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13/09/2023 | LUXEMBOURG | N°42617a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 septembre 2023, 42617a


Tribunal administratif No 42617a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:42617a 4e chambre Inscrit le 5 avril 2019 Audience publique de vacation du 13 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Sécurité intérieure en matière de promotion

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JUGEMENT

Revu la requête inscrite sous le numéro 42617 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2019 par Maître Pol Urbany, avocat à la Cour, inscrit au table

au de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant ...

Tribunal administratif No 42617a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:42617a 4e chambre Inscrit le 5 avril 2019 Audience publique de vacation du 13 septembre 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Sécurité intérieure en matière de promotion

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JUGEMENT

Revu la requête inscrite sous le numéro 42617 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2019 par Maître Pol Urbany, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de la Sécurité intérieure du 27 décembre 2018 portant rejet de sa demande d’admission au mécanisme temporaire du changement de groupe de traitement prévu à l’article 94 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale ;

Vu le jugement interlocutoire du tribunal administratif du 6 avril 2021, inscrit sous le n° 42617 du rôle ;

Vu l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 26 novembre 2021, inscrit sous le n° … du registre ;

Vu l’avis du tribunal administratif du 11 janvier 2022 autorisant les parties à déposer un mémoire supplémentaire ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 11 février 2022 par Maître Pol Urbany, préqualifié, au nom et pour le compte de son mandant ;

Vu le mémoire supplémentaire du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 4 mars 2022 ;

Revu les pièces versées en cause, et notamment la décision critiquée ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport et Maître Guillaume Vaysse, en remplacement de Maître Pol Urbany, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Marc Lemal en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 juin 2023.

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Suite à une note de service n° 50/2018 du 24 juillet 2018 du directeur général de la Police grand-ducale, Monsieur … introduisit le 14 août 2018, par la voie hiérarchique, une demande afin de bénéficier du mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement, tel que prévu à l’article 94 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police 1grand-ducale, ci-après désignés respectivement par « la voie expresse » et « la loi du 18 juillet 2018 ».

Suite à un avis défavorable de la commission de contrôle de la carrière policière, ci-

après désignée par « la commission de contrôle », en matière de mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement du 9 novembre 2018, le ministre de la Sécurité intérieure, ci-après désigné par « le ministre », par décision du 27 décembre 2018, informa Monsieur … du refus de sa demande sur base des motifs et considérations suivantes :

« (…) Me référant à votre demande du 14 août 2018 et à l’avis défavorable de la commission de contrôle de la carrière policière, je suis au regret de vous informer que vous n’êtes actuellement pas admissible au mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement étant donné que le nombre maximal de fonctionnaires du groupe de traitement C1 pouvant bénéficier de ce mécanisme est atteint. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 5 avril 2019, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du ministre du 27 décembre 2018.

Par jugement du 6 avril 2021, inscrit sous le n° 42617 du rôle, le tribunal se déclara incompétent pour connaître du recours principal en réformation à l’encontre de la décision ministérielle déférée, déclara le recours en annulation recevable en la forme, tout en soumettant, avant tout autre progrès en cause, à la Cour Constitutionnelle les questions préjudicielles suivantes :

1) « L’article 94, paragraphe (3), alinéa 3 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce qu’il limite le nombre maximum de policiers d’un groupe de traitement pouvant bénéficier du mécanisme temporaire de changement de groupe à vingt pour cent de l’effectif total de la catégorie de traitement C du cadre policier, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, dans la mesure où il institue une différence de traitement par rapport à l’article 30 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur l’Inspection générale de la Police, qui ne prévoit aucune limitation du nombre de policiers pouvant bénéficier du mécanisme temporaire de changement de groupe ? » ;

2) « L’article 94, paragraphe (3), alinéa 3 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce qu’il limite le nombre maximum de policiers d’un groupe de traitement pouvant bénéficier du mécanisme temporaire de changement de groupe à vingt pour cent de l’effectif total de la catégorie de traitement C du cadre policier, sans considérer particulièrement les policiers de la catégorie de traitement C qui sont détenteurs d’un diplôme de fin d’études secondaires, d’un diplôme de fin d’études secondaires techniques ou d’un diplôme équivalent, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, dans la mesure où il institue une différence de traitement par rapport à l’article XII de la loi du 9 mai 2018 portant (notamment) modification de la loi modifiée du 25 mars 2015, qui ne prévoit, pendant une période de deux ans, aucune limitation du nombre d’expéditionnaires informaticiens détenteurs d’un diplôme luxembourgeois de technicien ou d’un diplôme équivalant pouvant bénéficier du mécanisme temporaire de changement de groupe ? ».

