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13/09/2023 | LUXEMBOURG | N°46568

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 septembre 2023, 46568


Tribunal administratif N° 46568 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023: 46568 4e chambre Inscrit le 12 octobre 2021 Audience publique de vacation du 13 septembre 2023 Recours formé par la société anonyme A, …, contre une décision du directeur de l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA en matière d’amende administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46568 du rôle et déposée en date du 12 octobre 2021 au greffe du trib

unal administratif par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de ...

Tribunal administratif N° 46568 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023: 46568 4e chambre Inscrit le 12 octobre 2021 Audience publique de vacation du 13 septembre 2023 Recours formé par la société anonyme A, …, contre une décision du directeur de l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA en matière d’amende administrative

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46568 du rôle et déposée en date du 12 octobre 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme A, établie et ayant son siège social à L-…, inscrite au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation sinon à l’annulation d’une décision du directeur de l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA du 10 septembre 2021 lui infligeant une amende de 6.750 euros ;

Vu le mémoire en réponse déposé le 12 janvier 2022 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 11 février 2022 par Maître Jean-Marie Bauler, préqualifié, au nom et pour le compte de la société A, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique déposé le 9 mars 2022 au greffe du tribunal administratif par le délégué du gouvernement ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport à l’audience publique du 20 juin 2023, les parties s’étant excusées.

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Dans le cadre de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme, ci-après désignée par « la loi du 12 novembre 2004 », l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA, ci-après désignée par « l’AED », procéda le 7 juin 2021 à un contrôle sur place au sein de la société anonyme A, ci-après désignée par « la société A », au terme duquel elle rédigea un rapport de contrôle, daté du 15 juin 2021, proposant, en guise de conclusion, « la prononciation d’une mesure et/ou sanction administrative(s) […] en vertu de l’article 8-4 de la [loi du 12 novembre 2004] », en raison du non-respect par la société A des obligations imposées par ladite loi.

La date de notification dudit rapport fut fixée au 17 août 2021.

1 Par courrier du 26 août 2021, la société A prit position sur ledit rapport du 15 juin 2021 dans les termes suivants :

« (…) En date du 7 juin 2021 vos service sont venus procéder à un contrôle sur place en relation à l'application de la loi du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme (LBC / FT), qui a mené à la rédaction d'un rapport de contrôle daté du 15 juin 2021, qui a été reçu par notre société en date du 18 août 2021.

Il résulte de votre rapport que notre société est « conforme (compliant) » en ce qui concerne nos obligations de coopération, ce qui nous réjouis.

Cependant, dans votre rapport vous avez constaté l'absence de certification conforme des copies des documents d'identité dans les dossiers contrôlés. Dès réception de votre rapport nous avons corrigé ce point par la certification des copies des documents d'identité. D'autant plus que les personnes détentrices de ces documents d'identité ont été rencontré physiquement au préalable par l'administrateur délégué, donc la mise en conformité était une formalité. Nous restons bien sûr disposé à vous présenter les documents certifiés si nécessaire.

En ce qui concerne notre obligation d'organisation interne, vous avez soulevé les points suivants :

1. Absence de procédure interne proportionnée à la taille du professionnel ;

2. Absence d'un document prouvant la nomination d'un responsable LBC / FT ;

3. Non-conformité pour l'analyse de risque.

Voici nos commentaires et observations par rapport aux points faisant défaut dans l'organisation interne pour donner suite à votre rapport :

1. En avril 2021, nous avons mandaté la société B afin d'auditer notre société dans le cadre de mise en conformité de l'application du RGPD mais également de la LBC / FT.

Le personnel de notre société a déjà participé à une première formation et notre société a fait l'objet d'un premier audit structurel, un audit informationnel était en cours de planification.

Lors de la réception du rapport intermédiaire par B, en date du 2 juin 2021, des recommandations intermédiaires nous ont été proposées. Certaines des recommandations ont été appliquées immédiatement par notre société.

Suite à la réception de votre courrier de contrôle, nous avons décidé de suspendre momentanément la planification de la suite de l'audit de B afin de ne pas nous engager dans tes travaux qui n'aurait potentiellement pas suffit à vos services et dès lors nous avons attendu votre rapport, reçu le 18 août 2021 pour décider de la suite.

Après le 18 août 2021, nous avons repris contact avec B afin de nous assister dans l'adaptation de nos procédures internes de manière proportionnée à la taille de notre activité et cela complété par des déclarations de bénéficiaire économique ainsi que LBC/FT (AML / KYC).

Partant, nous sollicitons un délai de 60 jours, à compter du 1er septembre, afin de pouvoir vous présenter la mise en conformité de ce point soulevé dans votre rapport de contrôle susmentionné.

2 2. Vous trouverez ci-joint une résolution circulaire du conseil d'administration qui atteste la nomination de l'administrateur délégué en tant que Compliance Officer, tel que vous l'avez-vous-même repris dans votre rapport. Nous espérons que par cette résolution circulaire ce point sera régularisé.

3. Notre société ayant une activité de comptable classique avec la majorité de nos clients étant des commerçants classiques, avec un risque quasi inexistant d'implication dans le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme, nous basions notre analyse du risque sur la connaissance de l'activité du client avant l'acceptation de celui-ci et sur une réflexion de continuation de la prestation de nos services à la fin de chaque exercice. Cette approche du risque fait partie intégrante de la procédure de suivi des clients qui est géré par l'administrateur délégué uniquement, dès lors la formalisation de celle-ci par une procédure écrite était superfétatoire. La démonstration que notre approche de risque conservative fonctionne sont nos déclarations d'opérations suspectes effectuées sur la plateforme … et considéré comme « conforme (compliant) » dans le résultat de votre rapport dans nos obligations de coopération.

Cependant, faisant suite aux recommandations intermédiaires de B du 2 juin 2021, donc avant votre contrôle du 7 juin 2021, nous avions déjà pris la décision de mettre en place la signature d'une déclaration de bénéficiaire économique ainsi qu'une déclaration de LBC/FT (AML / KYC) par chaque client et qui serait accompagné par une analyse interne du risque par rapport à l'activité du client, mise à jour annuellement.

Partant, nous vous demandons un délai de 60 jours, à compter du 1er septembre, afin de pouvoir vous présenter la mise en conformité de l'analyse du risque soulevé dans votre rapport de contrôle susmentionné.

