La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/08/2023 | LUXEMBOURG | N°49260

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 09 août 2023, 49260


Tribunal administratif Numéro 49260 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49260 Chambre de vacation Inscrit le 3 août 2023 Audience publique de vacation du 9 août 2023 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49260 du rôle et déposée le 3 août 2023 au greffe du

tribunal administratif par Maître Zoé Thill, avocat à la Cour, assistée de Maître Delphine ...

Tribunal administratif Numéro 49260 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49260 Chambre de vacation Inscrit le 3 août 2023 Audience publique de vacation du 9 août 2023 Recours formé par Monsieur …, connu sous différents alias, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49260 du rôle et déposée le 3 août 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Zoé Thill, avocat à la Cour, assistée de Maître Delphine Ernst, avocat, les deux inscrites au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Cameroun) et être de nationalité camerounaise, connu sous différents alias, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à l’annulation et subsidiairement à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 3 juillet 2023 ayant ordonné son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 août 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Delphine Ernst, en remplacement de Maître Zoé Thill, et Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

___________________________________________________________________________

En date du 24 mars 2015, …, alias …, alias …, dénommé ci-après « Monsieur … », introduisit auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

En date du 6 juillet 2015, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, dénommé ci- après « le ministre », se déclara incompétent pour connaître de la demande de protection internationale de Monsieur …, laquelle devrait être analysée par l’Espagne, pays dont il aurait irrégulièrement franchi la frontière en date du 29 octobre 2014.

Il ressort d’un procès-verbal de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section police des étrangers et des jeux, du 21 octobre 2015, que Monsieur … fut transféré le jour en question vers l’Espagne.

1Après avoir subi plusieurs détentions préventives au Centre pénitentiaire de Luxembourg, respectivement le 12 mai 2016, du 13 au 17 mai 2016 et du 17 juin au 18 août 2017, le ministre, par décision du 18 août 2017, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, déclara irrégulier le séjour de Monsieur … sur le territoire luxembourgeois et lui ordonna de quitter le territoire sans délai à destination du pays dont il a la nationalité ou à destination du pays qui lui aura délivré un document de voyage en cours de validité ou à destination d'un autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner, le tout en lui interdisant l'entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.

Par un arrêté séparé du même jour, le ministre ordonna encore le placement de Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de l’arrêté en question, ayant également eu lieu en date du 18 août 2017.

En date du 26 septembre 2017, Monsieur … fut transféré en Allemagne en application du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, dénommé ci-après « le règlement Dublin III ».

Il ressort de plusieurs relevés journaliers du Centre pénitentiaire de Luxembourg que Monsieur … fit à nouveau l’objet de détentions préventives en date du 9 novembre 2018 et entre le 10 novembre 2018 et le 22 février 2019.

En date du 14 décembre 2018, le ministre ordonna le transfert de Monsieur … vers l'Allemagne, transfert qui n’a pas pu être exécuté du fait que Monsieur … avait disparu.

Il ressort de plusieurs rapports de la police grand-ducale, Région Sud-Ouest, … (Fremdennotiz), respectivement du 17 juillet 2019, du 10 décembre 2019, du 27 avril 2020, du 27 mai 2020, du 29 juillet 2020, du 16 août 2020, du 20 octobre 2020, du 1er novembre 2020 et du 26 février 2021 que Monsieur … fut interpellé, les jours en question, sans être en possession d’un document d’identité ou de voyage valable.

Du 27 mai 2021 au 25 juin 2021, Monsieur … se trouva en détention préventive au Centre pénitentiaire de Luxembourg.

En date du 16 juillet 2021, Monsieur … fut incarcéré au Centre pénitentiaire de Luxembourg en raison d’une condamnation à une peine d’emprisonnement de 30 mois, tel que cela ressort d’un acte d’écrou établi le 10 mai 2022, détention ayant pris fin le 5 juillet 2023.

