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16/08/2023 | LUXEMBOURG | N°49277

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 16 août 2023, 49277


Tribunal administratif N° 49277 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49277 Chambre de vacation Inscrit le 8 août 2023 Audience publique de vacation du 16 août 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49277 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 août 2023 par MaÃ

®tre Naïma EL HANDOUZ, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxe...

Tribunal administratif N° 49277 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49277 Chambre de vacation Inscrit le 8 août 2023 Audience publique de vacation du 16 août 2023 Recours formé par Monsieur …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L.29.08.2008)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49277 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 8 août 2023 par Maître Naïma EL HANDOUZ, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Maroc), et être de nationalité marocaine, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 27 juillet 2023 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 10 août 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Sarah ERNST en sa plaidoirie à l’audience publique de vacation de ce jour.

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Il ressort d’un rapport de la police grand-ducale, Commissariat …, du 8 avril 2021, référencé sous le numéro …, dit « Fremdennotiz », qu’en date du 7 avril 2021, Monsieur …, connu sous différents alias, fut appréhendé par les forces de l’ordre et qu’il ne put pas présenter de documents d’identité ou de voyage en vigueur.

Il se dégage ensuite d’un rapport de la police grand-ducale, Commissariat …, du 11 avril 2021, référencé sous le numéro …, dit « Fremdennotiz », qu’à la même date, Monsieur … fut de nouveau intercepté par la police sans pouvoir présenter des documents d’identité.

Une recherche effectuée dans la base de données EURODAC en date du 13 avril 2021 en vue de la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride révéla que Monsieur … avait auparavant introduit une demande de protection internationale aux Pays-Bas en date du 15 octobre 2016 et en Allemagne en date du 9 juin 2017.

Il ressort encore d’un rapport de la police grand-ducale, …, du 28 avril 2021, référencé sous le numéro …, dit « Fremdennotiz », qu’à la même date, Monsieur … fut contrôlé par la police. Il ne fut pas en mesure de s’identifier lors de ce contrôle.

Suivant relevé journalier du 27 août 2021 du Centre pénitentiaire de Luxembourg (CPL), Monsieur … fit l’objet d’un mandat d’amener pour vol simple. Il ressort ensuite d’un relevé journalier du 2 septembre 2021, qu’il fut libéré du CPL suite à une mainlevée de son mandat d’amener. Il fut transféré au Centre socio-éducatif de l’Etat à Dreiborn en date du même jour.

Il se dégage ensuite d’un rapport de la police grand-ducale, Commissariat Luxembourg, du 13 septembre 2021, référencé sous le numéro …, dit « Fremdennotiz », qu’à la même date, Monsieur … fut intercepté par la police et qu’il ne fut pas en mesure de s’identifier.

Par courrier du 8 octobre 2021 au Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège, les autorités luxembourgeoises sollicitèrent la délivrance d’un laissez-passer au nom de Monsieur … au motif que, d’après leurs recherches, il possédait la nationalité marocaine.

Par courrier du 4 janvier 2022, le Consulat Général du Royaume du Maroc à Liège informa les autorités luxembourgeoises que les autorités marocaines avaient identifié Monsieur … comme étant un ressortissant marocain, tout en précisant qu’elles étaient disposées à lui délivrer un laissez-passer.

Suivant rapport de la police grand-ducale, région …, du 22 mars 2022, référencé sous le numéro …, dit « Fremdennotiz », Monsieur … fut entendu dans le cadre d’une affaire de violences domestiques.

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé également à cette date, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois, lui ordonna de le quitter sans délai et lui interdit l’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans.

Il se dégage d’un rapport de la police grand-ducale, Commissariat Capellen, du 17 avril 2022, référencé sous le numéro …, dit « Fremdennotiz », qu’à la même date, Monsieur … fut intercepté dans le cadre d’une tentative de cambriolage.

Suivant rapport de la police grand-ducale, Commissariat …, du 20 avril 2022, référencé sous le numéro …, dit « Fremdennotiz », Monsieur … fut appréhendé en date du même jour par la police sans être en mesure de s’identifier.

Il ressort encore d’un rapport de la police grand-ducale, Commissariat …, du 21 avril 2022, référencé sous le numéro …, dit « Fremdennotiz », que Monsieur … fut de nouveau intercepté sans être en mesure de s’identifier.

