La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

06/09/2023 | LUXEMBOURG | N°49320

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 06 septembre 2023, 49320


Tribunal administratif Numéro 49320 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49320 chambre de vacation Inscrit le 18 août 2023 Audience publique de vacation du 6 septembre 2023 Recours formé par Monsieur X, …, contre une décision du Conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49320 du rôle et déposée le 18 août 2023 au greffe

du tribunal administratif par Maître X, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Or...

Tribunal administratif Numéro 49320 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49320 chambre de vacation Inscrit le 18 août 2023 Audience publique de vacation du 6 septembre 2023 Recours formé par Monsieur X, …, contre une décision du Conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49320 du rôle et déposée le 18 août 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître X, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, demeurant professionnellement à L-… et agissant pour son propre compte, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du Conseil de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg du 12 juillet 2023 portant injonction de communiquer certains renseignements et documents ;

Vu l’exploit de l’huissier de justice Patrick Kurdyban, en remplacement de l’huissier de justice Cathérine Nilles, tous deux demeurant à Luxembourg, du 17 août 2023 portant signification de ladite requête au « […] Conseil de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, établi à la Maison de l’Avocat, à L-…[…] » ;

Vu le mémoire en réponse de Maître Thierry Pouliquen, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, déposé au greffe du tribunal administratif le 1er septembre 2023, au nom de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, établi et ayant son siège à L-…, représenté par son bâtonnier actuellement en fonctions ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’acte déféré ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître X et Maître Thierry Pouliquen en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de vacation du 6 septembre 2023.

___________________________________________________________________________

Il est constant en cause que le 21 avril 2023, Maître X fit l’objet d’une réclamation adressée à l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, ci-après désigné par « l’Ordre des avocats », par Monsieur …, déclarant représenter les intérêts de Monsieur Y, demeurant en Arabie Saoudite, cette réclamation étant libellée comme suit :

« […] Dans le but d’effectuer un Crédit, Monsieur Y (Kingdom Saudi Arabia) voulant effectuer le paiement d’un retainer pour une société du Royaume Unis, il lui à été demandé de verser une partie de ce paiement cash. N’ayant pas la possibilité de faire cela directement et par soucis de réactivité nous nous sommes rapproché de la Fiduciaire … qui nous à présenté 1 leur avocat qui faisait cela de manière très professionnelle et spécialiste dans le droit fiscal dans toutes les juridictions. (Maitre X).

Après diverses discussions, nous avons accepté de faire un paiement de 10% (…€ … Euro) de la valeur du transfert inclu au transfert total et nous avons donc signé un contrat de … numéro … avec lui.

Suite à la signature du contrat nous avons versé à partir du compte personnel de Monsieur Y de la Saudi National Bank sur le compte auquel il nous a demandé de faire le virement, en Allemagne (sur sa demande) la valeur de …€ (… Euro) le 22 novembre 2022 paiement inclu afin de faire … pour une société tierce, ceci pour ouvrir une ligne de crédit pour la création d’une société au Luxembourg par la société … (leur partenaire) cela afin d’acheter une société en France (A)ainsi qu’une société au Royaume Unis pour répondre au besoins de technologie dans plusieurs projets en Arabie Saoudite, il nous à été demandé de justifier la provenance des fonds de ….

Suite à ce versement nous avons reçu un appel téléphonique de la part de la société … pour nous dire que l’avocat Maitre X avait été convoqué par la BAFIN en Allemagne et en Suisse afin de justifier ce versement, et que son compte a été fermé et l’argent bloqué par le siège social de la banque B pour non respect des condition générales de vente justifié par une lettre de la banque vers l’avocat, et que nos fonds nous seront reversé mais sans nous dire ou était cet argent et qui en avait la propriété, nous avons demandé de faire fonctionner son assurance mais il nous répond que l’argent n’a pas été crédité sur son compte et de ce fait il n’a aucune responsabilité sur ce dossier et que la banque peut bloquer les fonds pour une durée de 36 mois.

Une Enquête a été ouverte (aucune informations claire ne nous à été donné de façon écrite. mais le seul document que nous a retourné Maitre X est que le compte ne respectai pas les conditions générale de vente, il est alors pas de notre responsabilité et nous voulons le retour immédiat des fonds versés, toutes les informations sur l’enquête ouverte nous ont été échangé uniquement par téléphone. Avant de faire le versement nous avons justifié l’argent de Monsieur Y qui a été gagné de façon honorable et était clair sans suspicion de corruption ainsi que monsieur Y, selon ces dires cet argent devait lui être retourné par la banque qui n’a pas accepté la transaction dans des délais de deux mois.

Cela fait cinq mois que nous avons effectué ce virement et depuis ce temps nous n’arrivons pas à avoir des réponse tant de Maitre X que de la banque. Nous avons demandé par 5 reprises des explications par téléphone et messages WhatsApp, nous avons de plus :

- Fait une lettre a la banque - Fait une lettre de demande d’explication - Fait une lettre de dénonciation du contrat (envoyé directement par …) - Fait un rapport en demandant des actions par maitre X - Fait un mail d’avertissement afin d’avoir les réponse de sa part plus une liste exhaustive de toutes les actions faite par Maitre X auprès de la Banque B.