Comme vous pourrez le constater, nous avions pro-activement décidé d'être auditer et assister par B sur l'application du RGPD et également de la LBC/FT, avant même d'être sujet à un contrôle par votre Service Anti-fraude. Notre décision démontre bien notre souci de respect de la LBC/FT. De surcroît, nous avons décidé de faire confiance à B, étant donné que Monsieur …, dirigeant de B, est un professionnel reconnu et agréé par la CSSF, avec une spécialité dans l'application de la LBC/FT au sein d'entité régulée et non-régulée, de la RGPD et spécialiste en protection d'identité (usurpation d'identité).

Nous vous remercions d'avance de votre compréhension tout en espérant que vous ferez droit à nos demandes et ce sans la prononciation de mesures et / ou sanctions à l'encontre de notre société. (…) ».

Par décision du 10 septembre 2021, le directeur de l’AED, ci-après désigné par « le directeur », infligea à la société A une amende d’un montant de 6.750 euros, ladite décision étant libellée comme suit :

« (…) Vu le titre 1, Chapitre 1, Article 2-(I) 9bis) de la loi modifiée du 12 novembre 2004, visant les professionnels de la comptabilité au sens de l'article 2 paragraphe (2) point d) de la loi du 10 juin 1999 portant organisation de la profession d'expert-comptable, qui sont tenus au respect des dispositions des articles 2-2, 3 et suivants, 4 et suivants et 5 de la prédite loi;

Vu que l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA a effectué en date du 7 juin 2021 un contrôle sur place auprès de la société A. dans le cadre de la loi modifiée 3 du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ;

Qu’au vu des faits et conclusions cités au rapport de contrôle, l’administration de l’Enregistrement, des Domaines et de la TVA conclut que la société A ne respecte pas ses obligations professionnelles conformément aux dispositions des articles 2-2, 3 et 4 de la prédite loi ;

Qu’en vertu de ce qui précède et en vertu de l’article 8-4 (2) f), il est décidé par la présente de prononcer une amende administrative à l’encontre de la société A à hauteur de 6.750,00.- EUR (…) ».

La société A, par courrier de son mandataire du 15 septembre 2021, introduisit un recours gracieux à l’encontre de la décision directoriale précitée du 10 septembre 2021, recours qui fut rejeté par une décision directoriale purement confirmative du 27 septembre 2021.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 12 octobre 2021, la société A a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision directoriale précitée du 10 septembre 2021.

Aux termes de l’article 8-7 de la loi du 12 novembre 2004 « Un recours en pleine juridiction est ouvert devant le Tribunal administratif à l’encontre des décisions des autorités de contrôle prises dans le cadre du présent chapitre. Le recours doit être introduit sous peine de forclusion dans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision attaquée. ».

Le tribunal est partant compétent pour statuer sur le recours principal en réformation sous examen lequel est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, la société demanderesse expose, tout d’abord, les faits et rétroactes à la base du litige sous examen en insistant plus particulièrement sur la circonstance qu’aucune suite n’aurait été réservée à son recours gracieux du 15 septembre 2021, en précisant, dans son mémoire en réplique, ne jamais avoir reçu la notification de la décision directoriale purement confirmative du 27 septembre 2021, ni le récépissé afférent des services postaux.

En droit, la société demanderesse conclut à la violation, par la décision directoriale déférée du 10 septembre 2021, de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », en argumentant que suite à la prédite décision du 10 septembre 2021, elle ne se serait pas vu accorder un délai d’au moins huit jours pour présenter ses observations, voir n’aurait pas été informée par l’AED de la possibilité d’être entendue en personne.

Dans son mémoire en réplique, la société A se rapporte à prudence de justice quant au bien-fondé de son moyen tiré d’une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, tout en se réservant le droit de verser une attestation testimoniale de son mandataire ayant introduit, en son nom et pour son compte, un recours gracieux à l’encontre de la décision directoriale déférée du 10 septembre 2021 en ce qui concerne le défaut de réception de la décision directoriale confirmative sur recours gracieux du 27 septembre 2021.

4 Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen basé sur une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 pour manquer de fondement.

Aux termes de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 : « Sauf s´il y a péril en la demeure, l´autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d´office pour l´avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d´une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l´amènent à agir.

Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d´au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations.

Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne. (…) », il y a lieu de rappeler que cette disposition a pour objet d’instaurer une procédure contradictoire destinée à protéger les droits de la défense de l’administré, lorsque l’administration se propose de prendre, d’une part, des décisions de révocation ou de modification d’office pour l’avenir de décisions qui ont créé ou reconnu des droits et, d’autre part, des décisions en dehors d’une initiative de la partie concernée, c’est-à-

dire sans avoir été saisie d’une demande préalable de l’administré concerné.

Force est de relever que la décision directoriale déférée prononçant une amende administrative à l’égard de la société A, ne révoque ni ne modifie d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à cette dernière, mais intervient en dehors de l’initiative de ladite société, de sorte que le directeur doit ainsi se conformer aux obligations lui imposées par l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 en soumettant à la demanderesse, préalablement à sa décision, les éléments de fait et de droit l’amenant à agir et en informant cette dernière de la décision envisagée, ainsi que de la faculté de celle-ci de prendre position. Ces obligations ont été respectées, en l’espèce, à travers le rapport de contrôle du 15 juin 2021 lequel précise i) les violations de la loi du 12 novembre 2004 reprochées à la société A, ii) la décision envisagée, en l’occurrence le prononcé d’une amende, et iii) la possibilité pour la demanderesse de prendre position dans un délai de deux semaines à partir de la notification dudit rapport, notification fixée comme ayant été effectuée le 17 août 2021.

Par ailleurs, la demanderesse a, par le biais de son courrier du 26 août 2021, pris position par rapport à la décision projetée à être prise à son égard.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen tiré d’une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 doit être rejeté pour manquer de fondement.

La société A critique ensuite la décision directoriale déférée du 10 septembre 2021 pour avoir violé les garanties essentielles applicables en matière de sanctions administratives prévues à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », en soulignant que la Cour européenne des droits de l'Homme, ci-après dénommée « la CourEDH », aurait reconnu, depuis longtemps, l'applicabilité desdites garanties au domaine disciplinaire. Ainsi, il serait de jurisprudence constante que l'article 6 de la CEDH, relatif au droit à un procès équitable, définirait un standard procédural applicable aux procédures disciplinaires, tel que cela aurait été retenu par la CourEDH dans son arrêt Dubus SA c. France du 11 juin 2009 (requête numéro 5 5242/04), ci-après dénommé « l’arrêt Dubus », par rapport à la « commission bancaire » française ayant infligé un blâme.

