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13/09/2023 | LUXEMBOURG | N°46902

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 septembre 2023, 46902


Tribunal administratif N° 46902 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46902 4e chambre Inscrit le 14 janvier 2022 Audience publique de vacation du 13 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46902 du rôle et déposée le 14 janvier 2022 au greffe du tribunal administratif par

Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxem...

Tribunal administratif N° 46902 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46902 4e chambre Inscrit le 14 janvier 2022 Audience publique de vacation du 13 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46902 du rôle et déposée le 14 janvier 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Irak), de nationalité irakienne, ayant élu domicile à l’étude de Maître Michel Karp sise à L-…, tendant, d’après son dispositif, à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 décembre 2021 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et à l’annulation de la décision portant ordre de quitter le territoire contenue dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif le 14 mars 2022 par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pauline Cuny, en remplacement de Maître Michel Karp, et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 juin 2023.

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Le 24 mars 2021, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Les 22 juin et 15 juillet 2021, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 20 décembre 2021, notifiée le même jour en mains propres à l’intéressé, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci-après « le ministre », informa Monsieur … qu’il avait rejeté sa demande de protection internationale comme étant non fondée, tout enlui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours. Ladite décision est libellée de la façon suivante :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre demande en obtention d'une protection internationale que vous avez introduite le 24 mars 2021 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l'obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-

après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 24 mars 2021 et le rapport d'entretien de l'agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 22 juin et 15 juillet 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l'appui de votre demande de protection internationale.

Il résulte de vos déclarations que vous seriez originaire de … en Irak, d'ethnie kurde et de confession musulmane sunnite.

Monsieur, vous avancez avoir peur pour votre vie en cas de retour dans votre pays d'origine étant donné que vous craigniez d'être dans le collimateur de la milice « Asaib Ahl al-

Haq ».

Vous précisez que vous auriez été détenteur d'un magasin d'outillage et d'équipements électroniques à ….

En avril 2018, un individu serait venu dans votre magasin et vous aurait demandé de l'accompagner dans le bureau de la milice « Asaib Ahl al-Haq » situé dans le quartier « … ».

Vous y auriez été accueilli par un responsable, dénommé …, qui aurait exigé que vous accompagniez des membres de la milice à … et leur serviez d'interprète alors que vous maîtrisez la langue kurde.

Vous avancez que vous auriez été contraint d'accepter sous les menaces du responsable en question et que vos services d'interprète auraient été sollicités par des membres de la milice à cinq reprises, à savoir aux mois d'avril, de juin, de juillet, de septembre et de novembre 2018.

En avril 2018, vous vous seriez rendu une première fois à … avec des membres de la milice et vous seriez resté quelques jours sur place, durant lesquels vous auriez dû traduire des documents concernant les forces kurdes Peshmergas. A votre retour à …, le responsable de la milice vous aurait forcé la main à contracter une dette, sans que vous ayez néanmoins eu l'opportunité de prendre connaissance des détails dudit contrat. Vous avancez uniquement qu'il se serait agi d'un montant de 75 millions de dinars irakiens et qu'il vous aurait indiqué que dorénavant vous lui appartiendriez.

En juin 2018, vous seriez retourné à … pour une durée d'une semaine afin de visionner et traduire des vidéos en relation avec les Peshmergas ainsi que la conversation lors d'un interrogatoire d'une personne d'origine kurde.

2 En juillet 2018, le responsable de la milice aurait à nouveau exigé vos services, or vous auriez refusé de donner suite à sa requête. Vous auriez par conséquent été emmené de force de votre domicile à leur bureau par des membres de la milice. Vous auriez été retenu sur place pour une journée durant laquelle vous auriez été malmené et frappé. Vous auriez été relâché après avoir indiqué continuer à les aider.

En septembre 2018, vous auriez encore une fois été obligé d'accompagner des membres de la milice à … pour un séjour de quatre jours, lors duquel vous auriez accompagné la milice pour effectuer une perquisition dans une maison appartenant à une famille d'origine kurde.

En novembre 2018, vous vous seriez rendu une dernière fois à … et vous auriez assisté à un interrogatoire de deux personnes d'origine kurde mené par des membres de la milice qui les auraient « torturées ».

