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16/08/2023 | LUXEMBOURG | N°49280

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 août 2023, 49280


Tribunal administratif N° 49280 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49280 Chambre de vacation Inscrit le 8 août 2023 Audience publique de vacation du 16 août 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49280 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 août 2023 par MaÃ

®tre Naïma EL HANDOUZ, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxe...

Tribunal administratif N° 49280 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49280 Chambre de vacation Inscrit le 8 août 2023 Audience publique de vacation du 16 août 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49280 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 août 2023 par Maître Naïma EL HANDOUZ, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Maroc) et être de nationalité marocaine, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 2 août 2023 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir du 6 août 2023 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 août 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah Ernst en sa plaidoirie à l’audience publique de vacation de ce jour.

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Le 30 décembre 2022, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le 13 janvier 2023, Monsieur … fut placé en détention préventive du chef de vol qualifié.

Il fut libéré le 3 mars 2023.

Par décision du 12 avril 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le surlendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », rejeta la demande de protection internationale de Monsieur … dans le cadre d’une procédure accélérée, tout en ordonnant à ce dernier de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Le 19 avril 2023, les autorités luxembourgeoises acceptèrent, sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, la demande de reprise en charge de Monsieur … leur adressée le 18 avril 2023 par leurs homologues allemands.

Par courrier du 11 mai 2023, remis à l’intéressé en mains propres le lendemain, jour de son transfert au Luxembourg, ainsi que cela se dégage des explications non contestées du délégué du gouvernement, le ministre invita Monsieur … à se présenter au ministère le 16 mai 2023 afin de discuter de sa situation administrative, rendez-vous lors duquel l’intéressé déclara ne pas avoir l’intention de retourner volontairement au Maroc, tel que cela ressort d’une note au dossier administratif du même jour.

Il se dégage ensuite d’un rapport de la police grand-ducale, Région …, Commissariat … du 15 mai 2023, référencé sous le numéro …, qu’à cette date, Monsieur … fut interpellé par les forces de l’ordre après avoir endommagé des véhicules et qu’invité à s’identifier, il ne put présenter qu’une attestation d’introduction d’une demande de protection internationale périmée.

Le 17 mai 2023, l’intéressé fut signalé dans le système d’information Schengen (SIS).

Il se dégage d’un rapport de la police grand-ducale, Région …, Commissariat …, du 6 juin 2023, référencé sous le numéro …, qu’à cette date, Monsieur … fit l’objet d’un contrôle d’identité lors duquel il fut constaté qu’il faisait l’objet du susdit signalement dans le SIS, qu’il ne disposait pas d’une autorisation de séjour valable et qu’une décision de retour avait été prise à son encontre.

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et les considérations suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu le procès-verbal du 6 juin 2023 établi par la Police grand-ducale, Région … ;

Vu ma décision de retour du 12 avril 2023 ;

Attendu que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Attendu qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Attendu par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que l’intéressé est débouté de sa demande de protection internationale ;

Considérant que l’intéressé n’est pas disposé à retourner volontairement dans son pays d’origine ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2023, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation de l’arrêté ministériel susmentionné du 26 juin 2023 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, recours contentieux dont il fut débouté par un jugement du tribunal administratif du 28 juin 2023, inscrit sous le numéro 49076 du rôle.

Par arrêté du 5 juillet 2023, notifié à l’intéressé le 6 juillet 2023, le ministre prorogea pour une durée d’un mois le placement en rétention de Monsieur ….

Par arrêté du 2 août 2023, notifié à l’intéressé le 4 août 2023, le ministre prorogea de nouveau pour une durée d’un mois le placement en rétention de Monsieur …. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mes arrêtés des 6 juin et 5 juillet 2023, notifiés les 6 juin et 6 juillet 2023, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 6 juin 2023 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n'ont pas encore abouti ;