Suite à toutes ces demandes d’informations nous avons réussi à définir que le compte utilisé par Maitre X comme compte de dépôt n’était en fait qu’un compte standard courant car il n’était pas enregistré en Allemagne et celui-ci n’a pas le droit d’en posséder un, et pour ce 2 faire il y a du avoir des accords avec la banque B pour effectuer de telle transactions, nous ne sommes nullement responsable de cette situation et nous voulons le retours de nos fonds car nous avons dénoncé le contrat fait avec Maitre X.

Si une enquête a été ouverte, car l’argent venait du Royaume D’Arabie Saoudite, la banque C de … à justifié que les fond était clairs et obtenu de façon honnête. Après soit disant qu’une enquête était ouverte sur le président de la société qui devait recevoir ces fonds mais aucune demande ne lui a été faite de façon directe et aucun document judiciaire ne nous a été communiqué.

Ce jour nous n’avons aucune informations claire et écrite et nous nous posons des questions sur la moralité de maître X en raison de son manque d’action afin de récupérer nos fonds et nous ne savons plus comment faire pour les récupérer car à ce jour nous perdons énormément d’argent de ce fait. De n’avoir pu acquérir la société A, celle-ci a du déposer le bilan et plus de dix personnes ont perdu leur travail. Depuis plus de cinq mois nous n’avons aucune informations claire de la part de Maitre X pour un paiement de …€ que nous lui avons effectué.

Pour valoir ce que de droit. […] ».

Le 26 mai 2023, Maître X fut convoqué par le Conseil de l’Ordre des avocats, ci-après désigné par « le Conseil de l’Ordre », pour le 7 juin 2023, afin d’être entendu « […] au sujet de [ses] activités de Paymaster et [du] lieu d’exécution de [ses] activités de Paymaster […] ».

Suite à cette audition, Maître X fut invité par courrier électronique du chef de cabinet du bâtonnier de l’Ordre des avocats du 8 juin 2023 à fournir au Conseil de l’Ordre, dans un délai de huit jours, les pièces suivantes :

« […] 1. [sa] prise de position écrite quant aux faits qui ont été portés à [sa] connaissance 2. les extraits du compte ayant été ouvert auprès de la B 3. la copie de la correspondance avec ladite banque 4. la copie de la demande d’agrément en tant que gestionnaire de fortune 5. la liste de toutes les sociétés où [il est] administrateur / gérant 6. les coordonnées de la fiduciaire … […] ».

Maître X y répondit par courrier électronique du 12 juin 2023, rédigé comme suit :

« […] Avant tout autre progrès en cause, je vous remercie de bien vouloir m’indiquer sur quelle base légale il m’est enjoint de délivrer les documents listés dans le mail ci-dessous au conseil de l’ordre.

3 Par ailleurs, le compte ouvert auprès de la B étant composé exclusivement de versements d’honoraires entre mes mandants du cabinet suisse et moi même en qualité d’Avocat suisse, je vous remercie de m’indiquer les dispositions que compte prendre le conseil de l’ordre pour garantir le respect du secret professionnel (règlement pécunier entre Avocat et mandant) prévu par l’article 5 du R.I.O et qui constitue une disposition d’ordre public.

Je suis en mesure cependant, si vous l’acceptez, de rédiger une attestation sur l’honneur garantissant que mon activité est conforme aux dispositions de l’article 8 du R.I.O (procédure en vigueur pour les locaux professionnels).

Je vous indique également - à titre de pure information - que le contrat de PAYMASTER que vous me présentez n’a pas été rédigé par mon étude (et n’est même pas signé de ma part). […] ».

Le 12 juillet 2023, le Conseil de l’Ordre prononça à l’encontre de Maître X une injonction de fournir les renseignements et documents énumérés dans le susdit courrier électronique du 8 juin 2023, sur base de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat, ci-après désignée par « la loi du 10 août 1991 », et de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, ci-après désignée par « la loi du 12 novembre 2004 », cette injonction étant rédigée comme suit :

« […] Lors de son audition, par le Conseil de l’Ordre, en date du 7 juin 2023, Maître X fut entendu en ses explications suite à une réclamation de Monsieur …, disant agir pour Monsieur Y.

Maître X serait intervenu en qualité de « paymaster » dans l’opération en vertu d’un contrat dénommé « Accord de protection (SFPA) » daté du 7 août 2022.

Selon ce contrat, X se serait engagé à recevoir le montant de …-€ de la part du payeur, Monsieur Y, et de payer le montant de …-€ à un bénéficiaire, Monsieur … (Ukraine).

Il résulte d’autres éléments d’information qu’un montant de …-€ aurait été viré sur le compte professionnel de Maître X ouvert auprès de la B, sise à D-…, n° IBAN … Par courrier recommandé du 26 mai 2023, le Conseil de l’Ordre a adressé la réclamation de Monsieur … agissant pour compte de Monsieur Y ainsi que ses annexes à Maître X, et l’a convoqué pour la séance du 7 juin 2023 à 18.15 heures pour l’interroger sur ces documents et informations.

A l’issue de l’audition et afin de compléter les explications orales, le Conseil de l’Ordre a demandé à Maître X de lui adresser endéans la huitaine :

1.

sa prise de position écrite quant aux faits qui ont été portés à sa connaissance ;

2.

les extraits du compte ayant été ouvert auprès de la B ;

3.

la copie de la correspondance avec ladite banque ;

4.

la copie de la demande d’agrément en tant que gestionnaire de fortune ;

5.

la liste de toutes les sociétés luxembourgeoises et étrangères dans lesquelles il est administrateur, gérant ou exerce une fonction dirigeante ;

6.

les coordonnées de la fiduciaire ….