Vous avancez que leurs requêtes auraient impacté vos affaires commerciales et que votre activité professionnelle n'aurait plus été suffisante pour subvenir à vos besoins. Vers fin janvier 2019, vous auriez vendu votre voiture afin d'avoir assez de liquidités sur vous et vous auriez contacté votre demi-frère qui vivrait en Australie afin de vous concerter. Ce dernier vous aurait conseillé de quitter l'Irak.

Vous auriez finalement quitté votre pays d'origine seul en juin 2019 pour vous rendre en Turquie, votre épouse et vos enfants seraient restés en Irak.

A l'appui de votre demande, vous présentez votre carte d'identité irakienne, votre certificat de nationalité irakien, votre carte d'enregistrement de …, une copie de votre permis de conduire et une copie de votre ticket de ravitaillement.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l'article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d'une part le statut de réfugié et d'autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d'octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l'article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l'article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d'un pays tiers ou apatride qui, parce qu'il craint avec raison d'être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n'entre pas dans le champ d'application de l'article 45 ».

3 L'octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l'article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d'une gravité suffisante au sens de l'article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu'ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l'article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, alors que vous auriez été forcé à plusieurs reprises d'accompagner des membres de la milice « Asa'ib Ahl al-Haq » à … afin de traduire du kurde à l'arabe pour leur compte, vous avancez désormais craindre d'être dans leur collimateur étant donné que vous connaîtriez beaucoup de « secrets » sur la milice et que vous auriez quitté l'Irak sans les avertir.

Force est de constater que ces faits n'entrent pas dans le champ d'application de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

En effet, il ressort de façon claire et non équivoque de vos déclarations que vos problèmes avec des membres de la milice en question résulteraient du fait que vous auriez été contraint de réaliser des traductions pour leur compte et que vous auriez mis fin à cette collaboration forcée en quittant votre pays d'origine, de sorte que les faits que vous relatez et les craintes dont vous faites état sont dépourvus de tout lien avec votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un groupe social déterminé.

On ne saurait dès lors retenir dans votre chef l'existence d'une crainte fondée de persécution.

Même à supposer que les faits que vous avancez seraient liés à un des critères de fond énumérés par la Convention de Genève, il importe néanmoins de souligner qu'ils ne revêtent pas un caractère de gravité tels qu'ils puissent être assimilés à une persécution au sens de dispositions précitées de la Convention de Genève et de la Loi de 2015.

Il convient de souligner que vos craintes ne reposent sur aucun fait ou menace concrète, mais il s'agit purement et simplement de spéculations. Il ne ressort en effet nullement de vos dires que des membres de la milice auraient demandé que vous leur serviez d'interprète depuis novembre 2018 ou que vous auriez été menacé de quelque manière que ce soit de leur part et ce alors que vous auriez encore résidé pendant presque huit mois en Irak avant votre départ en juin 2019.

S'il est certes regrettable que vous auriez été maltraité en juillet 2018 après avoir refusé d'accompagner les membres de la milice à …, force est toutefois de constater qu'il découle clairement de votre récit qu'il se serait agi d'un incident unique et isolé. En effet, il ressort indéniablement de vos dires que hormis cet incident il ne vous serait rien arrivé entre avril 2018 et juin 2019.

De plus, le fait que vous auriez laissé votre épouse ainsi que vos enfants en Irak et qu'après votre départ ils n'auraient eu aucun problème, respectivement que personne ne serait passé à votre domicile pour demander des renseignements à votre égard, montre incontestablement que votre situation n'est pas aussi dramatique que vous tentez de le faire croire.

Il convient dès lors de considérer vos craintes comme étant purement hypothétiques.

4 Or, des craintes purement hypothétiques ne sauraient justifier l'octroi du statut de réfugié.

Quand bien même ces faits seraient suffisamment graves pour être qualifiés d'actes de persécution, notons qu'une persécution commise par des tiers peut être considérée comme fondant une crainte légitime au sens de la Convention de Genève uniquement en cas de défaut de protection de la part des autorités. Or, tel n'est pas le cas en l'espèce.

En effet, il ressort de façon claire et non équivoque de vos déclarations que vous ne vous seriez à aucun moment adressé aux autorités irakiennes pour dénoncer les agissements des personnes qui vous auraient malmené, de sorte que vous restez en défaut de démontrer concrètement que l'Etat ou d'autres organisations étatiques présentes sur le territoire de votre pays d'origine ne peuvent ou ne veulent pas vous accorder une protection adéquate.

