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17/08/2023 | LUXEMBOURG | N°49223

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 août 2023, 49223


Tribunal administratif N° 49223 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49223 Chambre de vacation Inscrit le 26 juillet 2023 Audience publique extraordinaire du 17 août 2023 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49223 du rôle et déposée le 26 juillet 2023 au greffe du tribunal admin

istratif par Maître Shanez AKSIL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des...

Tribunal administratif N° 49223 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49223 Chambre de vacation Inscrit le 26 juillet 2023 Audience publique extraordinaire du 17 août 2023 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49223 du rôle et déposée le 26 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Shanez AKSIL, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Maroc), de nationalité marocaine, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 7 juillet 2023 de le transférer vers l’Autriche comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 août 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en sa plaidoirie à l’audience publique de vacation du 16 août 2023.

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Le 31 mai 2023, Monsieur …, de nationalité marocaine, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait introduit une demande de protection internationale en Autriche en date du 22 août 2021, une demande en Suisse en date du 17 septembre 2021, une demande en Allemagne en date du 9 décembre 2021 et une demande aux Pays-Bas en date du 17 août 2022.

Le 31 mai 2023, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissantles critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».

Le 7 juin 2023, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues autrichiens une demande de prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b), du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités autrichiennes en date du 16 juin 2023 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du même règlement.

Par décision du 7 juillet 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le 10 juillet 2023, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers l’Autriche sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1), point d), du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 31 mai 2023 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers l’Autriche qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande, Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisées ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés du 31 mai 2023.

1.

Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 31 mai 2023, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Autriche en date du 22 août 2021, une demande en Suisse en date du 17 septembre 2021, une demande en Allemagne en date du 9 décembre 2021 et une demande aux Pays-Bas en date du 17 août 2022.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 31 mai 2023.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 7 juin 2023 une demande de reprise en charge aux autorités autrichiennes sur base de l’article 18(1)b du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités autrichiennes en date du 16 juin 2023, sur base de l’article 18(1)d.

2 2.

Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point d du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3.

Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 31 mai 2023 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac avez introduit une demande de protection internationale en Autriche en date du 22 août 2021, une demande en Suisse en date du 17 septembre 2021, une demande en Allemagne en date du 9 décembre 2021 et une demande aux Pays-Bas en date du 17 août 2022.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Maroc en novembre ou décembre 2018 quand vous vous seriez rendu en avion en Turquie. En 2020, vous auriez irrégulièrement franchi la frontière grecque. Vous auriez passé un mois en Grèce et un mois en Bulgarie avant d’aller en Serbie où vous auriez vécu pendant un an. Vous auriez ensuite traversé la Roumanie et vous seriez arrivé en Autriche en août 2021. Vous déclarez être resté en Autriche pendant environ deux semaines et avoir donné vos empreintes. Cependant, n’auriez pas voulu introduire une demande de protection internationale et vous auriez continué votre trajet. En Suisse, en Allemagne et aux Pays-Bas, les autorités vous auraient dit que l’Autriche est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande. Vous auriez à chaque fois quitté le pays avant qu’un transfert en Autriche n’ait été réalisé.

3 Lors de votre entretien Dublin III en date du 31 mai 2023, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers l’Autriche qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons à cet égard que l’Autriche est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que l’Autriche est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que l’Autriche profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, l’Autriche est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers l’Autriche sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires autrichiennes.

Monsieur, vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que l’Autriche ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d’analyser les risques d’être soumis à des traitements inhumains au sens de l’article 3 CEDH dans votre pays d’origine, mais dans l’Etat de destination, en l’occurrence l’Autriche. Vous ne faites valoir aucun indice que l’Autriche ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l’article 13 CEDH ou que vous n’aviez ou n’auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions autrichiennes, notamment en vertu de l’article 46 de la directive « Procédure ».

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Autriche revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

4 Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers l’Autriche, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers l’Autriche, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers l’Autriche en informant les autorités autrichiennes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités autrichiennes n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 26 juillet 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 7 juillet 2023.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation sous analyse, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur retrace les faits et rétroactes ayant mené à la décision déférée du 7 juillet 2023 et notamment les étapes de son périple l’ayant finalement amené au Grand-Duché de Luxemburg, en insistant sur le fait qu’il ne serait pas originaire du Maroc mais du Sahara occidental, territoire autonome sous contrôle marocain, et dont les ressortissants, considérés comme n’étant pas des Marocains, seraient discriminés par la police marocaine, raison qui l’aurait poussé à quitter son pays d’origine.

