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20/07/2023 | LUXEMBOURG | N°48217

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 juillet 2023, 48217


Tribunal administratif N° 48217 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48217 2e chambre Inscrit le 28 novembre 2022 Audience publique extraordinaire du 20 juillet 2023 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48217 du rôle et déposée le 28 novembre 2022 au greffe du tribunal admi

nistratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ord...

Tribunal administratif N° 48217 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48217 2e chambre Inscrit le 28 novembre 2022 Audience publique extraordinaire du 20 juillet 2023 Recours formé par Monsieur …, alias …, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48217 du rôle et déposée le 28 novembre 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Afghanistan), alias …, né le …, de nationalité afghane, demeurant à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 4 novembre 2022 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale, ainsi qu’à la réformation de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 30 janvier 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ardavan Fatholahzadeh et Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 mars 2023.

Le 15 janvier 2020, Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-ducale, section criminalité organisée / police des étrangers, dans un rapport du même jour.

En date du 8 avril 2021, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Le 23 décembre 2021, un entretien complémentaire fut mené par un agent du ministère, suite à la prise de pouvoir des talibans dans le pays d’origine de Monsieur ….

1 Par décision du 4 novembre 2022, notifiée à l’intéressé par lettre recommandée expédiée 9 novembre 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de 30 jours.

Ladite décision est libellée comme suit :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 15 janvier 2020 sur base de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 »).

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à votre demande pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant à vos déclarations En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 15 janvier 2020, le rapport d’entretien Dublin III du 15 janvier 2020, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 8 avril 2021 et le rapport d’entretien complémentaire du 23 décembre 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale.

Avant tout progrès en cause, il convient de noter que vous avez introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 2 septembre 2019, sous une autre identité à savoir celle d’…, né le … alors qu’au Luxembourg vous déclarez vous nommer … et être né le …. Vous avez quitté la Grèce, en direction du Luxembourg, sans avoir attendu la réponse des autorités grecques à votre demande de protection internationale et vous expliquez que « Je n’ai pas demandé l’asile. Ils m’ont juste forcé de donner mes empreintes digitales & m’ont dit après que je pouvais partir » (p.3/5 de votre rapport d’entretien Dublin III). Avant d’arriver au Luxembourg, vous seriez passé par l’Italie et la France, sans toutefois y introduire une demande de protection internationale.

Monsieur, vous déclarez être de nationalité afghane, d’ethnie Hazara, ne pas avoir de religion et avoir vécu à …, un petit village de 150 maisons, situé dans le district … dans la province de …. Vous indiquez que vos parents et votre fratrie auraient continué à vivre à … jusqu’à la prise de pouvoir par les Taliban en août 2021, ville qu’ils auraient quitté pour Kaboul après que leur maison ait été brulée.

Concernant vos craintes en cas de retour en Afghanistan, vous racontez que vous auriez peur d’être tué par les habitants de votre village, étant donné que vous auriez vendu de l’alcool.

Vous expliquez que deux mois avant votre départ de votre pays d’origine, vous auriez ouvert une épicerie et que vous y auriez vendu de l’alcool en cachette. Toutefois, les barbes blanches et l’imam de la mosquée vous auraient soupçonné de vendre de l’alcool et vous auraient, à plusieurs reprises, averti que vous seriez lapidé s’ils trouvaient de l’alcool dans votre magasin.

Un jour, six personnes du village seraient venues fouiller votre magasin et auraient trouvé votre stock d’alcool. Elles l’auraient confisqué et auraient brûlé tout le reste de vos marchandises en disant qu’elles seraient « haram ». Vous précisez que ces personnes vous 2 auraient également frappé, vous auraient donné des coups de couteau et vous auraient fait monter sur une moto, afin de vous emmener chez les barbes blanches.

Vous mentionnez que, lorsque vous seriez passé devant votre maison avec la moto, vous auriez décidé de faire tomber le conducteur de la moto en lui cachant les yeux. Vous auriez alors sauté de la moto, et vous vous seriez réfugié dans votre maison. Les autres cinq personnes se seraient directement arrêtées et auraient voulu casser la porte d’entrée de votre maison.

Afin de vous protéger et de repousser les personnes, vous les auriez menacées avec une kalachnikov que vous auriez gardée à la maison. D’autres personnes auraient été attirées par l’agitation et vous affirmez qu’il y aurait finalement eu un rassemblement de 50 à 70 personnes devant votre maison. Les personnes seraient restées devant votre maison jusqu’à la tombée de la nuit et lorsqu’elles seraient parties, vous vous seriez enfui vers la montagne, dans le quartier de …, où vous seriez resté durant trois nuits auprès d’une connaissance.

Vous continuez vos dires en indiquant qu’après ces trois jours, vous seriez retourné à la maison. Vos parents vous auraient alors informé que le lendemain de votre fuite, votre père et votre frère auraient dû accompagner les agents de police au poste de police où ils auraient été interrogés à votre sujet. Vous précisez que votre frère aurait été détenu durant plusieurs jours dans le but de l’empêcher de vous aider à vous échapper.

Vous ajoutez encore que les barbes blanches auraient ordonné aux habitants de vous tuer. Ainsi, vous auriez décidé de quitter définitivement l’Afghanistan.

Vous précisez encore que vous n’auriez pas pu demander une protection aux autorités afghanes, étant donné qu’elles seraient également à votre recherche du fait que vous auriez vendu de l’alcool ce qui serait interdit par la loi, et puisque vous auriez menacé les habitants avec une arme, qui en plus n’aurait pas été enregistrée.

En outre, Monsieur, vous ajoutez également que chaque année des nomades viendraient dans votre village et menaceraient les habitants alors que ces derniers ne les laisseraient pas entrer dans le village avec leurs animaux. Vous faites référence à un incident survenu il y a sept ans, lors duquel les nomades auraient brûlé des maisons et tué trois personnes du quartier.

Enfin, il convient de souligner que lors de votre entretien complémentaire, vous indiquez ne jamais avoir eu de problèmes avec les Taliban et que la prise de pouvoir par les Taliban ne changerait rien à votre situation. Toutefois, plus tard lors de ce même entretien, vous précisez que vous ne pourriez plus retourner vivre en Afghanistan du fait que vous ne pratiqueriez pas la religion, que vous auriez vendu de l’alcool et que les Taliban seraient partout maintenant, sans toutefois donner plus de précisions à ce sujet.

Vous ne présentez aucun document à l’appui de votre demande de protection internationale et vous affirmez que vous n’auriez jamais eu de passeport et que vous auriez perdu votre carte d’identité sur la route.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

3  Quant à la crédibilité de votre récit Soulevons avant tout autre développement que la sincérité de vos propos et par conséquent la gravité de votre situation dans votre pays d’origine doivent être réfutées au vu de vos déclarations manifestement invraisemblables, incohérentes et contradictoires, de votre comportement adopté en Europe et du fait que vous n’êtes pas en mesure de prouver vos allégations par la moindre pièce.