Dans ce contexte, la partie demanderesse conclut d’abord à une violation des articles 7 de la CEDH et 14 de la Constitution tenant à la légalité de peines.

Ainsi, l'article 8-4, paragraphe (2), f) de la loi du 12 novembre 2004 prévoirait un mécanisme consistant à laisser à une autorité quasi juridictionnelle le choix totalement discrétionnaire, sinon arbitraire de déterminer le quantum des amendes, ce qui heurterait fondamentalement le principe de sécurité juridique attaché au principe de légalité des manquements et des peines.

En effet, l’AED, saisie des faits, aurait instruit le dossier et prononcé la sanction sans invoquer, ni dans sa décision, ni via des dispositions légales ou réglementaires, un critère objectif susceptible de justifier le montant des amendes prononcées au regard des manquements reprochés, malgré l’article 8-5, paragraphe (1) de la loi du 12 novembre 2004 lui permettant de justifier, respectivement de motiver la sanction retenue.

Ainsi, la fixation « à la tête du client » et sans la prise en compte d’éventuelles circonstances atténuantes, du quantum des amendes avec une latitude de 1 à 1.000.000 fois l'amende minimale, serait manifestement contraire au principe de légalité et au principe de sécurité juridique y attaché.

Même si l’AED entendait justifier a posteriori la sanction retenue à son égard par référence à l’article 8-5, paragraphe (1) de la loi du 12 novembre 2004, la demanderesse soutient que ledit article serait insuffisant pour garantir le respect du principe de sécurité juridique découlant du principe de légalité et propose, dans ce cadre, de soumettre à la Cour constitutionnelle la question préjudicielle suivante :

« L'article 8-4 (2) f) de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, dans les cas, comme en l'espèce, où il n'est pas possible de déterminer le montant des amendes administratives, alors que l'avantage tiré de la violation n'est pas déterminable, et que l'administration n'entend pas faire usage du principe de personnalisation de la sanction prévu à l'article 8-5 (1) de la loi LBC/FT, est-il conforme à l'article 14 de la Constitution ? ».

Toujours dans ce contexte, la partie demanderesse conclut encore à une violation du principe d'impartialité, et ce en application de la jurisprudence de l’arrêt Dubus, à l'occasion duquel la CourEDH aurait condamné la France pour impartialité objective de la commission bancaire en violation de l'article 6, paragraphe 1er de la CEDH.

En l’espèce, la partie demanderesse fait relever que l’AED, dans le cadre de la loi du 12 novembre 2004, cumulerait plusieurs fonctions incompatibles avec le principe général d’impartialité. Ainsi, à côté de sa fonction de contrôle, d’enquête et d’injonction, tel que prévu par les articles 2-1, paragraphe (8), respectivement 8-2, paragraphe (1) de la loi du 12 novembre 2004, elle exercerait également un pouvoir de sanction, dans le cadre de sa fonction disciplinaire, en agissant à ce titre comme une « juridiction administrative », conformément à l’article 8-4 de la loi du 12 novembre 2004, sans que ladite loi, ni aucun texte interne à l’AED ne ferait de distinction claire entre ces deux fonctions.

6 Il serait dès lors manifeste que l’AED aurait prononcé la sanction disciplinaire litigieuse, en l’occurrence une amende d’un montant de 6.750 euros, en se livrant à un « préjugement », compte tenu des actes accomplis par elle au cours de la procédure, la partie demanderesse rappelant qu’elle n'aurait même pas été entendue par l’AED, ni aurait pu prendre position à l’égard des reproches lui adressés.

La sanction ainsi retenue serait partant à annuler, en ce que l’AED aurait non seulement décidé de la mise en accusation et formulé les griefs à son encontre, mais l’aurait également sanctionnée sans aucune garantie d’ordre procédurale, en violation du principe d’impartialité.

Dans son mémoire en réplique, la partie demanderesse, tout en relevant des incohérences affectant, selon elle, l’argumentation du délégué du gouvernement, quant aux garanties essentielles applicables en matière de sanctions administratives et en insistant sur les principes dégagés par l’arrêt Dubus, maintient sa position selon laquelle, l’AED, ensemble avec le pouvoir d'instruction de son service anti-fraude et le pouvoir de sanction de son directeur, serait une autorité administrative, statuant en matière disciplinaire et disposant de pouvoirs quasi-juridictionnels à laquelle l’article 6 de la CEDH, sinon les principes généraux du droit issus dudit article, dont plus particulièrement le principe d'équitable procédure, comprenant celui de l'impartialité de l'autorité, devraient s'imposer.

Elle réfute encore l’analyse étatique quant aux articles 7 de la CEDH et 14 de la Constitution en mettant en avant la circonstance que le principe de légalité n’impliquerait pas que le pouvoir de sanction soit prévu par un texte supranational, mais qu'on ne pourrait être condamné qu'en vertu d'un texte précis et clair avec une certaine correspondance entre les manquements et les sanctions encourues, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce, dans la mesure où l’AED, en vertu des dispositions légales lui applicables, pourrait opérer un choix totalement discrétionnaire, sinon arbitraire, de déterminer le quantum des amendes. Dans ce contexte, la société demanderesse relève encore que la communication, par le délégué du gouvernement, d’une « note explicative de l’amende prononcée » serait certes louable, mais aurait dû être fait à un stade précontentieux. De plus, une telle manière de faire confirmerait que les dispositions pertinentes de la loi du 12 novembre 2004 ne seraient ni précises, ni suffisamment claires au regard des principes de légalité et de sécurité juridique, la partie demanderesse insistant, dans ce contexte, encore sur la pertinence de sa question préjudicielle à soumettre à la Cour constitutionnelle.

