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20/07/2023 | LUXEMBOURG | N°40997

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 20 juillet 2023, 40997


Tribunal administratif Numéro 40997 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:40997 2e chambre Inscrit le 9 avril 2018 Audience publique extraordinaire du 20 juillet 2023 Recours formé par la société anonyme … SA, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40997 du rôle et déposée le 9 avril 2018 au greffe du tribunal administratif par Ma

ître Marianne Goebel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats de Luxe...

Tribunal administratif Numéro 40997 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:40997 2e chambre Inscrit le 9 avril 2018 Audience publique extraordinaire du 20 juillet 2023 Recours formé par la société anonyme … SA, …, contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 40997 du rôle et déposée le 9 avril 2018 au greffe du tribunal administratif par Maître Marianne Goebel, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats de Luxembourg, au nom de la société anonyme … SA, ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision d’injonction du 7 mars 2018 prise par le directeur de l’administration des Contributions directes en matière d’échange de renseignements ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 2 juillet 2018 ;

Vu le mémoire en réplique déposé le 1er octobre 2018 par Maître Marianne Goebel, au nom de la société anonyme … SA, préqualfiée ;

Vu l’ordonnance du vice-président de la deuxième chambre du tribunal administratif du 3 février 2021 autorisant chacune des parties à déposer un mémoire supplémentaire quant à l’incidence des arrêts prononcés par la Cour de justice de l’Union européenne du 6 octobre 2020 dans les affaires jointes C-245/19 et C-246/19 et de l’arrêt de la Cour administrative du 12 janvier 2021, inscrit sous les numéros 41486C et 41487C du rôle ;

Vu le mémoire supplémentaire déposé au greffe du tribunal administratif le 1er avril 2021 par Maître Marianne Goebel au nom de la société anonyme … SA, préqualfiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Allyson Noel, en remplacement de Maître Marianne Goebel, et Monsieur le délégué du gouvernement Eric Pralong en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 17 avril 2023.

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Par courrier du 7 mars 2018, le directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », adressa à la société anonyme … SA, ci-après désignée par « la société … », une décision d’injonction en vertu de l’article 3, paragraphe (3) de la loi 1modifiée du 25 novembre 2014 prévoyant la procédure applicable à l’échange de renseignements sur demande en matière fiscale, ci-après désignée par « la loi du 25 novembre 2014 », avec prière de fournir pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016 différents renseignements et documents concernant Monsieur… pour le 12 avril 2018 au plus tard.

Ladite décision d’injonction, référencée sous le numéro 2017-1122-S1 MG, est libellée comme suit :

« […] En date du 22 décembre 2017, l’autorité compétente de l’administration fiscale belge nous a transmis une demande de renseignements en vertu de la convention fiscale entre le Luxembourg et la Belgique du 17 septembre 1970, modifiée par la loi du 31 mars 2010 portant approbation de l’Avenant et de l’échange de lettres y relatif à ladite convention, de la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale signée le 29 mai 2013, et approuvée par la loi du 26 mai 2014 ainsi que de la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013.

L’autorité compétente luxembourgeoise a vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et exclu l’absence manifeste de pertinence vraisemblable.

La personne physique concernée par la demande est Monsieur … née le … en Belgique.

Je vous prie de bien vouloir nous fournir, pour la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016, les renseignements et documents suivants pour le 12 avril 2018 au plus tard.

 Veuillez préciser les historiques des comptes courants de Monsieur … sur les périodes visées ;

 Veuillez préciser si SA … a consenti un ou plusieurs prêts (ou avances) à Monsieur …. Dans l’affirmative, veuillez préciser ces conventions ou indiquer les modalités des prêts (ou avances) sur les périodes visées ;

 Veuillez fournir les historiques des comptes généraux, les historiques des comptes particuliers clients et fournisseurs, les journaux des achats, des ventes et financiers ainsi que le journal des opérations diverses sur les périodes visées ;

 Veuillez fournir copie de tous les documents pertinents relatifs aux tirets précédents.

Je tiens à vous rendre attentif que, conformément à l’article 2 (2) de la loi du 25 novembre 2014 précitée, le détenteur des renseignements est obligé de fournir les renseignements demandés ainsi que les pièces sur lesquelles ces renseignements sont fondés en totalité, de manière précise et sans altération.

Conformément à l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 précitée, aucun recours ne peut être introduit à l’encontre de la présente décision d’injonction. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 9 avril 2018, inscrite sous le numéro 40997 du rôle, la société … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de la décision d’injonction précitée du 7 mars 2018.