En effet, il s’agit dans un premier temps de constater que vous n’avez versé aucune pièce à l’appui de vos dires et que vous ne semblez à aucun moment lors de votre séjour en Europe avoir eu le réflexe ou l’envie de vous procurer une quelconque preuve qui permettrait d’appuyer vos dires, respectivement de vous faire envoyer ces documents. Or, notons qu’on peut attendre d’un demandeur de protection internationale réellement persécuté respectivement à risque de subir des atteintes graves, qu’il mette au moins tout en œuvre pour prouver ses dires auprès des autorités desquelles il demande une protection, ce qui n’a manifestement pas été votre cas de sorte que l’ensemble de vos déclarations reste au stade de pures allégations.

En effet depuis votre arrivée en Europe en 2019, respectivement au Luxembourg en 2020, vous êtes resté totalement inactive dans ce domaine, en ne jugeant à aucun moment opportun de corroborer la moindre partie de vos dires, par des pièces, ne serait-ce par un acte de propriété de votre épicerie, le mandat d’arrêt de la police, qui aurait été à votre recherche, ou même encore l’ordonnance des barbes blanches de vous tuer, qui seraient en mesure d’établir vos allégations notamment concernant le fait que vous auriez détenu une épicerie, que vous auriez vendu de l’alcool ou que les habitants du village auraient déposé une plainte contre vous, Or, notons qu’on est en droit d’attendre d’un demandeur de protection internationale réellement en danger qu’il mette au moins tout en œuvre pour prouver ses dires auprès des autorités desquelles il demande une protection, ce qui n’a manifestement pas été votre cas bien au contraire.

Avant tout autre développement on constate que mentez de manière ostentatoire depuis votre arrivée en Europe sur des éléments essentiels à savoir votre identité. En effet, il ressort de votre dossier qu’avant d’introduire une demande de protection internationale au Luxembourg, vous étiez demandeur de protection internationale en Grèce, sous une autre identité à savoir celle d’…, né le … au lieu de celle d’ …, né le …. En ce qui concerne d’éventuels documents d’identité, vous indiquez ne jamais avoir possédé de passeport et d’avoir perdu votre carte d’identité en mer entre la Turquie et la Grèce. Vous précisez que vous auriez eu une copie de votre carte d’identité sur votre téléphone portable, celle-ci aurait été effacée par la police grecque. Cela n’est tout à fait inacceptable, étant donné qu’il n’y a aucune raison pour que les autorités grecques effacent les photos d’une pièce d’identité de votre téléphone portable, et que vous nous renseignez ensuite que vous n’avez présenté aucun document pour prouver votre identité auxdites autorités, d’autant plus que pour l’analyse d’une demande de protection internationale, il serait justement dans l’intérêt des autorités d’établir votre identité. Il convient de conclure que vos explications censées justifier l’absence de toute pièce d’identité ne sont pas crédibles et que vous ne jouez pas franc jeu avec les autorités auxquelles vous demandez une protection internationale.

4 Il y a en outre lieu de mettre en valeur le comportement que vous avez décidé d’adopter depuis votre arrivée en Europe. En effet, rappelons qu’après avoir introduit une demande de protection internationale en Grèce, vous auriez décidé de voyager à travers l’Italie et la France, sans y rechercher de protection, pour gagner le Luxembourg. Or, notons qu’on peut évidemment attendre d’une personne réellement à risque dans son pays d’origine et réellement à la recherche d’une protection internationale, qu’elle introduise sa demande dans le premier pays sûr rencontré, qu’elle ne traverse pas plusieurs pays sûrs sans y rechercher une forme de protection quelconque. Un tel comportement fait preuve d’un désintérêt évident par rapport à la procédure d’asile et n’est évidemment pas celui d’une personne réellement en danger et réellement à la recherche d’une protection, alors qu’on devrait du moins pouvoir attendre d’une telle personne qu’elle joue franc jeu et qu’elle n’essaye pas d’induire en erreur les autorités, quant à son identité, desquelles elle attend se voir offrir une protection internationale. En effet, il saute aux yeux que vous ne semblez avoir aucune envie de collaborer avec les autorités desquelles vous demandez une protection internationale, ne serait-ce que pour pouvoir corroborer les éléments les plus basiques de votre demande de protection internationale, en commençant par votre identité et votre âge. Un tel comportement est inacceptable et prouve de manière non équivoque que le but poursuivi n’est pas l’obtention d’une protection internationale en raison d’une crainte fondée de persécution respectivement de subir des atteintes graves. Il est en effet incompréhensible pourquoi vous vous comportez de la sorte depuis votre arrivée en Europe. Le seul fait qui est réellement établi est que votre comportement n’est pas celui d’une personne en danger qui serait contente et soulagée de pouvoir poser ses bagages dans un pays d’accueil sûr dans lequel elle pourrait reprendre le cours de sa vie, apprendre un métier et retrouver une certaine sérénité et une perspective d’avenir.

En ce qui concerne votre récit il convient de souligner qu’il est truffé d’invraisemblances et d’éléments rocambolesques qui le rendent parfaitement non crédible.

En effet, vous expliquez que vous auriez été menacé par les habitants de votre village qui auraient trouvé des boissons alcoolisées dans votre épicerie, qui vous auraient frappé sur la tête, qui vous auraient donné des coups de couteaux, et qui vous auraient emmené avec leurs motos afin de vous livrer aux barbes blanches. Vous relatez que vous seriez passés devant votre maison avec les motos, et que vous auriez alors tenté votre chance pour leur échapper en aveuglant le conducteur de la moto ce qui aurait entrainé votre chute. Vous auriez réussi à sauter de la moto, à courir vers votre maison et à vous enfermer dans celle-ci sans qu’aucune des personnes sur les motos derrière vous aurait pu réagir ou vous arrêter.

Il y a lieu de conclure que votre récit concernant votre prétendue fuite est manifestement inventé de toutes pièces.

En effet, votre récit concernant cette prétendue fuite totalement rocambolesque est tout bonnement dénué de sens. Entre le hasard d’être amené sur une moto qui passe devant votre maison, le fait d’aveugler le chauffeur, le fait de tomber d’une moto qui roule à vive allure et de ne pas vous blesser en faisant tomber une moto lancée à toutes vitesse, de réussir à vous lever à retrouver vos esprits, de ne pas vous faire attraper par le chauffeur ou les nombreuses personnes du convoi qui vous suivaient à moto, de réussir à rejoindre votre maison, de vous y barricader, le tout avec des blessures de coups de couteaux au niveau de la poitrine, le fait que ces personnes après avoir patienté sans réussir à rentrer seraient tout simplement reparties, le fait que vous ayez pu quitter votre logement puis y revenir plusieurs jours plus tard, et le fait 5 que vous n’auriez jamais fait soigner les blessures des coups de couteaux, il convient de constater que cela ressemble plutôt à un scénario mal ficelé qu’à un réel vécu.

A cela s’ajoute que vous mettez en avant que les habitants auraient essayé de casser votre porte d’entrée, mais que vous auriez sorti votre kalachnikov et que vous auriez menacé de tirer si les habitants se rapprochaient de la maison. Vous précisez qu’il y aurait eu 50 à 70 personnes devant votre maison qui auraient voulu vous tuer. Toutefois, étant donné que vous indiquez que tous les habitants auraient des armes, et qu’ils auraient voulu vous tuer il est tout bonnement incroyable, que 70 personnes potentiellement armées se seraient laissées arrêter par une seule personne. Il est encore plus invraisemblable qu’à la tombée de la nuit, les personnes vous auraient laissé sans surveillance, que vous auriez pu vous enfuir, qu’après trois jours vous auriez pu retourner à la maison, et puis repartir sans être inquiété, alors que tous les habitants du village ainsi que la police, les barbes blanches et l’imam auraient été à votre recherche.