En ce qui concerne le reproche d’une violation, par l’AED, du principe d’impartialité, la partie demanderesse réitère, sur base de l’arrêt Dubis, son argumentation qu’en ce qui concerne les sanctions administratives prononcées par l’AED, toute la procédure, tant de contrôle que disciplinaire, se déroulerait, conformément aux article 2-1, 8-2 et 8-4 de la loi du 12 novembre 2004, au sein d’une même autorité administrative, sans qu’il n’existerait une distinction claire entre les fonctions de poursuite, d’instruction et de sanction.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet des moyens de la demanderesse fondés sur une violation des articles 6 et 7 de la CEDH et 14 de la Constitution, respectivement du principe d’impartialité pour manquer de fondement.

Quant au moyen relatif aux garanties applicables en matière de sanctions administratives, force est d’abord de relever que l’AED, en droit national, ne constitue pas une juridiction au sens de l’article 6 de la CEDH qui dispose que « 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un 7 tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. (…) ».

En effet, il a été jugé, par rapport à une autre autorité administrative, en l’occurrence le Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, autorité administrative pouvant également prononcer des sanctions à l’égard des administrés tombant dans son champ de compétence que si l’article 6 de la CEDH impose certes des impératifs à respecter en matière de procès équitable, les garanties afférentes n’ont néanmoins pas pour autant vocation à s’appliquer au niveau d’une procédure disciplinaire purement administrative, en ce qu’elles n’entrent en ligne de compte qu’à un stade ultérieur, au niveau de l’instance juridictionnelle compétente pour connaître du recours dirigé contre la décision administrative traduisant l’aboutissement de ladite procédure disciplinaire1.

Ainsi, dans la mesure où l’intéressé trouve à sa disposition au niveau contentieux un double degré de juridiction avec des organes juridictionnels répondant aux exigences de l’article 6 de la CEDH, celles-ci ne sauraient être appliquées avec la même rigueur à l’encontre d’organes siégeant au niveau précontentieux, à savoir au niveau administratif2.

Cette conclusion, devant s’appliquer mutatis mutandis à l’AED, lorsqu’elle prononce des amendes d’ordre, n’est pas énervée par les enseignements de la CourEDH dans son arrêt Dubus, alors que ledit arrêt ne permet pas de tirer des conclusions par rapport au présent cas d’espèce, alors qu’outre le fait de ne pas avoir, à l’époque des faits, connu de double degré de juridiction, mais seulement un recours « en cassation » devant le Conseil d’Etat français, ladite commission bancaire était d’ores et déjà considérée, en droit interne, par la jurisprudence nationale française, comme une juridiction au sens de l’article 6 de la CEDH, tel que cela ressort des considérations de l’arrêt Dubus et notamment sous les points 203, 264, 555 et 706, ce qui n’est pas le cas en l’espèce de l’AED.

Il s’ensuit que le moyen relatif à l’applicabilité de l’article 6 de la CEDH est à écarter pour manquer de fondement.

Quant à la violation du principe de la légalité des peines, tel qu’il est notamment énoncé par l’article 7 de la CEDH disposant que « 1. Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international. De même il n’est infligé aucune peine plus forte que celle qui était applicable au moment où l’infraction a été commise. (…) », ainsi qu’anciennement par l’article 14 de la Constitution disposant que : « Nulle peine ne peut être établie ni appliquée qu’en vertu de la loi. », disposition figurant actuellement à l’article 19 de la Constitution, force 1 Par analogie : Cour adm. 14 juillet 2016, n° 37460C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Fonction publique, n° 278 2 Par analogie : Cour adm. 17 décembre 2009, n° 25839C du rôle, Pas. adm. 2020, V° Fonction publique, n° 280 et autres références y citées.

3 « 20. Par un arrêt du 30 juillet 2003, le Conseil d’Etat rejeta ce pourvoi, notamment aux motifs suivants (…) « la décision est prise, ainsi que le prévoit la loi, dans l’exercice d’un pouvoir juridictionnel » ».

4 « 26. Selon le Conseil d’Etat, les sanctions prononcées par la Commission bancaire ont le caractère de décisions juridictionnelles. ».

5 « 55. La Cour observe que la Commission bancaire exerce deux types de fonctions. (…) La seconde est disciplinaire et la Commission bancaire exerce son pouvoir de sanction en agissant à ce titre comme une « juridiction administrative » ».

6 « 70. Quant à la deuxième partie du grief, la Cour observe que lorsque la Commission bancaire statue en application de l’article L. 613-21, elle est une juridiction administrative. ».

8 est de relever que dans la matière du droit disciplinaire des fonctionnaires de l’Etat, relevant également de la matière des sanctions administratives, la Cour constitutionnelle a déjà retenu, dans un arrêt du 22 mars 2002, que le principe de la légalité des peines inscrit à l'article 14 de la Constitution suit les principes généraux du droit pénal et elle a formulé l'exigence que le droit disciplinaire observe les mêmes exigences constitutionnelles de base7, relevant, à propos de l'incrimination d'une sanction disciplinaire, « la nécessité de définir les infractions en termes suffisamment clairs et précis pour en exclure l'arbitraire et permettre aux intéressés de mesurer exactement la nature et le type des agissements sanctionnables. »8, jurisprudence toujours pertinente au regard de l’actuel article 19 de la Constitution.

Dans la mesure où le régime de la sanction administrative est soumis aux exigences de forme et de fond prévues en matière pénale, les principes précités s’appliquent en matière de sanction administrative et partant à l’article 8-4, paragraphe (1) de la loi du 12 novembre 2004, en vertu duquel « (1) Les autorités de contrôle ont le pouvoir d’infliger les sanctions administratives et de prendre les autres mesures administratives prévues au paragraphe (2) à l’égard des professionnels soumis à leur pouvoir de surveillance respectif conformément à l’article 2-1 qui ne respectent pas les obligations prévues par les articles 2-2, 3, 3-1, 3-2, 3-3, 4, 4-1 et 5, 7-1, paragraphes (2) et (6), et 7-2, paragraphe (1) et 8-3, paragraphe (3) ou les mesures prises pour leur exécution, ainsi qu’à l’égard des membres de leurs organes de direction, de leurs dirigeants effectifs ou des autres personnes responsables du non-respect par le professionnel de ses obligations. (…) ».