Il explique encore que s’il est certes vrai qu’il s’était rendu en Autriche, cela n’aurait toutefois été que dans le but de traverser ce pays et certainement pas pour y introduire une demande de protection internationale auprès des autorités autrichiennes, alors qu’il aurait souhaité rejoindre un pays francophone étant donné qu’il maitrise la langue française, le demandeur affirmant encore avoir été contraint de déposer ses empreintes en Autriche le 21 août 2021.

En droit, le demandeur reproche d’abord au ministre d’avoir fait abstraction du fait qu’il n’avait aucunement l’intention de déposer une demande de protection internationale en Autriche et que ses empreintes auraient été prises sous la contrainte de la police autrichienne, de sorte que le ministre aurait manqué d’analyser sa demande de protection internationale de manière effective. Or, l’absence d’examen effectif serait contraire aux « principes essentiels de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 » relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève ».

Il affirme ensuite que son cas témoignerait d’un manquement grave par les autorités autrichiennes des articles 1er et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par la « Charte ».

Enfin, en se prévalant en fait d’un rapport du Conseil de l’Europe du 12 mai 2022 ainsi que d’un article de presse et en droit de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, il affirme que l’Autriche rencontrerait de graves problèmes systémiques dans le cadre des demandes de protection internationale, alors que ce pays recevrait de plus en plus de demandeurs d’asile par rapport à ses capacités d’accueil, de sorte que les conditions d’hébergement et d’asile n’y seraient pas garanties et qu’en cas de transfert vers l’Autriche, il encourait le risque avéré de se retrouver en tant que sans-abri pendant des mois dans des conditions de vie inhumaines.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé en aucun de ses moyens.

Il convient en premier lieu de rejeter le moyen fondé sur une prétendue violation des « principes essentiels de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 » du fait de l’absence d’examen effectif de la demande de protection internationale du demandeur.

En effet, il convient d’abord de souligner que l’exposé d’un moyen de droit requiert non seulement de désigner la règle de droit qui serait violée, mais également la manière dont celle-ci aurait été violée par l’acte attaqué : la seule référence à des « principes essentiels de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 », non autrement précisés est de ce point de vue insuffisante, de sorte que le tribunal n’est pas en mesure de prendre position par rapport à un tel moyen simplement suggéré, et non soutenu effectivement.

Il convient ensuite de relever que le fait que la demande de protection internationale du demandeur n’ait pas fait l’objet d’un examen effectif au fond par le ministre ne saurait, per se, être constitutif d’une quelconque illégalité dans l’hypothèse d’une application correcte du règlement Dublin III, ledit règlement visant précisément à rationaliser le traitement des demandes d’asile et à éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même requérant, à accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi à éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérerle traitement des demandes tant dans l’intérêt des requérants d’asile que des Etats participants1 2 : les conséquences d’une application régulière du règlement Dublin III ne sauraient être considérées à elles seules comme violant de quelconques « principes essentiels de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 », étant tout particulièrement rappelé que le règlement Dublin III ne confère pas aux demandeurs de protection internationale le droit de choisir l’Etat membre offrant, à leur avis, les meilleures conditions d’accueil comme Etat responsable de l’examen de leur demande de protection internationale.

Or, à cet égard, en ce qui concerne ensuite la mise en cause de la compétence de l’Autriche, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte formellement ou tacitement, la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités autrichiennes pour reprendre en charge Monsieur …, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: […] d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale laquelle a fait l’objet d’une décision de refus.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers l’Autriche et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait l’Autriche où le demandeur avait manifestement infructueusement déposé une demande de protection internationale et que les autorités autrichiennes avaient accepté sa reprise en charge le 16 juin 2023, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale. D’ailleurs, le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de l’Autriche par application du règlement Dublin III, mais il considère que son transfert vers l’Autriche violerait l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III et les dispositions des articles 1er et 4 de la Charte.

1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point. 79.

2 Trib. adm. 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle.

Le tribunal rappelle à cet égard que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire, disposition en l’espèce non invoquée par le demandeur.

S’agissant de l’existence de défaillances systémiques au sein du système d’accueil autrichien au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III et d’une possible violation de l’article 1er de la Charte - consacrant le droit à la dignité humaine - ainsi que de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par la « CEDH » -, le tribunal est amené à rappeler que l’Autriche est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève, et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard3.

