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18/09/2023 | LUXEMBOURG | N°46940

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 18 septembre 2023, 46940


Tribunal administratif N° 46940 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46940 1re chambre Inscrit le 26 janvier 2022 Audience publique du 18 septembre 2023 Recours formé par l’établissement public A, …, et Madame B, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes, en matière d’accès aux documents

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46940 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2022 par Maître Charles Muller, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoca

ts à Luxembourg, au nom de l’établissement public A, établi et ayant son siège à L-…, ...

Tribunal administratif N° 46940 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46940 1re chambre Inscrit le 26 janvier 2022 Audience publique du 18 septembre 2023 Recours formé par l’établissement public A, …, et Madame B, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes, en matière d’accès aux documents

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46940 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2022 par Maître Charles Muller, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de l’établissement public A, établi et ayant son siège à L-…, inscrit au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représenté par son conseil d’administration actuellement en fonctions, et de Madame B, demeurant professionnellement à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une « […] décision implicite de refus du directeur de l’ADMINISTRATION DES CONTRIBUTIONS DIRECTES […] du fait du silence gardé pendant un mois à la suite de l’avis n° … adopté le 13 octobre 2021 par la COMMISSION D’ACCES AUX DOCUMENTS […] » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 avril 2022 ;

Vu le mémoire en réplique, déposé au greffe du tribunal administratif en date du 20 mai 2022 par Maître Charles Muller, au nom des parties demanderesses, préqualifiées ;

Vu les pièces versées en cause ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Charles Muller et Monsieur le délégué du gouvernement Tom Kerschenmeyer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 mai 2023.

___________________________________________________________________________

Par courrier électronique du 18 août 2021, Madame B, rédactrice en chef adjointe de « … », dont l’établissement public A, ci-après désigné par « établissement A », est l’opérateur, demanda à l’administration des Contributions directes, ci-après désignée par « l’administration », de lui communiquer, sur base de la loi modifiée du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte, ci-après désignée par « la loi du 14 septembre 2018 », l’ensemble des circulaires et notes de service abrogées par la note de service L.I.R./NS n° 0 du 9 février 2021 et par les circulaires suivantes :

 L.I.R. n° 0 du 9 février 2021,  I.C.A. n° 7 du 9 février 2021,  I.Cap. n° 22 du 9 février 2021,  B.R.I. n° 01/2021 du 9 février 2021,  R.T.S. n° 25 du 9 février 2021,  R.R.C. n° 6 du 9 février 2021,  I.T. n° 12 du 9 février 2021,  I.R.C. n° 11 du 9 février 2021,  I.R. n° 174 du 9 février 2021,  L.G.-Int. n° 22 du 9 février 2021,  L.G.-P n° 74 du 9 février 2021,  L.I.R. n° 115/2 du 9 février 2021 et  L.I.R. n° 115/3 du 9 février 2021.

Le directeur de l’administration, ci-après désigné par « le directeur », refusa de faire droit à cette demande par décision du 10 septembre 2021, libellée comme suit :

« […] Par la présente, j’accuse bonne réception de votre demande susmentionnée dans le cadre de la loi modifiée du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte et visant la mise à disposition de circulaires et notes de service abrogées.

J’attire votre attention sur le fait que votre demande vise des communications internes et qu’en raison des dispositions de l’article 7, point 4, de la loi susmentionnée, je n’entends pas y donner de suite favorable. […] ».

Par courrier électronique du 28 septembre 2021, Madame B saisit la Commission d’accès aux documents, ci-après désignée par « la CAD », d’une demande d’avis.

Le 13 octobre 2021, la CAD rendit son avis n° …, libellé comme suit :

« […] Par courriel du 28 septembre 2021, Madame B, rédactrice en chef adjointe de la …, a saisi la CAD pour avis en application de l’article 10 de la loi du 14 septembre 2018 relative à une administration transparente et ouverte (la « Loi »). Cette saisine fait suite à une demande de communication datée du 18 août 2021 à l’ACD portant sur des circulaires et notes de service de l’ACD qui ont été abrogées en date du 9 février 2021. La demande de communication a fait l’objet d’une décision de refus en date du 10 septembre 2021.