2 1) Quant à la compétence du tribunal et à la recevabilité des recours principal en réformation et subsidiaire en annulation Prétentions des parties A l’appui de son recours, et en ce qui concerne la recevabilité, la société … estime en substance pouvoir bénéficier, en dépit de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, d’une voie de recours contre la décision d’injonction déférée, en soutenant que l’absence de recours inscrite audit article aurait été jugée contraire à l’article 47 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », par la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », dans son arrêt Berlioz Investment Fund SA du 16 mai 20171, ci-après désigné par « l’arrêt Berlioz ».

Elle en conclut que son recours serait à déclarer recevable.

Le délégué du gouvernement, pour sa part, conclut à l’irrecevabilité du recours au motif qu’un recours direct contre la décision d’injonction serait exclu par l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 et qu’il résulterait uniquement de l’arrêt Berlioz que la décision d’injonction pourrait être contestée par voie d’exception dans le cadre d’un recours dirigé contre l’amende administrative infligée pour non-respect de la décision d’injonction, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Analyse du tribunal En ce qui concerne la recevabilité du recours dirigé contre la décision d’injonction de fournir des renseignements du 7 mars 2018, il convient de prime abord de préciser que l’article 3, paragraphe (3) de la loi du 25 novembre 2014, dans sa version applicable au moment de la prise de la décision litigieuse, dispose que « Si l’administration fiscale compétente ne détient pas les renseignements demandés, le directeur de l’administration fiscale compétente ou son délégué notifie par lettre recommandée adressée au détenteur des renseignements sa décision portant injonction de fournir les renseignements demandés. La notification de la décision au détenteur des renseignements demandés vaut notification à toute autre personne y visée ».

L’article 5, paragraphe 1er de la même loi, également dans sa version applicable au moment de la prise de la décision litigieuse, dispose que « Si les renseignements demandés ne sont pas fournis endéans le délai d’un mois à partir de la notification de la décision portant injonction de fournir les renseignements demandés, une amende administrative fiscale d’un maximum de 250.000 euros peut être infligée au détenteur des renseignements. […] ».

L’article 6 de la loi du 25 novembre 2014 dans sa version applicable au moment de la prise de la décision litigieuse dispose encore qu’« (1) Aucun recours ne peut être introduit contre la demande d’échange de renseignements et la décision d’injonction visées à l’article 3, paragraphes 1er et 3.

(2) Contre les décisions visées à l’article 5, un recours en réformation est ouvert devant le tribunal administratif au détenteur des renseignements. […] ».

1 CJUE (grande chambre), 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund SA c. directeur de l’administration des Contributions directes, C-682/15.

3L’article 6, paragraphe (1), précité, de la loi du 25 novembre 2014, dans sa version applicable au moment de la prise de la décision litigieuse, excluait donc formellement l’exercice d’un recours juridictionnel à l’encontre d’une décision d’injonction, de sorte que les recours principal en réformation et subsidiaire en annulation sont a priori irrecevables.

En ce qui concerne la question de la compatibilité de cette exclusion avec l’article 47 de la Charte, invoquée par la société …, il convient néanmoins de se référer aux enseignements de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 20202. En effet, dans cet arrêt la CJUE s’est penchée sur la question de la compatibilité de l’exclusion d’un recours contre la décision d’injonction avec l’article 47 de la Charte dans l’hypothèse où cette exclusion vise le détenteur des informations sollicitées, le contribuable visé respectivement un tiers intéressé, alors que dans l’affaire Berlioz, citée par la société … dans sa requête introductive d’instance, la CJUE avait statué par rapport à une situation factuelle et légale différente, à savoir celle où un recours contentieux avait été introduit par le détenteur de renseignements seulement à un second stade de la procédure d’échange de renseignements dans l’Etat requis à l’encontre d’une décision lui infligeant une sanction administrative pour ne pas s’être conformé à la décision d’injonction lui adressée antérieurement et non pas, à un premier stade contre la décision d’injonction elle-

même en raison de l’exclusion formelle d’un recours direct contre la décision d’injonction par la loi du 25 novembre 2014. En l’espèce, la société … entend justement former un recours contentieux directement contre l’acte formel pris au premier stade de la procédure d’échange de renseignements dans l’Etat requis, à savoir contre la décision d’injonction.