Il convient encore de soulever que vous indiquez ne pas connaître le nom de la bière que vous auriez prétendument vendue, en justifiant cela par le fait que vous seriez analphabète et que vous n’auriez pas pu lire ce qui était écrit sur les cannettes. Force est toutefois de souligner que vous déclarez avoir été scolarisé durant 3 ans, et qu’on peut attendre d’une personne, même analphabète, qu’elle connaisse le nom des marchandises qu’elle aurait vendues dans son magasin, surtout si cette marchandise était la raison pour laquelle elle aurait dû abandonner toute sa vie dans son pays d’origine. Partant, la sincérité de vos propos que vous auriez vendu de l’alcool dans votre épicerie doit être formellement réfutée.

De surcroit il convient de souligner que votre famille vivait encore selon vos dires de manière paisible dans votre village d’origine jusqu’à la prise de pouvoir des Taliban, ce qui vient confirmer le constat que vous avez inventé ce récit dans le seul et unique but d’étoffer votre réel vécu qui se limite aux problèmes rencontrés avec les nomades.

En ce qui concerne le fait que vous racontez ne pas avoir de religion, il convient de noter que vos descriptions vagues concernant votre prétendu athéisme se définissent par leur superficialité et leur manque total de détail. En effet, lors de votre premier entretien personnel, vous n’avez même pas jugé utile de donner des explications à ce sujet, et lorsqu’on vous a demandé s’il existait une autre raison pour laquelle vous auriez quitté l’Afghanistan (autre que la raison principale d’avoir vendu de l’alcool), vous avez répondu qu’il n’y avait pas d’autre raison. Dans votre entretien complémentaire, vous vous bornez simplement de mentionner que vous ne pourriez pas vivre en Afghanistan du fait que vous n’auriez pas de religion, sans exprimer la moindre crainte y relative. Lorsque vous avez été questionné sur le problème de ne pas avoir de religion, vous avez invité l’auditeur à poser cette question aux Taliban. Ces réponses ne font que conforter l’idée que votre sincérité doit être réfutée et que votre seul et unique but est d’obtenir une protection internationale au Luxembourg en intégrant à votre récit un maximum d’éléments censés maximiser vos probabilités de vous faire octroyer une telle protection.

La conclusion que votre sincérité quant à vos motifs de départ d’Afghanistan doit être réfutée est confortée par le fait que vous avez introduit une demande de protection internationale en Grèce sans attendre la réponse des autorités et que vous êtes ensuite passé par l’Italie et par la France sans y introduire de demande. Votre comportement démontre clairement votre volonté de vous établir en Europe uniquement dans un pays qui propose parmi les meilleures conditions d’accueil et prestations en Europe et non pas un réel besoin de 6 protection. Une personne dont la vie serait réellement en danger s’estimerait contente d’être après un long périple arrivé dans un endroit sûr et ne s’amuserait pas à, à nouveau, traverser un continent entier pour rejoindre le Luxembourg.

Il convient dès lors de conclure que vos motifs ayant trait à la prétendue vente d’alcool et à votre athéisme de sont manifestement inventés de sorte qu’ils sont écartés pour ne pas être crédibles. Ainsi, aucune protection internationale ne vous est accordée concernant ce volet.

Seul le volet ayant trait aux problèmes avec les nomades sera ainsi analysé.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des motifs de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Monsieur, vous mentionnez que des nomades viendraient chaque année dans votre quartier et menaceraient les habitants, alors que ces derniers ne les laisseraient pas entrer dans le village avec leurs animaux. Vous faites référence à un incident survenu il y a environ neuf ans, lors duquel les nomades auraient brûlé des maisons et auraient tué trois personnes du quartier. Il convient toutefois de noter que les faits dont vous faites état, remontent à plus de huit ans et sont ainsi beaucoup trop éloignés dans le temps pour justifier aujourd’hui l’octroi d’une protection internationale.

De plus, Monsieur, ces propos sont très généraux, peu étayés et vagues et vous n’évoquez aucune crainte respectivement aucun problème individuels et personnels relatifs à ce sujet. Ceci est conforté par le fait qu’il ne ressort aucunement de vos dires, que vous auriez reçu une quelconque menace par ces nomades.

On ne saurait dès lors conclure à l’existence dans votre chef d’une crainte fondée de persécution alors que vos craintes sont manifestement purement hypothétiques.

Partant, le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire 7 Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi.

L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

En l’espèce, il ressort de votre dossier administratif que vous basez votre demande de protection subsidiaire sur les mêmes motifs que ceux exposés à la base de votre demande de reconnaissance du statut du réfugié, et notamment le fait que les nomades viendraient chaque année dans votre quartier et menaceraient les habitants.

Ce motif ayant été analysé dans la première partie de la présente décision et rejeté comme étant une crainte hypothétique, il convient de réitérer que cet élément ne permet pas de conclure à l’existence dans votre chef d’un risque de devenir victime d’atteintes graves alors que vous ne faites état d’aucune menace concrète.

Partant, le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Suivant les dispositions de l’article 34 de la Loi de 2015, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination d’Afghanistan, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 28 novembre 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision du ministre du 4 novembre 2022 portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte.

Etant donné que l’article 35 (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale et contre celles portant ordre de quitter le territoire prononcées subséquemment, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 4 novembre 2022, prise dans son double volet, telle que déférée.

Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

8 1) Quant au recours dirigé contre la décision portant rejet de la demande de protection internationale A l’appui de son recours, après avoir exposé les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, le demandeur précise qu’en sus de son ethnie hazara, qui lui causerait d’ores et déjà de graves préjudices eu égard aux persécutions systémiques et quotidiennes des hazaras, il risquerait de subir des traitements inhumains et dégradants dans son pays d’origine en raison de son athéisme et du fait qu’il aurait vendu clandestinement de l’alcool dans son épicerie, pensant qu’en raison de son athéisme, il serait libre d’agir de la sorte.

En droit, le demandeur prend tout d’abord position quant au défaut de crédibilité retenu par le ministre en lui reprochant de « manquer de bon sens » alors que ce dernier aurait critiqué l’absence de pièces justificatives dans son chef. Or, le ministre serait au courant des difficultés administratives et structurelles persistantes depuis de nombreuses années en Afghanistan, situation qui se serait aggravée avec l’arrivée au pouvoir des talibans. Pour soutenir que les administrations locales seraient gérées par des traditionnels notables et marquées par toute sorte de corruption et de despotisme, le demandeur s’appuie sur un article de la Revue Migration Forcées, intitulé « Les personnes déplacées d’Afghanistan : 2014 et au-delà » de mai 2014.

