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26/07/2023 | LUXEMBOURG | N°49097

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 26 juillet 2023, 49097


Tribunal administratif N° 49097 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49097 Chambre de vacation Inscrit le 29 juin 2023 Audience publique de vacation du 26 juillet 2023 Recours formé par Monsieur … et consort, Luxembourg contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49097 du rôle et déposée le 29 juin 2023 au greffe du tribunal a

dministratif par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS SARL, établie et ayan...

Tribunal administratif N° 49097 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49097 Chambre de vacation Inscrit le 29 juin 2023 Audience publique de vacation du 26 juillet 2023 Recours formé par Monsieur … et consort, Luxembourg contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49097 du rôle et déposée le 29 juin 2023 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée WH AVOCATS SARL, établie et ayant son siège social à L-1630 Luxembourg, 46, rue Glesener, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B265326, représentée aux fins de la présente instance par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Burundi) et de Monsieur …, déclarant être né le … à …, alias …, tous les deux déclarant être de nationalité burundaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 juin 2023 de les transférer vers la Croatie, comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de leur demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 juillet 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport et Madame le délégué du gouvernement Danitza GREFFRATH en sa plaidoirie à l’audience publique de vacation du 26 juillet 2023.

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Le 25 octobre 2022, Monsieur … et son frère, Monsieur …, ci-après désignés par les « consorts … », introduisirent auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité, celle de son frère, ainsi que sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que les consorts … avaient auparavant introduit une demande de protection internationale en Croatie en date du 15 octobre 2022, après avoir franchi illégalement la frontière croate le 1même jour.

En date du 28 octobre 2022, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, ainsi que de celle de son frère, en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 11 novembre 2022, les autorités luxembourgeoises adressèrent aux autorités croates deux demandes d’information sur base de l’article 34 du règlement Dublin III concernant respectivement Monsieur … et son frère mineur à l’époque. Le 16 décembre 2022, lesdites autorités informèrent les autorités luxembourgeoises que les concernés avaient déclaré, lors de l’introduction de leur demande de protection internationale en Croatie, être unis par des liens familiaux.

Le 20 décembre 2022, les autorités luxembourgeoises adressèrent une demande de prise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, à leurs homologues croates, demande qui fut acceptée par ces derniers le 3 janvier 2023, sur base de l’article 20, paragraphe (5) du même règlement.

Toujours le 20 décembre 2022, les autorités luxembourgeoises s’adressèrent encore aux autorités croates en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 11, point (b) du règlement Dublin III, demande qui fut refusée par ces dernières le 20 février 2022.

En date du 28 février 2023, les autorités luxembourgeoises introduisirent une demande de réexamen de leur demande de reprise en charge de Monsieur … à leurs homologues croates, demande qui fut acceptée par ces derniers le 14 mars 2023, sur base de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III.

Par décision du 14 juin 2023, notifiée aux intéressés en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa les consorts … du fait que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de les transférer ensemble dans les meilleurs délais vers la Croatie sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 20 (5) du règlement Dublin III, ladite décision étant libellée comme suit :

« […] Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 25 octobre 2022 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l’article 20(5) du règlement (UE) 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférés vers la Croatie qui est l’Etat membre tenu de vous reprendre en charge.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies 2de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judicaire du 25 octobre 2022 et le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 28 octobre 2022.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale Monsieur …, en date du 25 octobre 2022, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration. Vous avez également introduit une demande de protection internationale pour le compte de votre frère Monsieur …, qui selon la date de naissance indiquée était encore mineur.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez tous les deux franchi irrégulièrement la frontière croate en date du 15 octobre 2022 et que vous avez introduit une demande de protection internationale en Croatie le même jour.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat membre responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 28 octobre 2022.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé pour vous, Monsieur …, une demande de reprise en charge aux autorités croates sur base de l’article 18(1) b du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités croates sur base de l’article 20(5) du règlement DIII.

Afin de garantir l’unité familiale, une demande de prise en charge basée sur l’article 11 (b) a été envoyée aux autorités croates pour Monsieur …. Cette demande a été refusée par les autorités croates, au motif que le lien familial entre vous deux n’est pas établi, et que vous, Monsieur …, avez été enregistré en tant que mineur non accompagné en Croatie.

Monsieur …, en date du 25 janvier 2023, vous êtes devenu majeur, et les autorités croates ont finalement accepté de vous reprendre en charge conformément à l’article 20(5) du règlement DIII.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est tenu d’achever le processus de détermination de l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

3 Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 20(5) du règlement DIII, l’Etat auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu — dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29, et en vue d’achever le processus de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale — de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre Etat membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre Etat membre pendant le processus de détermination de l’Etat membre responsable.

Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 22 mars 2023 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez tous les deux franchi irrégulièrement la frontière croate en date du 15 octobre 2022 et que vous avez introduit une demande de protection internationale en Croatie le même jour.