Dans les affaires jointes C-245/19 et C-246/19, la CJUE a distingué suivant que le recours est exercé par le détenteur des informations auquel l’injonction est adressée, d’une part, et le contribuable visé et un tiers intéressé, d’autre part, et a estimé que l’exclusion de tout recours contre la décision d’injonction se heurte à l’article 47 de la Charte, lu conjointement avec les articles 7 et 8 de la Charte, et à l’article 51, paragraphe (1) de la Charte, en ce qu’elle vise la personne détentrice des informations à laquelle la décision d’injonction est adressée, mais ne s’y heurte pas en ce qu’elle vise le contribuable visé par l’enquête à l’origine de la décision d’injonction, voire les tiers intéressés par les informations.

Pour arriver à cette conclusion, en l’occurrence en ce qui concerne la situation du détenteur des informations auquel l’injonction est adressée, la CJUE a retenu en substance que celui-ci peut se prévaloir du principe général du droit de l’Union européenne de la protection des personnes, tant physiques que morales, contre des interventions de la puissance publique dans leur sphère d’activité privée, qui seraient arbitraires ou disproportionnées et qu’il doit se voir reconnaître le bénéfice du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte en présence d’une décision d’injonction de communication d’informations telle que celles en cause au principal3. Après avoir relevé que les Etats membres peuvent limiter l’exercice du droit à un recours effectif, à condition de respecter les exigences prévues par l’article 52, paragraphe (1) de la Charte4, elle a encore précisé que le contenu essentiel du droit à un recours effectif consacré à l’article 47 de la Charte - contenu essentiel que toute limitation y apportée doit respecter - inclut, entre autres éléments, celui consistant, pour la personne titulaire de ce 2 CJUE (grande chambre), 6 octobre 2020, Etat luxembourgeois contre B et Etat luxembourgeois contre B e.a., affaires jointes n° C-245/19 et 246/19.

3 Considérants n° 57 à 59.

4 « Toute limitation de l’exercice des droits et libertés reconnus par la présente Charte doit être prévue par la loi et respecter le contenu essentiel desdits droits et libertés. Dans le respect du principe de proportionnalité, des limitations ne peuvent être apportées que si elles sont nécessaires et répondent effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. ».

4droit, à pouvoir accéder à un tribunal compétent pour assurer le respect des droits que le droit de l’Union européenne lui garantit. Elle a en outre relevé que pour accéder à un tel tribunal, cette personne ne saurait être contrainte d’enfreindre une règle ou une obligation juridique et de s’exposer à la sanction attachée à cette infraction5. Après avoir constaté qu’au vœu de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014, dans sa teneur initiale, correspondant à celle applicable aussi au présent litige, un détenteur de renseignements s’étant vu adresser une décision d’injonction de communication d’informations qui serait arbitraire ou disproportionnée ne peut pas accéder à un tribunal, à moins d’enfreindre cette décision en refusant d’obtempérer à l’injonction qu’elle comporte et de s’exposer, ainsi, à la sanction attachée au non-respect de celle-ci, la CJUE a conclu qu’un détenteur de renseignements ne peut pas être regardé comme jouissant d’une protection juridictionnelle effective par l’effet de cette disposition6.

En conséquence, la CJUE a dit pour droit que « l’article 47 de la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, lu conjointement avec les articles 7 et 8 ainsi qu’avec l’article 52, paragraphe 1, de celle-ci, doit être interprété en ce sens : – qu’il s’oppose à ce que la législation d’un État membre mettant en œuvre la procédure d’échange d’informations sur demande instituée par la directive 2011/16/UE du Conseil, du 15 février 2011, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/799/CEE, telle que modifiée par la directive 2014/107/UE du Conseil, du 9 décembre 2014, exclue qu’une décision par laquelle l’autorité compétente de cet État membre oblige une personne détentrice d’informations à lui fournir ces informations, en vue de donner suite à une demande d’échange d’informations émanant de l’autorité compétente d’un autre État membre, puisse faire l’objet d’un recours formé par une telle personne ».

Cette jurisprudence a été suivie en droit national par les arrêts de la Cour administrative du 12 janvier 2021, inscrits sous les numéros 41486Ca et 41487Ca.

Le tribunal relève dans ce contexte qu’il n’est pas contesté que la société … a exclusivement la qualité de détenteur des renseignements demandés, qui se voit imposer une obligation de donner suite à une décision d’injonction de communication d’informations, et plus loin, à défaut d’y obtempérer, court le risque de se voir infliger les sanctions prévues par l’article 5, précité, de la loi du 25 novembre 2014.