Il y a lieu de rappeler que la notion de protection de la part du pays d'origine n'implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission d'actes de violences, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d'une efficacité suffisante pour maintenir un certain degré de dissuasion. Une persécution ne saurait être admise dès la commission matérielle d'un acte criminel, mais seulement dans l'hypothèse où les agressions commises par un groupe de population seraient encouragées par les autorités en place, voire où celles-ci seraient incapables d'offrir une protection appropriée.

Enfin, soulignons que vos déclarations laissent entendre que des raisons économiques et de convenance personnelle sont à la base de votre demande de protection internationale étant donné que vous indiquez à plusieurs reprises que vos affaires auraient été mauvaises et que votre activité professionnelle n'aurait plus été suffisante pour subvenir à vos besoins. Ce constat est renforcé par le fait que vous mentionnez avoir contracté une dette avec des membres de la milice sans néanmoins être à même de donner des indications concrètes à ce sujet.

Or, des motifs économiques et de convenance personnelle ne sauraient justifier l'octroi du statut de réfugié, alors qu'ils ne répondent à aucun des critères de fond définis par la Convention de Genève et la Loi de 2015, garantissant une protection à toute personne persécutée ou qui risque d'être persécutée dans son pays d'origine à cause de sa race, de sa nationalité, de ses opinions politiques, de sa religion ou de son appartenance à un groupe social déterminé.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l'article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d'un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d'origine ou, dans le cas d'un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l'article 48, l'article 50, paragraphes 1 et 2, n'étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n'étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

5 L'article 48 définit en tant qu'atteinte grave « la peine de mort ou l'exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d'origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d'un civil en raison d'une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

L'octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d'atteintes graves au sens de l'article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l'article 39 de cette même loi. Or, en l'espèce, force est de constater que ces conditions ne sont pas remplies cumulativement.

Il ressort de vos déclarations que vous basez votre demande en octroi du statut conféré par la protection subsidiaire sur les mêmes motifs invoqués dans le cadre de votre demande en obtention du statut de réfugié. Or, et tout en renvoyant aux arguments développés ci-dessus, force est de constater que vous ne risquez pas de devenir victime d'atteintes graves au sens des prédits textes dans le cas d'un retour dans votre pays d'origine.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

 Quant à la fuite interne En vertu de l'article 41 de la Loi de 2015, le Ministre peut estimer qu'un demandeur n'a pas besoin de protection internationale lorsque, dans une partie du pays d'origine, il n'y a aucune raison de craindre d'être persécuté ni aucun risque réel de subir des atteintes graves et qu'il est raisonnable d'estimer que le demandeur peut rester dans cette partie du pays.

Ainsi, la conséquence d'une fuite interne présume que le demandeur puisse mener, dans une autre partie de son pays d'origine, une existence conforme à la dignité humaine. Selon les lignes directrices de I'UNHCR, l'alternative de la fuite interne s'applique lorsque la zone de réinstallation est accessible sur le plan pratique, sur le plan juridique, ainsi qu'en termes de sécurité.

En l'espèce, il ressort à suffisance de vos dires que vous n'auriez pas tenté de vous réinstaller dans une autre ville ou région de votre pays d'origine, au motif que la milice « Asaib al-Haq » pourrait vous retrouver partout en Irak.

Or, ce motif ne constitue pas un obstacle à une réinstallation dans votre pays d'origine.

En effet, la région autonome du Kurdistan irakien est composée de trois grandes régions, dont notamment … et …, parmi lesquelles les grands centres urbains comptent presque 900,000 habitants rien que pour la ville d'… et plus de 700,000 habitants pour la ville de … sans compter les populations des régions rurales.

De plus, il ressort des informations en mes mains qu'une réinstallation dans les régions du Kurdistan irakien est actuellement tout à fait envisageable.

En effet : « Selon deux sources interrogées par le … en 2018, les Kurdes en provenance du reste de l'Iraq « n'ont pas besoin d'une autorisation spéciale » et « peuvent entrer et séjourner dans la RKI sans aucun problème » ou sans avoir besoin d'un garant. Le DFAT a également observé que les personnes originaires de la RKI ou d'origine ethnique kurde devraient pouvoir entrer dons la RK « relativement facilement »; toutefois, cela peut varier en 6 fonction des cas. ».