Selon vos déclarations, Monsieur …, vous auriez quitté le Burundi, accompagné de votre frère, en date du 2 octobre 2022. Vous vous seriez rendus en Ethiopie, où vous auriez pris un avion en direction de la Turquie, et ensuite la Serbie. Après deux jours en Serbie, des passeurs vous auraient aidés à vous rendre jusqu’en Croatie. En Croatie, la police vous aurait obligés à introduire une demande de protection internationale. Vous auriez quitté la Croatie après deux jours et vous vous seriez rendus au Luxembourg, en passant par la Slovénie, l’Italie et l’Allemagne.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 28 octobre 2022, vous avez indiqué que votre frère aurait des problèmes de sommeil. Cependant vous n’avez fourni aucun élément concret sur vos états de santé respectifs ou fait état d’autres problèmes susceptibles d’empêcher un transfert vers la Croatie qui est l’Etat tenu de vous reprendre en charge en vue d’achever le processus de détermination de l’Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur …, vous indiquez avoir quitté la Croatie parce que la langue croate serait difficile à apprendre.

Rappelons à cet égard que la Croatie est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la Croatie est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive 4Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la Croatie profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. Par conséquent, la Croatie est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Croatie sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires croates.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Croatie ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en Croatie revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Notons dans ce contexte que bien qu’il soit compréhensible que vous voudriez rejoindre votre sœur, qui réside ici au Luxembourg, il y a lieu de constater que vous êtes majeur d’âge et capable de vivre sans l’assistance d’un membre de famille. Ainsi, rien n’empêche votre transfert en Croatie.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait 5amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers la Croatie, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la Croatie, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau aptes à être transférés. Par ailleurs, si cela s’avère nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers la Croatie en informant les autorités croates conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités croates n’ont pas été constatées. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 29 juin 2023, Monsieur … et Monsieur … ont fait introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 14 juin 2023.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal est compétent pour statuer sur le recours en réformation introduit en l’espèce, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours, les demandeurs exposent les faits et rétroactes tel que retracés ci-avant, en expliquant, plus particulièrement, qu’ils seraient frères pour avoir la même mère. Cette dernière les aurait laissés à leur grand-père maternel en 2007 et n’aurait plus donné de nouvelles depuis. Leur grand-père aurait assumé la garde de Monsieur …, ensemble avec Monsieur …, lequel aurait toutefois été reconnu dès sa naissance par son père biologique, Monsieur….

Après avoir fui leur pays d’origine le 2 octobre 2022, il se seraient dans un premier temps rendus en Ethiopie, puis auraient pris un avion jusqu’en Turquie. A partir de là, ils auraient continué leur trajet jusqu’en Serbie, où ils seraient restés deux jours, avant de rejoindre la Croatie par bateau et à pied à l’aide de passeurs. En essayant de rejoindre Zagreb, ils auraient été interpellés par la police, qui les aurait obligés de donner leurs empreintes, d’introduire une demande de protection internationale et de signer des documents en langue croate, dont ils n’auraient pas saisi le sens compte tenu du fait qu’ils ne comprendraient pas cette langue. Ils auraient par la suite été séparés et auraient passé deux jours dans un garage sans fenêtre dans lequel il aurait fait froid et où ils se seraient régulièrement fait violenter.

Deux jours plus tard, la police serait venue les chercher avec une cinquantaine d’autres migrants, les auraient fait monter dans un camion et les auraient jetés dans un champ près d’une forêt en Bosnie. Ils auraient ensuite réessayé de rejoindre la Croatie, auraient été arrêtés à Cetingrad par la police, accompagnée de chiens, après plusieurs tirs de balles en l’air. A ce moment, la police leur aurait enjoint de quitter la Croatie et leur aurait indiqué où se trouverait la gare de Cetingrad. Ils auraient ainsi quitté la Croatie, auraient traversé la Slovénie, l’Italie et l’Allemagne pour arriver finalement au Luxembourg le 22 octobre 2022. Le 25 octobre 62022, ils auraient introduit leur demande de protection internationale, les demandeurs précisant encore que Monsieur … aurait confirmé souhaiter demander la tutelle pour son frère alors mineur.

En droit, les demandeurs, en se prévalant de l’article 13 de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 5 du règlement Dublin III, donnent à considérer que Monsieur …, aurait, du fait d’avoir acquis la majorité près de 6 mois avant la prise de la décision ministérielle litigeuse, eu le droit de faire valoir ses propres moyens étant donné que sa situation juridique aurait changé depuis l’introduction de sa demande de protection internationale en date du 25 octobre 2022. Or, il n’aurait à aucun moment bénéficié d’un entretien individuel.

En se basant sur l’article 21 du règlement Dublin III, ils font encore valoir que la demande de reprise en charge aurait dû intervenir au plus tard trois mois après l’introduction de leur demande de protection internationale. S’ils consentent que ce délai aurait bien été respecté en ce qui concerne Monsieur …, ils donnent toutefois à considérer que tel n’aurait pas été le cas pour Monsieur …. A cet égard, ils font valoir que suite au refus des autorités croates de reprise en charge de ce dernier, intervenu le 20 février 2023, une nouvelle demande de reprise en charge aurait dû leur être adressée dans un délai de 3 semaines, ce qui n’aurait cependant pas été le cas.

Ainsi, si la décision ministérielle fait mention d’une nouvelle demande de reprise en basée sur l’article 11, point (b) du règlement Dublin III pour Monsieur … jusque-là mineur, elle ne renseignerait toutefois aucun élément sur la date de ladite demande. En tout état de cause ce ne serait qu’après l’acquisition de la majorité du concerné que les autorités croates seraient revenues sur leur décision et auraient accepté de le reprendre en charge conformément à l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III. Ils en concluent que cette nouvelle demande de reprise en charge aurait été introduite hors délai, de sorte que la décision ministérielle litigieuse devrait encourir l’annulation. Les demandeurs ajoutent que dans la mesure où ladite décision ministérielle prétendrait que ce serait dans une optique de garantie de l’unité familiale que la demande de prise en charge basée sur l’article 11, point (b) du règlement Dublin III aurait été envoyée aux autorités croates pour Monsieur …, l’absence de transfert en Croatie de ce dernier devrait entraîner l’absence de transfert de ….