Suivant relevé journalier du 23 avril 2022 du CPL, Monsieur … fit l’objet d’un mandat d’amener pour vol à l’aide de violences.

D’après un acte d’écrou du 22 mars 2023, Monsieur … fut condamné à une peine d’emprisonnement de 30 mois assortie d’un sursis à exécution de 18 mois par un arrêt de la Cour supérieure de justice du 21 février 2023 pour vols à l’aide de violences, vols simples, tentative de vol à l’aide de violences et d’effraction, blanchiment-détention, endommagement de clôtures rurales ou urbaines, coups et blessures volontaires et résistance avec violences envers les officiers de la police administrative. La fin de la peine de Monsieur … fut fixée au 17 avril 2023.

Par arrêté du 30 mars 2023, notifié à l’intéressé en date du 17 avril 2023, le ministre ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question sur base des dispositions de l’article 120 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-

après désignée par « la loi du 29 août 2008 ».

Par courriel du 14 avril 2023, le litismandataire de Monsieur … informa le ministre de la volonté de son mandant d’introduire une demande de protection internationale et sollicita une entrevue avec ses services.

Par arrêté du 17 avril 2023, notifié à l’intéressé le même jour, le ministre ordonna la mainlevée de l’arrêté de placement du 30 mars 2023, fondé sur les articles 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, et ordonna, sur le fondement de l’article 22, paragraphe (2), points b), c) et e) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 », le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée de trois mois à partir de la notification de la décision en question.

En date du 21 avril 2023, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Par décision du 25 avril 2023, notifiée à l’intéressé en mains propres en date du 27 avril 2023 et, suite à son refus de signer le récépissé de cette décision, par lettre recommandée expédiée le 28 avril 2023, le ministre informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée, dans le cadre d’une procédure accélérée, comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire sans délai à compter du jour où ladite décision devienne définitive.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 mai 2023, Monsieur … fit introduire un recours contre la décision de placement en rétention du 17 avril 2023, recours dont il fut définitivement débouté par un arrêt de la Cour administrative du 1er juin 2023, inscrit sous le numéro 48987C du rôle.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 11 mai 2023, Monsieur … fit encore introduire un recours contentieux contre la décision portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et à l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte, recours contentieux dont il fut débouté par un jugement du tribunal administratif du 9 juin 2023, inscrit sous le numéro 48921 du rôle.

Par arrêté du 28 juin 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre rapporta la mesure de placement du 17 avril 2023, fondée sur l’article 22, paragraphe (2), points b), c) et e) de la loi du 18 décembre 2015, et ordonna le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question sur base des articles 100, 111, 120 à 123 et 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :

« […] Vu les articles 100, 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu ma décision de retour du 22 mars 2022, assortie d’une interdiction d’entrée sur le territoire de 5 ans ;

Vu les nombreux alias de l’intéressé ;

Vu les antécédents judiciaires de l’intéressé ;

Revu la mesure de placement du 17 avril 2023 ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant que l’intéressé a été identifié par les autorités marocaines en date du 4 janvier 2022 ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2023, Monsieur … fit introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel susmentionné du 28 juin 2023 ordonnant son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question, recours contentieux dont il fut débouté par un jugement du tribunal administratif du 20 juillet 2023, inscrit sous le numéro 49174 du rôle.

Par arrêté du 27 juillet 2023, notifié à l’intéressé le 28 juillet 2023, le ministre prorogea pour une durée d’un mois le placement en rétention de Monsieur …. Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :

« Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 28 juin 2023, notifié le même jour, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 28 juin 2023 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’éloignement de l’intéressé ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure d’éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 août 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel susmentionné du 27 juillet 2023 ordonnant la prolongation de son placement au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à compter de la notification de la décision en question.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, le demandeur fait valoir que le placement en rétention devrait être considéré comme ultime moyen, alors que celui-ci porterait atteinte à la liberté de mouvement. Il soutient, à cet égard, que le placement en rétention ne constituerait qu’une simple faculté pour le ministre, qui ne serait pas discrétionnaire mais devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Tout en admettant que l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », prévoirait expressément la possibilité du placement en rétention d’un étranger en situation irrégulière, le demandeur insiste sur le fait que cette mesure, équivalant à une détention, devrait rester exceptionnelle. Il estime que ce serait à tort que le ministre l’aurait placé en rétention sans envisager d’autres solutions plus adaptées et moins dommageables en termes de privation de liberté, telles que des mesures moins coercitives, le demandeur reprochant en particulier au ministre d’avoir refusé le paiement d’une garantie financière, telle qu’il l’aurait proposé, tout comme le ministre aurait refusé l’assignation à résidence à L-4662 Differdange, 12, rue Roosevelt, ainsi que son placement dans un foyer tel que la structure d’hébergement d’urgence au Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg-Kirchberg, 11, rue Carlo Hemmer.