Monsieur, vous affirmez être d'origine kurde et vous être marié à …. Ainsi, vous auriez effectivement pu vous installer dans une région du Kurdistan irakien, notamment à … ou à ….

En effet, vous auriez par exemple pu vous rendre à … ou à … par voie aérienne, avec votre voiture privée ou avec un taxi, ainsi que d'autres sociétés de transport.

Vu la densité de la population dans les grandes villes de ces régions et le fait que votre souci était un cas local, il appert que vous ne soulevez aucune raison valable qui puisse justifier l'impossibilité d'une fuite interne.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l'obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de la République d'Irak, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 2022, inscrite sous le numéro 46902 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 20 décembre 2021 portant rejet de sa demande de protection internationale ainsi que de la décision portant ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

1) Quant au recours tendant à la réformation sinon à l’annulation de la décision ministérielle du 20 décembre 2021 portant refus d’une protection internationale Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre la décision du ministre du 20 décembre 2021, telle que déférée.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Ledit recours en réformation est encore à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, de nationalité irakienne, d’ethnie kurde, de confession musulmane sunnite, né et ayant vécu à …, fait, tout d’abord état de la situation générale en Irak, situation marquée, selon lui, par un état de guerre depuis le 20 mars 2013 dans le cadre de laquelle s’affronteraient divers clans et milices. Il affirme plus particulièrement craindre pour sa vie, en cas de retour en Irak, alors qu'il serait dans le collimateur de la milice « Asaib Ahl al-Haq », ci-après désignée par « la milice Al-Haq », milice qui l’aurait contraint de servir d'interprète à plusieurs reprises du mois d'avril à novembre 2018, où il aurait été témoin d’interrogatoires sous torture. Il explique encore, dans ce cadre, qu’il aurait été forcé, par le responsable de la milice, de contracter une dette de 75 millions de dinars irakiens envers ce dernier et qu’il aurait été victime de violences morales et physiques, afin que la milice soit assurée qu’il collaborerait avec cette dernière.

Le fait que sa situation financière aurait été fortement affectée par cette situation, que sa vie aurait été en danger et qu’aucune alternative permettant de cesser tout contact avec la milice n'aurait été possible, l’auraient poussé à quitter l'Irak en juin 2019.

En droit, le demandeur s’empare, tout d’abord, d’une violation, de l’article 37, paragraphe (3), a) de la loi du 18 décembre 2015, en reprochant au ministre d’avoir, dans le cadre de la décision litigieuse du 20 décembre 2021, procédé à l'évaluation individuelle de sa demande de protection internationale sans avoir tenu compte de « tous les faits pertinents concernant le pays d'origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d'origine et la manière dont ils sont appliqués », tel qu’exigé par la prédite disposition légale, l’analyse ministérielle ayant été effectuée, selon le demandeur, sur base d'une situation ne correspondant en rien au contexte sécuritaire, politique et institutionnel réel en Irak, laquelle demeurerait extrêmement préoccupante et volatile. Dans ce contexte, le demandeur fait état de fortes tensions politiques liées aux élections législatives anticipées du 10 octobre 2021, d’une tentative d’assassinat contre le premier ministre irakien le 7 novembre 2021, d’une série d’attentats perpétrés par l'organisation terroriste se nommant « l’Etat islamique » en décembre 2021 contre les populations civiles et les peshmergas dans les provinces irakiennes de …, … et …. Par ailleurs, de nombreux autres attentats se seraient déroulés en Irak durant l’année 2021 faisant de nombreux morts et blessés, le demandeur relevant encore que les aéroports internationaux à … comme à … seraient régulièrement la cible de tirs de roquettes ou d'attaques de drones. Le demandeur cite finalement, à l’appui de son moyen tiré d’une violation de l’article 37, paragraphe (3) de la loi du 18 décembre 2015, des déclarations qu’il attribue à Monsieur …, directeur de recherche au CNRS à …, spécialisé dans les stratégies communautaires chiites et sunnites en Irak, sans cependant en indiquer les sources et sans verser un quelconque document probant y relatif, afin de décrire la situation générale régnant en Irak.