Dans un deuxième temps, les demandeurs concluent à une violation de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », et de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », en ce que la Croatie ne respecterait pas le principe de non-refoulement et l’interdiction de mauvais traitements.

A cet égard, après avoir cité l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », les demandeurs soutiennent avoir été eux-mêmes victimes de mauvais traitement en Croatie, tout en précisant que suite aux violences dont ils auraient été témoins, Monsieur … auraient de graves problèmes de sommeil. Ils ajoutent qu’ils auraient, à deux reprises, été refoulés à la frontière vers la Bosnie-Herzégovine et risqueraient un nouveau refoulement en cas de transfert, tout en précisant que de nombreux rapports témoigneraient de violations répétées du principe de non-refoulement par les autorités croates et de l’existence de défaillances systémiques en Croatie, les demandeurs se prévalant, à cet égard d’un rapport de l’« Asylum Information Database » (« AIDA ») mis à jour au 31 décembre 2021, intitulé « Country 7Report : Croatia », d’un article publié le 8 juillet 2022 sur le site internet « www.ecre.org », intitulé « Balkan Route: Systematic Pushbacks Continue Across the Balkans, Shortcomings in Croatia’s Monitoring Mechanism, Hungary Applies Double Standards in Approach to Arrivals », d’un rapport du Rapporteur spécial sur les droits de l’homme des migrants du 26 avril 2022, intitulé « Violations des droits de l’homme aux frontières internationales :

tendances, prévention et responsabilité », ainsi que d’un article de presse publié par « Die Wochenzeitung » le 22 décembre 2022, intitulé « Eine Kette der Verachtung ».

Ils ajoutent qu’il se dégagerait de nombreuses sources que la Croatie ne respecterait pas les principes posés par l’article 3 de la CEDH et l’article 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, alors que de nombreux faits avérés et répétés de violences policières à l’encontre de demandeurs de protection internationale en Croatie auraient pu être constatés, les demandeurs renvoyant, à cet égard, à une publication du Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du 3 décembre 2021, intitulée « Le Comité anti-

torture du Conseil de l’Europe publie le rapport sur la visite ad hoc effectuée en 2020 en Croatie.

Ils en déduisent qu’un transfert vers la Croatie les exposerait à un risque de subir des traitements inhumains et dégradants prohibés par l’article 3 de la CEDH et l’article 4 de la Charte.

Après avoir cité les articles 17, paragraphes (1) et (2) et 18 de la directive Accueil, les demandeurs reprochent au ministre de s’être retranché derrière le principe de confiance mutuelle afin d’établir que la Croatie respecterait ses obligations découlant de ladite directive sans avoir cherché à s’assurer qu’ils jouiraient pleinement de leurs droits en cas de transfert vers ce dernier pays. En se prévalant d’un article publié le 8 décembre 2022 sur le site internet « www.amnesty.org », intitulé « UE. Le placement en détention dans des sites non officiels est une « tactique délibérée » pour se soustraire aux regards », ainsi que d’un rapport du Conseil de l’Europe du 3 décembre 2021, intitulé « Report to the Croatian Government on the visit to Croatia carried out by the European Committee for the Prevention of Torture and Inhuman or Degrading Treatment or Punishment (CPT) from 10 to 14 August 2020 », ils soutiennent, dans ce contexte, qu’il aurait appartenu au ministre de chercher à obtenir de la part des autorités croates des garanties individuelles pour s’assurer qu’ils feraient l’objet d’une prise en charge appropriée à leur arrivée en Croatie, afin d’écarter un risque concret, dans leur chef, d’y être exposés à des traitements inhumains et dégradants, les demandeurs renvoyant, à cet égard, encore à l’arrêt Tarakhel c. Suisse de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-

après désignée par la « CourEDH », du 4 novembre 2014. En prenant encore appui sur les conclusions de l’arrêt Ibrahim, Sharqawi e.a. et Magamadov de la Cour de Justice de l’Union européenne, ci-après désignée par la « CJUE », du 19 mars 2019 ils donnent à considérer, en ce qui concerne le principe de confiance mutuelle que les Etats membres s’accorderaient, qu’il s’agirait d’une présomption réfragable.

En conclusion, les demandeurs font valoir que dans la mesure où leur transfert vers la Croatie les exposerait à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, les conditions d’application de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III seraient remplies en l’espèce, de sorte que la décision ministérielle déférée devrait encourir la réformation pour violation de cette dernière disposition, sinon pour erreur manifeste d’appréciation.