23) « L’article 94, paragraphe (3), alinéa 3 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce qu’il ne prévoit que deux conditions d’accès à la voie expresse, à savoir une ancienneté de quinze ans depuis la nomination et une fonction relevant du niveau supérieur, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, dans la mesure où il institue une différence de traitement par rapport à l’article 54 de la loi modifiée du 25 mars 2015 fixant le régime des traitements et les conditions et modalités d’avancement des fonctionnaires de l’Etat, à l’article 30 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur l’Inspection générale de la Police et à l’article 51 du règlement grand-ducal modifié du 28 juillet 2017 fixant le régime des traitements et les conditions et modalités d’avancement des fonctionnaires communaux, qui prévoient tous comme condition d’accès supplémentaire, par rapport à ces deux conditions, l’occupation d’un poste qui comporte l’exercice des fonctions et attributions supérieures à celles revenant à son groupe de traitement initial ? » 4) « L’article 94, paragraphe (3), alinéa 3 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale, en ce qu’il prévoit que la sélection des candidatures se basera également sur le critère de l’ancienneté de service, est-il conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, dans la mesure où il institue une différence de traitement par rapport à l’article 54 de la loi modifiée du 25 mars 2015 fixant le régime des traitements et les conditions et modalités d’avancement des fonctionnaires de l’Etat, à l’article 30 de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur l’Inspection générale de la Police et à l’article 51 du règlement grand-ducal modifié du 28 juillet 2017 fixant le régime des traitements et les conditions et modalités d’avancement des fonctionnaires communaux, qui ne prévoient pas de tel critère de l’ancienneté de service pour la sélection des candidatures ? » Dans son arrêt du 26 novembre 2021, inscrit sous le n° … du registre, la Cour constitutionnelle décida que « (…) l’article 94, paragraphe 3, alinéa 3, de la loi modifiée du 18 juillet 2018 sur la Police grand-ducale ayant pour objet le bénéfice du mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement n’est pas contraire à l’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution. », sur base de la motivation suivante :

« (…) La nécessité préalable d’une restructuration du statut particulier de la Police grand-ducale, corps relevant de la force publique, essentiellement hiérarchisée à sa base, par l’instauration de nouvelles catégories et de nouveaux groupes de traitement et par l’introduction du mécanisme de la voie expresse à partir de la seule catégorie de traitement C, laisse apparaître que la situation du cadre policier de la Police grand-ducale est spécifique à tel point qu’elle doit être analysée à part et n’est pas comparable à celle des fonctionnaires de l’État en général, ni à celle des fonctionnaires expéditionnaires informaticiens, détenteurs d’un diplôme luxembourgeois de technicien ou d’un diplôme équivalent, ni à celle des fonctionnaires communaux. (…) ».

Elle considéra encore que les membres de l’Inspection générale de la Police, ci-après désignée par « l’IGP » se trouvent également dans une situation spécifique qui n’est pas comparable à celle du cadre policier de la Police grand-ducale, la Cour constitutionnelle relevant, dans ce cadre, une différence majeure entre le nombre des candidats potentiels des deux corps de police susceptibles de bénéficier du mécanisme de changement par la voie expresse, le principe de non-retour des membres de l’IGP dans la Police grand-ducale et le 3bénéfice corrélatif d’une possibilité de promotion de carrière, ainsi que le contrôle institutionnalisé des services de la Police grand-ducale par les membres de l’IGP.

Par avis du 24 février 2021, le tribunal a accordé aux parties le droit de déposer un mémoire supplémentaire afin de prendre position quant aux conclusions de l’arrêt précité de la Cour constitutionnelle du 26 novembre 2021.

Dans son mémoire supplémentaire, la partie demanderesse maintient l’ensemble des moyens développés dans son recours et basés sur l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, respectivement sur l’article 10bis, paragraphe (1) de la Constitution.