Ainsi, des procédures anachroniques seraient utilisées « pour faire régler l’ordre par une interprétation extrémiste de la loi islamique », le demandeur renvoyant à cet égard encore à un article concernant la reconstruction de l’Etat afghan de l’Institut d’Etudes de Sécurité du 1er décembre 2004, intitulé « Afghanistan : la difficile reconstruction d’un Etat afghan ». Il ajoute que les autorités policières afghanes seraient également peu organisées alors qu’elles travailleraient sous l’influence de « ces représentants locaux, érudits religieux, militaires ou riches locaux ». Au sein de ce système, des arrestations et exécutions arbitraires auraient lieu, de sorte qu’il paraîtrait déraisonnable d’exiger de lui de fournir des pièces qui ne seraient pas délivrées par les autorités concernées.

Le demandeur rappelle encore qu’« à l’impossible nul n’est tenu » et qu’en vertu de l’article 10 (3) b) de la loi du 18 décembre 2015, erronément indiqué comme étant l’article 10 « (1) » b) de ladite loi, l’autorité ministérielle aurait l’obligation de veiller à ce que des informations précises et actualisées soient obtenues auprès de différentes sources sur la situation générale existant dans le pays d’origine du demandeur.

Il fait encore valoir que si « tout mettre en œuvre », tel que cela aurait été précisé par l’autorité ministérielle, « impliqu[ait] qu’il n’y ait rien à mettre en œuvre, en prenant en compte le contexte dans lequel [il] se [serait trouvé] au moment des faits, pendant sa fuite, et après le dépôt de sa demande de protection internationale, alors [il] aurait effectivement mis tout en œuvre ». Le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, en abrégé « HCR », demanderait à cet égard qu’il soit tenu compte de la situation personnelle du demandeur de même que d’un ensemble d’indices qui tiendrait au contexte de sa situation, dont notamment le dysfonctionnement des services publics ou la capacité des personnes à se procurer des preuves, respectivement la possibilité de prendre des photos alors même que la vente d’alcool et la détention d’une arme seraient illégales, de sorte qu’il paraîtrait compréhensible « de ne pas les prendre en photographie ». Le demandeur met encore en avant que son épicerie n’aurait ouvert ses portes que pendant environ deux mois avant d’être brûlée, durée au cours de laquelle il aurait déjà été menacé par des barbes blanches et un imam et qu’en sus de ces difficultés, il n’existerait dans son pays d’origine pas d’autorisation d’établissement comme cela pourrait être le cas dans un pays européen.

9 En ce qui concerne son identité, Monsieur … précise qu’il aurait été scolarisé uniquement pendant trois ans. Au vu de son année de naissance, il serait ainsi fort probable qu’il ait uniquement suivi un programme religieux, et ce principalement en langue pachtoune.

Il ne serait dès lors pas suffisamment « alphabète », d’une part, pour lire, comprendre et retenir des mots, et, d’autre part, pour attacher de l’importance à l’écriture de son nom ou de son prénom. Il conviendrait dès lors de se mettre à la place d’une personne d’ethnie hazara, analphabète, ayant grandi et appris dans un pays où la culture et les traditions occuperaient une place prédominante, où l’apprentissage à l’école ne serait pas privilégié, et où les systèmes d’identification des citoyens diffèreraient largement de ceux connus dans les pays européens.

Le demandeur soutient qu’il aurait fourni des explications permettant de comprendre les raisons pour lesquelles son nom et son prénom auraient pu être orthographiés de manière différente, à savoir par sa simple ignorance. En outre, et tel qu’il l’aurait d’ores et déjà développé dans le cadre de son entretien avec l’agent ministériel, les personnes afghanes choisiraient leur nom de famille. Il serait d’ailleurs tout à fait compréhensible qu’une personne analphabète ne pourrait pas concevoir le problème quant à l’orthographe exacte de son nom ou de son prénom, dans la mesure où la prononciation demeurerait sensiblement la même. En effet, en langue dari, les lettres « e » et « i » se prononceraient exactement de la même manière, ces lettres étant des voyelles qui ne seraient souvent pas écrites. Il ajoute que dans la première fiche remplie par ses soins, il aurait écrit son prénom et son nom de famille de manière correcte.

Il en conclut que les doutes de l’autorité ministérielle auraient été justifiés s’il avait modifié son prénom et nom de manière substantielle, ce qui ne serait cependant pas le cas en l’espèce.

Il ajoute en troisième lieu que l’argumentation selon laquelle il n’aurait pas déposé de demande de protection internationale dans un autre pays tel que la France, la Grèce ou l’Italie, ne serait plus pertinente au regard de la compétence du Grand-Duché de Luxembourg.

Le demandeur continue en insistant sur le fait qu’il ressortirait d’une simple photo satellite de son village que celui-ci serait construit autour d’une route, respectivement d’un chemin principal, de sorte qu’il n’existerait pas plusieurs itinéraires pour aller de l’épicerie au lieu de rendez-vous des barbes blanches, ou de la mosquée tel que le soutiendrait à tort le ministre. En outre, contrairement à ce que prétendrait le ministre, il n’aurait jamais évoqué que la moto aurait roulé « à toute vitesse ». Il aurait justement expliqué qu’elle ne roulait pas à vive allure. En effet, tant son épicerie que son domicile se situeraient dans le village de …, situé au sein d’une région montagneuse, de sorte qu’il serait impossible de conduire à « vive allure ».

Il aurait d’ailleurs précisé lors de son entretien que le conducteur aurait ralenti au même moment qu’il aurait sauté de la moto. En outre, il ne figurerait pas dans le dossier administratif qu’il aurait raconté que les habitants qui se seraient réunis autour de son domicile auraient été armés, de sorte qu’il s’agirait d’une allégation inventée du ministre. A cet égard, il précise qu’il aurait uniquement mentionné des « coups de couteaux », et surtout des coups de poings et de pied, de sorte à avoir été majoritairement blessé à main nue. Or, même si les personnes avaient toutes été armées d’un couteau, il serait difficilement concevable que « cinq à six couteaux puissent faire le poids face à une kalachnikov, mitrailleuse soviétique pouvant aller jusqu’à 650 coups par minute ». Le demandeur rappelle ensuite que les habitants auraient été des civils qui n’auraient pas été formés pour rester éveillés tel que des militaires et qu’aucune obligation ne les aurait contraints à camper devant le domicile d’une personne qui aurait simplement vendu quelques canettes de bières, de sorte qu’il aurait pu s’enfuir la nuit tombée. Enfin, il ne saurait être attendu d’un analphabète qu’il retienne le nom d’une marque alors que pour vendre ce bien de manière illégale, il nécessiterait uniquement de connaître son contenu, respectivement le produit qu’il vendrait, à savoir de la bière. Le demandeur en conclut que le 10 ministre n’aurait pas effectué une analyse objective de la situation, mais aurait uniquement cherché à justifier son refus par tous les moyens et que de toute évidence, le fait de ne pas retenir le nom d’une marque inscrite sur une canette de bière qui aurait été vendue au courant d’une vie, pendant moins de deux mois, ne présumerait pas un manque de crédibilité.

Il ajoute encore que sa famille ne pourrait être considérée comme vivant en paix en Afghanistan depuis son départ et l’arrivée au pouvoir des talibans au vu de l’assassinat récent du mari de sa sœur par les talibans et le fait que sa famille aurait dû quitter le quartier à cause d’eux pour vivre en cachette à Kaboul.