8A titre subsidiaire, les demandeurs soutiennent qu’il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III. A cet égard, ils renvoient, en substance, à leur argumentaire développé à l’appui du moyen tiré de la violation de l’article 33 de la Convention de Genève, de même que de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Il y a d’abord lieu de rappeler que le tribunal n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par les demandeurs, mais qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Ainsi, il appartient aux juridictions administratives de vérifier en premier lieu la légalité extrinsèque de l’acte leur déféré avant de se livrer, par le biais de l’examen de la légalité des motifs, au contrôle de la légalité intrinsèque dudit acte1.

a) Quant à la légalité externe de la décision litigieuse En ce qui concerne la violation alléguée de l’article 13 de la loi du 18 décembre 2015 aux termes duquel « « Avant que le ministre ne prenne une décision sur la recevabilité d’une demande de protection internationale, le demandeur est autorisé à exposer son point de vue concernant l’application des motifs visés à l’article 28, paragraphe (2) à sa situation particulière. A cette fin, et sans préjudice de l’entretien individuel prévu à l’article 5 du règlement UE n° 604/2013, un entretien personnel sur la recevabilité de la demande est mené par un agent du ministre, sauf l’exception prévue à l’article 32 dans le cas d’une demande ultérieure », il échet de constater que la décision ministérielle litigieuse est basée sur l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, ne traitant, contrairement à l’article 28, paragraphe (2) de la même loi, article expressément visé à la prédite disposition légale, pas des décisions d’irrecevabilité mais des décisions de transfert vers un Etat membre considéré comme responsable en vertu du règlement Dublin III. Il s’ensuit que les dispositions de l’article 13 de la loi du 18 décembre 2015, prescrivant un entretien individuel spécifique, en plus de l’entretien individuel prévu par le règlement Dublin III, au cas où le ministre envisage de prendre une décision d’irrecevabilité à l’encontre du demandeur de protection internationale, ne sont pas applicables au cas d’espèce2.

Quant à la violation alléguée de l’article 5 du règlement Dublin III relatif à l’audition du demandeur de protection internationale, celui-ci dispose en son paragraphe (1) ce qui suit :

« (1) Afin de faciliter le processus de détermination de l’État membre responsable, l’État membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l’article 4. ».

S’il est vrai que Monsieur … n’a pas personnellement fait l’objet d’un entretien Dublin III avant la prise de décision litigieuse, force est toutefois de constater qu’il ressort tant des explications circonstanciées de la partie étatique que des pièces figurant au dossier 1 Cour adm., 25 février 2014, n° 33593C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 19 et les autres références y citées.

2 Voir en ce sens Trib. adm. 15 juin 2016, n°37787 du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

9administratif et notamment d’une déclaration de Monsieur …, frère aîné du concerné, du 25 octobre 2022, qu’à cette même date, à savoir la date de l’introduction de leur demande de protection internationale, celui-ci a expressément déclaré être « le représentant et la personne responsable de l’enfant … ». Il en ressort encore qu’en date du 28 octobre 2022, Monsieur … a été auditionné, en application de l’article 5 du règlement Dublin III, par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale introduite par les deux frères, et que lors de ce même entretien, le concerné a non seulement détaillé sa propre situation mais également celle de son frère, les deux ayant en effet eu le même vécu depuis leur départ de leur pays origine pour avoir été restés ensemble pendant tout le trajet.

Si Monsieur … a certes acquis la majorité après le prédit entretien Dublin III du 28 octobre 2022 et avant la prise de la décision ministérielle litigieuse, il convient toutefois de constater, à l’instar du délégué du gouvernement, qu’aucun texte légal n’impose au ministre de procéder à l’entretien d’un demandeur de protection internationale devenu majeur après l’introduction de sa demande, les demandeurs restant d’ailleurs en défaut de soulever une telle disposition légale. A cela s’ajoute qu’il ne ressort ni du dossier administratif ni des développements des demandeurs que Monsieur … ou encore son mandataire auraient, à un moment ou un autre, sollicité l’organisation d’un nouvel entretien Dublin III. Par ailleurs, il échet de relever que si les demandeurs affirment certes que la situation juridique de Monsieur … aurait changé, compte tenu de sa majorité, ils restent toutefois en défaut de préciser en quoi la majorité du concerné aurait pu laisser conclure à une compétence du Luxembourg pour traiter la demande de protection internationale de celui-ci, étant à cet égard encore précisé que Monsieur … avait d’ores et déjà fourni les informations pertinentes pour déterminer l’Etat membre responsable de l’examen de leur demande de protection internationale.

Au vu de ce qui précède le moyen relatif à une prétendue violation de l’article 5 du règlement Dublin III laisse également d’être fondé.

Quant à la violation alléguée de l’article 21, paragraphe (1) du règlement Dublin III, il échet de rappeler que ledit article dispose que « « 1. L’Etat membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu’un autre Etat membre est responsable de l’examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l’introduction de la demande au sens de l’article 20, paragraphe 2, requérir cet autre Etat membre aux fins de prise en charge du demandeur. Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif («hit») Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l’article 14 du règlement (UE) no 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l’article 15, paragraphe 2, dudit règlement. Si la requête aux fins de prise en charge d’un demandeur n’est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéas, la responsabilité de l’examen de la demande de protection internationale incombe à l’Etat membre auprès duquel la demande a été introduite. […] ».