Sur demande de la CAD, l’ACD lui a fait parvenir une prise de position comportant ses motifs de refus et lui a communiqué les documents sollicités, à l’exception des documents suivants que l’ACD ne détient plus :

 I.R. n° 5 du 11 mai 1948 ;

 I.R. n° 7 du 12 juillet 1948 ;

 I.R. n° 41 du 10 septembre 1951.

La CAD a examiné le dossier lors de sa réunion du 7 octobre 2021.

L’ACD a fondé son refus de communication des documents demandés sur l’article 7, point 4° de la Loi qui prévoit que « La demande de communication peut être refusée si la demande concerne des communications internes ». Or, la CAD est d’avis que les circulaires et notes de service sollicitées constituent des instruments de transparence qui ont un impact sur les contribuables et ne peuvent être considérées comme des communications internes au sens de la Loi. Il y a lieu de rappeler que les circulaires et notes de service en question n’ont pas été annulées ab initio, mais qu’elles ont été abrogées en date du 9 février 2021 « avec effet immédiat », et donc pour le futur. Une circulaire ne devient pas une communication interne le jour de son abrogation, étant donné qu’elle continue à informer sur la teneur de la position de l’ACD dans le domaine visé et pendant sa durée de validité.

Partant, la CAD est d’avis que les documents sollicités sont communicables au demandeur, pour autant qu’ils existent. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 janvier 2022, établissement A et Madame B ont fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la « […] décision implicite de refus du directeur […] du fait du silence gardé pendant un mois à la suite de l’avis n° … adopté le 13 octobre 2021 par la [CAD] […] ».

I) Quant à la compétence et à la recevabilité du recours Aux termes de l’article 10 (3) de la loi du 14 septembre 2018, « Lorsque la Commission d’accès aux documents est d’avis que le document sollicité est communicable, et si l’organisme décide de suivre l’avis de la Commission d’accès aux documents, il est tenu de communiquer le document demandé dans un délai d’un mois à partir de la réception de l’avis de la Commission d’accès aux documents. En cas d’absence de communication du document sollicité dans le délai d’un mois, l’organisme est réputé avoir rejeté la demande. Ce refus est susceptible d’un recours en réformation à introduire dans un délai de trois mois devant le Tribunal administratif. ».

Dès lors, et dans la mesure où, en l’espèce, d’une part, la CAD a conclu au caractère communicable des documents sollicités et, d’autre part, il est constant que ces derniers n’ont pas été communiqués dans le délai d’un mois, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision implicite de refus du directeur, telle que déférée, ledit recours étant encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

II) Quant au fond Moyens et arguments des parties A l’appui de leur recours, les parties demanderesses exposent les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée.

En droit, après avoir cité les articles 1er (1), 3 et 7 de la loi du 14 septembre 2018 et en se prévalant de la jurisprudence des juridictions administratives, elles soulignent que les travaux parlementaires relatifs à ladite loi seraient muets quant à la définition à donner à la notion de « communications internes ».

Après avoir cité des extraits (i) d’un ouvrage doctrinal, (ii) d’un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (« CJUE ») du 20 janvier 20211, censé apporter des précisions quant à la portée de la notion de « communications internes », au sens de l’article 4 (1) e) de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement et abrogeant la directive 90/313/CEE du Conseil, ci-après désignée par « la directive 2003/4/CE », ainsi que (iii) du « Guide d’application » de la Convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, faite à Aarhus le 25 juin 1998 et approuvée par la loi du 31 juillet 2005, publié en 2014 par la Commission Economique des Nations Unies pour l’Europe, les parties demanderesses insistent sur le fait qu’une circulaire serait à considérer comme un outil de transparence, ainsi que cela se dégagerait d’un jugement du tribunal administratif du 10 juillet 2018, portant le numéro 39690 du rôle et tel que la CAD l’aurait également retenu dans son avis du 13 octobre 2021.

Selon les parties demanderesses, la notion de « communications internes » ne devrait désigner que les informations diverses à usage proprement interne qui serviraient à élaborer une décision et qui ne seraient pas destinées à produire des effets en dehors de l’administration elle-même.

Or, les circulaires et notes de service du directeur, en tant qu’outils de transparence, ne sauraient être qualifiées de « communications » et ne pourraient encore moins être considérées comme étant « internes » à l’administration, alors que celle-ci les mettrait à disposition du public jusqu’à leur abrogation.