En ce qui concerne plus particulièrement le statut de réfugié, le demandeur fait valoir qu’il craindrait d’être persécuté du fait de son apostasie, de ses opinions politiques et de son appartenance à l’ethnie des hazaras. Il précise à cet égard que la vente et/ou la consommation d’alcool serait considérée en Afghanistan comme étant un des pires crimes existants, susceptible d’être sanctionné par la lapidation ou la peine de mort. En sus, il serait d’ethnie hazara, une minorité persécutée depuis de nombreuses années par l’ethnie pachtoune, respectivement par les talibans.

Le demandeur conclut de ce qui précède que l’article 2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ci-après désignée par « la Convention de Genève », et les articles 39, 40 et 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 trouveraient à s’appliquer en l’espèce.

La décision ministérielle serait encore contraire à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après dénommée « la CEDH », combiné avec les articles 2, 5, 6 et 13 de cette même convention dans la mesure où des risques graves de persécution existeraient dans son chef, et ce « d’autant plus depuis l’actualité concernant l’Afghanistan », notamment en ce qui concerne le sort de l’ethnie hazara.

Le demandeur renvoie, à cet égard, (i) à un article de presse du 12 septembre 2022 du HCR, intitulé « Le Conseil des droits de l’homme se penche sur la situation des droits humains, en particulier ceux des femmes et des filles, en Afghanistan », (ii) à un article de l’Organisation suisse d’Aide aux Réfugiés (OSAR) du 14 octobre 2022, intitulé « Afghanistan : derniers développements », (iii) à un article de Brown Political Review du 13 novembre 2022, intitulé « Taliban Takeover in Afghanistan Leaves Hazara Uniquely Vulnerable », et (iv) à un article de Human Rights Watch du 31 octobre 2022, intitulé « CPI : Le travail d’enquête sur l’Afghanistan peut reprendre ».

Ainsi, en raison de son comportement, il serait considéré comme un opposant politique au régime actuel des talibans, fondé sur des valeurs religieuses strictes, à savoir une application extrémiste et rigoureuse de la loi islamique qui ne tolèrerait aucun péché.

Le demandeur estime ensuite que la condition d’existence d’actes revêtant une gravité suffisante conformément à l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et celle que ces actes émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de ladite loi, seraient remplies en l’espèce, tout en rappelant à cet égard qu’il risquerait de « graves » persécutions de la part des talibans en raison de son appartenance à l’ethnie hazara, de son apostasie et de sa vente d’alcool dans un village d’Afghanistan. Ces derniers auraient en effet d’ores et déjà été présents et influents au moment des faits dont il se prévaut et ils auraient soit été recrutés parmi des villageois, notamment ceux qui l’auraient gravement menacé pour la vente illégale d’alcool, soit « conquis » l’approbation des barbes blanches ou de toute autre autorité du village 11 pour régner sur ces territoires. Ce serait de cette manière que les talibans auraient « gagné du terrain » avant de s’emparer du pouvoir. Au vu de ce travail de concert des talibans avec les autorités locales, il serait évident que les talibans seraient également informés de ses actions illégales, de sorte qu’il risquerait « la peine prévue pour son cas depuis 2018 » en cas de retour dans son pays d’origine. Ainsi, les talibans le puniraient pour les actes qu’il aurait « effectués contraire à l’Islam », et qui auraient été relevés par les barbes blanches travaillant aujourd’hui avec les talibans.

A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, le demandeur estime remplir les conditions exigées à l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015 au motif que les actes invoqués, respectivement les menaces pesant sur lui de subir « a minima » une lapidation pour avoir vendu de l’alcool, en plus des circonstances aggravantes relatives à son apostasie et à son origine ethnique hazara, seraient des atteintes graves au sens de l’article 48 de ladite loi et que les talibans pourraient être qualifiés d’acteurs au sens de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, et en ce qui concerne, tout d’abord, la demande en communication du dossier administratif formulée exclusivement dans le dispositif de la requête introductive d’instance, le tribunal constate que la partie étatique a déposé ensemble avec son mémoire en réponse, une farde de pièces correspondant a priori au dossier administratif. A défaut pour le demandeur de remettre en question le caractère complet du dossier mis à disposition à travers le mémoire en réponse, la demande en communication du dossier administratif est à rejeter comme étant devenue sans objet.

S’agissant de la légalité externe, le demandeur reproche au ministre d’avoir critiqué l’absence de pièces justificatives pour corroborer ses dires respectivement les craintes mises en avant alors qu’il incomberait à l’autorité ministérielle de veiller à ce que des informations précises et actualisées sur la situation générale existant dans le pays d’origine soient obtenues.

A supposer qu’à travers ces reproches le demandeur ait entendu invoquer une violation de l’article 10 (3) b) de la loi du 18 décembre 2015, aux termes duquel : « […] (3) Le ministre fait en sorte que les décisions sur les demandes de protection internationale soient prises à l’issue d’un examen approprié. A cet effet, il veille à ce que […] b. des informations précises et actualisées soient obtenues auprès de différentes sources, telles que le Bureau européen d’appui en matière d’asile (BEAA) et le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), ainsi que les organisations internationales compétentes en matière de droits de l’homme, sur la situation générale existant dans les pays d’origine des demandeurs et, le cas échéant, dans les pays par lesquels les demandeurs ont transité, et à ce que le personnel chargé d’examiner les demandes et de prendre les décisions ait accès à ces informations […] », il y a lieu de constater qu’il reste en défaut d’établir dans quelle mesure le ministre aurait omis d’obtenir des informations précises et actualisées auprès des différentes sources citées par l’article 10 (3) b) de la loi du 18 décembre 2015, le simple fait d’avoir critiqué l’absence de pièces justificatives ne saurait suffire pour retenir un manquement de ce point de vue. En outre, la seule circonstance selon laquelle l’instruction de la demande de Monsieur …, respectivement l’appréciation que le ministre a faite de ses déclarations lors de ses auditions n’ait pas abouti à l’octroi d’une protection internationale ne permet, en tout état de cause, pas au demandeur de soutenir valablement que l’article 10 (3) de la loi du 18 décembre 2015 aurait été violé. Il 12 s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 10 (3) de la loi du 18 décembre 2015 est rejeté.

Le tribunal relève ensuite qu’en vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

A ce sujet, la notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

Par ailleurs, l’article 42 de la loi du 18 décembre 2015 dispose que « (1) Les actes considérés comme une persécution au sens de l’article 1A de la Convention de Genève doivent:

a) être suffisamment graves du fait de leur nature ou de leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme, en particulier des droits auxquels aucune dérogation n’est possible en vertu de l’article 15, paragraphe 2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales;

ou b) être une accumulation de diverses mesures, y compris des violations des droits de l’homme, qui soit suffisamment grave pour affecter un individu d’une manière comparable à ce qui est indiqué au point a). […] ».

Finalement, aux termes de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015, « Les acteurs des persécutions ou des atteintes graves peuvent être :

a) l’Etat;

b) des partis ou organisations qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci;

c) des acteurs non étatiques, s’il peut être démontré que les acteurs visés aux points a) et b), y compris les organisations internationales, ne peuvent pas ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions ou les atteintes graves. » et aux termes de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, « (1) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves ne peut être accordée que par:

a) l’Etat, ou b) des partis ou organisations, y compris des organisations internationales, qui contrôlent l’Etat ou une partie importante du territoire de celui-ci, pour autant qu’ils soient disposés à offrir une protection au sens du paragraphe (2) et en mesure de le faire.