Le demandeur critique ensuite le fait pour le ministre de ne pas avoir pris en considération les éléments liés à sa personne. Il explique que si l’article « 22 de la loi du 18 décembre 2015 » permet le placement en rétention d’un étranger, il n’en demeurerait pas moins que cette mesure devrait être proportionnée à la situation de l’étranger en question.

Dans ce contexte, le demandeur fait valoir qu’il est conscient d’être en situation irrégulière sur le territoire luxembourgeois, mais qu’il n’aurait jamais tenté de se soustraire à son éloignement, de sorte qu’il ne présenterait pas un risque de fuite. Il donne encore à considérer qu’il aurait déjà subi une détention de 12 mois avant son placement en rétention, tandis qu’actuellement il subirait une privation de liberté de plus de 16 mois, ce qui aurait dû inciter le ministre à étudier la possibilité de prendre des mesures moins coercitives.

Finalement, il reproche au ministre de ne pas avoir agi avec toute la diligence requise pour écourter son placement en rétention, alors qu’aucune diligence n’aurait été valablement entreprise, de sorte qu’il y aurait lieu de considérer qu’aucune mesure d’éloignement ne serait en cours au jour du placement en rétention, le demandeur affirmant encore que son identité n’aurait toujours pas été établie avec certitude, de sorte que la procédure d’éloignement resterait très hypothétique à l’heure actuelle.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Le tribunal précise de prime abord qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement. C’est ainsi que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 prévoit ce qui suit : « « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien. Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de reprise en charge ou de réadmission de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3), de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de trois conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours et que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise.

Conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme1, il faut que l’éloignement de la personne retenue soit une perspective réaliste.

Enfin, en vertu de l’article 120, paragraphe (3), in fine, de la même loi, si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut encore être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire.

En l’espèce, il résulte des éléments de la cause que la personne retenue se trouve toujours actuellement en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois.

En effet, comme indiqué ci-avant, par décision du 22 mars 2022 portant décision de retour, le ministre constata que le séjour de la personne retenue sur le territoire luxembourgeois était irrégulier et lui ordonna de quitter le territoire sans délai, tout en lui interdisant l’entrée sur le territoire pour une durée de cinq ans, tandis que par décision du 25 avril 2023, le ministre rejeta encore la demande de protection internationale de Monsieur …, tout en lui ordonnant de quitter le territoire sans délai.

Il est encore constant en cause que la personne retenue est toujours démunie de tout document d’identité et de voyage valable, de sorte qu’elle ne remplit pas les conditions énoncées à l’article 34, paragraphe (2), point 1, de la loi du 29 août 2008 qui requiert précisément d’un étranger de disposer notamment d’un passeport et, le cas échéant, d’un visa en cours de validité.

Il en résulte l’existence dans le chef de la personne retenue d’un risque de fuite, légalement présumé par l’article 111, paragraphe (3), point c), point 1. de la loi du 29 août 2008, si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi.

Il s’ensuit que les conditions initiales ayant justifié que le ministre ait placé l’intéressé en rétention afin d’organiser son éloignement perdurent actuellement.

Si le demandeur estime que le ministre aurait dû, compte tenu de sa situation particulière, lui permettre de bénéficier de mesures moins coercitives, il convient de rappeler que les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008 sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe 1er, à savoir l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement auprès des services ministériels après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité, l’assignation à résidence pour une 1 CourEDH, 25 juin 2019, Al Husin c. Bosnie-Herzégovine (n° 2), req. n° 10112/16.

durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ou encore l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros, sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe 1er, pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.

L’article 125, paragraphe 1er, de la loi du 29 août 2008 prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3), de la même loi, tout en relevant qu’il s’agit d’une simple prérogative pour le ministre et qu’au vu de la présomption légale d’un risque de fuite dans le chef du concerné, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment des garanties de représentation suffisantes.