En ce qui concerne ce dernier moyen, elle fait valoir que le constat de constitutionnalité de la Cour constitutionnelle, dans son arrêt, précité, du 26 novembre 2021, de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 par rapport à l’article 10bis de la Constitution ne signifierait pas nécessairement que toutes les applications ministérielles de ladite disposition légale seraient mécaniquement conformes aux prédites dispositions légale et constitutionnelle. La partie demanderesse en conclut que les arguments soulevés dans son recours, ainsi que dans son mémoire en réplique n’auraient pas été mis en cause par l’arrêt de la Cour constitutionnelle du 26 novembre 2021, de sorte qu’au regard de l’identité des conditions de travail des policiers et des membres de l’IGP et au regard de la différence de traitement entre ces deux catégories de personnes laquelle n’aurait pas été justifiée par la partie étatique, son moyen basé sur l’article 10bis de la Constitution serait à accueillir.

Elle soulève encore des moyens nouveaux tirés d’une violation, par la décision déférée, de l’article 21 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, ci-après désignée par « le statut général », en faisant valoir qu’au regard du fait qu’elle remplirait les conditions énoncées à l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 pour bénéficier du mécanisme de la voie expresse, mécanisme qui n’aurait pas été correctement appliqué par le ministre dans son cas, elle aurait dû bénéficier du traitement afférent plus élevé auquel ses compétences professionnelles et personnelles lui auraient permis de prétendre.

Elle conclut encore à l’annulation de la décision ministérielle déférée pour violation de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 et l’application qui en aurait été faite en l’espèce, à travers la prédite décision du 27 décembre 2018, des principes constitutionnelles d’égalité de traitement et de non-discrimination, principes qui seraient, selon la partie demanderesse, distincts de l’article 10bis de la Constitution et autonomes par rapport à la Constitution, de sorte à ne pas avoir été visés par l’arrêt, précité, de la Cour constitutionnelle du 26 novembre 2021. Dans ce cadre, la partie demanderesse se réfère à ses comparaisons, telles qu’opérées dans son recours, ainsi que dans son mémoire en réplique, des policiers avec d’autres agents publics.

La partie demanderesse conclut finalement à une violation, par la décision déférée du 27 décembre 2018, des principes généraux du droit relevant de la nécessité d’une bonne administration et plus particulièrement (i) le principe de sécurité juridique, en ce que le ministre n’aurait pas pris en compte ses compétences professionnelles et personnelles, obligation cependant clairement imposée par l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, (ii) le principe de confiance légitime sur base de la même considération, la partie demanderesse rajoutant encore, dans ce cadre, une discrimination entre les policiers et d’autres fonctionnaires, ainsi que (iii) le principe de la cohérence, en raison de l’interprétation, de la 4part de la partie étatique, de la mention « s’il y a lieu » de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, il échet au tribunal de constater que l’autorisation du tribunal de déposer des mémoires supplémentaires a été limitée, à travers l’avis du 11 janvier 2022, à une prise de position par rapport à l’arrêt, précité, de la Cour constitutionnelle du 26 novembre 2021, de sorte qu’il y a d’emblée lieu d’écarter des débats, tel que soulevé à juste titre par le délégué du gouvernement à l’audience publique des plaidoiries, les moyens nouveaux développés par la partie demanderesse dans son mémoire supplémentaire, et fondés sur une violation de l’article 21 du statut général, sur une violation des principes constitutionnelles d’égalité de traitement et de non-discrimination, ainsi que sur une violation des principes généraux du droit relevant de la nécessité d’une bonne administration : en l’occurrence le principe de sécurité juridique, de protection de la confiance légitime et le principe de la cohérence.

Il y a ensuite lieu de relever, quant à l’argumentation de la partie demanderesse développée dans son mémoire supplémentaire concernant son moyen basé sur une violation de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, que ledit moyen a déjà été tranché par le tribunal dans son jugement interlocutoire du 6 avril 2021, de sorte que les développements juridiques y relatifs de la partie demanderesse, dans son mémoire supplémentaire, sont à rejeter pour défaut de pertinence.