En l’espèce, il ressort du dossier administratif que les autorités luxembourgeoises se sont adressées le 20 décembre 2022 aux autorités croates afin de solliciter la reprise en charge de l’examen de la demande de protection internationale des demandeurs, soit endéans un délai de deux mois à compter de l’introduction, en date du 25 octobre 2022, de leur demande de protection internationale au Luxembourg. Il convient ensuite de relever qu’en date du 22 février 2023, les autorités croates ont informé leurs homologues luxembourgeois de leur refus de faire droit à cette demande en ce qui concerne Monsieur …. Suite à ce refus leur opposé, les 10autorités luxembourgeoises ont fait usage de la possibilité leur offerte par l’article 5 du règlement n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003 portant modalités d’application du règlement (CE) n° 343/2003 du Conseil établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présenté dans l’un des Etats membres par un ressortissant d’un pays tiers qui dispose que « […] 2. Lorsque l’État membre requérant estime que le refus qui lui est opposé repose sur une erreur d’appréciation ou lorsqu’il dispose d’éléments complémentaires à faire valoir, il lui est possible de solliciter un réexamen de sa requête. Cette faculté doit être exercée dans les trois semaines qui suivent la réception de la réponse négative. L’État membre requis s’efforce de répondre dans les deux semaines. […] », en adressant, en date du 28 février 2023, une demande de réexamen du dossier en question à leurs homologues croates. Il convient encore de relever que suite à cette demande de réexamen leur adressée, les autorités croates ont accepté la reprise en charge de Monsieur … et ce dans le délai de deux semaines prévu à l’article 5 précité, à savoir le 14 mars 2023.

Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, les délais prévus par le règlement Dublin III et le règlement (CE) n° 343/2003 prémentionné ont bien été respectés, de sorte que les contestations des demandeurs y relatives sont à rejeter pour ne pas être fondées.

b) Quant à la légalité interne de la décision litigieuse En vertu de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise, respectivement la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est, en l’espèce, basé pour conclure à la responsabilité des autorités croates, dispose que : « L’État membre auprès duquel la demande de protection internationale a été introduite pour la première fois est tenu, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, et en vue d’achever le processus de détermination de l’État membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale, de reprendre en charge le demandeur qui se trouve dans un autre État membre sans titre de séjour ou qui y introduit une demande de protection internationale après avoir retiré sa première demande présentée dans un autre État membre pendant le processus de détermination de l’État membre responsable.

Cette obligation cesse lorsque l’État membre auquel il est demandé d’achever le processus de détermination de l’État membre responsable peut établir que le demandeur a quitté entre-temps le territoire des États membres pendant une période d’au moins trois mois ou a obtenu un titre de séjour d’un autre État membre.

11 Toute demande introduite après la période d’absence visée au deuxième alinéa est considérée comme une nouvelle demande donnant lieu à une nouvelle procédure de détermination de l’État membre responsable.».

Il suit de cette disposition que l’Etat responsable du traitement de la demande de protection internationale est celui dans lequel le demandeur a introduit en premier une demande de protection internationale, malgré le fait que ladite demande soit par la suite considérée comme ayant été retirée, à moins qu’il soit établi que le demandeur a entretemps quitté le territoire des Etat membres pendant une période d’au moins trois mois ou a obtenu un titre de séjour d’un autre Etat membre.

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer les consorts … vers la Croatie et de ne pas examiner leur demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 20, paragraphe (5) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat tenu d’achever le processus de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen de la demande de protection internationale des consorts … serait la Croatie, en ce qu’ils avaient franchi irrégulièrement la frontière croate en date du 15 octobre 2022, qu’ils y ont introduit une demande de protection internationale à la même date et que les autorités croates ont accepté de les reprendre en charge en date des 3 janvier et 14 mars 2023, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de transférer les intéressés vers ledit Etat et de ne pas examiner leur demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Force est ensuite de constater que les demandeurs ne contestent pas la compétence de principe de la Croatie, respectivement l’incompétence de principe de l’Etat luxembourgeois pour procéder à l’examen de leur demande de protection internationale, mais invoquent l’existence, en Croatie, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III, ainsi que, de manière plus générale, le risque d’y subir des traitements inhumains et dégradants contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en cas de transfert, les demandeurs invoquant encore une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et de l’article 33 de la Convention de Genève.

A cet égard, le tribunal précise que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1), précité, du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

L’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III prévoit ce qui suit :

« Lorsqu’il est impossible de transférer un demandeur vers l’État membre initialement désigné comme responsable parce qu’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet 12État membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’État membre procédant à la détermination de l’État membre responsable poursuit l’examen des critères énoncés au chapitre III afin d’établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. ».

Force est au tribunal de constater que cette disposition impose à l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur d’asile de s’abstenir de transférer l’intéressé vers l’Etat membre initialement désigné comme responsable, en application des critères prévus par le règlement Dublin III, s’il y a de sérieuses raisons de croire qu’il existe dans cet Etat membre des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, corollaire de l’article 3 de la CEDH.

La situation visée par ledit article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III est celle de l’existence de défaillances systémiques empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers un Etat membre déterminé3.

A cet égard, le tribunal relève que la Croatie est tenue au respect, en tant que membre de l’Union européenne et signataire de ces conventions, des droits et libertés prévus par la CEDH, le Pacte international des droits civils et politiques ou la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, ainsi que du principe de non-refoulement prévu par la Convention de Genève, et dispose a priori d’un système de recours efficace contre les violations de ces droits et libertés. Il y a encore lieu de souligner, dans ce contexte, que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard4. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants5.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption – réfragable – que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées6.

3 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 92.

4 CJUE, 21 décembre 2011, affaires jointes C-411/10, N.S. c. Secretary of State for the Home Department et C-493/10, M.E. et al. c. Refugee Applications Commissioner Minister for Justice, Equality and Law Reform., point 78.