Si l’article 8-4, paragraphe (1) de la loi du 12 novembre 2004 ne fournit certes pas de liste exhaustive et limitative de tout comportement susceptible d’être sanctionné par une amende administrative et si ledit article se limite à fournir une échelle allant de deux fois l’avantage tiré de la violation à 1.000.000 euros pour ces amendes, de sorte à laisser ainsi une certaine latitude à l’AED dans la fixation du montant de l’amende, d’une part, l’article 8-4, paragraphe (2) de la loi du 12 novembre 2004 prévoit une graduation des sanctions en relation avec des sanctions susceptibles d’être prononcées par l’AED, en l’occurrence l’avertissement, le blâme, la déclaration publique de l’identité de la personne physique ou morale ayant commis la violation, la procédure de suspension ou de retrait d’un agrément, voire de l’enregistrement, l’interdiction temporaire d’exercer une activité, respectivement une fonction de direction dans le secteur financier, ainsi que l’amende administrative, et, d’autre part, l’article 8-5 de la même loi énumère de manière non limitative des circonstances à prendre en compte par l’AED pour déterminer le type et le niveau des sanctions administratives.

Ainsi, ces éléments ne sont pas de nature à violer l’article 7 de la CEDH, respectivement l’article 19 de la Constitution.

En effet, il y a lieu de constater que l’article 8-4, paragraphe (1) de la loi du 12 novembre 2004, tel que cité plus haut, au-delà du constat qu’il précise clairement les personnes concernées par ses dispositions, érige en tant qu’infraction administrative certaines obligations nommément désignées résultant de la loi du 12 novembre 2004, tel que plus particulièrement celles dont le non-respect est reproché à la société demanderesse, à savoir le non-respect de l’obligation de vigilance à l’égard de sa clientèle des articles 3 et suivants de la loi du 12 novembre 2004 portant notamment sur l’identification du client, du bénéficiaire effectif, de l’origine des fonds, ainsi que sur la conservation des documents, ainsi que le non-respect de 7 Cour const. 22 mars 2002, n° 12/02, disponible sous www.justice.public.lu 8 ibidem 9 l’obligation d’organisation interne des articles 2-2, 4 et suivants de la même loi portant notamment sur l’existence d’une procédure interne, la nomination d’un « compliance officer », la formation du personnel en la matière, ainsi que l’existence d’une analyse risque.

A ce sujet, il a déjà été retenu par la Cour constitutionnelle, dans un arrêt du 12 décembre 20149, après avoir rappelé que le principe de la spécification de l’incrimination est le corollaire de celui de la légalité de la peine consacrée par l’article 14 de la Constitution, que le droit disciplinaire tolère dans la formulation des comportements illicites une marge d’indétermination sans que le principe de la spécification de l’incrimination n’en soit affecté, si des critères logiques techniques et d’expérience professionnelle permettent de prévoir de manière suffisamment certaine la conduite à sanctionner, ce qui est avéré en l’espèce au vu des obligations clairement définies dans la loi du 12 novembre 2004, d’autant plus qu’il résulte d’un autre arrêt de la Cour constitutionnelle du 14 décembre 200710 que le principe de la légalité des peines ne fait pas obstacle à ce qu’en matière disciplinaire les infractions soient définies par référence aux obligations légales et réglementaires auxquelles est soumise une personne en raison des fonctions qu’elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l’institution dont elle relève.

Quant au caractère prévisible de la sévérité des sanctions, force est de relever que si la Cour constitutionnelle a retenu que les sanctions doivent être raisonnablement évaluables quant à leur niveau de sévérité11, le fait pour l’article 8-4 de la loi du 12 novembre 2004 de prévoir plusieurs sanctions, parmi lesquelles des amendes administratives, ainsi que le fait de prévoir une échelle fixe concernant le montant de l’amende encourue, tout en précisant, dans son article 8-5, les circonstances à prendre en considération dans la détermination du type et du niveau de la sanction, suffit manifestement à l’exigence de la légalité des peines, étant relevé que la nécessité de prévoir une disposition spécifique permettant de guider l’autorité administrative dans le choix de la sanction à prononcer, est justifiée par la Cour constitutionnelle, dans l’arrêt précité du 14 décembre 200712, par l’existence d’un « éventail très large de celles-ci » ne permettant pas l’exercice efficace des droits de la défense.

Il suit de ce qui précède que le moyen tiré de la violation du principe de légalité des peines est à rejeter, sans qu’il n’y ait lieu de poser une question préjudicielle y relative à la Cour Constitutionnelle, dont la saisine ne s’impose pas, en application de l’article 6 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, lorsque la Cour constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet.

En ce qui concerne la prétendue violation du principe d’impartialité par l’AED, force est d’abord de rappeler que le tribunal vient de retenir ci-avant que l’article 6 de la CEDH ne trouve pas application en l’espèce. Or, il a été jugé, par rapport au Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, que si l’autorité administrative n’est pas formellement soumise au respect de l’article 6 de la CEDH, lorsqu’elle statue en matière disciplinaire, elle est néanmoins tenue d’observer les principes généraux du droit qui s’imposent en la matière, dont plus particulièrement le principe d’équitable procédure, comprenant celui de l’impartialité de l’autorité et ce, même en l’absence d’un texte exprès consacrant ces principes pour la matière 9 Cour constitutionnelle, 12 décembre 2014, n° 115/14, disponible sous www.justice.public.lu 10 Cour constitutionnelle, 14 décembre 2007, n° 41/07, disponible sous www.justice.public.lu 11 ibidem 12 ibidem 10 précise concernée13, la même décision ayant précisé que d’un point de vue subjectif, l’impartialité consiste en ce que l’organe enquêteur, chargé de l’instruction de l’affaire disciplinaire, n’ait pas procédé à des prises de position antérieures de nature à préjuger du résultat de la procédure disciplinaire par lui menée, tandis que d’un point de vue objectif, il ne faut pas que ledit enquêteur puisse être soupçonné d’une partialité découlant de conditions structurelles ou organisationnelles14.

Or, il a également été retenu que dans la mesure où l’intéressé trouve à sa disposition au niveau contentieux un double degré de juridiction avec des organes juridictionnels répondant aux exigences de l’article 6 de la CEDH, ce qui n’est pas mis en cause en l’espèce par la partie demanderesse, les garanties de celles-ci ne sauraient être appliquées avec la même rigueur à l’encontre d’organes siégeant au niveau précontentieux, à savoir au niveau administratif15.