13 (2) La protection contre les persécutions ou les atteintes graves doit être effective et non temporaire. Une telle protection est généralement accordée lorsque les acteurs visés au paragraphe (1) points a) et b) prennent des mesures raisonnables pour empêcher la persécution ou des atteintes graves, entre autres lorsqu’ils disposent d’un système judiciaire effectif permettant de déceler, de poursuivre et de sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave, et lorsque le demandeur a accès à cette protection. […] ».

Il suit des articles précités de la loi du 18 décembre 2015 que l’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 précitée, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs seulement dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 39 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

Ces conditions devant être réunies cumulativement, le fait qu’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié.

Par ailleurs, force est de relever que la définition du réfugié contenue à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015 retient qu’est un réfugié une personne qui « craint avec raison d’être persécutée », de sorte à viser une persécution future sans qu’il n’y ait besoin que le demandeur ait été persécuté avant son départ dans son pays d’origine. Par contre, s’il s’avérait que tel aurait été le cas, les persécutions antérieures d’ores et déjà subies instaurent une présomption simple que de telles persécutions se poursuivront en cas de retour dans le pays d’origine aux termes de l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur la détermination du risque d’être persécuté que le demandeur encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

Le tribunal, statuant en tant que juge du fond en matière de demandes de protection internationale, doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur de protection internationale, tout en prenant en considération la situation générale, telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance.

Force est de constater que le demandeur invoque à la base de sa demande de protection internationale, sa crainte de subir des persécutions (i) de la part des habitants de son village, sinon des barbes blanches et de l’imam, sinon de l’Etat, respectivement des talibans, depuis leur prise de pouvoir, pour avoir procédé à la vente d’alcool, (ii) de la part des talibans en raison de son apostasie et de son appartenance à l’ethnie hazara, et (iii) de la part de nomades auxquels l’accès à son village aurait été refusé.

En ce qui concerne tout d’abord la crainte de subir des représailles de la part des habitants de son village, sinon des barbes blanches et de l’imam, sinon de l’Etat, respectivement des talibans, depuis leur prise de pouvoir, pour avoir vendu de manière clandestine de l’alcool, il échet de constater qu’indépendamment de la question de la crédibilité de son récit sur ce point, cette crainte ne saurait justifier dans son chef l’octroi du statut de réfugié. Il ressort en effet uniquement de ses déclarations que les barbes blanches et l’imam de la mosquée auraient 14 menacé de le lapider s’ils trouvaient de l’alcool dans son magasin1, le demandeur ayant précisé dans sa requête introductive d’instance, qu’en tant qu’athée, il avait estimé pouvoir vendre de l’alcool clandestinement. En effet, si le demandeur semble, dans le cadre de son recours, vouloir rattacher ses craintes de subir des représailles à son prétendu athéisme, voire à une conviction politique qui lui serait attribuée, le tribunal se doit de relever qu’il se dégage des déclarations faites par le demandeur lors de son audition auprès de la direction de l’Immigration, ensemble les moyens et arguments apportés au cours de la procédure contentieuse, que la raison pour laquelle des personnes ont détruit son magasin et essayé de l’emmener chez les barbes blanches et l’imam est liée à son activité clandestine de vente d’alcool, donc une activité commerciale choisie par le demandeur à des fins économiques et dont il était conscient qu’elle n’était pas bien vue par les barbes blanches et l’imam.

Au vu des développements qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que le fait d’avoir vendu clandestinement de l’alcool, alors que cette activité commerciale n’était tolérée ni par les barbes blanches, ni par l’imam, ni enfin par les talibans, ne saurait constituer l’exercice dans son chef d’un droit fondamental tombant dans le champ d’application de la Convention de Genève, ni a fortiori justifier l’octroi du statut de réfugié.

En ce qui concerne ensuite la crainte du demandeur de subir des persécutions de la part des talibans en raison de son apostasie, force est de constater qu’indépendamment de la question de la crédibilité de son récit à ce sujet et outre le fait qu’il n’a invoqué ce motif que dans le cadre de son entretien complémentaire alors que dans son premier entretien, il est resté muet à ce sujet, il ne ressort d’aucun élément soumis à l’appréciation du tribunal que le demandeur ait publiquement renoncé à sa religion et que les talibans pourraient en avoir connaissance. Sa crainte de subir de ce fait des persécutions en cas de retour dans son pays d’origine reste dès lors purement hypothétique et ne saurait pas non plus justifier dans son chef l’octroi du statut de réfugié.

Quant aux craintes de subir des persécutions de la part des talibans en tant qu’Hazara, si ces motifs relèvent certes de la Convention de Genève pour être en lien avec l’appartenance ethnique du demandeur, le tribunal est néanmoins amené à relever que, dans un arrêt récent, la Cour administrative a décidé qu’« […] En ce qui concerne les craintes de persécution de la part des talibans et de l’Etat islamique Daesh en raison de l’appartenance de l’appelant à l’ethnie Hazara et de sa confession chiite, il se dégage du rapport « EUAA Country Guidance :

Afghanistan » d’avril 2022 que les membres de l’ethnie Hazara font certes l’objet d’actes de violence et de harcèlements de la part des talibans et du groupe Etat islamique du Khorosan (ISKP), mais il ne ressort toutefois pas des éléments d’information soumis à la Cour que les Hazara feraient l’objet de persécutions généralisées et systématiques du seul fait de leur origine ethnique ou de leur confession musulmane chiite. En effet, ledit rapport recommande de vérifier si la personne concernée présente d’autres éléments qui permettraient de conclure qu’elle présente un profil plus à risque que d’autres, d’avoir des liens avec l’ancien gouvernement afghan, d’être un professionnel de santé ou un travailleur humanitaire ou travaillant pour une ONG ou d’avoir transgressé les normes morales ou de la société. La Cour rejoint encore la partie étatique qui relève qu’il se dégage du rapport de l’ACCORD du 1er décembre 2022 que le nombre des attaques à l’égard des Hazara pour la période du 22 mai au 16 août 2022 a fortement diminué par rapport à la même période en 2021, à savoir 48 attaques contre 113, tout en relevant que ces attaques sont ponctuelles et non quotidiennes.

1 Page 6 du rapport d’entretien du 8 avril 2021.

15 Cette conclusion n’est pas invalidée par les sources d’informations plus récentes produites par l’appelant en instance d’appel. En effet, s’il est certes vrai que certaines publications évoquent un sérieux risque de génocide des Hazara en Afghanistan, il n’en demeure pas moins que la situation actuelle ne saurait être qualifiée de telle. », avant de conclure qu’« En conséquence, le seul fait d’être un Hazara chiite n’est pas de nature à entraîner l’octroi du statut du réfugié dans son chef. […] »2.

Cette conclusion s’impose, en l’espèce, au tribunal, dans la mesure où le demandeur reste en défaut de fournir des éléments personnels qui permettraient de retenir qu’il aurait un profil plus à risque de subir des persécutions que les autres Hazaras. Partant, le seul fait qu’il soit un Hazara n’entraîne pas l’octroi du statut de réfugié dans son chef.