Dans ce contexte, les parties demanderesses soulignent que dans le cadre de la mise en balance que le juge devrait effectuer entre l’intérêt privé du demandeur et l’intérêt général, il conviendrait de tenir compte du fait que le refus de communication des circulaires et notes de service susmentionnées ne serait pas à même de répondre au besoin que pourrait avoir l’administration de disposer d’un espace protégé pour poursuivre ses réflexions et débats internes, cette considération étant, d’après les parties demanderesses, la seule qui pourrait motiver un refus fondé sur la protection des « communications internes ».

Les circulaires et notes de service du directeur ne sauraient être qualifiées de « communications internes », étant donné qu’il s’agirait de documents publiés sur le site internet de l’administration, par lesquels le directeur entendrait imposer aux administrés des normes réglementaires ou interpréter des règles qui leur seraient applicables.

Les parties demanderesses estiment que retenir le contraire reviendrait à méconnaître leur droit à la liberté d’expression, en soulignant qu’en leurs qualités respectives d’opérateur d’une radio et de journaliste, elles exerceraient une mission de « chiens de garde » de la démocratie, tout en précisant que la demande d’accès aux circulaires et notes de service litigieuses aurait pour but de réunir des informations en vue de réaliser une enquête journalistique.

Sur ce dernier point, les parties demanderesses expliquent que les documents sollicités seraient de nature à susciter un débat public, après leur traitement journalistique, et que l’accès à ces documents devrait permettre de contribuer à la transparence sur la conduite des affaires publiques, voire créer une controverse.

1 CJUE, 20 janvier 2021, Land Baden-Württemberg c. D.R, C-619/19.

Etant donné que l’administration n’aurait fourni aucun motif susceptible de justifier la décision implicite de refus déférée, celle-ci devrait encourir la réformation, en ce sens qu’il y aurait lieu d’ordonner la communication des documents sollicités.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours.

Il soutient que la loi du 14 septembre 2018 poserait le principe de l’ouverture et du partage en ligne des documents administratifs. Le législateur aurait révisé la liste des restrictions au droit d’accès, telles que prévues initialement par le projet de loi n° 6540 relative à l’accès des citoyens aux documents détenus par l’administration, en reformulant certaines exceptions libellées de manière trop générale afin de les assortir de conditions plus strictes.

Sous l’égide de la loi du 14 septembre 2018, le principe serait que tous les documents détenus par une administration ou un service de l’Etat, une commune, un établissement public et une personne morale fournissant un service public seraient accessibles et qu’il suffirait que les documents sollicités revêtent un caractère administratif et qu’ils se rapportent donc à la gestion d’une activité administrative. Ainsi, l’accès aux documents constituerait dorénavant la règle générale, tandis que les motifs d’exception seraient interprétés de manière restrictive.

La jurisprudence retiendrait que la loi du 14 septembre 2018 aurait un spectre d’application large et général, puisqu’elle viserait à assurer, indépendamment et en-dehors de toute procédure particulière, la transparence de l’action administrative en conférant aux administrés un droit d’accès élargi à l’information et aux documents administratifs, ladite loi ayant pour objet de définir le cadre pour la mise en œuvre d’une politique d’ouverture aux citoyens des documents qui sont détenus par les administrations et services de l’Etat, les communes, les établissements publics placés sous leur tutelle ainsi que les personnes morales fournissant des services publics. En principe, les documents administratifs tombant dans le champ d’application de la loi en question seraient désormais tous accessibles, de sorte que chaque citoyen se verrait conférer un droit de demander aux services administratifs la communication de copies des documents s’inscrivant dans le cadre de leurs activités administratives.

Ce droit ne serait cependant pas sans limites.

Ainsi, l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018 prévoirait que la demande de communication pourrait être refusée si elle concerne des communications internes.

Après avoir relevé que la notion de « communications internes » ne serait définie ni par la loi du 14 septembre 2018 ni par les travaux parlementaires afférents, le représentant étatique donne à considérer que selon la Commission d’accès aux documents administratifs belge, ladite notion viserait des documents divers à usage proprement interne qui serviraient à élaborer tant la décision finale que les actes qui lui seraient préparatoires et qui ne seraient pas destinés à produire des effets en dehors de l’administration elle-même.