5 Ibidem, point. 79 ; voir également : trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur ww.jurad.etat.lu.

6 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

13Dans un arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile7, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal est également amené à souligner que le système Dublin III est basé sur l’hypothèse que tous les Etats membres de l’Union européenne sont des Etats de droit dans lesquels les demandeurs de protection internationale peuvent faire valoir leurs droits et requérir l’aide des organes étatiques, notamment judiciaires, au cas où ils estiment que leurs droits ont été lésés. S’il est exact qu’il est admis qu’une acceptation de prise en charge par un Etat membre peut être remise en cause par un demandeur de protection internationale lorsqu’il existe des défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale dans cet Etat membre, il n’en reste pas moins que suivant la jurisprudence des juridictions administratives8, reposant elle-même sur un arrêt de la CJUE9, des défaillances systémiques au sens de l’article 3, précité, requièrent, pour être de nature à s’opposer à un transfert, d’être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 4 de la Charte. Telle est encore la conclusion à laquelle arrive la CJUE dans son arrêt, précité, du 16 février 201710.

Quant à la preuve à rapporter par les demandeurs, il se dégage d’un arrêt de la CJUE du 19 mars 201911 que pour relever de l’article 4 de la Charte, auquel l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2, précité, du règlement Dublin III renvoie, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, au sens dudit règlement, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine12. Ledit seuil ne saurait donc couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant13.

En l’espèce, s’il ressort certes des documents invoqués par les demandeurs, tels qu’énumérés ci-avant, que les autorités croates connaissent de sérieux problèmes quant à leur politique actuelle d’asile, dans la mesure où il y est fait référence à la situation de certains demandeurs de protection internationale qui n’ont pas eu accès à la procédure d’asile, qui ont fait l’objet de « pushbacks » à la frontière croate et qui ont été victimes d’actes de violence de la part des forces de l’ordre, respectivement de privation de liberté dans des lieux de détention 7 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pt. 95.

8 Trib. adm., 26 avril 2016, n° 37591, disponible sur: www.jurad.etat.lu.

9 CJUE, 10 décembre 2013, C-394/12, Shamso Abdullahi c. Bundesasylamt, point 62.

10 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16.

11 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.

12 Ibid., pt. 92.

13 Ibid., pt. 93.

14non officiels, force est toutefois de constater que les actes y décrits concernent essentiellement des migrants interceptés après avoir traversé la frontière entre la Bosnie-Herzégovine et la Croatie, respectivement la frontière entre la Serbie et la Croatie, ce qui n’est pas une situation dans laquelle les demandeurs risqueront de se retrouver en cas d’exécution de la décision déférée, étant donné qu’ils feront l’objet d’un transfert dans le cadre du règlement Dublin III, suite à l’acceptation expresse de leur prise en charge par les autorités croates.

A cet égard, le tribunal relève qu’il ressort du susdit rapport de l’AIDA qu’en principe, les personnes transférées vers la Croatie dans le cadre du règlement Dublin III n’y rencontrent pas d’obstacles pour accéder tant à la procédure d’asile qu’au système d’accueil et aux conditions matérielles d’accueil14.

En tout état de cause et même si certaines des pratiques des autorités croates relatées dans les pièces versées en cause sont condamnables, il n’en reste pas moins qu’au regard du seuil de gravité fixé par la CJUE, ces mêmes pièces ne sont pas suffisantes pour permettre de retenir de manière générale l’existence de défaillances systémiques en Croatie, à savoir que les conditions matérielles d’accueil des demandeurs de protection internationale y seraient caractérisées par des carences structurelles d’une ampleur telle qu’il y aurait lieu de conclure d’emblée, et quelles que soient les circonstances du cas d’espèce, à l’existence de risques suffisamment réels et concrets, pour l’ensemble des demandeurs de protection internationale, indépendamment de leur situation personnelle, d’être systématiquement exposés à une situation de dénuement matériel extrême, qui ne leur permettrait pas de faire face à leurs besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à leur santé physique ou mentale ou les mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine, au point que leur transfert dans ce pays constituerait en règle générale un traitement prohibé par l’article 4 de la Charte, respectivement par l’article 3 de la CEDH.

Par ailleurs, le tribunal relève que les demandeurs n’invoquent aucune jurisprudence de la CourEDH relative à une suspension générale des transferts vers la Croatie, voire une demande en ce sens de la part de l’UNHCR. Ils ne font pas non plus état de l’existence d’un rapport ou avis émanant de l’UNHCR, ou d’autres institutions ou organismes internationaux, interdisant ou recommandant l’arrêt des transferts vers la Croatie de ressortissants burundais dans le cadre du règlement Dublin III en raison plus particulièrement de la politique d’asile croate qui les exposerait à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la CEDH et de l’article 4 de la Charte.

Au vu des considérations qui précèdent, le tribunal conclut que les demandeurs n’ont pas rapporté la preuve de l’existence, en Croatie, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, qui entraîneraient un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, empêchant tout transfert de demandeurs d’asile vers ce pays.

Cependant, si les Etats membres sont dans l’obligation d’appliquer les règlements européens, il ressort de la jurisprudence de la CourEDH que, dans certains cas, il ne peut être exclu que l’application des règles prescrites par le règlement Dublin III puisse entraîner un risque de violation de l’article 3 de la CEDH, corollaire de l’article 4 de la Charte, la présomption selon laquelle les Etats participants respectent les droits fondamentaux prévus 14 AIDA, « Country Report : Croatia », publié le 31 décembre 2021, p. 52.