Par un arrêté ministériel du 3 juillet 2023, notifié à l’intéressé le 5 juillet 2023, Monsieur … fut placé au Centre de rétention pour la durée d’un mois à partir de la notification, ledit arrêté étant fondé sur les motifs et considérations suivants :

« (…) Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu les antécédents judiciaires de l'intéressé ;

Vu ma décision de retour du 18 août 2017 comportant une interdiction d'entrée sur le territoire de cinq ans ;

2Considérant que l'intéressé constitue un danger pour l'ordre public ;

Considérant que l'intéressé est démuni de tout document d'identité et de voyage valable ;

Considérant que l'intéressé n'est pas en possession d'un visa en cours de validité ;

Considérant qu'il existe un risque de fuite dans le chef de l'intéressé, alors qu'il ne dispose pas d'une adresse officielle au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu'elles sont prévues par l'article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l'éloignement de l'intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l'exécution de la mesure d'éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches; (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 août 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation, sinon à la réformation de l’arrêté ministériel précité du 3 juillet 2023.

Quand bien même une partie a formulé un recours en annulation à titre principal et un recours en réformation à titre subsidiaire, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation contre la décision critiquée, alors qu’en vertu de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommée ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », un recours en annulation n’est possible qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement donne à considérer que la mesure de placement actuellement déférée du 3 juillet 2023 aurait entretemps été prorogée avec effet au 5 août 2023, par un arrêté ministériel du 2 août 2023, notifié le 3 août 2023, de sorte que le recours en réformation devrait encourir le rejet du fait d’être devenu sans objet.

A l’audience publique des plaidoiries, le litismandataire de Monsieur … a souligné que son mandant souhaiterait maintenir son recours en ce que ses moyens devraient aboutir à l’annulation de l’arrêté déféré du 3 juillet 2023.

Tel qu’il a été relevé à l’audience publique des plaidoiries, il est constant en l’espèce que le demandeur a fait entretemps l’objet d’une mesure de prorogation de son placement au Centre de rétention, datée du 2 août 2023, lui notifiée le 3 août 2023, et avec effet au 5 août 2023, de sorte que son placement est actuellement effectivement basé sur cette dernière mesure de placement. Par conséquent, l’arrêté ministériel déféré a, au jour du prononcé du présent jugement, cessé de produire ses effets, de sorte que le tribunal n’est plus en mesure, au stade actuel de la procédure contentieuse, d’épuiser ses pouvoirs de réformation en faisant droit à la demande tendant à la libération du demandeur du Centre de rétention.

Au vu des considérations qui précèdent, le recours subsidiaire en réformation, ayant par 3ailleurs été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, est cependant recevable dans les limites précitées.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation.

A l’appui de son recours et après avoir cité la décision déférée, le demandeur estime que le ministre se serait basé sur des considérations erronées au mépris d'une analyse de sa situation personnelle.

En droit, le demandeur conclut, à titre principal, à l’annulation de la décision déférée, au motif que l’arrêté comportant une obligation de quitter le territoire assortie d'une interdiction de territoire de cinq années, datée du 18 août 2017, lui notifié à la même date et sur lequel l’arrêté de placement déféré se baserait, ne serait plus valide à ce jour.

En effet, l’interdiction de territoire, prévue par l’arrêté précité du 18 août 2017, aurait expiré le 18 août 2022, de sorte que cet arrêté serait à considérer comme nul et sans effet. Ainsi, la décision de placement en rétention déférée ne se baserait pas sur la mise en exécution d'une décision d'éloignement puisqu'aucune décision d’éloignement encore valide à ce jour n'aurait été rendue.

En tout état de cause, aucune démarche relative à l'exécution de cette mesure d'éloignement n'aurait été prise pendant près de six ans, de sorte que le délai raisonnable à l'exécution de cet arrêté aurait été largement dépassé. De plus, aucune démarche n’aurait raisonnablement pu être entamée afin de quitter volontairement le territoire luxembourgeois ni un recours effectif dirigé contre lesdites décisions, alors que le pays vers lequel le retour serait envisagé ne serait spécifié ni dans l'arrêté du 18 août 2017 ni d’ailleurs dans celui du 3 juillet 2023.