4 Par courrier du 8 juin 2023, Madame …, cheffe de cabinet du Bâtonnier, a rappelé par écrit à Maître X de fournir ces documents au Conseil de l’Ordre endéans la huitaine.

À date, Maître X n’a toujours pas déféré à la demande du Conseil de l’Ordre.

L’article 8-2bis (1) de la Loi AML prévoit expressément qu’« Aux fins de l’application de la présente loi, les organes compétents au sein des organismes d’autorégulation sont investis des pouvoirs de surveillance et d’enquête suivants :

a) d’avoir accès à tout document sous quelque forme que ce soit et d’en recevoir ou prendre copie ;

b) de demander des informations à toute personne et, si nécessaire, de convoquer toute personne soumise à leur pouvoir de surveillance respectif conformément à l’article 2-1 et de l’entendre afin d’obtenir des informations ; ».

Le même article 8-2bis (1) permet le prononcé d’une injonction à l’encontre de toute personne soumise à la surveillance d’un organisme d’autorégulation.

Maître X est un avocat surveillé par l’Ordre des avocats à Luxembourg au sens de l’article 2-1 (6) de la Loi AML et les pouvoirs de surveillance afférents sont dévolus au Conseil de l’Ordre, en tant qu’organe compétent selon l’article 17 de la LPA.

Par ces motifs, Vus les motifs précités ;

en vertu des articles 17 et 30-1 de la LPA, ensemble l’article 8-2bis (1) de la Loi AML ;

Le Conseil de l’Ordre des Avocats à Luxembourg enjoint à Maître X, préqualifié, - De lui communiquer sa prise de position écrite quant aux faits qui ont été portés à sa connaissance et dénoncés au bâtonnier par courrier du 21 avril 2023 de Monsieur … ;

- de lui remettre contre récépissé les extraits du compte ayant été ouvert auprès de la B pour la période commençant le 7 août 2022, date de l’établissement du contrat de « paymaster » et se terminant à la date de l’audition, le 7 juin 2023 ;

- de lui remettre copie de la correspondance avec ladite banque sur la même période ;

- de lui remettre la copie de la demande d’agrément en tant que gestionnaire de fortune qui aurait été déposée pour son compte en Suisse ;

- de lui remettre la liste de toutes les sociétés luxembourgeoises ou étrangères dans lesquelles il est administrateur, gérant ou exerce une fonction dirigeante ;

- de lui remettre les coordonnées de la fiduciaire ….

5 Le tout endéans un délai de 8 jours à compter de l’envoi par lettre recommandée de la présente injonction. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 août 2023 et ayant été inscrite sous le numéro 49276 du rôle, Maître X introduisit, pour son propre compte, un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’injonction, précitée, du Conseil de l’Ordre.

Ce recours fut par la suite dés-enrôlé par le greffe du tribunal administratif, sur instruction du président du tribunal administratif, au motif, en substance, d’une part, que l’intéressé n’avait pas réservé de suites à l’invitation lui adressée par le greffe par courriel du 10 août 2023 à fournir dans les meilleurs délais une copie de la signification de la requête introductive d’instance à l’Ordre des avocats, impliquant le constat de l’absence de la signification requise aux termes de l’article 4 (1) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », et, d’autre part, que compte tenu des délais d’instruction et de jugement prévus en la présente matière par l’article 8-2bis (3) de la loi du 12 novembre 2004, l’absence de signification, respectivement une signification tardive, est de nature à impacter tant le délai dans lequel le défendeur est tenu de déposer son mémoire en réponse que le délai imparti au tribunal administratif pour statuer.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 18 août 2023 et inscrite sous le numéro 49230 du rôle, Maître X a, à nouveau, introduit pour son propre compte un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’injonction, précitée, du Conseil de l’Ordre du 12 juillet 2023.

I) Quant à la question de la caducité du recours Dans son mémoire en réponse, l’Ordre des avocats soulève la caducité du recours, au motif d’une irrégularité alléguée de la signification de la requête introductive d’instance.

A cet égard, il fait valoir que ladite signification, qui, selon les modalités de remise de l’exploit d’huissier afférent, aurait été faite au « […] Conseil de l’Ordre des Avocats du Barreau de Luxembourg, à L-… (…) en sa maison de l’Avocat sise à L-… (…) en y parlant à personne morale Madame … […] », serait inopérante, étant donné (i) qu’elle n’aurait pas été faite à chaque membre du Conseil de l’Ordre et (ii) que le Conseil de l’Ordre n’aurait pas « sa » maison de l’Avocat ni même de siège ou de domicile, alors qu’il n’aurait pas de personnalité juridique, contrairement à l’Ordre des avocats, qui serait, quant à lui, doté de la personnalité juridique aux termes de l’article 7 de la loi du 10 août 1991.

En renvoyant à l’article 30-1 de la loi du 10 août 1991, la partie défenderesse précise encore qu’au sein de l’Ordre des avocats, qui serait désigné comme organisme d’autorégulation par l’article 2-1 (6) de la loi du 12 novembre 2004, le Conseil de l’Ordre serait l’organe compétent en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme.

Ainsi, la signification aurait dû être faite à l’Ordre des avocats, représenté par son bâtonnier, qui, conformément à l’article 21 de la loi du 10 août 1991, aurait seul le pouvoir de représenter l’Ordre des avocats en justice.