Le demandeur soutient ensuite, sur base de l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, que, contrairement aux développements du ministre dans la décision déférée, les faits invoqués seraient basés sur un des critères de fond dudit article et que les actes invoqués seraient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la même loi. Il affirme, dans ce contexte, avoir été persécuté et violenté par la milice Al-Haq, en raison de son ethnie kurde et de sa confession musulmane sunnite, de sorte à devoir bénéficier de l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015.

Il aurait, en effet, subi des pressions de ce chef et aurait été contraint d'assister à des scènes traumatisantes, situation laissant supposer un danger sérieux pour sa personne et l’ayant amené à fuir son pays d’origine en y laissant sa femme et ses enfants. Dans ce contexte, Monsieur … conclut encore à une violation, par le ministre, de l’article 37, paragraphe (5), c) de la loi du 18 décembre 2015, en ce que le ministre n’aurait pas pris en considération sa situation particulière, le demandeur faisant valoir ne pas avoir été en mesure, au moment des faits, de réclamer des preuves des agissements subis de la part de la milice Al-Haq.

Il conteste encore, d’une part, que l'Etat irakien serait en mesure d'offrir la sécurité et une protection efficace à ses citoyens, encore moins à des ressortissants ayant fui leur pays par crainte d'être persécutés, respectivement, d’autre part, qu’il aurait pu bénéficier d’une possibilité de fuite interne dans son pays d’origine, sur base de l’article 41 de la loi du 18 décembre 2015, alors que la milice Al-Haq pourrait le retrouver partout sur le territoire irakien, de sorte que sa vie serait en danger en cas de retour dans son pays d’origine. Il en conclut doncqu’aucune fuite interne ne serait envisageable dans son cas.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet de ce volet du recours pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 2 point h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A titre liminaire, le tribunal doit constater qu’hormis l’invocation des paragraphes (3) et (5) de l’article 37 de la loi du 18 décembre 2015, lesquels visent, de manière générale, l’instruction ministérielle d’une demande de protection internationale, de sorte à concerner tant le statut de réfugié que le statut de protection subsidiaire, le demandeur n’a formulé aucun moyen spécifique visant le refus ministériel de lui octroyer le statut conféré par la protection subsidiaire.

Au regard de ce constat, l’analyse du tribunal se limitera, mis à part les moyens fondés sur une violation des paragraphes précités de l’article 37 de la loi du 18 décembre 2015, au seul volet de la décision déférée du 20 décembre 2021 refusant à Monsieur … le statut de réfugié, le volet concernant le refus du statut conféré par la protection subsidiaire n’ayant pas été utilement déféré au tribunal, faute de moyen juridique spécifiquement invoqué par le demandeur à l’égard dudit volet.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 comme étant « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner (…) ».

Par ailleurs, aux termes de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 :

« Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent :

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a) (…) ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 : « Les acteurs des persécutions ou atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat ;

9 b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci ;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou atteintes graves », et aux termes de l’article 40 de la même loi : « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par :

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

(2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection.

(3) Lorsqu’il détermine si une organisation internationale contrôle un Etat ou une partie importante de son territoire et si elle fournit une protection au sens du paragraphe (2), le ministre tient compte des orientations éventuellement données par les actes du Conseil de l’Union européenne en la matière ».

Il se dégage des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la race, la religion, la nationalité, les opinions politiques ou l’appartenance à un certain groupe social, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Dans la mesure où les conditions sus-énoncées doivent être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Force est encore de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ de son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015établit une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces persécutions ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque d’être persécuté qu’il encourt en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation générale, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur, cette dernière pouvant notamment être retenue lorsque le demandeur s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, lorsque tous les éléments pertinents à la disposition du demandeur ont été présentés et une explication satisfaisante a été fournie quant à l’absence d’autres éléments probants ou encore lorsque les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et qu’elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande1,2.

