47415C du rôle1, que de telles activités peuvent être rattachées au critère « social » prévu par cette disposition légale.

En revanche, les parties sont, en substance, en désaccord quant à la question de savoir si les activités de l’Association sont d’une envergure suffisante pour justifier la reconnaissance du statut d’utilité publique.

Quant aux critères à prendre en considération en vue de la reconnaissance dudit statut, la Cour administrative a retenu ce qui suit, dans le susdit arrêt du 20 décembre 2022 :

« […] Tel que la Cour a pu le préciser dans son arrêt du 15 novembre 2022 (n° 47344C du rôle), en matière de fondations d’utilité publique, également pour les associations sans but lucratif, les critères de l’attribution de l’utilité publique doivent résulter de la loi visant directement ces entités, c’est-à-dire celle du 21 avril 1928 à l’exception de ceux issus de la loi fiscale et plus précisément des articles 17 et suivants StAnpG contenant notamment les critères de « Wohl der luxemburger Volksgemeinschaft » et de « Anschauungen der Volksgesamtheit », devant rester étrangers à la question précise sous analyse.

Si le critère d’une « certaine envergure » ne découle comme tel ni de l’article 26-2 de la loi du 21 avril 1928 ni des autres dispositions de la même loi, le caractère ex post de l’analyse nécessairement menée comme telle implique cependant l’exigence d’une consistance vérifiée de l’activité de l’association en question dans le domaine pertinent visé, de même que des modalités d’exercice afférentes conformes à la loi.

Toujours en termes de systémique, cette consistance doit essentiellement s’envisager de deux manières, soit verticalement en profondeur en vue de dégager les différents aspects concrets de l’activité en faveur des personnes visées, en l’espèce, surtout, à travers elles les animaux touchés dont la protection est mise en exergue comme objectif, tandis que horizontalement, en largeur, il s’agit précisément de voir quelle est l’étendue – locale, 1 Cour adm., 20 décembre 2022, n° 47415C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

7 régionale, nationale, voire même internationale – de l’activité sous les aspects prévisés. C’est ainsi qu’une consistance vérifiée en profondeur et en largeur doit être utilement mise en avant par une association sans but lucratif pour que la reconnaissance de l’utilité publique puisse lui être valablement conférée. […] ».

S’il se dégage des attestations testimoniales versées en cause que l’Association accueille des animaux en provenance non seulement de la ville …, mais aussi du reste du territoire luxembourgeois, cet élément est néanmoins insuffisant à lui seul pour justifier la reconnaissance du statut d’utilité publique. En effet, il ressort des enseignements du susdit arrêt de la Cour administrative que la reconnaissance dudit statut suppose une « consistance vérifiée en profondeur et en largeur » de l’activité en question. De l’entendement du tribunal, ce critère ne se limite pas à la seule prise en considération de la portée géographique de l’activité en cause, mais il s’agit également de tenir compte de son envergure concrète.

A cet égard, le tribunal relève qu’il ressort des rapports d’activités de l’Association des années 2017 à 2019, tels que figurant au dossier administratif, qu’outre l’accueil d’animaux dans un refuge, l’activité de la partie demanderesse se limite à l’organisation et à la participation à quelques événements ponctuels de faible ampleur (« Grillen beim Cactus », « Porte ouverte », « Ch[r]ëscht-Bazar », « Botzaktioun am Asyl », « Stand um Chrëschtmoart am … »).

Il se dégage de ces mêmes pièces que le refuge pour animaux de l’Association accueille exclusivement des chiens et des chats.

Le rapport d’activités de l’année 2017 précise qu’au cours de cette année, 74 et chiens et 88 chats ont été accueillis et que 40 chiens et 73 chats ont pu être confiés à de nouveaux propriétaires. Il s’en dégage également que l’Association occupait 4 salariés et qu’elle disposait de 7 collaborateurs mis à sa disposition par le Service national d’action sociale. Le compte « profits et pertes » de la même année fait état de frais de « Nourriture animaux » de 4.750,91 euros, soit 395,91 euros par mois. Le montant total des charges et des revenus était de 132.545,15 euros.

Le rapport d’activités de l’année 2018 indique que durant l’année en question, 78 chiens et 78 chats ont été accueillis, que 44 chiens et 60 chats ont trouvé de nouveaux propriétaires et qu’au moment de l’établissement dudit rapport, 3 chiens et 2 chats vivaient au refuge. Le personnel de l’Association comptait 4 salariés, soutenus par des collaborateurs mis à disposition par le Service national d’action social. Aux termes du compte « profits et pertes » de l’année en question, les frais de « Nourriture animaux » exposés en 2018 se sont élevés à 2.174,07 euros, soit 181,17 euros par mois, le montant total des charges et des revenus ayant été de 140.471,39 euros.

Il ressort du rapport d’activités de l’Association de l’année 2019 qu’au cours de l’année en question, 40 chiens et 104 chats ont été accueillis, que 38 chiens et 102 chats ont pu être adoptés et qu’à la date de l’établissement dudit rapport, le refuge hébergeait 6 chiens et 3 chats.