6 Aux termes de l’article 4 de la loi du 21 juin 1999, « (1) Sous réserve du paragraphe 2, le requérant fait signifier la requête à la partie défenderesse et aux tiers intéressés, à personne ou à domicile, par exploit d’huissier, dont l’original ou la copie certifiée conforme est déposé sans délai au greffe du tribunal. L’affaire n’est portée au rôle qu’après ce dépôt.

(2) Faute par le requérant d’avoir procédé à la signification de son recours à la partie défenderesse dans le mois du dépôt du recours, celui-ci est caduc. […] ».

S’il est certes exact qu’il se dégage des articles 71 et 112 de la loi du 10 août 1991 que le Conseil de l’Ordre, qui est l’auteur de l’acte déféré, n’est qu’un organe de l’Ordre des avocats, lequel dispose seul de la personnalité juridique, de sorte que la partie défenderesse, au sens de l’article 4, précité, de la loi 21 juin 1999, est l’Ordre des avocats, et non pas le Conseil de l’Ordre, il n’en reste pas moins qu’il a été jugé que la signification d’un acte de procédure, telle une requête introductive d’instance, à l’organe d’une personne morale, en sa qualité d’auteur de l’acte attaqué par le recours, et non pas à la personne morale elle-même, n’a pas pour conséquence que la signification est censée ne pas avoir été effectuée à partir du moment (i) où le défendeur a eu une connaissance de la signification de la requête introductive, (ii) où il a pu mandater un avocat pour le représenter et (iii) que ce dernier a été en mesure de déposer un mémoire en réponse dans le délai sans avancer une quelconque atteinte concrète aux droits de la défense de sa partie. Partant, ladite signification ne peut être considérée comme n’ayant pas été effectuée qu’à partir du moment où une atteinte effective aux droits de la défense de la partie défenderesse peut être retenue.3 Dès lors, et dans la mesure où en l’espèce, (i) l’Ordre des avocats a manifestement eu connaissance de la signification de la requête introductive d’instance, (ii) a pu mandater un avocat pour le représenter, (iii) ce dernier a déposé un mémoire en réponse endéans le délai légal et (iv) la partie défenderesse n’a pas fait état d’une quelconque atteinte concrète à ses droits de la défense du fait des modalités de signification critiquées par elle, le tribunal arrive à la conclusion que la signification litigieuse n’est pas à considérer comme non effectuée.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation de l’Ordre des avocats selon laquelle ladite signification n’aurait pas été faite à chacun des membres composant le Conseil de l’Ordre, en l’absence d’atteinte vérifiée aux droits de la défense de ce fait.

Il suit des considérations qui précèdent qu’indépendamment de la question de l’applicabilité du délai d’un mois tel que prévu par l’article 4 (2) de la loi du 21 juin 1999 aux recours introduits sur base de l’article 8-2bis (3) de la loi du 12 novembre 2004, lequel prévoit une procédure accélérée et impose au tribunal de statuer endéans le mois de l’introduction de la requête, le moyen tiré de la caducité du recours est en tout état de cause à rejeter pour ne pas être fondé.

II) Quant à la compétence 1 Art. 7 de la loi du 10 août 1991 : « Il existe un Ordre des avocats à Luxembourg et un Ordre des avocats à Diekirch. Chaque Ordre a la personnalité civile. ».

2 Art. 11 de la loi du 10 août 1991 : « Les organes de la profession sont, pour chaque Ordre, […] le Conseil de l’ordre […] ».

3 Trib. adm., 23 mars 2006, n° 19888 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 423.

7 Etant donné que l’article 8-2bis (3) de la loi du 12 novembre 2004 prévoit un recours au fond en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

III) Quant à la recevabilité A) Quant au moyen d’irrecevabilité ayant trait à l’irrégularité de la signification de la requête introductive d’instance L’Ordre des avocats conclut à l’irrecevabilité du recours, au motif de l’irrégularité de la signification de la requête introductive d’instance, en invoquant, à cet égard, la même argumentation que celle développée à l’appui de son moyen tiré de la caducité du recours.

Conformément à l’article 29 de la loi précitée du 21 juin 1999, « L’inobservation des règles de procédure n’entraîne l’irrecevabilité de la demande que si elle a pour effet de porter effectivement atteinte aux droits de la défense ».

Or, en l’espèce, le tribunal vient de constater l’absence d’atteinte aux droits de la défense de l’Ordre des avocats du fait des modalités de la signification de la requête introductive d’instance, telles que critiquées par la partie défenderesse.

Dans ces circonstances, l’inobservation des règles de procédure invoquée au niveau de la signification de ladite requête n’est pas de nature à entraîner l’irrecevabilité du recours, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

B) Quant à l’intérêt à agir du demandeur et quant à l’existence d’une décision de nature à faire grief L’Ordre des avocats soulève l’absence, dans le chef du demandeur, d’un intérêt à agir à l’encontre de l’acte déféré, lequel ne serait pas une décision de nature à faire grief.

A cet égard, il explique que l’acte entrepris consisterait en une injonction prononcée par le Conseil de l’Ordre sur base de l’article 8-2bis (1) de la loi du 12 novembre 2004, tout en précisant que la plupart des pouvoirs de surveillance et d’enquête énumérés par cette dernière disposition légale, et notamment les pouvoirs d’accès à des documents, de demande d’informations et d’injonction, n’emporteraient pas, à l’endroit de l’avocat contrôlé, une modification de ses droits ou un quelconque préjudice.

En l’espèce, le demandeur ne justifierait aucunement son intérêt à agir et l’acte déféré, qui ne comporterait aucun élément décisionnel, ne serait pas de nature à lui faire grief.