Le demandeur en conclut que l'arrêté déféré du 3 juillet 2023 serait à annuler alors qu'il se baserait sur une décision prescrite qui ne produirait plus aucun effet sinon pour laquelle le délai raisonnable serait dépassé.

A titre subsidiaire, le demandeur conclut à la réformation de la décision déférée.

Après avoir cité l’article 120 de la loi du 29 août 2008, le demandeur estime que le ministre aurait pu recourir à une mesure moins coercitive que le placement en rétention, alors qu’il aurait fait l'objet d'un contrôle judiciaire par le passé, auquel il se serait conformé.

Il estime dès lors qu’il aurait dû bénéficier d'un placement au Centre d'hébergement d'urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-…, respectivement qu’il aurait également pu se voir offrir la possibilité de procéder au dépôt d'une garantie financière, sinon se faire proposer la mise en place d'un système de placement sous surveillance électronique, possibilités que le ministre n’aurait cependant pas analysées.

Le demandeur fait également relever que le ministre n'aurait pas non plus motivé à suffisance l'existence d'un risque de fuite dans son chef.

Estimant qu’il présenterait des garanties suffisantes de représentation et qu’il remplirait les conditions préalables afin de bénéficier d'une mesure moins coercitive au sens de l'article 125 de la loi du 29 août 2008, le demandeur fait plaider que l'arrêté déféré serait 4disproportionné et relèverait d'un excès de pouvoir constituant une violation de ses libertés fondamentales, notamment sa liberté d'aller et de venir, par référence aux articles 12 de la Constitution et 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».

Le demandeur donne à considérer que la réalité du danger pour l'ordre public ou la sécurité publique qu’il aurait représenté aurait dû être analysée et réévaluée au vu de la période de temps écoulée depuis la décision de retour précitée, ce qui n’aurait pourtant pas été fait, alors que le ministre se serait contenté de ses référer à des « antécédents judiciaires », non autrement motivés.

Le demandeur fait relever à cet égard qu’il se serait trouvé sur le territoire luxembourgeois uniquement dans le cadre de l'exécution de son contrôle judiciaire, lequel l’aurait contraint à se présenter auprès des services de police luxembourgeois, puis, en vue de purger sa peine de prison, au cours de laquelle il n'aurait d’ailleurs fait l'objet d'aucune sanction disciplinaire.

Etant donnée qu’il se serait responsabilisé et qu’il aurait travaillé au sein du Centre pénitentiaire de Luxembourg, il ne représenterait nullement un risque pour l'ordre public luxembourgeois, de même qu’il aurait actuellement purgé sa peine, pris conscience de ses actes et qu'il n'aurait aucune intention de s'installer au Luxembourg de manière permanente.

Le demandeur conteste encore l'absence de documents d'identité et de voyage valable, alors qu’il serait muni « d'une demande de protection internationale déposée en France », simultanément à celle de sa compagne Madame …, procédure dans le cadre de laquelle il n’aurait pas encore été entendu en raison de son placement au Centre pénitentiaire du Luxembourg. Ainsi, la France serait toujours compétente pour l’entendre sur les motifs gisant à la base de sa demande de protection internationale.

Il donne également à considérer qu’au cours de sa détention, sa compagne aurait donné naissance à leur enfant commun, dénommé …, demeurant en France auprès de sa mère.

Il se serait également auparavant occupé du fils de sa compagne, dénommé …, de nationalité italienne, scolarisé en France à …, de sorte qu’au vu de ses attaches avec la France, ce serait cette dernière qui serait compétente pour connaître de sa demande de protection internationale, au vu des dispositions du règlement Dublin III.