En ce qui concerne finalement le moyen axé sur une violation du principe constitutionnel d’égalité de traitement, consacré à l’article 10bis, paragraphe (1) de la Constitution aux termes duquel « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi. », à travers la décision déférée du 27 décembre 2018, en ce que l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018 prévoirait, d’une part, un contingent d’agents admissibles au mécanisme de la voie expresse, et, d’autre part, parmi les critères de sélection, l’ancienneté de service des candidats, il y a lieu de relever qu’en vertu de l’article 15 de la loi modifiée du 27 juillet 1997 portant organisation de la Cour Constitutionnelle, ci-après désignée par « la loi du 27 juillet 1997 », « (…) La juridiction qui a posé la question préjudicielle, ainsi que toutes les autres juridictions appelées à statuer dans la même affaire, sont tenues, pour la solution du litige dont elles sont saisies, de se conformer à l’arrêt rendu par la Cour ».

Il résulte de la disposition légale qui précède que les conclusions de la Cour Constitutionnelle s’imposent au tribunal, lequel doit impérativement s’y conformer.

Par ailleurs, il y a lieu de constater que les critiques de la partie demanderesse, telles que développées dans son mémoire supplémentaire, ont trait tant à la motivation de l’arrêt, précité, de la Cour constitutionnelle du 26 novembre 2021 qu’à sa conclusion, la demanderesse mettant en effet en exergue que les policiers, ainsi que les membres de l’IGP se trouveraient dans un situation identique pour accomplir le même travail, à savoir un travail d’enquête judiciaire sur des faits délictueux commis au Luxembourg, et que la différence de traitement entre ces deux catégories d’agents publics ne seraient pas justifiée, de sorte qu’à travers la décision déférée du 27 décembre 2018 et l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, l’article 10bis de la Constitution serait violé. Or, l’arrêt de la Cour Constitutionnelle du 26 novembre 2021 s’impose au tribunal en son dispositif et ce indépendamment de sa motivation, lequel ne saurait en tout état de cause être rediscuté devant la juridiction ayant 5posé la question préjudicielle, de sorte que les développements y afférents de la demanderesse sont en tout état de cause à écarter.

Au vu des considérations qui précèdent et dans la mesure où la Cour Constitutionnelle a retenu que l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, en ce qu’il prévoit, d’une part, un contingent d’agents admissibles au mécanisme de la voie expresse, et, d’autre part, parmi les critères de sélection, l’ancienneté de service des candidats pour les seuls policiers, n’est pas contraire à l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution, le moyen afférent de la partie demanderesse encourt le rejet pour manquer de fondement.

A l’audience publique du 13 juin 2023, le tribunal a encore soulevé d’office un moyen d’ordre public relatif à l’absence de base légale de la décision déférée du 27 décembre 2018 au regard d’un arrêt de la Cour constitutionnelle du 9 décembre 2022, inscrit sous le n° … du registre, ayant dit pour droit que le mécanisme temporaire de la voie expresse instauré par l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, considéré à la lumière de la systémique de ladite loi, institue une identité de traitement appliqué à des situations différentes qui n’est pas conforme au principe d’égalité devant la loi, consacré par l’article 10bis, paragraphe 1er de la Constitution.

Le délégué du gouvernement s’est rapporté à prudence de justice par rapport à la question ainsi soulevée par le tribunal, tout en mettant en avant la signature, le 12 juin 2023, d’un accord entre le ministre, le ministre de la Fonction publique, les représentants du Syndicat national de la Police grand-ducale Luxembourg et la Confédération générale de la Fonction publique en vue d’adapter l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018. Le litismandataire de la partie demanderesse n’a pas pris position sur ce point.

Il y a, tout d’abord, lieu de relever que la Cour constitutionnelle, dans son arrêt, précité, du 9 décembre 2022, avait eu à statuer sur une question préjudicielle sur la conformité de l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, ensemble la systémique de la loi du 18 juillet 2018, avec le principe d’égalité devant la loi consacré par l’article 10bis de la Constitution, question libellée comme suit :