Il ajoute qu’il se dégagerait de la doctrine que les documents inachevés ou incomplets et les communications internes seraient soustraits du champ du droit d’accès, ce qui aurait pour but évident de préserver la sérénité du travail préparatoire et du processus décisionnel des administrations.

Or, en l’espèce, les documents dont la communication est sollicitée seraient destinés à un usage interne. Ces documents, signés par les différents directeurs de l’administration en activité au moment de l’adoption de l’acte, s’adresseraient au personnel de l’administration et certains de ces documents comporteraient en outre des explications détaillées concernant les modalités d’application des sujétions y prévues.

Etant donné que les documents litigieux seraient à usage proprement interne, auraient un caractère préparatoire et serviraient à élaborer une décision finale, le refus de communication déféré serait justifié.

Dans leur mémoire en réplique, les parties demanderesses insistent sur le fait que dans la mesure où les circulaires et notes de service du directeur représenteraient des opinions et prises de position définitives de ce dernier, à caractère général et à travers lesquelles il entendrait imposer aux administrés des normes réglementaires ou interpréter des règles qui leur seraient applicables, il s’agirait d’instruments de transparence par excellence.

A titre subsidiaire, elles soulèvent une violation de l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », en soutenant qu’au regard des critères retenus dans un arrêt du 8 novembre 20162 par la Cour européenne des droits de l’Homme pour déterminer si et dans quelle mesure le refus de donner accès à des informations a constitué une ingérence dans l’exercice par un requérant du droit à la liberté d’expression – critères qui tiendraient (i) au but de la demande d’information, (ii) à la nature des informations recherchées, (iii) au rôle du requérant et (iv) au caractère déjà disponible des informations en question –, le refus de communication déféré serait contraire à la susdite disposition de droit international, en ce qu’il les empêcherait de mener une enquête journalistique d’intérêt public, de nature à susciter un débat, les parties demanderesses soulignant, à cet égard, que leur travail devrait permettre de contribuer à la transparence sur la conduite des affaires publiques, voire de créer une controverse.

Elles ajoutent que même à supposer que l’ingérence dans l’exercice de leur droit à la liberté d’expression que constituerait la décision de refus déférée poursuive un but légitime, ce qui ne serait cependant pas le cas, cette ingérence ne répondrait à aucune nécessité dans une société démocratique, de sorte à se heurter au principe de proportionnalité.

Il y aurait, dès lors, lieu d’écarter l’application au présent litige de l’article 7 de la loi du 14 septembre 2018, au motif de sa contrariété à la CEDH, et d’ordonner la communication des documents sollicités.

Appréciation du tribunal Aux termes de l’article 1er (1) de la loi du 14 septembre 2018, « (1) Les personnes physiques et les personnes morales ont un droit d’accès aux documents détenus par les administrations et services de l’État, les communes, les syndicats de communes, les établissements publics placés sous la tutelle de l’État ou sous la surveillance des communes ainsi que les personnes morales fournissant des services publics, dans la mesure où les documents sont relatifs à l’exercice d’une activité administrative. […] », l’article 3 de la même loi précisant que « Sans préjudice d’autres dispositions légales qui règlent l’accès à des 2 CourEDH, grande chambre, 8 novembre 2016, Magyar Helsinki Bizottság c. Hongrie, requête n° 18030/11.

documents détenus par les organismes visés à l’article 1er, paragraphe 1er, ces derniers sont tenus de communiquer les documents qu’ils détiennent et qui sont accessibles en vertu de la présente loi, quel que soit leur support, à toute personne physique ou morale qui en fait la demande sans que celle-ci ne soit obligée de faire valoir un intérêt. ».

Le principe, sous l’égide de la loi du 14 septembre 2018, est que tous les documents détenus par une administration ou un service de l’Etat, une commune, un établissement public et une personne morale fournissant un service public sont accessibles et qu’il suffit que les documents sollicités revêtent un caractère administratif et se rapportent donc à la gestion d’une activité administrative. L’accès aux documents constitue la règle générale, tandis que les motifs d’exception doivent être interprétés de manière restrictive.3 En l’espèce, pour justifier son refus de communiquer les documents sollicités, la partie étatique se prévaut des dispositions de l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018, aux termes duquel « La demande de communication peut être refusée si […] la demande concerne des communications internes. ».