En l’espèce, force est de retenir que la partie demanderesse reste en défaut d’établir une quelconque partialité objective ou subjective, au-delà de la simple affirmation non autrement motivée que l’instruction et la sanction des faits se font au sein d’une même administration, étant relevé qu’il ressort des éléments soumis à l’analyse du tribunal qu’il existe, au sein de l’AED, une séparation interne du pouvoir d’investigation et du pouvoir sanctionnateur, étant donné que l’amende a été prononcée par la direction de l’AED, laquelle n’a pas procédé à l’enquête dans les locaux de la société demanderesse et n’est pas le signataire du rapport de contrôle constatant les violations reprochées à la société demanderesse et proposant la prononciation d’une amende à son égard, signé par des agents de l’AED autres que les membres de sa direction, et auxquels il ne saurait être reproché d’être partiaux du simple fait qu’ils aient exigé l’exécution des obligations prévues par la loi du 12 novembre 2004.

Il suit des considérations qui précèdent que le moyen tenant à une violation du principe d’impartialité est également à écarter pour ne pas être fondé.

La société demanderesse invoque ensuite une violation de l’article 8-2, paragraphe (1) de la loi du 12 novembre 2004, en ce que l'AED, au lieu de prononcer, en l’espèce, une amende administrative, aurait pu, voire dû, lors de la phase d'instruction, prononcer une injonction à son encontre pour les manquements constatés lors du contrôle litigieux. Elle insiste, dans ce contexte, sur la circonstance qu’elle aurait tout fait pour remédier auxdits manquements en ayant notamment eu recours aux services d’une société spécialisée dans la prestation de services en matière de protection d'identité, de protection des données et de lutte contre le blanchiment d'argent dès le mois d'avril 2021, circonstance qui n’aurait cependant pas été prise en compte par l’AED.

Dans son mémoire en réplique, la société A réfute l’argumentation de la partie étatique consistant à soutenir qu’une injonction serait à considérer comme une simple prérogative de l’AED dans l’exercice de son pouvoir de surveillance en vue d’empêcher la poursuite d'une illégalité, tandis que l'amende sanctionnerait une illégalité constatée, alors qu’il n’y aurait ainsi aucun intérêt pratique pour l’AED de pouvoir prononcer des injonctions, aux fins de régulariser une situation, si de toute façon la sanction serait automatiquement prononcée, même au cas où, 13 Cour adm., 26 février 2015, n° 34682C, du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction Publique, n° 267 et l’autre référence y citée.

14 ibidem 15 Cour adm. 17 décembre 2009, n° 25839C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 292 et les autres références y citées.

11 comme en l'espèce, la situation aurait été régularisée. La demanderesse soutient, dans ce cadre, que le fait que l'AED sanctionnerait systématiquement un manquement, aboutirait nécessairement à l'impossibilité pour l'administré de redresser les manquements constatés afin d'éviter la sanction.

C’est à juste titre que le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen de la société A fondé sur une violation de l’article 8-2, paragraphe (1) de la loi du 12 novembre 2004 aux termes duquel « (1) Aux fins d’application de la présente loi, les autorités de contrôle sont investies de tous les pouvoirs de surveillance et d’enquête nécessaires à l’exercice de leurs fonctions dans les limites définies par la présente loi.

Les pouvoirs des autorités de contrôle visés à l’alinéa 1er incluent le droit : (…) e) d’enjoindre aux personnes soumises à leur pouvoir de surveillance respectif conformément à l’article 2-1 de mettre un terme à toute pratique contraire aux articles 2-2 à 5 et 8-3, paragraphe (3) ou aux mesures prises pour leur exécution et de s’abstenir de la réitérer, dans le délai qu’elles fixent ; ».

Force est, dans ce contexte, au tribunal de relever, tout d’abord, que le pouvoir de prononcer des injonctions de l’article 8-2, paragraphe (1), point e) de la loi du 12 novembre 2004 ne constitue qu’une faculté dans le chef de l’AED qui dispose, en la matière d’un pouvoir discrétionnaire, afin d’exercer son contrôle et de faire respecter, de la manière la plus adéquate, les dispositions de la loi du 12 novembre 2004.

Par ailleurs, contrairement à l’argumentation de la partie demanderesse, une violation des obligations découlant des articles 2-2 et suivants de la loi du 12 novembre 2004 peut en même temps donner lieu, d’une part, à une injonction, au sens de l’article 8-2, paragraphe (1), point e) de la loi du 12 novembre 2004 de l’AED, dont l’objectif est de faire cesser, respectivement de prévenir une telle violation, injonction pouvant être assortie d’une astreinte, conformément au paragraphe (2) du prédit article, respectivement donner lieu à une amende d’ordre si elle n’est pas suivie d’effets, en vertu de l’article 8-4, paragraphe (4) de la loi du 12 novembre 2004, et, d’autre part, à une sanction administrative, telle qu’en l’occurrence une amende administrative, conformément à l’article 8-4, paragraphes (1) et (2) de la loi du 12 novembre 2004, dont l’objet est de réprimer les violations constatées.

Il y a finalement lieu de relever qu’au regard des circonstances de l’espèce, matérialisées par une société ayant exprimé, dans sa prise de position du 26 août 2021 suite au rapport de contrôle du 15 juin 2021, sa volonté de remédier aux violations constatées, aucune critique ne peut être dirigée contre l’AED de ne pas avoir prononcé d’injonctions à l’encontre de la société demanderesse.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen de la partie demanderesse fondé sur une violation de l’article 8-2, paragraphe (1) de la loi du 12 novembre 2004 est à rejeter pour manquer de fondement.

La société demanderesse conclut finalement à la réformation de la décision directoriale déférée du 10 septembre 2021, en ce que la sanction prononcée à son égard serait manifestement injustifiée, sinon disproportionnée. Tout en relevant que le rapport de contrôle du 15 juin 2021 aurait retenu qu’elle aurait été « conforme » concernant les obligations de coopération, circonstance qui n’aurait pas été retenue en sa faveur, la société A se prévaut, afin 12 de démontrer sa bonne foi et de prouver la disproportion de la sanction litigieuse, de sa prise de position du 26 août 2021, pour mettre en avant le fait qu’elle aurait eu recours, dès avril 2021, à une société spécialisée, en l’occurrence la société B, ci-après désignée par « la société B », afin de se faire conseiller pour être conforme en matière de protection des données personnelles et concernant ses obligations découlant de la loi du 12 novembre 2004.