« - L’article 94 en question, ensemble la systémique de la loi du 18 juillet 2018, ne comporte-il pas une différence de traitement incompatible avec le principe d’égalité devant la loi, en ce que du fait également de la limitation de la mesure à un contingent de 20 % impliquant que seuls les fonctionnaires ayant le meilleur rang d’ancienneté puissent profiter de la mesure de la voie expresse, ce système revient à ce que des fonctionnaires n’ayant pas les diplômes requis pour entrer de plano au groupe de traitement B1 devancent et bloquent ceux ayant pourtant disposé dès le moment de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018 des conditions de diplôme ayant dû leur conférer normalement dès cette date l’entrée immédiate au groupe de traitement B1 ? - Subsidiairement, si le système instauré n’était pas de nature à traiter de manière indue, au regard du principe de l’égalité devant la loi, les fonctionnaires disposant d’un diplôme devant normalement donner de plano accès au groupe de traitement B1, est-ce que l’article 94 en question, ensemble la systémique de la loi du 18 juillet 2018, n’opère-t-il pas un traitement incompatible avec le principe général de proportionnalité en ce qu’aucune règle d’équivalence n’a été posée par le législateur dans le sens de prévoir que seuls les fonctionnaires pouvant faire valoir une ancienneté de plusieurs décennies puissent devancer des fonctionnaires avec moins d’ancienneté disposant cependant d’un diplôme ayant 6normalement dû leur donner accès direct au groupe de traitement B1 dès l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018. Cette différence de traitement a priori indue n’est-elle pas accentuée par le fait qu’en l’espèce, le fonctionnaire disposa du diplôme requis pour entrer de plano au groupe de traitement B1, mais ne remplit ni la condition de 15 années de service posée par l’article 94 en question, ni ne se trouva classé utilement compte tenu du contingentement prévu par ledit article 94, et se vit uniquement offrir comme alternative de participer à l’examen-concours à tenir ultérieurement pour l’accès à la carrière B1, alors que pourtant il dispose du diplôme pertinent et qu’il a déjà passé un examen-concours pour rejoindre le corps de la Police grand-ducale ? ».

Dans son arrêt du 9 décembre 2022, la Cour constitutionnelle a déclaré le mécanisme temporaire de la voie expresse instauré par l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, considéré à la lumière de la systémique de ladite loi, comme n’étant pas conforme à l’article 10bis, paragraphe 1er, de la Constitution.

Pour arriver à cette conclusion, la Cour constitutionnelle s’est tout d’abord référée à son arrêt, précité, du 26 novembre 2021 pour ensuite relever que la question soumise mettait en exergue le fait qu’au moment de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018, la catégorie de traitement C du corps de la Police grand-ducale comprenait essentiellement deux sous-catégories de fonctionnaires, à savoir des fonctionnaires qui ne disposaient pas d’un diplôme de fin d’études secondaires ou d’un diplôme reconnu équivalent et celle des fonctionnaires qui en disposaient, tout en retenant que ces deux situations étaient suffisamment comparables en ce que ces deux sous-catégories de fonctionnaires du groupe de traitement C1 sont appelées à bénéficier, sous certaines conditions, de l’avancement par la voie expresse au groupe de traitement B1.

Elle considéra ensuite que si la philosophie du mécanisme temporaire de la voie expresse réside essentiellement dans le fait de permettre à des candidats qui ne disposent pas du diplôme relatif au groupe de traitement auquel ils entendent accéder, de pouvoir y accéder, c’est cependant le traitement identique de cette sous-catégorie de fonctionnaires avec celle des fonctionnaires disposant de pareil diplôme qui implique une atteinte au principe de l’égalité de traitement.

En effet, si le mécanisme temporaire de la voie expresse entend faire bénéficier des fonctionnaires ne disposant pas du diplôme requis pour entrer de plano dans la classe supérieure à la leur, moyennant l’institution d’un régime temporaire de changement de groupe de traitement tablant sur la validation des acquis de l’expérience professionnelle et l’accomplissement d’un travail personnel de réflexion, c’est par l’application indistincte de ce même mécanisme aux fonctionnaires ayant d’ores et déjà, au moment de l’entrée en vigueur de la loi du 18 juillet 2018, disposé du diplôme requis pour accéder de plano à la classe supérieure briguée, que le législateur a institué une barrière pour ces derniers, se caractérisant par un traitement identique face à une situation comportant des disparités objectives.

Or, dès lors que par la loi du 18 juillet 2018, le législateur a réalisé en la matière un changement de paradigme en instituant un système posant dorénavant la formation à travers la possession d’un diplôme sanctionnant certaines études comme critère de classement des fonctionnaires nouvellement recrutés, il est apparu, aux yeux de la Cour constitutionnelle, incohérent qu’au niveau du mécanisme temporaire de la voie expresse, le critère essentiel soit celui de l’ancienneté et que peu d’importance soit accordée à celui de la formation, cette 7façon de faire n’étant ni rationnellement justifiée, ni adéquate, ni encore proportionnée au but poursuivi.