Considérant qu'il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l'exécution de la mesure d'éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 août 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel susmentionné du 2 août 2023 ordonnant la prolongation de son placement au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois avec effet au 6 août 2023.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que le placement en rétention devrait être considéré comme ultime moyen, alors que celui-ci porterait atteinte à la liberté de mouvement. Il soutient, à cet égard, que le placement en rétention ne constituerait qu’une simple faculté pour le ministre, qui ne serait pas discrétionnaire mais devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Tout en admettant que l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », prévoirait expressément la possibilité du placement en rétention d’un étranger en situation irrégulière, le demandeur insiste sur le fait que cette mesure, équivalant à une détention, devrait rester exceptionnelle, tout en rappelant qu’il serait placé en rétention administrative depuis le 6 juin 2023, soit depuis plus de deux mois. Il estime que ce serait à tort que le ministre l’aurait placé en rétention sans envisager d’autres solutions plus adaptées et moins dommageables en termes de privation de liberté, telles que des mesures moins coercitives, le demandeur reprochant en particulier au ministre d’avoir refusé son placement dans un foyer tel que la structure d'hébergement d'urgence au Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg-Kirchberg, 11, rue Carlo Hemmer, le demandeur insistant qu’il aurait, en sa qualité de demandeur de protection internationale, résidé auprès d’une structure d’accueil pour étrangers sise à ….

Le demandeur critique ensuite le fait pour le ministre de ne pas avoir pris en considération les éléments liés à sa personne. Il explique que si l’article 120 de la loi du 29 août 2018 permet le placement en rétention d’un étranger, il n’en demeurerait pas moins que cette mesure devrait être proportionnée à la situation de l’étranger en question.

Dans ce contexte, le demandeur fait valoir qu’il serait conscient d’être en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois, mais d’être « respectueux des lois du pays » et qu’il n’aurait jamais tenté de se soustraire à son éloignement, de sorte qu’il ne présenterait pas un risque de fuite. Dans ce contexte, le demandeur fait encore valoir qu’au moment de son placement en rétention, le rejet de sa demande de protection internationale n’aurait pas encore été définitif.

Finalement, il reproche au ministre de ne pas avoir agi avec toute la diligence requise pour écourter son placement en rétention, alors qu'aucune diligence n'aurait été valablement entreprise, de sorte qu'il y aurait lieu de considérer qu'aucune mesure d'éloignement n'était en cours au jour du placement en rétention, le demandeur affirmant encore qu’à ce jour aucun laisser-passer n’aurait été délivré par les autorités marocaines, de sorte que la procédure d'éloignement resterait très hypothétique à l'heure actuelle.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal précise de prime abord qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement. C’est ainsi que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de trois conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours et que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise.

Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme1, il faut que l’éloignement de la personne retenue soit une perspective réaliste.

Enfin, en vertu de l’article 120, paragraphe (3), in fine, de la même loi, si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut encore être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire.

1 CourEDH, 25 juin 2019, Al Husin c. Bosnie-Herzégovine (n° 2), req. n° 10112/16.

En l’espèce, il est constant que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 12 avril 2023, est en séjour irrégulier au Luxembourg et qu’il est démuni de tout document d’identité et de voyage valable, étant relevé que les développements du demandeur relativement à son statut antérieur de demandeur de protection internationale sont ainsi dépourvus de pertinence, celui-ci ne contestant pas le caractère de chose décidée attaché à ladite décision de retour le concernant.

Il s’ensuit que le demandeur ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 34, paragraphe (2), point 1, de la loi du 29 août 2008 qui requiert précisément d’un étranger de disposer notamment d’un passeport et, le cas échéant, d’un visa en cours de validité.

Il en résulte l’existence dans le chef de la personne retenue d’un risque de fuite, légalement présumé par l’article 111, paragraphe (3), point c), point 1. de la loi du 29 août 2008, si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi, le tribunal relevant par ailleurs tel qu’il a été retenu dans son jugement précité du 28 juin 2023, qu’en l’espèce, le risque de fuite est conforté par le fait que lors d’un rendez-vous au ministère en date du 16 mai 2023 en vue d’un retour volontaire, le demandeur a déclaré ne pas avoir l’intention de retourner volontairement dans son pays d’origine, déclaration qu’il a par la suite réitérée lors de son interpellation par les forces de l’ordre en date du 6 juin 2023.

Il s’ensuit que les conditions initiales ayant justifié que le ministre ait placé l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement perdurent actuellement.

Si le demandeur estime que le ministre aurait dû, compte tenu de sa situation particulière, lui permettre de bénéficier de mesures moins coercitives, il convient de rappeler que les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008 sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe 1er, à savoir l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement auprès des services ministériels après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité, l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ou encore l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros, sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe 1er, pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.

L’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi, tout en relevant qu’il s’agit d’une simple prérogative pour le ministre et qu’au vu de la présomption légale d’un risque de fuite dans le chef du concerné, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment des garanties de représentation suffisantes.

