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17/08/2023 | LUXEMBOURG | N°49201

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 17 août 2023, 49201


Tribunal administratif N° 49201 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49201 Chambre de vacation Inscrit le 24 juillet 2023 Audience publique extraordinaire du 17 août 2023 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49201 du rôle et déposée le 24 juillet 2023 au greffe du tribunal admin

istratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des a...

Tribunal administratif N° 49201 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49201 Chambre de vacation Inscrit le 24 juillet 2023 Audience publique extraordinaire du 17 août 2023 Recours formé par Monsieur …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49201 du rôle et déposée le 24 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel KARP, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Algérie), de nationalité algérienne, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à la réformation, sinon à l’annulation, d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 11 juillet 2023 de le transférer vers la Slovénie comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 août 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elena FROLOVA, en remplacement de Maître Michel KARP et Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en leurs plaidoiries à l’audience publique de vacation du 16 août 2023.

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Le 17 mai 2023, Monsieur …, de nationalité algérienne, introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par la « loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée - police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait introduit sous une autre identité une demande de protection internationale en Slovénie en date du 4 septembre 2019.

Le 31 mai 2023, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critèreset mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par le « règlement Dublin III ».

Le 5 juin 2023, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues slovènes une demande de prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b), du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par lesdites autorités slovènes en date du 13 juin 2023.

Par décision du 11 juillet 2023, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale et de le transférer dans les meilleurs délais vers la Slovénie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18, paragraphe (1) point b), du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 17 mai 2023 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 18(1) b du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-

après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la Slovénie qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire du 17 mai 2023 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 31 mai 2023.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 17 mai 2023, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Slovénie en date du 4 septembre 2019.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 31 mai 2023.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 5 juin 2023 une demande de reprise en charge aux autorités slovènes sur base de l’article 18(1)b du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités slovènes en date du 13 juin 2021.

2.

Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener 2 un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point b) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge - dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 - le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre. Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3.

Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 17 mai 2023 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Slovénie en date du 4 septembre 2019.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté l’Algérie par avion vers la Turquie en 2018.

Vous seriez resté à Istanbul pendant environ quatre mois avant de traverser la frontière grecque à pied. Vous auriez ensuite traversé la Macédoine, la Serbie, la Bosnie et la Croatie. En Slovénie, vous auriez été arrêté par la police et vous auriez passé un mois dans un camp à Ljubljana. Vous auriez cependant quitté la Slovénie sans connaître la réponse à votre demande de protection internationale. En fait, vous déclarez ne pas avoir eu l’intention d’y introduire une demande.

Vous auriez ensuite passé un mois en Italie avant d’aller en France où vous auriez vécu pendant environ deux ans sans introduire une demande de protection internationale. Finalement, vous seriez resté en Belgique pendant environ un mois et demi avant de partir au Luxembourg.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 31 mai 2023, vous n’avez pas fait mention d’éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Slovénie qui est l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Rappelons que la Slovénie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, 3 inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la Slovénie est liée par la Directive (UE)2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la Slovénie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la Slovénie est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Slovénie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Slovénie ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Slovénie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

4 Pour l’exécution du transfert vers la Slovénie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la Slovénie, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers la Slovénie en informant les autorités slovènes conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités slovènes n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 24 juillet 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation d’une décision ministérielle prétendument datée du 5 juillet 2023 mais visant en fait la décision précitée du 11 juillet 2023 et, subsidiairement, à l’annulation d’un ordre de transfert vers la « Suisse » (sic).

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation sous analyse, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il s’ensuit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur retrace les faits et rétroactes ayant mené à la décision déférée du 11 juillet 2023 et notamment les étapes de son périple l’ayant finalement amené au Grand-Duché de Luxemburg, en insistant sur le fait qu’il aurait été arrêté en Slovénie par la police et qu’il se serait retrouvé à passer un mois dans un camp à Ljubljana ; il aurait ensuite quitté la Slovénie sans connaître la réponse à sa demande de protection internationale, le demandeur affirmant n’avoir de toute façon pas eu l’intention d’y introduire une demande de protection internationale.

En droit, le demandeur reproche d’abord au ministre d’avoir tiré des conclusions hâtives concernant sa situation, et ce alors que le ministre aurait pris sa décision avec précipitation sans avoir procédé à l’évaluation individuelle de sa demande de protection internationale telle qu’exigée par l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015.

Le demandeur reproche ensuite au ministre d’avoir violé les articles 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », et 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », dans la mesure où, en cas de transfert en « Suisse » (sic) il risquerait d’être renvoyé par les autorités « suisses » vers son pays d’origine, à savoir l’Algérie.

Le demandeur est finalement d’avis que le ministre aurait dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, en donnant à considérer qu’il aurait été emprisonné dans un camp de Ljubljana en Slovénie durant un mois et demi où il aurait été maltraité, le demandeur affirmant encore que les réfugiés y seraient « réputés » maltraités, de sorte qu’il y aurait de sérieuses raisons de croire qu’il existerait dans cet Etat des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et dans les conditions d’accueildes demandeurs, ce qui entrainerait un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, notamment en raison du fait, que, en cas de transfert, il se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé en aucun de ses moyens.