Il s’en dégage également que l’Association occupait 4 salariés et des collaborateurs mis à sa disposition par le Service national d’action social. Le compte « profits et pertes » de la même année fait état de frais de « Nourriture animaux » de 1.956,07 euros, soit 163,01 euros par mois. Le montant total des charges et des revenus était de 291.545,16 euros, l’augmentation dudit montant par rapport aux années antérieures s’expliquant essentiellement, non pas par un 8 accroissement du volume des activités, mais par une augmentation significative des revenus perçus au titre des « Dons décès, héritages ».

Au vu de l’ensemble de ces éléments, dont il se dégage que l’envergure de l’activité d’accueil d’animaux de l’Association demeure globalement assez limitée, tant au niveau des espèces visées – à savoir exclusivement des chiens et des chats, tel que relevé ci-avant – qu’en ce qui concerne le nombre d’animaux hébergés, le tribunal retient qu’il n’est pas établi que les activités de la partie demanderesse seraient d’une envergure suffisante pour qu’il puisse être retenu qu’elles présenteraient une « consistance vérifiée en profondeur et en largeur » au sens de l’arrêt, précité, de la Cour administrative. Ainsi, en refusant à l’Association la reconnaissance du statut d’utilité publique revendiquée par elle, le Grand-Duc n’a pas dépassé sa marge d’appréciation.

L’Association formule encore une offre de preuve par témoins, portant sur les faits suivants :

« L’association sans but lucratif ASSOCIATION A reçoit des animaux de toutes races en provenance de toutes les localités du pays et même des localités transfrontalières ».

A cet égard, le tribunal relève que les faits offerts en preuve ne sont en tout état de cause pas de nature à invalider les conclusions dégagées ci-avant. En effet, le tribunal vient de retenir que dans le cadre de l’application de l’article 26-2 de la loi du 21 avril 1928, la portée géographique de l’activité concernée n’est pas déterminante à elle seule, mais qu’il s’agit également de tenir compte de son envergure concrète, laquelle vient, en l’espèce, d’être jugée insuffisante pour justifier la reconnaissance du statut d’utilité publique, et ce sur base d’une analyse des données chiffrées se dégageant des rapports d’activités et de la comptabilité de la partie demanderesse. Par ailleurs, pour autant qu’à travers l’emploi des termes « animaux de toutes races », la partie demanderesse ait entendu prouver qu’elle accueillerait des animaux autres que des chiens et des chats, force est de constater que ce volet de l’offre de preuve sous examen est contredit par les éléments probants d’ores et déjà soumis à l’appréciation du tribunal, à savoir non seulement les susdits rapports d’activités, les attestations testimoniales versées en cause et le courriel, précité, du trésorier de l’Association du 30 octobre 2020, pièces qui font toutes exclusivement état de l’accueil de chiens et de chats, mais aussi la description de l’objet de l’Association telle que figurant dans ses statuts, dont il se dégage que seuls sont visés les chiens et les chats.

Au vu de ces considérations, l’offre de preuve par témoins telle que formulée par l’Association est à rejeter pour n’être ni concluante, ni pertinente.

Pour autant qu’à travers son argumentation relative au statut d’utilité publique reconnu à l’association B, l’Association ait entendu se prévaloir d’une violation du principe constitutionnel d’égalité devant la loi, le tribunal relève que ce principe, tel qu’inscrit à l’article 10bis de la Constitution dans sa version en vigueur au jour de la décision déférée, suivant lequel tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi, applicable à tout individu touché par la loi luxembourgeoise si les droits de la personnalité, et par extension les droits extrapatrimoniaux sont concernés, ne s’entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon. Le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée. Il appartient par conséquent aux pouvoirs publics, tant au niveau national qu’au niveau communal, de traiter de 9 la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but.2 Le principe constitutionnel d’égalité devant la loi édicté par l’article 10bis (1) de la Constitution appelle une analyse à deux degrés : dans un premier stade, il y a lieu, de façon préalable, de vérifier la comparabilité des deux catégories de personnes par rapport auxquelles le principe est invoqué. Ce n’est que si cette comparabilité est vérifiée que, dans un deuxième stade, la juridiction saisie analyse si la différenciation qui existe par hypothèse entre ces deux catégories de personnes est objectivement justifiée ou non.3 Or, en l’espèce, le tribunal ne s’est pas vu soumettre d’éléments concrets dont il se dégagerait que de par la nature et l’envergure de leurs activités respectives, l’Association et l’association B se trouveraient dans une situation suffisamment comparable pour que le principe d’égalité de traitement puisse trouver vocation à s’appliquer.

Le moyen sous analyse encourt, dès lors, le rejet.

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Compte tenu de l’issue du litige, l’Association est à débouter de sa demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 1.750 euros.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte à la partie étatique de ce qu’elle renonce à son moyen ayant trait à la tardiveté du mémoire en réplique de la partie demanderesse ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

déboute la partie demanderesse de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure de 1.750 euros ;

condamne la partie demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 25 septembre 2023 par :

2 Trib. adm. 6 décembre 2000, n° 10019 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Lois et règlements, n° 9 et les autres références y citées.

3 Cour adm., 5 mai 2009, n° 24618C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Lois et règlements, n° 11 et les autres références y citées.

10 Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, vice-président, Benoît Hupperich, juge, en présence du greffier Lejila Adrovic.

Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 25 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 46781
Date de la décision : 25/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 30/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-25;46781 ?

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