A cet égard, la partie défenderesse insiste sur le fait qu’à ce stade, rien ne serait préjugé et nul ne pourrait savoir si des investigations ultérieures seront décidées par les contrôleurs de l’Ordre des avocats, tout en précisant que le cas échéant, ces derniers « […] [feraient] état de constats sur base des documents produits par le contrôlé et ils transmettr[aient] au Conseil de l’ordre en vue d’éventuelles poursuites disciplinaires ou pénales […] ».

8 Elle ajoute que la transmission des documents ou informations exigés par l’acte déféré, qui ne serait pas encore intervenue à ce jour, ne pourrait figer la situation du demandeur qui ne serait en aucun cas affecté par l’injonction litigieuse.

En citant un extrait d’un ouvrage doctrinal et en se prévalant d’un jugement du tribunal de céans du 30 août 2023, inscrit sous le numéro 49272 du rôle, la partie défendresse soutient que le présent recours serait prématuré, en ce qu’il ne viserait qu’un acte préparatoire, alors que le pouvoir d’injonction du Conseil de l’Ordre ne préjugerait en rien de l’analyse des documents exigés qui serait effectuée ultérieurement par les contrôleurs, respectivement par le Conseil de l’Ordre.

A l’audience publique des plaidoiries, Maître X a conclu au rejet de ces moyens d’irrecevabilité, en insistant sur le fait que l’acte déféré constituerait bien une décision administrative qui lui ferait grief, étant donné que l’injonction litigieuse consisterait en une intrusion dans son activité professionnelle d’avocat, le demandeur ayant renvoyé, dans ce contexte, à l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et à son secret professionnel.

L’article 2 (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, aux termes duquel « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés pour incompétence, excès et détournement de pouvoir, violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés, contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements », limite l’ouverture d’un recours devant les juridictions administratives notamment aux conditions cumulatives que l’acte litigieux doit constituer une décision administrative, c’est-à-dire émaner d’une autorité administrative légalement habilitée à prendre des décisions unilatérales obligatoires pour les administrés, et qu’il doit s’agir d’une véritable décision, affectant les droits et intérêts de la personne qui la conteste.4 L’acte émanant d’une autorité administrative, pour faire l’objet d’un recours contentieux, doit dès lors constituer dans l’intention de l’autorité qui l’émet, une véritable décision, à qualifier d’acte de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte de nature à produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle ou patrimoniale de celui qui réclame.5 N’ont pas cette qualité de décisions faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision.6 En l’espèce, le tribunal relève qu’il est constant que l’acte déféré a été adopté sur base, notamment, de l’article 8-2bis (1) a) et b) de la loi du 12 novembre 2004, qui prévoit ce qui suit :

4 Trib. adm. 6 octobre 2004, n° 16533 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Actes administratifs, n° 5 et les autres références y citées.

5 Trib. adm., 18 mars 1998, n° 10286 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Actes administratifs, n° 48 et les autres références y citées.

6 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, confirmé sur ce point par Cour adm., 19 février 1998, n° 10263C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Actes administratifs, n° 68 et les autres références y citées.

9 « (1) Aux fins de l’application de la présente loi, les organes compétents au sein des organismes d’autorégulation sont investis des pouvoirs de surveillance et d’enquête suivants :

a) d’avoir accès à tout document sous quelque forme que ce soit et d’en recevoir ou prendre copie ;

b) de demander des informations à toute personne et, si nécessaire, de convoquer toute personne soumise à leur pouvoir de surveillance respectif conformément à l’article 2-1 et de l’entendre afin d’obtenir des informations […] ».

Contrairement à ce que fait plaider l’Ordre des avocats, le tribunal retient que dans la mesure où, d’une part, le demandeur se voit imposer, à travers l’acte litigieux, une obligation de faire, consistant en la fourniture de renseignements et de documents, dont certains sont susceptibles de révéler des informations sensibles relatives à l’exercice de la profession d’avocat du demandeur et à ses relations avec ses clients, et, d’autre part, Maître X s’expose à une amende de 250 à 250.000 euros en cas de non-respect de l’injonction entreprise, conformément aux dispositions de l’article 8-10 (3), alinéa 1er de la loi du 12 novembre 20047, l’acte litigieux est à qualifier, non pas d’acte préparatoire, mais d’acte administratif de nature à faire grief.

Pour les mêmes motifs, le demandeur a un intérêt suffisant à voir vérifier, à travers le présent recours contentieux, la légalité et le bien-fondé de l’acte en question.

Il suit des considérations qui précèdent qu’en l’absence d’autres moyens d’irrecevabilité, le recours principal en réformation est à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

IV) Quant au fond Arguments des parties A l’appui de son recours, et après avoir exposé les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, le demandeur fait valoir que la loi du 12 novembre 2004, sur le fondement de laquelle ladite décision aurait été adoptée, ne serait applicable par les organismes d’autorégulation que par rapport à une activité exercée sous le titre d’avocat à la Cour, conformément aux dispositions de la loi du 10 août 1991.

Or, en l’espèce, le demandeur conteste « […] une quelconque intervention au Luxembourg et encore plus en qualité d’[a]vocat à la Cour […] », en faisant valoir que les documents présentés par le Conseil de l’Ordre ne feraient aucune référence à l’exercice de la profession d’avocat au Luxembourg et ne seraient même pas signés par lui, le demandeur contestant être l’auteur du contrat invoqué par la partie défenderesse.