Ainsi, son personnel aurait déjà participé à une première formation et certaines des recommandations intermédiaires proposées par la société B, tel que notamment la mise en place de la signature d'une déclaration de bénéficiaire économique, ainsi que d’une analyse interne du risque par rapport à l'activité du client, auraient immédiatement été appliquées.

Suite à la réception du rapport de contrôle, elle aurait encore procédé à la certification des copies des documents d’identité, ainsi qu’à la nomination de son administrateur-délégué en tant que « compliance officer », et elle aurait pris contact avec la société B, afin de l'assister dans l'adaptation des procédures internes de manière proportionnée à la taille de son activité.

Elle donne encore à considérer que, dans sa prise de position du 26 août 2021, elle aurait sollicité gracieusement un délai de 60 jours, afin de pouvoir présenter sa mise en conformité, délai qui ne lui aurait cependant pas été accordé. Par ailleurs, la sanction, en son principe même, serait largement disproportionnée, alors que l'AED n'aurait constaté des irrégularités que dans 5 dossiers sur plus de 300 clients.

En outre, la société demanderesse considère n'avoir bénéficié d'aucune circonstance atténuante prévue à l'article 8-5 de la loi du 12 novembre 2004, alors que l'AED n'aurait pas tenu compte du fait qu’elle aurait, préalablement au contrôle litigieux pris des mesures notamment en mandatant la société B, qu’elle n'aurait tiré aucun avantage des violations constatées, qu’aucun préjudice n’aurait été causé à des tiers, qu’elle aurait parfaitement coopéré avec les services de l'AED, qu’elle n’aurait jamais été sanctionnée pour d'éventuelles violations antérieures et qu’il n’y aurait eu aucune conséquence systémique due aux manquements constatés dans le rapport.

Sur base des éléments qui précèdent, la partie demanderesse sollicite, par réformation de la décision déférée, principalement à ce qu'aucune sanction disciplinaire ne soit prononcée à son égard, respectivement, à titre subsidiaire, que seul un avertissement, en tant que sanction en adéquation avec les éléments exposés dans son recours, ne soit retenu à son encontre.

Dans son mémoire en réplique, la société A réitère son moyen relatif au caractère non-

justifié et disproportionnée de l’amende litigieuse, tout en insistant sur l’obligation de collaboration dans le chef de l’administration interdisant, selon la demanderesse, à cette dernière de se retrancher dans une attitude rigide et intolérante vis-à-vis d’un administré ayant démontré sa bonne foi en régularisant immédiatement une situation considérée comme illégale par ladite administration.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du moyen tiré d’un excès de pouvoir, respectivement d’une violation du principe de proportionnalité pour manquer de fondement.

Force est de rappeler, à titre liminaire, en ce qui concerne la loi applicable à l’examen du bien-fondé du présent recours, que si, dans le cadre d'un recours en réformation, le tribunal est amené à considérer les éléments de fait et de droit de la cause au moment où il statue, en 13 tenant compte des changements intervenus depuis la décision litigieuse16, il n’en reste pas moins qu’en vertu du principe de non-rétroactivité des lois, consacré à l’article 2 du Code civil, le tribunal doit apprécier tant la question du champ d’application de la loi du 12 novembre 2004 que celle de la qualification des faits au regard des obligations y inscrites et susceptibles de conduire à une sanction administrative, ainsi que la question de la compétence du pouvoir sanctionnateur au regard de la loi du 12 novembre 2004, telle qu’elle était en vigueur au moment des faits17, respectivement au jour de la décision déférée, soit, en l’occurrence, la version avant la modification du 29 juillet 2022, le principe et le quantum de la sanction étant, par contre, à analyser sur base de la version de la loi du 12 novembre 2004 applicable au jour du jugement.

Le tribunal doit, tout d’abord, constater que l’argumentation de la société demanderesse se limite à contester le quantum de l’amende retenue à son encontre, sans remettre en cause la conclusion directoriale quant à la violation, par la société A, au jour du contrôle, des obligations de la loi du 12 novembre 2004, tel que ressortant plus particulièrement du rapport de contrôle du 15 juin 2021 et visant plus particulièrement le non-respect de l’obligation de vigilance à l’égard de sa clientèle au regard des articles 3 et suivants de la loi du 12 novembre 2004 portant notamment sur l’identification du client, du bénéficiaire effectif, de l’origine des fonds, ainsi que sur la conservation des documents, ainsi que le non-respect de l’obligation d’organisation interne en vertu des articles 2-2, 4 et suivants de la même loi portant notamment sur l’existence d’une procédure interne, la nomination d’un « compliance officer », la formation du personnel en la matière, ainsi que l’existence d’une analyse risque.

Il s’ensuit que l’analyse du tribunal devra se limiter à la question de la justification et à la proportionnalité de la sanction, ainsi que du montant retenu pour l’amende prononcée à l’égard de la société demanderesse.

En vertu de l’article 8-4, paragraphe (2) de la loi du 12 novembre 2004 « En cas de violation [des articles 2-2, 3, 3-1, 3-2, 3-3, 4, 4-1 et 5, 7-1, paragraphes (2) et (6), et 7-2, paragraphe (1) et 8-3, paragraphe (3) de la loi du 12 novembre 2004] les autorités de contrôle ont le pouvoir d’infliger les sanctions administratives suivantes et de prendre les mesures administratives suivantes :

a) un avertissement ;

b) un blâme ;

c) une déclaration publique qui précise l'identité de la personne physique ou morale et la nature de la violation ;

d) lorsqu'un professionnel est soumis à l’enregistrement ou un agrément, lancer la procédure en vue du retrait ou de la suspension de cet enregistrement ou agrément ;

(…) f) des amendes administratives d’un montant maximal de deux fois le montant de l’avantage tiré de la violation, lorsqu’il est possible de déterminer celui-ci, ou d’un montant maximal de 1.000.000 d’euros. (…) ».

Aux termes actuels de l’article 8-5 de la loi du 12 novembre 2004, intitulé « Exercice des pouvoirs de sanction », il est prévu qu’« (1) Au moment de déterminer le type et le niveau 16 Trib. adm., 15 juillet 2004, n° 18353 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en reformation, n° 19 et les autres références y citées.