Le demandeur en conclut également qu'au vu de ces considérations, il pourrait prétendre à un séjour en France pour la durée de l'analyse de sa demande de protection internationale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n’est pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, de manière que les moyens tenant à la validité formelle d’une décision doivent être examinés, dans une bonne logique juridique, avant ceux portant sur son caractère justifié au fond.

5En ce qui concerne d’abord le moyen du demandeur selon lequel le ministre n’aurait pas suffisamment motivé le risque de fuite dans son chef dans la décision déférée, force est de relever que, comme il n’existe aucun texte légal ou réglementaire exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une mesure de placement en rétention, sans demande expresse de l’intéressé, - l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, d’ailleurs non invoqué par le demandeur, n’étant pas applicable à une telle décision -, le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision déférée. Le moyen afférent doit dès lors être rejeté pour ne pas être fondé.

Aux termes de l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 (…), l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement (…) ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire. ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

6En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

En l’espèce, force est d’abord de relever, que Monsieur … se trouve toujours en séjour irrégulier au Luxembourg alors qu’il est constant en cause que le demandeur ne dispose ni d’un visa, ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail, de sorte qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « (…) Le risque de fuite est présumé dans le chef du ressortissant de pays tiers (…) s’il ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 (…) », un risque de fuite est présumé dans son chef.

Il ressort, dans ce contexte, du dossier administratif que le demandeur a d’ailleurs fait l’objet d’une décision de retour en date du 18 août 2017 comportant une interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois pour une durée de cinq ans.

C’est à tort que le demandeur estime que cette décision ne serait plus valable en raison du prétendu écoulement du délai de cinq ans, alors qu’au-delà du constat que le délai d’interdiction de territoire ne commence qu’à courir à partir de la sortie du territoire Schengen, tel que relevé à juste titre par le délégué du gouvernement par renvoi à un arrêt de la Cour de Justice de l'Union européenne du 26 juillet 2017, portant le numéro C-225/16, force est encore de relever que le constat de l’irrégularité du séjour est une décision indépendante de l’interdiction d’entrée sur le territoire, laquelle n’est partant pas liée au délai de cette dernière, de même qu’elle n’est pas affectée par le fait que l’ordre de quitter n’a pas encore été ou pu être exécuté. En tout état de cause, le demandeur reste en défaut d’établir que les constatations de la décision de retour du 18 août 2017 ne seraient plus valables, au-delà du constat que cette dernière n’a pas été attaquée en justice et ne fait pas l’objet du présent recours.

Etant donné qu’il ressort des considérations qui précèdent que l’interdiction d’entrée sur le territoire luxembourgeois est toujours valable, il est encore précisé que parmi les conditions posées par le précité article 34 de la loi du 29 août 2008 figure plus particulièrement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), point 3. de la disposition légale en question.

Ainsi, le tribunal constate que Monsieur … reste en défaut de soumettre au tribunal un quelconque élément de nature à renverser la présomption de risque de fuite existant dans son chef, par la fourniture d’éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite, étant relevé que l’attestation de demande d’asile, périmée en date du 29 décembre 2021, versée parmi les pièces invoquées à l’appui du recours, ne saurait être considérée comme un document d’identité et de voyage valable, outre le constat qu’elle renseigne d’ailleurs une identité différente de celle avec laquelle le demandeur se présente dans le cadre de la présente requête introductive d’instance.

De plus, il ressort du dossier administratif que la demande de protection internationale du demandeur a entretemps été rejetée par une décision du 30 novembre 2021, notifiée le 24 février 2022, de sorte qu’il n’est pas établi que le demandeur puisse actuellement faire valoir un droit de séjour en France.

7De plus, le souhait du demandeur de regagner la France afin de retrouver sa famille, est plutôt de nature à corroborer le risque de fuite dans son chef, lequel se définit comme le risque de se soustraire à sa mesure d’éloignement, soit en l’occurrence à la mainmise des autorités luxembourgeoises. Le risque de se soustraire à son éloignement est également conforté par le fait que le demandeur a utilisé plusieurs alias avec des pays d’origine différents.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement, de sorte que le moyen tenant à contester tout risque de fuite dans le chef du demandeur est à rejeter.