7 Art. 8-10 (3), al. 1er de la loi du 12 novembre 2004 : « Les organes compétents au sein des organismes d’autorégulation peuvent prononcer une amende de 250 à 250.000 euros à l’égard des personnes soumises à leur pouvoir de surveillance qui font obstacle à l’exercice de leurs pouvoirs prévus aux articles 8-2bis, paragraphe (1), qui ne donnent pas suite à leurs injonctions prononcées en vertu de l’article 8-2bis, paragraphe (1), point e), ou qui leur auront sciemment donné des documents ou autres renseignements qui se révèlent être incomplets, inexacts ou faux suite à des demandes basées sur l’article 8-2bis, paragraphe (1). […] ».

10 Il ajoute qu’un organisme d’autorégulation ne pourrait contrôler « […] tout azimut […] », sans au moins, d’une part, vérifier que les actes en question seraient bien l’œuvre de l’avocat concerné et que ce dernier aurait agi en qualité de membre du barreau et, d’autre part, justifier que la communication des documents sollicités serait utile pour permettre la surveillance d’activités tombant dans le champ d’application de la loi du 12 novembre 2004, le demandeur soutenant qu’« […] [o]n ne saurait utiliser par une extension trop grande [ladite] loi […] » pour aller à « la pêche aux informations » envers un [a]vocat […] ».

Le demandeur en déduit que le Conseil de l’Ordre n’aurait pu exiger la communication d’aucun document.

Il donne encore à considérer que la décision déférée n’indiquerait pas le motif qui imposerait le contrôle de documents auprès de lui et la nécessité de demander leur communication pour assurer la surveillance dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme.

Par ailleurs, il soutient, en substance, que la décision déférée méconnaîtrait le principe de proportionnalité, en donnant à considérer que les documents demandés devraient être strictement nécessaires à l’exercice du contrôle dans le cadre de la lutte anti-blanchiment.

En l’espèce, il ne serait pas établi en quoi les documents sollicités - qui seraient étrangers à l’exercice de la profession d’avocat au Luxembourg, le demandeur expliquant, à cet égard, que le compte bancaire visé serait un compte ouvert au nom de son cabinet d’avocats suisse et porterait sur toutes les transactions réalisées entre lui-même et ses mandants suisses -, seraient utiles à l’exercice du pouvoir de contrôle du Conseil de l’Ordre, d’autant plus que « […] l’on ne connaît[rait] pas le motif qui viserait au contrôle de Me X en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et en quoi des suspicions pèseraient à son encontre ou sur son activité […] ».

L’Ordre des avocats conclut au rejet du recours, en faisant valoir que ce serait à tort que le demandeur soutiendrait que ses activités conduites en dehors du Luxembourg ou à travers d’autres fonctions ou titres échapperaient au contrôle des obligations préventives du blanchiment exercé par le Conseil de l’Ordre.

En effet, la loi du 12 novembre 2004, qui conférerait à ce dernier le pouvoir de procéder à des demandes d’informations, des inspections sur place ou des enquêtes, ne connaîtrait pas de limites territoriales.

Dans ce contexte, l’Ordre des avocats précise qu’en son article 2 (1), point 12., ladite loi viserait les « […] avocats au sens de la loi […] du 10 août 1991 […] » – et non pas les avocats à la Cour, tel que suggéré par le demandeur –, lorsqu’ils exerceraient certaines activités limitativement énumérées, sans distinguer selon le lieu d’exercice desdites activités, de sorte qu’il importerait peu qu’il s’agirait d’activités prestées au Luxembourg ou à l’étranger, voire d’activités exercées sous un autre titre.

L’Ordre des avocats ajoute que les explications du demandeur quant à l’origine et la nature des documents litigieux, le contexte dans lequel ils s’inséreraient ainsi que la qualité en laquelle il les aurait rédigés ou signés resteraient à l’état de pures allégations et il ne serait 11 aucunement établi que certaines de ses activités seraient étrangères à sa profession d’avocat luxembourgeois, respectivement à la déontologie ou à la discipline y relatives, la partie défenderesse insistant sur le fait qu’en sa qualité d’avocat inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, le demandeur devrait se montrer loyal et coopératif avec les autorités ordinales, conformément aux dispositions des articles 5 et 8-2bis de la loi du 12 novembre 2004.

Appréciation du tribunal Pour autant qu’à travers son argumentation selon laquelle la décision déférée n’indiquerait pas le motif qui imposerait le contrôle de documents auprès de lui et la nécessité de demander leur communication pour assurer la surveillance dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, le demandeur ait entendu soulever un défaut de motivation de la décision en question, le tribunal constate qu’outre le fait que le demandeur n’invoque aucune disposition normative qui exigerait une motivation formelle d’une décision d’injonction adoptée par le Conseil de l’Ordre sur base de l’article 8-2bis (1) de la loi du 12 novembre 2004, la décision litigieuse est motivée tant en droit qu’en fait. En effet, d’une part, elle précise les bases légales sur lesquelles elle a été adoptée, en l’occurrence les articles 17 et 30-1 de la loi du 10 août 1991, ainsi que les articles et 2-1 (6) et 8-2bis (1) de la loi du 12 novembre 2004. D’autre part, elle indique les circonstances de fait à sa base, en ce qu’elle se réfère à la susdite réclamation du 21 avril 2023, aux termes de laquelle le demandeur serait intervenu en qualité de « paymaster » dans l’opération décrite dans ladite réclamation, en vertu d’un contrat intitulé « Accord de protection (SFPA) » et daté du 7 août 2022, tout en précisant (i) que selon ce contrat, l’intéressé se serait engagé à recevoir le montant de … euros de la part du payeur, Monsieur Y, et de payer le montant de … euros à un bénéficiaire, Monsieur …, (ii) qu’il se dégagerait d’autres éléments d’information qu’un montant de … euros aurait été viré sur le compte professionnel du demandeur ouvert auprès de la « B » en Allemagne et (iii) que le demandeur n’aurait pas obtempéré à la demande de fournir les renseignements et pièces sollicités lui adressée lors de son audition en date du 7 juin 2023 et rappelée par courrier électronique du 8 juin 2023.