En l’espèce, le demandeur n’a pas soumis au tribunal d’éléments de nature à renverser la présomption d’un risque de fuite existant dans son chef, le tribunal venant de retenir que le risque de fuite est, au contraire, conforté par les faits de l’espèce.

Par ailleurs, il n’est pas établi que l’intéressé disposerait d’un domicile fixe déclaré au Luxembourg, sa seule affirmation selon laquelle il aurait résidé au « foyer … », qui constitue un centre d’hébergement, selon les explications non contestées du délégué du gouvernement, étant insuffisante pour rapporter cette preuve. En outre, il n’est pas allégué ni a fortiori prouvé que Monsieur … aurait une quelconque autre attache au Luxembourg et l’intéressé n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur encourent le rejet.

Quant à l’invocation par le demandeur d’une atteinte à son droit à la liberté consacré par l’article 5 de la CEDH, ensemble la violation alléguée du principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 5 de la CEDH : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f) précité de la CEDH que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays2.

Etant donné que (i) le demandeur a fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire par décision ministérielle du 12 avril 2023 lui refusant l’octroi d’une protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée, décision revêtant, à défaut de recours introduit, le caractère d’autorité de chose décidée à l’heure actuelle, et (ii) qu’une procédure d’éloignement engagée à son encontre est en cours d’exécution, le ministre a valablement pu placer le demandeur au Centre de rétention et maintenir cette mesure de placement sans violer l’article 5 de la CEDH.

Il s’ensuit que les moyens du demandeur relatifs à une prétendue disproportion de la mesure de prorogation de son placement en rétention basés sur une absence d’un risque de fuite dans son chef, ainsi qu’à une violation de l’article 5 de la CEDH sont à rejeter pour ne pas être fondés.

2 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 804 et les autres références y citées.

S’agissant ensuite des critiques du demandeur quant aux diligences entreprises par le ministre pour exécuter son éloignement, il échet de prime abord de constater que dans le cadre du jugement précité du 28 juin 2023, numéro 49076 du rôle, le tribunal administratif a retenu que les démarches accomplies par les autorités luxembourgeoises à cette date devaient être considérées comme étant suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008.

En ce qui concerne les diligences accomplies depuis lors, il résulte des pièces versées en cause qu’en date des 10 et 27 juillet 2023, les services ministériels ont relancé les autorités marocaines, lesquelles en retour informèrent en date des 12 juillet et 1er août 2023 le ministre que le dossier de Monsieur … serait toujours en cours d’instruction.

Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à conclure que les diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise doivent être considérées, dans les circonstances de l’espèce et au stade d’une deuxième prolongation, comme encore suffisantes, de manière que dans ces conditions la nécessité requise au sens de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 pour la prolongation de la mesure de rétention est vérifiée en l’espèce.

Il en est de même en ce qui concerne l’argumentation du demandeur ayant trait à l’absence de perspective d’éloignement, étant donné qu’il ne se dégage d’aucun élément de la cause que les démarches ainsi accomplies par l’autorité ministérielle luxembourgeoise seraient vouées à l’échec, de sorte qu’il n’est pas établi qu’il n’existerait, en l’espèce, pas de chances raisonnables de croire que l’éloignement puisse être mené à bien.

Il convient toutefois de souligner que si le ministre ne saurait certes nuire aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités du pays d’origine de la personne retenue, le tribunal ne saurait toutefois accepter, confronté à l’absence de toute réponse desdites autorités, d’un côté, et à la privation de liberté imposée à la personne retenue, de l’autre côté, que le ministre se contente d’une attitude essentiellement passive, se contentant d’attendre une réaction des autorités étrangères compétentes, et ne leur adresse qu’épisodiquement la même lettre de rappel, sans utiliser les autres moyens à sa disposition, dans les limites des usages et convenances diplomatiques, tel que l’envoi formel d’une note verbale aux autorités diplomatiques étrangères compétentes3.

Il se dégage partant de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

3 Voir trib. adm.5 octobre 2022, n° 47991.

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 16 août 2023 par :

Marc Sünnen, président, Laura Urbany, juge, Sibylle Schmitz, attaché de justice délégué, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Xavier Drebenstedt s. Marc Sünnen Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 août 2023 Le greffier du tribunal administratif 9


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 49280
Date de la décision : 16/08/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 23/08/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-08-16;49280 ?

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