Enfin, quant à la crainte du demandeur en relation avec des nomades qui viendraient chaque année dans son quartier et menaceraient les habitants, force est de constater qu’il n’y a fait référence que lors de son entretien du 8 avril 2021 sans développer cette crainte plus en détail ni dans le cadre de son entretien, ni dans sa requête introductive d’instance. Or, le seul incident dont le demandeur fait état et qui aurait eu lieu il y a environ neuf ans3, lors duquel des nomades auraient brûlé des maisons et tué trois personnes du quartier n’est lié à aucun critère de la Convention de Genève.

Partant, au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à constater que le ministre a, à bon droit, retenu que les faits relatés par le demandeur ne permettaient pas l’octroi du statut de réfugié dans son chef, de sorte que le recours encourt le rejet pour ne pas être fondé sur ce point.

Quant au statut conféré par la protection subsidiaire, il y a lieu de relever qu’aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution; ou la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine; ou des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international. ».

Il s’ensuit que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis aux conditions que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48, précité, de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, dudit article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi, étant 2 Cour adm., 9 mars 2023, 48007C, disponible sur www.jurad.etat.lu.

3 Page 10 du rapport d’entretien du 8 avril 2021 : « Six ou sept ans en arrière les nomades ont brûlé des maisons et tués trois personnes du quartier, ils ont également laissé leurs bêtes dans les champs des habitants. ».

16 relevé que les conditions de la qualification d’acteur sont communes au statut de réfugié et à celui conféré par la protection subsidiaire.

Par ailleurs, l’article 2 g), précité, de la loi du 18 décembre 2015 définissant la personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire comme étant celle qui avance « des motifs sérieux et avérés de croire que », si elle est renvoyée dans son pays d’origine, elle « courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48 », cette définition vise partant une personne risquant d’encourir des atteintes graves futures, sans qu’il n’y ait nécessairement besoin que le demandeur ait subi des atteintes graves avant son départ de son pays d’origine.

Par contre, s’il s’avérait que tel avait été le cas, l’article 37 (4) de la loi du 18 décembre 2015 instaure une présomption réfragable que de telles atteintes graves se reproduiront en cas de retour dans le pays d’origine, étant relevé que cette présomption pourra être renversée par le ministre par la justification de l’existence de bonnes raisons de penser que ces atteintes graves ne se reproduiront pas. L’analyse du tribunal devra par conséquent en définitive porter sur l’évaluation, au regard des faits que le demandeur avance, du risque réel de subir des atteintes graves qu’il encourrait en cas de retour dans son pays d’origine.

A l’appui de sa demande de protection subsidiaire, il échet de relever que le demandeur invoque, en substance, les mêmes motifs factuels que ceux qui sont à la base de sa demande de reconnaissance du statut de réfugié.

Or, en ce qui concerne sa crainte de faire l’objet de représailles de la part des habitants de son village, sinon des barbes blanches et de l’imam, sinon de l’Etat afghan, respectivement des talibans en relation avec son activité de vente de boissons alcoolisées, le tribunal se doit de relever qu’il reste en défaut de démontrer la moindre raison pour laquelle il estime que sa crainte serait à l’heure actuelle, soit plus de quatre ans et demi après les faits, toujours fondée.

En outre, dans le cadre de son audition auprès de la direction de l’Immigration, le demandeur a fait état uniquement de sa crainte de subir des atteintes graves de la part des habitants du village, sinon des barbes blanches ou de l’imam, sans mentionner une quelconque crainte à l’égard des talibans. Ce n’est en effet que dans le cadre de sa requête introductive d’instance qu’il invoque pour la première fois une telle crainte en arguant que les talibans auraient soit été recrutés parmi des villageois, dont notamment ceux l’ayant gravement menacé, soit reçu l’accord des barbes blanches ou de toute autre autorité du village pour régner sur ces territoires.

Il affirme cependant lui-même dans le cadre de son entretien complémentaire ignorer si les talibans sont au courant du fait qu’il a vendu de l’alcool, tout en soutenant parallèlement que s’il ne peut pas retourner dans son quartier, ce serait parce qu’il aurait des problèmes avec les habitants4. Comme Monsieur … ne fait dès lors pas état d’une crainte concrète à l’égard des talibans en relation avec son activité de vente d’alcool, sa crainte de subir des atteintes graves en relation avec cette activité commerciale doit s’analyser comme traduisant davantage un sentiment général d’insécurité lequel ne saurait toutefois suffire pour retenir l’existence dans son chef d’une crainte réelle et sérieuse de subir des atteintes graves en cas de retour dans son pays d’origine.

En ce qui concerne la crainte du demandeur en relation avec les talibans en raison de son apostasie, le tribunal ne saurait que réitérer ses constatations faites dans le cadre de l’analyse de la demande du statut de réfugié suivant lesquelles cette crainte est essentiellement 4 Page 3 du rapport d’entretien complémentaire : « Je ne sais pas si les talibans le sauront ou pas, mais je ne pourrais pas retourner dans mon quartier car j’avais des problèmes avec les habitants. ».

17 hypothétique, de sorte que ces mêmes faits ne sauraient pas davantage justifier l’octroi dans son chef de statut conféré par la protection subsidiaire.

Concernant l’appartenance ethnique du demandeur, le tribunal estime qu’il n’existe pas davantage d’éléments susceptibles d’établir, sur la base des mêmes motifs que ceux développés dans le cadre de l’analyse du volet du recours dirigé contre la décision de refus du statut de réfugié, qu’il existerait de sérieuses raisons de croire qu’en cas de retour dans son pays d’origine, le demandeur encourrait un risque réel de subir des atteintes graves visées à l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015, à savoir la peine de mort ou l’exécution, la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants.

Enfin, pour ce qui est de la crainte du demandeur de faire l’objet de représailles de la part des nomades auxquels l’accès à son village aurait été refusé, le tribunal constate que le fait unique dont le demandeur fait état, datant d’il y a environ neuf ans, est manifestement trop éloigné dans le temps pour justifier à l’heure actuelle une crainte réelle et sérieuse de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 a) et b) de la loi du 18 décembre 2015. Ce constat s’impose d’autant plus que le demandeur reste en défaut de faire état d’un quelconque problème qu’il aurait personnellement rencontré avec les nomades en question, de sorte que sa crainte à cet égard doit davantage s’analyser en un sentiment général d’insécurité.

Au vu de toutes les considérations qui précèdent, le tribunal est amené à conclure que le demandeur n’a pas fait état de motifs justifiant dans son chef une crainte réelle et sérieuse d’être victime de traitements inhumains et dégradants au sens de l’article 48, points a) et b) de la loi du 18 décembre 2015 en cas de retour dans son pays d’origine.

Il résulte des développements qui précèdent qu’en l’état actuel d’instruction du dossier et des moyens échangés de part et d’autre, que les craintes de Monsieur … sont essentiellement hypothétiques, de sorte qu’elles ne peuvent permettre l’octroi d’une protection subsidiaire sur base des points a) et b) de l’article 48 de la loi du 18 décembre 2015.