15par la CEDH n’étant en effet pas irréfragable15.

Dans ce contexte, la CJUE a suivi le raisonnement de la CourEDH en décidant que, même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur d’asile dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert entraîne un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de l’article 4 de la Charte16, et qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant17.

En l’espèce, si, au cours de l’entretien Dublin III, Monsieur … a expliqué que lui et son frère auraient été placé dans un centre fermé pendant deux jours par les autorités croates, qu’ils auraient été forcés de donner leurs empreintes et de signer des documents sans la présence d’un interprète et sans autres explications quant à la finalité de ces démarches, et que lui-même aurait en outre reçu un coup de pied de la part d’un policier, force est néanmoins de constater que ces actes certes fortement condamnables ne revêtent cependant pas un degré de gravité tel qu’ils seraient à qualifier de traitements inhumains ou dégradants, au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, Monsieur … ayant lui-même précisé qu’il n’a pas subi de blessures et que ce n’était « rien de grave »18.

Les demandeurs n’ont pas non plus avancé ni lors de l’entretien Dublin III ni dans le recours sous analyse des éléments suffisamment concrets et plausibles tenant à leur situation personnelle de nature à démontrer qu’en cas de transfert, ils seraient personnellement exposés au risque que leurs besoins existentiels minimaux ne soient pas satisfaits et ce, de manière durable, sans perspective d’amélioration, au point qu’il aurait fallu renoncer à leur transfert ou bien demander des garanties individuelles auprès des autorités croates avant de les transférer.

En outre, le tribunal relève qu’il ne se dégage de toute façon d’aucun élément tangible soumis à son appréciation que, de manière générale, les demandeurs de protection internationale en Croatie n’auraient aucun accès à des traitements médicaux en cas de besoin.

Outre le fait qu’ils n’ont, ainsi, pas établi que, dans leur cas précis, leurs droits ne seraient pas garantis en cas de retour en Croatie, ils n’ont pas non plus prouvé que, de manière générale, les droits des demandeurs ou des bénéficiaires d’une protection internationale en Croatie ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés, ou encore que ceux-

ci n’auraient en Croatie aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités croates en usant des voies de droit adéquates19.

15 CEDH, grande chambre, 4 novembre 2014, Tarakhel c. Suisse, n° 29217/12 ; CEDH, grande chambre, 21 janvier 2011, M.S.S. c. Belgique et Grèce, n° 30696/09.

16 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 65 et 96.

17 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, point 88.

18 Page 6 du rapport d’entretien Dublin III du 28 octobre 2022.

19 Voir, pour les demandeurs de protection internationale : article 26 de la directive n°2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale.

16Il convient, par ailleurs, de souligner que si les demandeurs devaient estimer que le système d’aide croate est à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il leur appartiendrait de faire valoir leurs droits directement auprès des autorités croates en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates. Il en va de même si les demandeurs devaient estimer que le système d’accueil croate ne serait pas conforme aux normes européennes, de sorte qu’il ne saurait être reproché à l’autorité ministérielle de ne pas avoir sollicité des autorités croates des garanties individuelles.

Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que compte tenu de leur situation personnelle, les demandeurs seraient exposés à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de transfert en Croatie, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.

Il suit des considérations qui précèdent que l’argumentation des demandeurs ayant trait à l’existence, dans leur chef, d’un risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens des 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de transfert vers la Croatie, est à rejeter dans son ensemble.

Quant au principe de non-refoulement dont les demandeurs se prévalent encore, le tribunal constate tout d’abord que la décision déférée n’implique pas un retour vers le pays d’origine des demandeurs, mais désigne uniquement l’Etat membre responsable pour le traitement de leur demande de protection internationale, étant souligné que ledit Etat membre, en l’occurrence la Croatie, a reconnu être compétent pour prendre les demandeurs en charge.

Le tribunal relève ensuite que les demandeurs restent en défaut d’étayer concrètement l’existence, dans leur chef, d’un risque d’être renvoyé arbitrairement dans leur pays d’origine par les autorités croates.

En effet, les demandeurs ne fournissent pas d’éléments de nature à démontrer que la Croatie ne respecterait pas le principe de non-refoulement à leur égard et faillirait dès lors à ses obligations internationales en les renvoyant dans un pays où leur vie, leur intégrité physique ou leur liberté seraient sérieusement en danger ou encore qu’ils risqueraient d’être forcés de se rendre dans un tel pays. Le fait qu’aux termes des pièces versées en cause, les autorités croates aient eu recours à des « pushbacks » de migrants interceptés après avoir traversé illégalement la frontière entre la Bosnie-Herzégovine et la Croatie, respectivement la frontière entre la Serbie et la Croatie, est insuffisant à cet égard, les demandeurs étant placés dans une situation différente de celle de ces migrants, en cas d’exécution de la décision déférée, en ce qu’ils feront l’objet d’un transfert dans le cadre du règlement Dublin III, tel que relevé ci-avant.