Il est constant en cause que la notion de « communications internes » n’est définie ni par la loi du 14 septembre 2018 ni par les travaux parlementaires afférents.

Le tribunal relève ensuite que dans son arrêt, précité, du 20 janvier 2021, tel qu’invoqué par les parties demanderesses, la CJUE a précisé la portée de la notion de « communications internes », telle que prévue par l’article 4 (1) e) de la directive 2003/4/CE.

Même si cette directive a été transposée en droit interne par une loi spéciale, à savoir la loi du 25 novembre 2005 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement, le tribunal estime néanmoins que les principes dégagés dans le susdit arrêt quant à la portée de la notion de « communications internes » sont transposables par analogie à la matière régie par la loi du 14 septembre 2018, étant donné qu’à l’instar de ladite loi, la directive 2003/4/CE prévoit le principe du droit d’accès aux informations qu’elle couvre, assorti d’un certain nombre d’exceptions qui sont d’interprétation restrictive, parmi lesquelles figure l’hypothèse d’une demande concernant des communications internes, telle que prévue par son article 4 (1) e) et telle que figurant également à l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018, les deux instruments poursuivant une finalité de transparence.

Il ressort de cet arrêt (i) que le terme « communication » vise une information adressée par un auteur à un destinataire, ce destinataire pouvant être tant une entité abstraite, telle que les « membres » d’une administration ou le « conseil d’administration » d’une personne morale, qu’une personne spécifique appartenant à une telle entité, telle qu’un agent ou un fonctionnaire4, et (ii) que le terme « interne » vise une information qui ne quitte pas la sphère interne d’une autorité publique, en particulier lorsqu’elle n’a pas été divulguée à un tiers ou n’a pas été mise à la disposition du public5.

En conclusion, la CJUE a retenu que la notion de « communications internes » inclut toutes les informations qui circulent au sein d’une autorité publique et qui, à la date de la demande d’accès, n’ont pas quitté la sphère interne de cette autorité, le cas échéant après leur 3 Trib. adm. prés., 14 juillet 2021, n° 46144 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Accès aux documents, n° 2.

4 CJUE, 20 janvier 2021, Land Baden-Württemberg c. D.R, C-619/19, pt. 37.

5 Ibid., pt. 42.

réception par ladite autorité et pour autant qu’elles n’aient pas été ou n’auraient pas dû être mises à la disposition du public avant cette réception.6 En l’espèce, étant donné que les circulaires et les notes de service litigieuses contiennent des informations adressées par le directeur aux membres du personnel de l’administration7, elles peuvent être qualifiées de « communications » au sens de l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018.

S’il est certes exact qu’à travers son site internet, l’administration met à la disposition du public le texte de circulaires et de notes de service directoriales, il n’en reste pas moins qu’il ne se dégage pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que les circulaires et notes de service dont la communication est sollicitée par les parties demanderesses avaient, elles aussi, fait l’objet d’une telle publication avant leur abrogation, ni qu’elles avaient d’une quelconque autre façon quitté la sphère interne de l’administration à la date de la demande d’accès.

Dans ces circonstances, le tribunal ne saurait remettre en cause la conclusion de la partie étatique selon laquelle lesdites circulaires et notes de service constituent des communications internes, au sens de l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018.

Il n’en reste pas moins qu’il se dégage de l’emploi, par le législateur, du terme « peut », que même si la demande de communication porte sur des communications internes, le refus de la demande ne constitue pas un automatisme, mais une simple faculté pour l’organisme concerné, qui dispose, dès lors, d’une marge d’appréciation, de sorte à être investi, non pas d’une compétence liée, mais d’un certain pouvoir discrétionnaire.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge8, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration9.

Par ailleurs, même lorsque l’autorité administrative est investie d’un pouvoir discrétionnaire, il lui appartient de respecter le principe général de proportionnalité10, lequel a valeur constitutionnelle11.

En l’espèce, la partie étatique invoque l’intérêt protégé par le motif de refus visé à l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018, qui, selon elle, consisterait en la préservation 6 Ibid., pt. 53.