Ensuite, et à supposer qu’en affirmant qu’il serait dans l’impossibilité de retourner dans son pays d’origine depuis la prise de pouvoir des talibans, le demandeur ait entendu se prévaloir de l’article 48, point c) de la loi du 18 décembre 2015, le tribunal relève que cette disposition législative constitue la transposition de l’article 15 c) de la directive 2011/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant les normes relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir bénéficier d’une protection internationale, à un statut uniforme pour les réfugiés ou les personnes pouvant bénéficier de la protection subsidiaire, et au contenu de cette protection, ci-après désignée par « la directive 2011/95 ». Son contenu est distinct de celui de l’article 3 de la CEDH et son interprétation doit, dès lors, être effectuée de manière autonome tout en restant dans le respect des droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la CEDH5.

Il convient par conséquent de tenir compte des enseignements de l’arrêt, précité, Elgafaji du 17 février 2009 rendu par la CJUE qui distingue deux situations : (i) celle où il « existe des motifs sérieux et avérés de croire qu’un civil renvoyé dans le pays concerné ou, le cas échéant, dans la région concernée courrait, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, un risque réel de subir les menaces graves visées par l’article 15, sous c), de la 5 CJUE, 17 février 2009, Meki Elgafaji et Noor Elgafaji c. Staatssecretaris van Justitie, C-465/07, point 28.

18 directive »6 et (ii) celle qui prend en compte les caractéristiques propres du demandeur, la CJUE précisant que « […] plus le demandeur est éventuellement apte à démontrer qu’il est affecté spécifiquement en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, moins sera élevé le degré de violence aveugle requis pour qu’il puisse bénéficier de la protection subsidiaire »7.

Dans la première hypothèse, le degré atteint par la violence aveugle est tel que celle-ci affecte tout civil se trouvant sur le territoire où elle sévit, de sorte que s’il est établi qu’un demandeur est un civil originaire de ce pays ou de cette région, il doit être considéré qu’il encourrait un risque réel de voir sa vie ou sa personne gravement menacée par la violence aveugle s’il était renvoyé dans cette région ou ce pays, du seul fait de sa présence sur le territoire de ceux-ci, sans qu’il soit nécessaire de procéder, en outre, à l’examen d’autres circonstances qui lui seraient propres.

Dans ce contexte, la CJUE a précisé, dans un arrêt du 10 juin 2021, que lors de l’évaluation individuelle d’une demande de protection subsidiaire, prévue à l’article 4 (3) de la directive 2011/95, il peut notamment être tenu compte de la proportion entre le nombre total de civils vivant dans la région concernée et les victimes effectives des violences perpétrées par les parties au conflit contre la vie ou l’intégrité physique des civils dans cette région8, de l’intensité des affrontements armés, du niveau d’organisation des forces armées en présence, de la durée du conflit, de l’étendue géographique de la situation de violence aveugle, de la destination effective du demandeur en cas de renvoi dans le pays ou la région concernés et de l’agression éventuellement intentionnelle contre des civils exercée par les belligérants, en tant qu’éléments entrant en ligne de compte dans l’appréciation du risque réel d’atteintes graves9.

La seconde hypothèse concerne des situations où il existe une violence aveugle, ou indiscriminée, c’est-à-dire une violence qui frappe des personnes indistinctement, sans qu’elles ne soient ciblées spécifiquement, mais où cette violence n’atteint pas un niveau tel que tout civil courrait du seul fait de sa présence dans le pays ou la région en question un risque réel de subir des menaces graves pour sa vie ou sa personne. La CJUE a jugé que dans une telle situation, il convenait de prendre en considération d’éventuels éléments propres à la situation personnelle du demandeur aggravant dans son chef le risque lié à la violence aveugle.

En l’espèce, il échet de relever que la Cour administrative a retenu, dans un arrêt récent, qu’« […] en ce qui concerne la situation sécuritaire qui prévaut actuellement en Afghanistan, il ne ressort pas des éléments d’appréciation soumis à la Cour que celle-ci correspondrait à un contexte de violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé interne ou international au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015. En effet, tel que relevé par la Cour dans son arrêt du 30 juin 2022 (n° 46108C), le retrait des forces armées étrangères et l’arrivée au pouvoir des talibans en août 2021 a pour l’essentiel mis fin au conflit armé qui sévissait dans le pays depuis des années, même si la situation peut varier d’une région à l’autre. Or, indépendamment de l’existence ou non d’un conflit armé interne, les rapports plus récents produits en cause ne permettent pas non plus de conclure à l’existence d’une situation où l’ampleur de la violence aveugle dans le cadre d’un conflit armé est telle qu’il existerait des motifs sérieux de croire qu’un civil, du seul fait de sa présence sur place, court un risque réel 6 Ibid., point 35.

7 Ibid., point 39.

8 CJUE, 10 juin 2021, CF, DN c. Bundesrepublik Deutschland, C-901/19, point 32.

9 Ibid., point 43.

19 d’être exposé à des atteintes graves au sens de l’article 48, point c), de la loi du 18 décembre 2015. […] »10.

Au vu des conclusions dégagées par la Cour administrative dans son arrêt précité et en l’absence d’autres explications fournies par le demandeur, lequel n’a pas non plus apporté d’éléments qui permettraient de retenir qu’il serait personnellement exposé, en raison d’éléments propres à sa situation personnelle, à un risque réel découlant de la violence aveugle au point qu’il faille admettre qu’en cas de retour en Afghanistan, il courrait un risque réel de menace grave pour sa vie ou sa personne, le tribunal est amené à conclure que le demandeur ne remplit pas non plus les critères prévus à l’article 48 c) de la loi du 18 décembre 2015.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de protection internationale de Monsieur … prise en son double volet, de sorte que le recours en réformation sous analyse encourt le rejet.

2) Quant au recours tendant à la réformation de la décision ministérielle portant ordre de quitter le territoire Le demandeur sollicite la réformation de l’ordre de quitter le territoire, sans invoquer un moyen concret à l’appui de ce volet de son recours.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet dudit recours.

Aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] Une décision du ministre vaut décision de retour […] », cette dernière notion étant définie par l’article 2 q) de la même loi comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », étant encore relevé, à cet égard, que si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, de la loi du 18 décembre 2015 est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Or, dans la mesure où le tribunal vient de retenir que le recours en réformation dirigé contre le refus d’une protection internationale est à rejeter, de sorte qu’un retour de Monsieur … dans son pays d’origine ne l’expose ni à des actes de persécution ni à des atteintes graves, le ministre a valablement pu assortir cette décision d’un ordre de quitter le territoire.

Il suit des considérations qui précèdent que le recours en réformation introduit à l’encontre de l’ordre de quitter le territoire est également, à son tour, à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 4 novembre 2022 portant refus d’une protection internationale ;

10 Cour adm., 21 février 2023, n° 48083C, disponible sur www.jurad.etat.lu.

20 au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision ministérielle du 4 novembre 2022 portant ordre de quitter le territoire ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, premier juge, Annemarie Theis, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 20 juillet 2023 par le vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 juillet 2023 Le greffier du tribunal administratif 21


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48217
Date de la décision : 20/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/08/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-07-20;48217 ?

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