La situation de la société … correspond dès lors à celle envisagée par la CJUE dans son arrêt du 6 octobre 2020 à propos du détenteur des informations auquel une décision d’injonction est adressée, celle-ci n’ayant, au vu de l’article 6 de la loi du 25 novembre 2014, pas d’autre possibilité, pour faire valoir son droit à un recours effectif, que de provoquer une sanction en ne répondant pas à la décision d’injonction, ce qui est constitutif d’une violation du droit à un recours effectif garanti par l’article 47 de la Charte.

Or, suivant les enseignements de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020, le recours judiciaire n’est plus effectif si l’intéressé ne peut l’exercer qu’en violant une obligation s’imposant à lui et en s’exposant à une sanction.

Conformément au principe de la primauté du droit de l’Union européenne, les dispositions des traités de l’Union européenne et des actes des institutions de l’Union directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des Etats membres, de rendre inapplicable de plein droit toute disposition contraire de la législation 5 CJUE (grande chambre), 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund SA c. Etat luxembourgeois, C-682/15, considérant n° 66.

6 Considérant n° 68.

5nationale existante7. Par voie de conséquence, le juge administratif luxembourgeois, en sa qualité de « juge national chargé d’appliquer, dans le cadre de sa compétence, les dispositions du droit communautaire, a l’obligation d’assurer le plein effet de ces normes en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité, toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure »8. Il lui incombe également « d’assurer la protection juridique découlant pour les justiciables de l’effet direct des dispositions du droit communautaire »9.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, le tribunal est tenu de faire abstraction de la disposition de l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, dans sa version originale, applicable en l’espèce et excluant tout recours contre la décision d’injonction, par rapport à la situation de la société … en tant que détenteur de renseignements s’étant vu adresser une décision d’injonction sur base d’une procédure d’échange de renseignements régie par la directive 2011/16/UE du Conseil du 15 février 2011 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal et abrogeant la directive 77/99/CEE, ci-après désignée par « la directive 2011/16/UE », et d’assurer à celle-ci le plein exercice de son droit d’accéder à un recours juridictionnel effectif lui garanti par l’article 47 de la Charte à l’égard de la décision d’injonction litigieuse.

Le tribunal est dès lors amené à laisser inappliquées les limitations procédurales prévues par ledit article 6 de la loi du 25 novembre 2014 au profit de la voie de recours de droit commun prévue par l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif10, ci-après désignée par « la loi du 7 novembre 1996 », qui dispose qu’un recours est ouvert « contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible ».

Etant donné que l’article 3 de la même loi limite la voie du recours en réformation aux seules hypothèses où « les lois spéciales attribuent connaissance au tribunal administratif » pour connaître d’un tel recours et qu’en l’espèce, aucune telle loi spéciale n’existe, le tribunal n’est pas compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal.

Il est par contre compétent pour connaître du recours en annulation introduit à titre subsidiaire.

Il y a encore lieu de rappeler que l’article 13, paragraphe (1) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », dispose que « Sauf dans les cas où les lois ou règlements fixent un délai plus long ou plus court et sans préjudice des dispositions de la loi du 22 décembre 1986 relative au relevé de la déchéance résultant de l’expiration d’un délai imparti pour agir en justice, le recours au tribunal n’est plus recevable après trois mois du jour où la décision a été notifiée au requérant ou du jour où le requérant a pu en prendre connaissance ».

Il se dégage de cette disposition que le délai de recours de droit commun de trois mois court soit à compter du jour où la décision a été notifiée au requérant, soit du jour où celui-ci a pu en prendre connaissance.

7 CJUE, 15 juillet 1964, Flaminio Costa, C-6/64.

8 CJUE, 9 mars 1978, Simmenthal, C-106/77.

9 CJUE, 19 juin 1990, Factortame, C-231/89.

10 En ce sens cf. considérant n° 21 de l’arrêt de la Cour administrative du 12 janvier 2021, n° 41486Ca du rôle.

6Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation déposé au greffe du tribunal administratif le 9 avril 2018, pour autant qu’il est introduit par la société … en sa qualité de détenteur des informations demandées contre la décision d’injonction du 7 mars 2018 est à déclarer recevable pour avoir été introduit dans les formes et délais de la loi.

2) Quant au fond Arguments des parties A l’appui de son recours et en fait, la société demanderesse expose en substance les faits et rétroactes tels que repris ci-dessus.