Il doit dès lors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la Convention de Genève ainsi qu’à la CEDH. Cette présomption peut toutefois être renversée lorsqu’il y a lieu de craindre qu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient d’apprécier dans chaque cas, au vu des pièces communiquées, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités répondent à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile.

Le demandeur remettant en question la présomption du respect par l’Autriche de ses droits fondamentaux, il lui incombe dès lors de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

Or, à cet égard, si le demandeur entend se prévaloir de manière générale de défaillances systémiques dans le dispositif autrichien d’accueil en matière d’asile, il convient d’abord de relever que de telles éventuelles défaillances ne seraient en tout état de cause pas pertinentes, le demandeur s’étant en effet, tel que résultant du dossier administratif, vu opposer une décision de rejet de sa demande de protection internationale par les autorités autrichiennes, de sorte à ne pas pouvoir en l’état actuel du dossier prétendre en bénéficier.

3 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10, pt. 78.

Ensuite, factuellement, les documents référencés en cause par le demandeur, à savoir le résumé d’un rapport du Commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sur la visite effectuée en Autriche en décembre 2021, s’ils étayent certes des difficultés matérielles rencontrées par les autorités autrichiennes dans l’accueil des réfugiés, ne permettent pas au tribunal de dégager des défaillances systémiques, lesquelles requièrent aux termes d’un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne4, ci-après désignée par « la CJUE », pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de la Charte.

Il se dégage encore d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 20195 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine6. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant7.

Or, il ne résulte pas de l’article publié sur le site internet du Conseil de l’Europe en date du 12 mai 2022 intitulé « L’Autriche doit améliorer l’accueil et l’intégration des migrants, ainsi que les droits des femmes », ni de tout autre élément du dossier administratif - l’article de presse invoqué et référencé par son adresse électronique n’étant pas accessible - que les conditions d’accueil des demandeurs d’asile ne seraient pas respectées en Autriche, tel qu’allégué par le demandeur, alors que ledit article ne constitue qu’un résumé du rapport du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe sur la visite en Autriche en décembre 2021, lequel contient notamment des recommandations visant à aider les autorités autrichiennes à améliorer l’accueil et l’intégration des demandeurs d’asile, sans cependant constater des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile en Autriche, voire une quelconque violation de l’article 4 de la Charte, sinon de l’article 1er de la Charte.

Le demandeur n’a partant pas démontré que ses conditions d’existence en Autriche revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire aux articles 1er et 4 de la Charte, de manière à constituer des défaillances systémiques au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III.

Par ailleurs, rien n’indique que les autorités autrichiennes auraient violé le droit de l’intéressé à l’examen, selon une procédure juste et équitable, de la demande de protection internationale qu’il a déposée le 22 août 2021, tandis que le demandeur n’a présenté aucun 4 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

5 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt. 91.

6 Ibid., pt. 92.

7 Ibid., pt. 93.élément concret susceptible d’établir que les autorités autrichiennes refuseraient de le reprendre en charge, le contraire résultant du dossier administratif ; à titre superfétatoire, il convient encore de relever qu’il ne résulte d’aucun élément du dossier que les autorités autrichiennes ne respecteraient pas le principe du non-refoulement, et donc failliraient à leurs obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie, son intégrité corporelle ou sa liberté seraient sérieusement menacées, ou encore qu’il risquerait d’être astreint à se rendre dans un tel pays. En tout état de cause, il convient à cet égard de préciser qu’une décision définitive de refus d’asile et de renvoi vers le pays d’origine ne constitue pas, en soi, une violation du principe de non-refoulement : au contraire, en retenant le principe de l’examen de la demande par un seul Etat membre (« one chance only »), le règlement Dublin III vise précisément à lutter contre les demandes d’asile multiples, de sorte qu’en cas de décision négative, l’Etat responsable demeure compétent pour le renvoi de l’espace Dublin de l’intéressé.

Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments produits par le demandeur que si les autorités autrichiennes devaient néanmoins décider de le rapatrier en violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève, alors même qu’il serait exposé dans son pays d’origine à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités autrichiennes en usant des voies de droit adéquates.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 17 août 2023 par :

Marc Sünnen, président, Laura Urbany, juge, Sibylle Schmitz, attaché de justice délégué, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 août 2023 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 49223
Date de la décision : 17/08/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 23/08/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-08-17;49223 ?

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