Quant au moyen de Monsieur … basé sur l’article 37, paragraphe (3), point a) de la loi du 18 décembre 2015 en vertu duquel « Le ministre procède à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale en tenant compte des éléments suivants: a) tous les faits pertinents concernant le pays d’origine au moment de statuer sur la demande, y compris les lois et règlements du pays d’origine et la manière dont ils sont appliqués. (…) », ledit moyen est à rejeter étant donné que tant le ministre que le délégué du gouvernement, dans le cadre de son mémoire en réponse, ont pris en compte l’intégralité des déclarations du demandeur, ensemble avec la situation générale en Irak, afin de conclure au rejet de la demande de protection internationale de ce dernier, sans que le demandeur n’ait relevé des faits qui auraient pu être pertinents, dans le cadre de sa demande de protection internationale, et que le ministre aurait omis de considérer.

Le tribunal doit encore constater, dans ce contexte, que le demandeur, d’une part, n’a fait qu’invoquer, de manière générale, la situation politique, institutionnelle et sécuritaire en Irak, sans faire le lien avec sa situation personnelle, et, d’autre part, est resté en défaut de verser le moindre élément probant soutenant les affirmations contenues dans son recours quant à la crise institutionnelle et politique en Irak, respectivement quant à la situation sécuritaire préoccupante y régnant.

Il y a également lieu de rejeter l’argumentation du demandeur fondé sur une violation de l’article 37, paragraphe (5), point c) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel « Lorsque certains aspects des déclarations du demandeur ne sont pas étayés par des preuves documentaires ou autres, ces aspects ne nécessitent pas confirmation lorsque les conditions suivantes sont remplies: (…) c) les déclarations du demandeur sont jugées cohérentes et plausibles et elles ne sont pas contredites par les informations générales et particulières connues et pertinentes pour sa demande. », dans la mesure où il ressort de la décision ministérielle déférée que le ministre n’a pas remis en cause des éléments du récit de Monsieur 1 Voir art. 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015.

2 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 139 et les autres références y citées…., mais a, au contraire, considéré ledit récit crédible dans son intégralité, alors qu’il a procédé à une analyse au fond de la demande de Monsieur …, demande qu’il a cependant refusé pour ne pas remplir les conditions d’octroi d’un des statuts de protection internationale.

En ce qui concerne l’octroi du statut de réfugié, bien que les actes dont le demandeur se prévaut soient fondés sur un des critères de persécution de l’article 2, point f) de la loi du 18 décembre 2015, en l’occurrence l’appartenance ethnique kurde de Monsieur …, et aient été d’une certaine gravité, Monsieur … ayant fait l’objet de violences physiques et psychiques, ainsi que d’une séquestration d’une journée, il échet de constater que les auteurs des faits invoqués par le demandeur sont à considérer comme des personnes privées, alors qu’il résulte des enseignements de la Cour administrative, non remises en cause par d’éventuelles pièces témoignant d’une situation contraire récente, que : « nonobstant le fait que la légitimité de la milice Asa’ib Ahl al-Haq semble être reconnue par le gouvernement irakien, du fait de l’aide qu’elle lui apporte dans sa lutte contre « l’Etat islamique », et que ladite milice exerce un certain contrôle sur certaines parties du territoire irakien, il n’en reste pas moins que, même en admettant que ladite milice devrait être reconnue comme acteur étatique, elle ne peut pas être considérée comme la seule autorité compétente en Irak et il ne faut pas perdre de vue que les autorités officielles irakiennes sont aussi présentes sur le territoire irakien et assurent leur rôle d’organisation des structures étatiques.3 ».

Ainsi, comme il n’est pas affirmé et a fortiori établi que les membres de la milice Al-Haq n’auraient, en l’espèce, pas agi « dans le cadre de la loi », les membres de ladite milice sont à qualifier de personnes privées sans lien avec l’Etat irakien, de sorte que Monsieur … ne peut faire valoir un risque réel de subir des actes de persécution que si les autorités irakiennes ne veulent ou ne peuvent lui fournir une protection effective contre les agissement des membres de ladite milice, en application de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, ou s’il a de bonnes raisons de ne pas vouloir réclamer la protection des autorités de son pays d’origine.

Dans ce cadre, il y a lieu de rappeler que chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut4.

L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.

Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui 3 Cour adm., 29 novembre 2018, n° 41019C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu 4 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

En l’espèce, il ne ressort pas des déclarations de Monsieur … ni des pièces produites en cause que les autorités irakiennes compétentes aient refusé ou aient été dans l’incapacité de lui fournir une protection quelconque contre les agissements des membres de la milice Al-Haq, alors qu’il ressort des déclarations du demandeur que ce dernier n’a pas porté plainte à l’encontre desdits membres auprès des autorités policières irakiennes5.