En droit, elle soutient que si certes le tribunal devait se voir communiquer la demande d’échange de renseignements ainsi que l’ensemble des éléments d’informations complémentaires transmis par les autorités belges au directeur, conformément à l’article 8, paragraphes (4) et (5) de la loi du 21 juin 1999, il serait toutefois indispensable qu’elle-même dispose également de toutes les informations nécessaires à sa défense. Or, à défaut de s’être vue communiquer la demande de renseignements émanant des autorités belges, il lui serait impossible de vérifier la pertinence vraisemblable des faits allégués, ainsi que des informations demandées par les autorités fiscales belges.

La société demanderesse insiste ensuite sur le fait que si dans son courrier du 7 mars 2018, l’administration des Contributions directes donnait certes les bases légales de la demande de renseignements effectuée par les autorités fiscales belges, celle -ci n’aurait toutefois précisé ni la justification ni la pertinence des renseignements demandés, de sorte qu’il lui serait impossible de connaître la finalité fiscale sous-jacente, ce qui serait contraire à l’échange de lettres entre les autorités compétentes belges et luxembourgeoises.

Elle fait ensuite valoir que la formule-type figurant dans la décision d’injonction selon laquelle l’administration fiscale luxembourgeoise aurait « vérifié la régularité formelle de ladite demande de renseignements et exclu l’absence manifeste de pertinence vraisemblable » n’engagerait que l’autorité fiscale luxembourgeoise, alors qu’elle-même ne pourrait pas - à défaut de communication de la demande formée par les autorités belges - vérifier la pertinence vraisemblable des renseignements demandés, laquelle serait d’ailleurs formellement contestée.

Elle en conclut que le caractère stéréotypé de l’injonction de communiquer les pièces et informations sollicitées violerait, ensemble avec la non-communication de la demande afférente des autorités belges, le respect des droits de la défense, ainsi que le principe de l’égalité des armes, violation qui ne serait pas couverte par une exception de confidentialité.

La société demanderesse sollicite, dans ce contexte, de voir ordonner à la partie étatique de déposer au greffe du tribunal administratif la demande de renseignements litigieuse telle qu’adressée par l’autorité belge compétente au directeur afin qu’elle-même puisse en prendre connaissance, la société demanderesse se référant, à cet égard, à un jugement du tribunal administratif du 6 février 2012, inscrit sous le numéro 29592 du rôle, ainsi qu’à un arrêt de la Cour administrative du 17 janvier 2013, inscrit sous le numéro 31732C du rôle.

Elle donne ensuite à considérer que le principe d’égalité des armes serait l’un des éléments essentiels du procès équitable, d’autant plus qu’il sous-entendrait le respect des droits de la défense et la nécessité d’un débat contradictoire. Le principe du contradictoire 7s’entendrait, quant à lui, comme le droit, pour les parties à un procès, de prendre connaissance de toute pièce ou observation présentée au juge en vue d’influencer sa décision et de la discuter.

A cet égard, elle soutient que l’article 26 de la convention entre le Luxembourg et la Belgique en vue d’éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune du 17 septembre 1970, ci-après désignée par « la Convention », prévoirait des aménagements au principe de confidentialité en admettant explicitement dans son paragraphe (2) que les renseignements reçus par un Etat contractant pourraient être communiqués au contribuable, à son représentant ou à des témoins. Il ressortirait du même article que les renseignements obtenus pourraient être communiqués à des autorités administratives et judiciaires qui seraient ensuite chargées de déterminer si ces renseignements doivent être divulgués au contribuable, à son représentant ou à des témoins et s’ils peuvent être utilisés au cours d’audiences judiciaires publiques ou dans des jugements. La société demanderesse en déduit que si le directeur était ainsi habilité à révéler les renseignements demandés au cours de l’audience publique afin, notamment, de défendre la légalité de son injonction, ceux-ci devraient impérieusement, afin de garantir l’égalité des armes et de respecter les droits de la défense, être communiqués au contribuable visé, respectivement à son représentant, constat qui serait corroboré par la réserve contenue dans l’article 26, paragraphe (3) du protocole modifiant la Convention.

La société demanderesse en conclut que le maintien au cours de la procédure contentieuse du caractère confidentiel des renseignements obtenus de la part des autorités fiscales belges, outre de violer le principe du procès équitable inscrit à l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après désignée par « la CEDH », imposerait à l’autorité luxembourgeoise de prendre une mesure violant l’obligation lui imposée par l’article 8, paragraphe (5) de la loi du 21 juin 1999, à savoir celle de déposer spontanément l’intégralité du dossier administratif relatif à la demande de renseignements belge au greffe du tribunal administratif, afin de permettre au contribuable d’en prendre connaissance dans le respect du principe du contradictoire.