La Cour constitutionnelle est ainsi arrivée à la conclusion que l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, considéré à la lumière de la systémique de ladite loi, institue une identité de traitement appliqué à des situations différentes qui n’est pas conforme au principe d’égalité devant la loi, consacré par l’article 10bis, paragraphe 1, de la Constitution.

Quant au volet subsidiaire de la question préjudicielle soumise par la Cour, la Cour constitutionnelle a estimé que son examen n’était plus nécessaire au regard de la réponse donnée à la question préjudicielle prise en son volet principal.

Force est ensuite au tribunal de rappeler que sur base de l’article 15 de la loi du 27 juillet 1997, en cas d'arrêt de la Cour Constitutionnelle retenant la non-conformité d'une loi à la Constitution, toutes les juridictions statuant sur des affaires identiques, respectivement similaires, sont tenues de se conformer à l'arrêt rendu par la Cour en ce sens qu'elles sont appelées à ne pas appliquer la loi jugée non conforme à la Constitution1. Il y a encore lieu de relever, dans ce contexte que dans la mesure où la déclaration de non-conformité dégagée par la Cour constitutionnelle s’impose aux juridictions, il n’appartient pas à ces dernières de donner suite à des analyses d’une partie au litige au principal aboutissant, du moins en apparence, à énerver la conclusion tirée par la Cour constitutionnelle dans la sphère de compétence qui est la sienne, à savoir celle de la décision sur la conformité d’une loi à la Constitution, sans que cette compétence ne relève en aucune manière des autres juridictions2.

Partant le constat d’inconstitutionnalité d’une disposition légale opéré par la Cour constitutionnelle engendre comme conséquence que ladite norme doit être écartée du litige dont la juridiction de renvoi est saisie, conformément à l’article 95ter, paragraphe (6) de la Constitution aux termes duquel « 6) Les dispositions des lois déclarées non conformes à la Constitution par un arrêt de la Cour Constitutionnelle cessent d’avoir un effet juridique le lendemain de la publication de cet arrêt dans les formes prévues pour la loi, à moins que la Cour Constitutionnelle n’ait ordonné un autre délai. La Cour Constitutionnelle détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d’être remis en cause. ».

Sur base des considérations qui précèdent, force est au tribunal de constater que la décision déférée du 27 décembre 2018 encourt l’annulation, dans la mesure où sa seule base légale, en l’occurrence l’article 94 de la loi du 18 juillet 2018, a été déclarée inconstitutionnelle.

La partie demanderesse sollicite finalement une indemnité de procédure d’un montant de 2.000 euros sur base de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Le délégué du gouvernement s’oppose à l’octroi de l’indemnité de procédure sollicitée par la partie demanderesse.

1 Cour adm. 30 janvier 2007, n° 20688C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Lois et règlement, n° 42 et les autres références y citées.

2 Par analogie : Cour adm. 2 avril 2015, n° 34075aC du rôle, Pas. adm. 2022, V° Lois et règlement, n°44.

8La partie demanderesse n’ayant pas établi en quelle mesure il serait inéquitable qu'elle supporte seule les sommes exposées par elle et non comprises dans les dépens, elle est à débouter de sa demande en allocation d'une indemnité de procédure, l’unique affirmation selon laquelle le ministre aurait procédé à une mauvaise application des dispositions légales à cet égard étant insuffisante pour invalider cette conclusion.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

vidant le jugement du tribunal administratif du 6 avril 2021, inscrit sous le n° 42617 du rôle ;

au fond, déclare le recours subsidiaire en annulation justifié, partant annule la décision du ministre de la Sécurité intérieure du 27 décembre 2018 portant rejet de la demande d’accès au mécanisme temporaire de changement de groupe de traitement ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure telle que sollicitée par la partie demanderesse ;

met les frais et dépens de l’instance à charge de l’Etat.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 13 septembre 2023 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Laura Urbany, juge, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 15 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 42617a
Date de la décision : 13/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 23/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-13;42617a ?

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