Cette motivation, qui a été complétée en cours d’instance contentieuse par l’Ordre des avocats, est suffisamment précise pour permettre au demandeur d’assurer la défense de ses intérêts en connaissance de cause, de sorte que l’argumentation sous analyse encourt le rejet pour ne pas être fondée.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 17, troisième tiret de la loi du 10 août 1991, « Le Conseil de l’Ordre est chargé […] de veiller au respect par les membres de l’ordre de leurs obligations découlant de la législation en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme. », l’article 30-1 de la même loi précisant qu’« Aux fins de l’application des attributions résultant de l’article 17, troisième tiret, le Conseil de l’ordre est investi des pouvoirs prévus à l’article 8-2bis de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme. ».

Le tribunal rappelle que l’article 8-2bis de la loi du 12 novembre 2004, auquel il est ainsi renvoyé, est libellé comme suit : « (1) Aux fins de l’application de la présente loi, les 12 organes compétents au sein des organismes d’autorégulation sont investis des pouvoirs de surveillance et d’enquête suivants :

a) d’avoir accès à tout document sous quelque forme que ce soit et d’en recevoir ou prendre copie ;

b) de demander des informations à toute personne et, si nécessaire, de convoquer toute personne soumise à leur pouvoir de surveillance respectif conformément à l’article 2-1 et de l’entendre afin d’obtenir des informations […] ».

Par ailleurs, l’article 2-1 (6) de la loi du 12 novembre 2004 prévoit que « L’Ordre des avocats à Luxembourg veille au respect par les avocats qui exercent au Luxembourg8 les activités visées à l’article 2, paragraphe (1), point 12, de leurs obligations professionnelles en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme prévues par les articles 2-2 à 7 et les mesures prises pour leur exécution. […] ».

Il suit de ces dispositions combinées que le Conseil de l’Ordre dispose, notamment, du pouvoir d’avoir accès à tout document sous quelque forme que ce soit et d’en recevoir ou prendre copie, ainsi que du pouvoir de demander des informations à toute personne, afin de veiller au respect par les avocats qui exercent au Luxembourg les activités visées à l’article 2 (1), point 12. de la loi du 12 novembre 2004 de leurs obligations professionnelles en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme prévues par les articles 2-2 à 7 de la même loi et les mesures prises pour leur exécution.

Il ressort dudit article 2 (1), point 12. de la loi du 12 novembre 2004 que le titre I de cette même loi, intitulé « Les obligations professionnelles en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme », s’applique aux « […] avocats au sens de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat, lorsqu’ils :

a) assistent leur client dans la préparation ou la réalisation de transactions concernant :

i) l’achat et la vente de biens immeubles ou d’entreprises commerciales, ii) la gestion de fonds, de titres ou d’autres actifs, appartenant au client, iii) l’ouverture ou la gestion de comptes bancaires ou d’épargne ou de portefeuilles, iv) l’organisation des apports nécessaires à la constitution, à la gestion ou à la direction de sociétés, v) la constitution, la domiciliation, la gestion ou la direction de fiducies, de sociétés ou de structures similaires, b) ou agissent au nom de leur client et pour le compte de celui-ci dans toute transaction financière ou immobilière ;

c) ou fournissent l’un des services de prestataire de services aux sociétés et fiducies ;

d) ou exercent une activité de … ;

e) ou agissent en tant que dépositaires d’actions au porteur. ».

En l’espèce, il ressort des éléments soumis à l’appréciation du tribunal, et notamment de la susdite réclamation du 21 avril 2023, qu’il a été porté à la connaissance du Conseil de l’Ordre que le demandeur serait intervenu en qualité de « paymaster », en acceptant d’effectuer un paiement de … euros pour le compte d’un ressortissant d’Arabie Saoudite, aux fins de l’ouverture d’une ligne de crédit en vue de la création d’une société au Luxembourg, qui 8 Souligné par le tribunal.

13 devrait, par la suite, acheter des sociétés ayant leurs sièges respectifs en France et au Royaume-Uni.

Or, une telle activité tombe a priori dans le champ d’application de la lettre b) de l’article 2 (1), point 12. de la loi du 12 novembre 2004, visant les avocats au sens de la loi du 10 août 1991, tels que Maître X, qui agissent au nom de leur client et pour le compte de celui-ci dans toute transaction financière ou immobilière.

Il se dégage, par ailleurs, des pièces soumises à l’appréciation du tribunal que si, certes, le lieu d’exécution de cette activité de « paymaster » de Maître X ne peut, à ce stade, être déterminé avec certitude – le demandeur suggérant, sans cependant en fournir la preuve, qu’elle aurait été exclusivement exercée en Suisse –, il n’en reste pas moins qu’il existe des indices que l’activité en question a, du moins partiellement, été exercée au Luxembourg, de sorte que le demandeur est susceptible d’être qualifié d’avocat qui exerce au Luxembourg les activités visées à l’article 2 (1), point 12. de la loi du 12 novembre 2004, au sens de l’article 2-1 (6) de la même loi.