Or, si le demandeur fait état de son offre de paiement d’une garantie financière ou encore d’une adresse à Differdange susceptible de permettre son assignation à résidence, le tribunal de céans, à défaut de toute pièce ou précision afférente, ne saurait en dégager une circonstance permettant d’énerver les raisons avancées par la partie étatique pour, d’une part, justifier le recours à la mesure de rétention, et, d’autre part, écarter la possibilité de l’application de mesures moins coercitives, de sorte qu’il y a lieu d’en conclure que l’intéressé ne présente toujours pas de garanties suffisantes de représentation, et ne remplit donc pas les conditions préalables afin de bénéficier d’une mesure moins coercitive.

Quant à l’invocation par le demandeur d’une atteinte à son droit à la liberté consacré par l’article 5 de la CEDH, ensemble la violation alléguée du principe de proportionnalité, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de l’article 5 de la CEDH : « 1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f) précité de la CEDH que celui-ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays2.

Etant donné que (i) le demandeur a fait l’objet d’un arrêté constatant son séjour irrégulier sur le territoire assorti d’un ordre de quitter le territoire et d’une interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans le 22 mars 2022, ainsi que d’un autre ordre de quitter le territoire par décision ministérielle du 25 avril 2023 lui refusant l’octroi d’une protection internationale, devenu définitif par jugement du tribunal administratif du 9 juin 2023, tel que cela a été retenu ci-avant, et (ii) qu’une procédure d’éloignement engagée à son encontre est en cours 2 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 804 et les autres références y citées.

d’exécution, le ministre a valablement pu placer le demandeur au Centre de rétention et maintenir cette mesure de placement sans violer l’article 5 de la CEDH.

Il s’ensuit que les moyens du demandeur relatifs à une prétendue disproportion de la mesure de prorogation de son placement en rétention basés sur une absence d’un risque de fuite dans son chef, ainsi qu’à une violation de l’article 5 de la CEDH sont à rejeter pour ne pas être fondés.

En ce qui concerne ensuite les contestations du demandeur quant aux démarches entreprises, le tribunal relève qu’il est uniquement saisi de la décision du ministre de proroger une première fois la mesure de rétention de Monsieur …, de sorte qu’il lui appartient seulement d’examiner le bien-fondé de ladite décision en s’assurant qu’à l’heure actuelle le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire.

Il échet de prime abord de constater que dans le cadre du jugement précité du 20 juillet 2023, numéro 49174 du rôle, le tribunal administratif a retenu que les démarches accomplies par les autorités luxembourgeoises à cette date devaient être considérées comme étant suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008.

En ce qui concerne les diligences accomplies depuis lors, il résulte des pièces versées en cause qu’en date du 27 juillet 2023, soit le jour précédant la notification de l’arrêté ministériel déféré, les services ministériels ont relancé les autorités marocaines, lesquelles en retour informèrent le même jour le ministre que le Consul Général du Royaume du Maroc serait disposé à délivrer un laissez-passer au nom du demandeur, de sorte qu’en date du 28 juillet 2023, le ministre a chargé le service de police judiciaire, section criminalité organisée-police des étrangers, de l’organisation du départ du demandeur, tandis que le 10 août 2023, les services ministériels relancèrent encore à cette fin le service de police judiciaire.

Au vu de ces éléments, le tribunal est amené à conclure que les diligences ainsi déployées par l’autorité ministérielle luxembourgeoise doivent être considérées, dans les circonstances de l’espèce et au stade précoce d’une première prolongation encore suffisantes, de manière que dans ces conditions la nécessité requise au sens de l’article 120, paragraphe (3), de la loi du 29 août 2008 pour la prolongation de la mesure de rétention est vérifiée en l’espèce.

En effet, il convient, en l’état actuel du dossier, de retenir qu’à ce jour, l’éloignement du retenu demeure une perspective raisonnable au vu de la coopération des autorités marocaines et qu’il n’existe à l’heure actuelle pas d’élément permettant de conclure que l’éloignement vers le Maroc ne puisse pas être mené à bien.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, le tribunal ne saurait utilement remettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 16 août 2023 par :

Marc Sünnen, président, Laura Urbany, juge, Sibylle Schmitz, attaché de justice délégué, en présence du greffier en chef Xavier Drebenstedt.

s. Marc Sünnen s. Xavier Drebenstedt Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 16 août 2023 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 49277
Date de la décision : 16/08/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 23/08/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-08-16;49277 ?

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