Pour les mêmes considérations, le tribunal est encore amené à rejeter le reproche du demandeur suivant lequel une mesure d’assignation à résidence aurait dû être appliquée en l’espèce.

A cet égard, le tribunal relève que l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, dispose que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

8 Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné. ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes.1 En l’espèce, le tribunal est amené, pour les mêmes considérations que celles retenues ci-avant, à retenir que le demandeur ne lui a pas soumis suffisamment d’éléments concluants permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.

En effet, il est constant en cause que le demandeur ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg ni d’une quelconque autre attache, la possibilité d’une assignation à la SHUK n’étant pas suffisant à cet égard, de sorte que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce, étant d’ailleurs relevé que le demandeur ne prétend pas remplir les conditions pour une des deux autres mesures moins coercitives y prévues, quand bien même il reproche au ministre de ne pas les lui avoir proposées.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’affirmation du demandeur selon laquelle il se serait, dans le passé, conformé à une mesure de contrôle judiciaire, ni par le fait qu’il estime ne plus constituer un danger pour l’ordre public en raison de son amendement et de sa fin de peine, alors que ces considérations laissent d’être pertinentes dans ce cadre limité à l’analyse des garanties de représentations actuelles.

Il s’ensuit que le moyen afférent tiré du caractère prétendument disproportionné de la mesure de placement litigieuse, encourt le rejet pour ne pas être fondé, sans que cette conclusion ne soit énervée par le renvoi à l’article 5 de la CEDH lequel prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Il en va de même des dispositions de l’article 12 de la Constitution, actuellement reprises par l’article 17, paragraphe (2) de la Constitution, dans sa version en vigueur depuis le 1er juillet 2023, selon lequel, « Nul ne peut être poursuivi, arrêté ou privé de sa liberté que dans les cas prévus et dans la forme déterminée par la loi. ».

S’agissant ensuite des démarches concrètement entreprises en l’espèce par le ministre 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 947 et les autres références y citées.

9pour organiser l’éloignement du demandeur, par ailleurs non mises en cause par ce dernier, force est de relever qu’en date du 10 juillet 2023, le ministre a contacté l'Ambassade du Nigeria aux fins d'identification du demandeur, laquelle a accepté, en date du 13 juillet 2023, d'effectuer un entretien d'identification virtuel, prévue initialement pour le 20 juillet 2023, mais refixé au 27 juillet 2023, suite à une relance du ministère du 20 juillet 2023. Au cours de cet entretien, le demandeur a affirmé qu'il serait originaire du Cameroun et que son passeport nigérian serait une copie falsifiée, de sorte que l'ambassade du Nigeria a indiqué que le demandeur ne serait pas de nationalité nigériane.

Il ressort d’une note au dossier du 27 juillet 2023 que l'officier de liaison européen a été contacté par les services du ministère afin de lancer le processus de recherches au niveau local au Nigeria.

Finalement, le ministre a, par un courrier du 28 juillet 2023, adressé une demande à l'ambassade du Cameroun aux fins de l'identification du demandeur.

Eu égard à ces éléments, le tribunal est amené à retenir qu’au moment où il statue, le dispositif d’éloignement est toujours en cours et poursuivi avec la diligence nécessaire pour procéder dans les meilleurs délais à l’éloignement de l’intéressé du territoire, de sorte que la mesure de placement n’est pas sujette à critique dans ce contexte.

Compte tenu de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence d’autres moyens, en ce compris des moyens à soulever d’office, la légalité et le bien-fondé de la décision déférée ne portent pas à critique.

Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours subsidiaire en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours principal en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 9 août 2023 par :

Olivier Poos, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, Benoît Hupperich, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Olivier Poos 10 Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 9 août 2023 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 49260
Date de la décision : 09/08/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 17/08/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-08-09;49260 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award