17 Trib. adm. 30 mai 2018, n°39088 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu 14 des sanctions, les organismes d’autorégulation tiennent compte de toutes les circonstances pertinentes, y compris, le cas échéant :

a) de la gravité et de la durée de la violation ;

b) du degré de responsabilité de la personne tenue pour responsable de la violation ;

c) de la situation financière de la personne tenue pour responsable de la violation, par exemple telle qu’elle ressort du chiffre d’affaires total de la personne morale tenue pour responsable ou des revenus annuels de la personne physique tenue pour responsable ;

d) de l’avantage tiré de la violation par la personne tenue pour responsable, dans la mesure où il est possible de le déterminer ;

e) des préjudices subis par des tiers du fait de la violation, dans la mesure où il est possible de les déterminer ;

f) du degré de coopération de la personne tenue pour responsable de la violation avec les organismes d’autorégulation, les autorités de contrôle et avec la cellule de renseignement financier ;

g) des violations antérieures commises par la personne tenue pour responsable ;

h) des conséquences systémiques potentielles de l’infraction. (…). ».

Il suit de la combinaison de ces articles que le choix entre différentes sanctions allant du simple avertissement à une amende pouvant, le cas échant, aller jusqu’à 1.000.000,- d’euros, ainsi que du niveau de la sanction à prononcer doit être fait en fonction des circonstances de l’espèce, les exemples de circonstances énumérées à titre indicatif à l’article 8-5 de la loi du 12 novembre 2004 ne devant être prises en compte que si elles sont avérées dans le cas d’espèce.

L’article 8-4, paragraphe (2) de la loi du 12 novembre 2004 laisse ainsi une large marge d’appréciation au directeur de l’AED en ce qui concerne le montant à prononcer à titre d’amende administrative, étant encore précisé que dans le cadre d’un recours en réformation, le tribunal est amené à apprécier les faits commis par le demandeur en vue de déterminer si la sanction prononcée par l’autorité compétente a un caractère proportionné et juste, en prenant en considération la situation dans son ensemble, l’analyse du tribunal quant au bien-fondé et quant à l’opportunité de la décision déférée s’opérant au moment où il est appelé à statuer18.

Il s’ensuit d’abord que la partie demanderesse ne saurait se targuer en l’espèce de ce que toute une série de circonstances, telles qu’énumérées, ne seraient pas avérées en l’espèce.

Ainsi, s’il n’est effectivement pas soutenu que la partie demanderesse aurait tiré un avantage de ses manquements, respectivement que ces derniers aient causé un préjudice à des tiers, ou auraient eu des conséquences systémiques, il a cependant été retenu que la partie demanderesse, qui existe depuis 2011, n’était pas au courant des obligations lui incombant en vertu de la loi du 12 novembre 2004, alors qu’aucune procédure d’entrée en relation d’affaires, respectivement une analyse des risques n’avaient été mises en place et qu’elle n’avait jamais désigné un responsable en matière de lutte anti-blanchiment. Dans ce cadre, il y a encore lieu de rejeter le reproche de la demanderesse fondé sur la prétendue absence de collaboration de la part de l’AED, laquelle, sur base de l’article 8-4 de la loi du 12 novembre 2004, était en droit de sanctionner la société A dès le constat des violations commises par cette dernière.

La gravité des faits n’est pas remise en cause par l’argumentation de la demanderesse relative à la consultation, antérieurement au contrôle opéré par l’AED, d’une société spécialisée, dans la mesure où une telle intervention, qui ne ressort cependant d’aucun élément 18 Trib. adm., 26 juin 2020, numéro 42053 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu.

15 soumis à l’analyse du tribunal, n’a pas eu pour effet qu’au jour du contrôle de l’AED, la société A respectait l’ensemble de ses obligations découlant de la loi du 12 novembre 2004. De plus, ni le refus d’octroi d’un délai pour se régulariser, ni les régularisations intervenues suite à l’émission du rapport de contrôle ne tiennent en échec la sanction prononcée à l’égard de la demanderesse, sanction qui doit se fonder exclusivement sur le constat, le jour du contrôle, des violations commises par la société A.

Par ailleurs, l’affirmation de la demanderesse selon laquelle les violations constatées n’ont visé que 5 dossiers est également à rejeter, dans la mesure où seuls 5 dossiers ont été contrôlés, de sorte que les violations constatées tirées d’une absence de procédure d’entrée en relation d’affaires, ainsi que d’une analyse des risques, tout comme le défaut de désignation d’un responsable en matière de lutte anti-blanchiment visent nécessairement l’ensemble des dossiers de la demanderesse.

En ce qui concerne le montant de l’amende pouvant, en dehors de la preuve de l’existence d’un avantage, aller jusqu’à 1.000.000 euros, force est de constater que le délégué du gouvernement a présenté un barème auquel l’AED s’est tenue en vue de la fixation de l’amende litigieuse, barème comportant des explications circonstanciées permettant de vérifier l’adéquation de la sanction par rapport aux faits de l’espèce et par rapport au chiffre d’affaires de la société A et que cette dernière n’a pas valablement remis en cause.

Au vu des considérations qui précèdent, le moyen de la demanderesse tiré d’un excès de pouvoir et d’une violation du principe de proportionnalité est à rejeter pour manquer de fondement.

Force est encore au tribunal de relever que si la partie demanderesse a sollicité, dans sa requête introductive d’instance d’« enjoindre à l’AED de communiquer le dossier administratif conformément à l'article 8 (5) de la loi du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives », outre le fait que le dépôt du dossier administratif constitue une obligation spontanée pour l’administration dont émane la décision déférée, l’AED a versé, ensemble avec son mémoire en réponse, une farde contenant sept documents permettant de retracer les rétroactes, ainsi que les tenants et aboutissants de la décision déférée, de sorte qu’à défaut d’avoir valablement contesté le caractère complet du dossier administratif ainsi versé, - la société A s’étant rapportée, sur ce point, à prudence de justice dans le cadre de son mémoire en réplique, sans y fournir une quelconque précision -, la demande y relative encourt le rejet.

Quant à la demande de la société A tendant à l’allocation d’une indemnité de procédure de 1.500 euros sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, celle-ci est à rejeter au vu de l’issue du litige.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation dirigé contre la décision directoriale du 10 septembre 2021 en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

16 dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande de la société A d’enjoindre à l’AED de communiquer le dossier administratif ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 1.500 euros telle que formulée par la demanderesse ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 13 septembre 2023, par:

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Enily Da Cruz De Sousa, juge, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 46568
Date de la décision : 13/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 23/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-13;46568 ?

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