Pour être tout à fait complet, et en ce qui concerne l’article publié par « Die Wochenzeitung » le 22 décembre 2022, intitulé « Eine Kette der Verachtung » dont se prévalent les demandeurs, il y a encore lieu de relever que le tribunal fédéral suisse a retenu, à cet égard, dans un jugement du 1er février 2023, que « ln der Beschwerde werden des Weiteren die sogenannten Push-backs thematisiert. Wegen dieser Ereignisse sieht sich Kroatien schon seit geraumer Zeit mit Vorwürfen konfrontiert. Wie in der angefochtenen 17Verfügung ausführlich und zutreffend festgestellt wird (vgl. dort S. 4 f.), stehen solche Ereignisse indessen offensichtlich in Zusammenhang mit illegalen Einreisen nach Kroatien unter anderem von Bosnien und Herzegowina aus. Sie betreffen demnach die Aussengrenzen Kroatiens zu seinen Nachbarstaaten und die Frage des Zugangs zum Asylverfahren respektive die Möglichkeit, in Kroatien durch die Asylgesuchstellung ein Asylverfahren D-441/2023 Seite 9 einzuleiten. Damit ist aber nichts zur vorliegend interessierenden Situation der Rückkehr nach Kroatien nach einer Asylantragstellung gesagt. Bei einer Rücküberstellung nach Kroatien wird der Beschwerdeführer auf legalem Weg in die Hauptstadt Zagreb überstellt. Die Vorinstanz hat eine Einzelfallprüfung vorgenommen und ist unter Verweis auf Abklärungen durch die Schweizer Botschaft in Kroatien zu Recht zum Schluss gekommen, dass Personen, welche im Rahmen eines Dublin-Verfahrens nach Kroatien — als für die Asylgesuchprüfung zuständigen Mitgliedstaat — zurückgeführt werden, nicht von der problematischen Push-back-Praxis betroffen sind (vgl. Urteile des BVGer D-5978/2022 vom 18. Januar 2023 E. 6.1.3, E-5984/2022 vom 3. Januar 2023 E. 7.4, E-5787/2022 vom 19.

Dezember 2022 E. 7.4 m.w.H.). Der in der Beschwerde angeführte Bericht der Wochenzeitung (WOZ) vom 22. Dezember 2022 ("Eine Kette der Verachtung") beziehungsweise ein in diesem enthaltenes Zitat einer Aktivistin des (…) ist nicht geeignet, Zweifel an der Ernsthaftigkeit der durch das SEM durchgeführten Abklärungen zur Situation von Dublin-Rückkehrenden nach Kroatien aufkommen zu lassen. », ledit article n’étant ainsi pas de nature à invalider les conclusions retenues ci-avant.

Par ailleurs, il ne se dégage pas des éléments produits par les demandeurs que si les autorités croates devaient néanmoins décider de les rapatrier en violation des articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève, alors même qu’ils seraient exposés dans leur pays d’origine à un risque concret et grave pour leur vie, il ne leur serait pas possible de faire valoir leurs droits directement auprès des autorités croates en usant des voies de droit adéquates.

Il ne ressort dès lors pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que le transfert des demandeurs vers la Croatie les exposerait à un retour forcé au Burundi, qui serait contraire au principe de non-refoulement ancré dans l’article 33 de la Convention de Genève ou découlant des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Au vu des considérations qui précèdent, il n’est pas établi que compte tenu de leur situation personnelle, les demandeurs seraient exposés à un risque réel de subir des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de transfert en Croatie, nonobstant le constat fait ci-avant de l’absence, dans ce pays, de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs, au sens de l’article 3, paragraphe (2) du règlement Dublin III.

Ainsi, l’argumentation des demandeurs ayant trait à l’existence, dans leur chef, d’un risque de subir des traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte, en cas de transfert vers la Croatie, est à rejeter dans son ensemble.

Quant au moyen tiré d’une violation de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, au motif de la non-application de la clause discrétionnaire y inscrite, il y a lieu de relever que ledit article prévoit ce qui suit : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. […] ».

18 A cet égard, le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres20, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans l’arrêt, précité, de la CJUE du 16 février 201721.

Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge22, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration23.

En l’espèce, les demandeurs concluent à une violation de l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III, en renvoyant, en substance, à leur argumentaire développé à l’appui de leur moyen tiré de la violation des articles 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, ensemble les articles 3 de la CEDH, 4 de la Charte et 33 de la Convention de Genève.

Or, cet argumentaire vient d’être rejeté ci-avant, le tribunal ayant plus particulièrement retenu qu’un transfert des demandeurs en Croatie (i) n’est pas de nature à les exposer à un risque réel de subir des traitements inhumains et dégradants, alors que, d’une part, la preuve de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale, au sens de l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, n’a pas été rapportée en l’espèce et, d’autre part, les demandeurs n’ont pas non plus établi que compte tenu de leur situation personnelle, un transfert en Croatie les exposerait à un tel risque, nonobstant le constat de l’absence de défaillances systémiques, au sens de cette dernière disposition du règlement Dublin III, et (ii) ne les exposerait pas à un retour forcé au Burundi en violation du principe de non-refoulement.

Dans ces circonstances et en l’absence d’autres éléments, le tribunal conclut qu’il n’est pas établi que le ministre se serait mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, en ne faisant pas usage de la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), précité, du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent encourt le rejet.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours en réformation est à rejeter pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, 20 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

21 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, pts. 88 et 97.

22 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 58 et les autres références y citées.

23 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citées.

19le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 26 juillet 2023 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Alexandra Bochet, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, en présence du greffier Marc Warken s.Marc Warken s.Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 26 juillet 2023 Le greffier du tribunal administratif 20


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 49097
Date de la décision : 26/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/08/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-07-26;49097 ?

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