En effet, à défaut d’avoir au moins tenté de dénoncer les faits et de porter plainte auprès de ses supérieurs, ou d’avoir sollicité une forme quelconque d’aide aux autorités étatiques irakiennes, le demandeur ne saurait leur reprocher de ne pas avoir pu ou voulu l’aider.

Si le dépôt d’une plainte n’est certes pas une condition légale, un demandeur de protection internationale ne saurait cependant, in abstracto, conclure à l’absence de protection s’il n’a pas tenté lui-même formellement d’obtenir une telle protection. Force est néanmoins au tribunal de constater que le demandeur n’a rien entrepris à cet égard, préférant prendre la fuite de son pays.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par les déclarations du demandeur selon lesquelles il n’existerait pas d’autorités en Irak auprès desquelles une plainte pourrait être déposée à l’encontre de membres de la milice Al-Haq6, alors qu’il a également déclaré que le fait de déposer une plainte auprès de la police irakienne n’aurait fait qu’aggraver sa situation, en ce que la police aurait informé la personne qui aurait fait l’objet de ladite plainte7, de telles affirmations, à défaut d’éléments probants versés par le demandeur, ne permettant pas au tribunal de retenir l’absence, respectivement l’incapacité des autorités irakiennes à protéger leurs ressortissants déclarant être victime d’actes de persécution.

Il s’ensuit qu’en l’état actuel d’instruction du dossier et des moyens échangés de part et d’autre, Monsieur … n’a pas démontré qu’il a subi des actes de persécution, respectivement qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine un risque réel et avéré de subir de tels actes de la part de la milice Al-Haq.

C’est dès lors à bon droit que le ministre a rejeté comme étant non fondée la demande de Monsieur … tendant à l’obtention du statut de réfugié, de sorte que le recours en ce qu’il est 5 Page 10 du rapport d’audition de Monsieur … des 22 juin et 15 juillet 2021.

6 Ibidem.

7 Page 10 du rapport d’audition de Monsieur … des 22 juin et 15 juillet 2021.dirigé à l’encontre de la décision ministérielle du 20 décembre 2021 portant refus d’un statut de protection internationale dans le chef de Monsieur … est à rejeter pour ne pas être fondé.

2) Quant au recours dirigé contre l’ordre de quitter le territoire Force est au tribunal de relever que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre l’ordre de quitter le territoire et que le demandeur, aux termes du dispositif de son recours, auquel le tribunal est seul tenu, sollicite l’annulation de l’ordre de quitter le territoire prononcé à son égard à travers la décision ministérielle déférée du 20 décembre 2021.

Or, si dans une matière dans laquelle la loi a institué un recours en réformation, le demandeur conclut à la seule annulation de la décision attaquée, le recours est néanmoins recevable dans la mesure où le demandeur se borne à invoquer des moyens de légalité8.

Il s’ensuit qu’en l’espèce le recours tel qu’introduit contre l’ordre de quitter est recevable dans la limite des moyens de légalité invoqués3, étant par ailleurs relevé qu’il a été introduit dans les formes et délai prévus par la loi.

A l’appui de ce volet de son recours, le demandeur conclut à l’annulation de l’ordre de quitter le territoire prononcé à son égard au motif que la décision lui refusant l’octroi d’un statut de protection internationale serait à réformer.

Aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. (…) ». En vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre, visée à l’article 34, paragraphe (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale est infondé, et que partant c’est à juste titre que le ministre a rejeté la demande de protection internationale du demandeur, il a également valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il s’ensuit, en l’absence de tout moyen juridique portant sur l’ordre de quitter le territoire, que le recours dirigé contre ce dernier est à son tour à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 20 décembre 2021 portant refus d’une protection internationale dans le chef de Monsieur …;

8 Trib. adm. 3 mars 1997, n° 9693; Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n° 2 et les autres références y citées.

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

reçoit en la forme le recours en annulation introduit contre l’ordre de quitter le territoire ;

au fond le déclare non justifié et en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 13 septembre 2023 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Laura Urbany, juge, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 15


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 46902
Date de la décision : 13/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 23/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-13;46902 ?

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