Il convient en premier lieu de rejeter le moyen fondé sur la prétendue non-application par le ministre de l’article 37, paragraphe (5) de la loi du 18 décembre 2015, celui-ci étant invoqué à tort par le demandeur puisqu’il n’a vocation à s’appliquer que lorsque le ministre procède à l’évaluation individuelle d’une demande de protection internationale, mais non pas lorsque le ministre décide de ne pas examiner une demande de protection internationale dont il estime qu’en application du règlement Dublin III, l’examen revient à un autre Etat membre, alors qu’il résulte de l’article 15, paragraphe (1), de la loi du 18 décembre 2015, que les dispositions de l’article 37 ne trouvent application que « lors de l’entretien personnel sur le fond d’une demande de protection internationale ».

En ce qui concerne ensuite la mise en cause de la compétence de la Slovénie, il convient de rappeler qu’aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte formellement ou tacitement, la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités slovènes pour procéder à l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur …, prévoit que « L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de: […] b) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre. ».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui où le demandeur a déposé une demande de protection internationale qui est toujours en cours d’examen.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer le demandeur vers la Slovénie et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur serait la Slovénie où le demandeur avait déposé une demande de protection internationale en datedu 4 septembre 2019 et que les autorités slovènes avaient accepté sa reprise en charge le 13 juin 2023, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de le transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale. D’ailleurs, le demandeur ne conteste pas la compétence de principe de la Slovénie par application du règlement Dublin III, mais il considère que son transfert vers la Slovénie violerait l’article 3 CEDH et l’article 4 de la Charte, tout en reprochant au ministre une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Le tribunal rappelle à cet égard que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, non invoqué explicitement en l’espèce, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

S’agissant d’abord de l’existence de défaillances systémiques au sein du système d’accueil slovène et d’une possible violation de l’article 4 de la Charte - similaire à l’article 3 de la CEDH -, le tribunal est amené à rappeler que la Slovénie est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1.

Il doit dès lors être présumé que le traitement réservé aux demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre est conforme aux exigences de la Convention de Genève ainsi qu’à la CEDH. Cette présomption peut toutefois être renversée lorsqu’il y a lieu de craindre qu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs d’asile dans l’Etat membre responsable, impliquant un traitement inhumain ou dégradant. Dans cette hypothèse, il appartient d’apprécier dans chaque cas, au vu des pièces communiquées, si les conditions dans lesquelles un dossier particulier est traité par les autorités répondent à l’ensemble des garanties exigées par le respect du droit d’asile. Le demandeur remettant en question la présomption du respect par la Slovénie de ses droits fondamentaux, il lui incombe dès lors de fournir des éléments concrets permettant de la renverser.

1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. c. Secretary of State for the Home Department, C-411/10, pt. 78.Il convient à ce sujet toutefois de constater que si le demandeur se prévaut, mis à part d’un risque de refoulement indirect vers son pays d’origine, en général de la situation des demandeurs de protection internationale en Slovénie, il n’a apporté aucun élément probant, voire seulement un indice, susceptible d’étayer ses allégations, le demandeur n’ayant à cet égard plus particulièrement communiqué au tribunal aucun document quelconque susceptible d’éclairer la situation actuelle de l’accueil des demandeurs de protection internationale en Slovénie.

Il convient encore plus particulièrement de constater qu’outre le fait que lors de son entretien Dublin III, le demandeur n’a pas affirmé que, personnellement et concrètement, ses droits n’auraient pas été respectés en Slovénie lors de son arrivée sur le territoire slovène, il n’apporte pas non plus la preuve que, personnellement, ses droits ne seraient pas garantis en Slovénie, que, de manière générale, les droits des demandeurs de protection internationale en Slovénie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore qu’ils n’y auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir, les affirmations du demandeur demeurant à cet égard en l’état de pure allégation.

Le demandeur ne fournit pas non plus d’éléments susceptibles de démontrer que la Slovénie ne respecterait pas le principe de non-refoulement, tel qu’ancré à l’article 33 de la Convention de Genève ou découlant de l’article 4 de la Charte ou encore de l’article 3 de la CEDH, et faillirait dès lors à ses obligations internationales en le renvoyant dans un pays où sa vie ou sa liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’il risquerait d’être forcé de se rendre dans un tel pays.

Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments produits par le demandeur que si les autorités slovènes devaient néanmoins décider de le rapatrier en violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève, alors même qu’il serait exposé dans son pays d’origine à un risque concret et grave pour sa vie, il ne lui serait pas possible de faire valoir ses droits directement auprès des autorités slovènes en usant des voies de droit adéquates.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal se doit de retenir que le demandeur reste en défaut d’apporter des éléments concrets permettant de renverser la présomption du respect, par la Slovénie, de ses droits fondamentaux, de sorte que le moyen fondé sur une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte est à rejeter pour ne pas être fondé.

Enfin, en ce qui concerne la violation de l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, celui-ci prévoit que : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […]. ».

Cette faculté laissée à chaque Etat membre, par l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, de décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement Dublin III est discrétionnaire et relève du pouvoir d’appréciation étendu des Etats membres2, mais ne constitue nullement un droit pour le demandeur, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne du 16 février 20173.

2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

3 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 88 et 97.Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen de la légalité de la décision entreprise par rapport aux articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur estime que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté discrétionnaire, il y a lieu de conclure que les problèmes mis en avant ne sauraient pas davantage s’analyser en des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 17 août 2023 par :

Marc Sünnen, président, Laura Urbany, juge, Sibylle Schmitz, attaché de justice délégué, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 17 août 2023 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 49201
Date de la décision : 17/08/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 23/08/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-08-17;49201 ?

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