En effet, l’opération décrite dans la susdite réclamation présente plusieurs liens avec le Luxembourg. Ainsi, Maître X aurait été présenté à Monsieur Y par une fiduciaire luxembourgeoise comme étant « […] leur avocat qui faisait cela de manière très professionnelle et spécialiste dans le droit fiscal dans toutes les juridictions […] ». Par ailleurs, le paiement de … euros aurait été destiné à la création d’une société luxembourgeoise et le contrat « Accord de protection (SFPA) », qui, certes, comprend l’adresse d’une étude d’avocats du demandeur sise en Suisse, indique l’adresse e-mail X@barreau.lu ». Si le demandeur semble nier tout lien entre ce contrat et sa personne, en soutenant qu’il ne comporterait pas sa signature et n’aurait pas été rédigé par son étude, ces contestations sont néanmoins à écarter, étant donné, d’une part, que le demandeur ne conteste pas être le titulaire du susdit compte bancaire ouvert auprès de la « B », sur lequel le montant de … euros, soit la somme prévue audit contrat, a été viré, ainsi que cela ressort des précisions figurant dans la décision déférée, telles que corroborées par l’extrait de compte de la banque « C » produit par la partie défenderesse, et, d’autre part, que le Conseil de l’Ordre verse plusieurs courriers qui se réfèrent expressément au susdit contrat et qui comportent tant l’entête « X – Avocat à la Cour/Rechtsanwalt », respectivement « X – RECHTSANWALT / AVOCAT A LA COUR », qu’une signature qui est identique à celle apposée par le demandeur sur la requête introductive d’instance.

Dans ces circonstances, le tribunal retient que le Conseil de l’Ordre était, en principe, en droit d’exiger de la part du demandeur de lui communiquer des pièces et renseignements lui permettant de vérifier si l’activité de « paymaster » de Maître X, dont il ne peut, à ce stade, être exclu qu’elle a été exercée en tout ou partie au Luxembourg, l’a été dans le respect des obligations professionnelles du demandeur en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme prévues par les articles 2-2 à 7 de loi du 12 novembre 2004 et les mesures prises pour leur exécution.

Quant à l’argumentation du demandeur ayant trait à une méconnaissance du principe de proportionnalité, le tribunal constate tout d’abord qu’il ressort du libellé de l’article 8-2bis (1) a) et b) de la loi du 12 novembre 2004, et notamment, de l’emploi des termes « tout document sous quelque forme que ce soit » et « toute personne » que le législateur a entendu 14 conférer aux organismes d’autorégulation, tels que le Conseil de l’Ordre, un pouvoir étendu d’obtention de pièces et de renseignements.

Sur cette toile de fond, et en l’absence de prise de position circonstanciée de la part du demandeur quant aux différents renseignements et pièces concrètement sollicités de la part du Conseil de l’Ordre, lesquels ne sont pas visiblement dépourvus de liens avec les faits se dégageant de la réclamation du 21 avril 2023 et des pièces y annexées, ni, de manière plus générale, avec la mission du Conseil de l’Ordre de veiller au respect par les avocats qui exercent au Luxembourg les activités visées à l’article 2 (1), point 12. de la loi du 12 novembre 2004 de leurs obligations professionnelles en matière de lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme, le tribunal ne saurait déceler une violation du principe de proportionnalité, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation du demandeur selon laquelle le compte bancaire visé serait un compte ouvert au nom de son cabinet d’avocats suisse et porterait sur toutes les transactions réalisées entre lui-même et ses mandants suisses, étant donné qu’il s’agit d’une simple allégation non autrement étayée.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours sous examen est à rejeter pour ne pas être fondé.

V) Quant aux demandes en obtention d’une indemnité de procédure A l’audience publique des plaidoiries, le litismandataire de l’Ordre des avocats a formulé oralement une demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 3.000 euros.

Or, le tribunal n’est pas valablement saisi de cette demande, qui n’a pas été formulée dans le mémoire en réponse de la partie défenderesse, étant donné qu’en principe, seuls les demandes et moyens figurant dans les mémoires énumérés à l’article 5 de la loi du 21 juin 1999, respectivement dans un mémoire supplémentaire dûment autorisé, peuvent être valablement adressés au tribunal, de sorte qu’une demande formulée dans le cadre d’un autre document lui versé, voire oralement à l’audience des plaidoiries, ne doit pas être prise en considération.9 A la même audience, Maître X a déclaré renoncer à sa demande tendant à la condamnation de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg – qui n’est pas partie à l’instance – au paiement d’une indemnité de procédure de 3.000 euros. Il y a lieu de lui en donner acte.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

donne acte au demandeur de ce qu’il renonce à sa demande tendant à la condamnation de l’Etat du Grand-Duché de Luxembourg au paiement d’une indemnité de procédure de 3.000 euros ;

9 Trib. adm., 4 mars 2015, n° 34402 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

15 reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Daniel Weber, vice-président, Annemarie Theis, juge, Benoît Hupperich, juge, et lu à l’audience publique de vacation du 6 septembre 2023 par le vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 7 septembre 2023 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 49320
Date de la décision : 06/09/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 19/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-09-06;49320 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award