7 Sur ce point et quant aux circulaires, voir : Cour adm., 25 février 2016, n° 36612C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 889.

8 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 58 et les autres références y citées.

9 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

10 Trib. adm., 8 mai 2017, n° 38205 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 584.

11 Cour constit., 19 mars 2021, n° 00146 du registre.

de la sérénité du travail préparatoire et du processus décisionnel des administrations, tout en soulignant (i) que les documents dont la communication est sollicitée seraient destinés à un usage interne, auraient un caractère préparatoire et serviraient à élaborer une décision finale, (ii) que ces documents, signés par les différents directeurs de l’administration en activité au moment de l’adoption de l’acte, s’adresseraient au personnel de l’administration et (iii) que certains de ces documents comporteraient en outre des explications détaillées concernant les modalités d’application des sujétions y prévues.

Or, sur base des éléments soumis à son appréciation et en l’absence d’une quelconque précision fournie à cet égard par le représentant étatique, le tribunal ne perçoit pas en quoi les circulaires et notes de service litigieuses se distingueraient, de par leurs caractéristiques concrètes, des multiples circulaires et notes de service librement accessibles à l’heure actuelle sur le site internet de l’administration, d’une manière telle que leur divulgation nuirait davantage à la sérénité du travail préparatoire et du processus décisionnel de l’administration que celle de ces circulaires et notes de service actuellement publiées sur internet.

Dans ces circonstances, il n’appert pas en quoi l’intérêt protégé par le motif de refus visé à l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018, qui, selon la partie étatique, consisterait en la préservation de la sérénité du travail préparatoire et du processus décisionnel des administrations, tel que relevé ci-avant, devrait en l’espèce prévaloir sur l’intérêt légitime des parties demanderesses à effectuer, sur base des circulaires et notes de service litigieuses, une enquête journalistique, afin de susciter un débat public et de contribuer à la transparence sur la conduite des affaires publiques.

Sur base des considérations qui précèdent, le tribunal conclut qu’en faisant, dans le cas de l’espèce, usage de sa simple faculté de refuser la communication des documents sollicités, lui conférée par l’article 7, point 4. de la loi du 14 septembre 2018, le directeur a méconnu le principe de proportionnalité.

La décision déférée encourt, dès lors, la réformation, en ce sens qu’il y a lieu de dire que les circulaires et notes de service sollicitées doivent être communiquées aux parties demanderesses.

Ces dernières sollicitent encore la condamnation de l’Etat au paiement d’une indemnité de procédure de 2.000 euros, sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, aux termes duquel « Lorsqu’il paraît inéquitable de laisser à la charge d’une partie les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, le juge peut condamner l’autre partie à lui payer le montant qu’il détermine. ».

Cette demande est cependant à rejeter, étant donné qu’il n’est pas établi qu’il serait inéquitable de laisser à la charge des parties demanderesses les sommes exposées par elles et non comprises dans les dépens, le seul fait que la partie étatique ait décidé de ne pas suivre l’avis de la CAD étant insuffisant à cet égard.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond le dit justifié, partant, par réformation, dit qu’il y a lieu de communiquer aux parties demanderesses les circulaires et notes de service abrogées par la note de service L.I.R./NS n° 0 du 9 février 2021 et par les circulaires suivantes :

 L.I.R. n° 0 du 9 février 2021,  I.C.A. n° 7 du 9 février 2021,  I.Cap. n° 22 du 9 février 2021,  B.R.I. n° 01/2021 du 9 février 2021,  R.T.S. n° 25 du 9 février 2021,  R.R.C. n° 6 du 9 février 2021,  I.T. n° 12 du 9 février 2021,  I.R.C. n° 11 du 9 février 2021,  I.R. n° 174 du 9 février 2021,  L.G.-Int. n° 22 du 9 février 2021,  L.G.-P n° 74 du 9 février 2021,  L.I.R. n° 115/2 du 9 février 2021 et  L.I.R. n° 115/3 du 9 février 2021 ;

renvoie le dossier devant le directeur de l’administration des Contributions directes, pour exécution ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure, telle que formulée par les parties demanderesses ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, et lu à l’audience publique du 18 septembre 2023 par le premier vice-président, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 18 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 46940
Date de la décision : 18/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 23/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-18;46940 ?

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