Dans un deuxième temps, la société demanderesse conteste la pertinence vraisemblable des renseignements demandés.

Après s’être référée à l’article 26 de la Convention, aux commentaires du modèle de convention fiscale de l’organisation de coopération et de développement (OCDE), ainsi qu’au Manuel de l’OCDE sur la mise en œuvre des dispositions relatives aux échanges de renseignements en matière fiscale du 23 janvier 2006, ci-après désigné par le « Manuel », la société demanderesse souligne que si l’échange de renseignements en matière fiscale était certes permis dans la mesure la plus large possible, il ne serait toutefois pas loisible aux Etats contractants « « d’aller à la pêche aux renseignements » ou de demander des renseignements dont il serait peu probable qu’ils soient pertinents pour élucider les affaires fiscales d’un contribuable déterminé ». Elle est d’avis que l’équilibre entre ces deux considérations devrait être recherché dans la condition de la « pertinence vraisemblable » des renseignements demandés laquelle impliquerait que la demande porte sur un cas d’imposition précis et spécifique, qu’elle soit relative à un contribuable déterminé et que les renseignements demandés soient vraisemblablement pertinents afin de permettre à l’Etat requérant de solutionner le cas d’imposition en cause. Le Manuel préciserait ainsi que « l’échange de renseignements sur demande correspond au cas dans lequel l’autorité compétente d’un pays demande des renseignements pour un cas précis à l’autorité compétente d’une autre partie contractante », tandis que l’échange de lettres entre les ministres compétents belges et 8luxembourgeois confirmerait l’applicabilité de la condition de la « pertinence vraisemblable » dans le cadre de l’application de l’article 26 de la Convention en précisant au niveau du paragraphe (2) sub a) qu’une demande de renseignements devrait indiquer « l’identité de la personne faisant l’objet d’un contrôle ou d’une enquête ».

La société demanderesse soutient, dans ce contexte, que la décision d’injonction ne ferait pas état d’un cas d’imposition précis et spécifique alors qu’elle se limiterait à mentionner que la « personne physique concernée par la demande est Monsieur … né le … en Belgique ».

Elle conteste ensuite la pertinence vraisemblable des informations et documents sollicités au premier tiret de la décision d’injonction au motif que dans la mesure où l’identité de la personne morale faisant l’objet d’un contrôle en Belgique serait clairement établie dans le courrier du directeur, « à savoir la société … », la demande relative à la communication des historiques des comptes courants de Monsieur … s’apparenterait à une « pêche aux renseignements », alors qu’elle serait formulée de manière trop large et ne concernerait pas la personne visée par le contrôle.

La société demanderesse conteste encore la pertinence vraisemblable des informations et documents sollicités au troisième tiret de la décision d’injonction alors que celles-ci ne viseraient pas exclusivement les rapports entre elle-même et Monsieur …, mais sa propre comptabilité sur une période de trois années.

Enfin, elle reproche aux autorités luxembourgeoises de ne pas avoir procédé à une vérification de la pertinence vraisemblable des informations et documents sollicités selon les principes de l’OCDE.

Le délégué du gouvernement estime, pour sa part, que contrairement aux affirmations de la société demanderesse, le directeur aurait pleinement respecté son obligation légale de vérification de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés préalablement à l’émission de sa décision d’injonction, qui préciserait expressément que l’autorité compétente luxembourgeoise aurait non seulement vérifié la régularité formelle de la demande de renseignements, mais qu’elle aurait également exclu l’absence manifeste de pertinence vraisemblable, de sorte que ce serait à tort que la société demanderesse reproche au directeur de n’avoir fourni dans sa décision d’injonction aucun élément permettant de s’assurer de la bonne exécution du contrôle.

Dans ce contexte, il soutient que la CJUE aurait précisé dans l’arrêt Berlioz la notion de pertinence vraisemblable et, dans la même lignée, l’envergure du contrôle juridictionnel des juridictions nationales saisies. Ainsi, elle aurait retenu que la qualité de « pertinence vraisemblable » des informations demandées constitue une condition de légalité de la décision d’injonction et que l’autorité requise doit vérifier si les informations demandées ne sont pas dépourvues de toute pertinence vraisemblable pour l’enquête menée par l’autorité requérante.

Or, selon la CJUE, le contrôle exercé par l’autorité requise devrait permettre à cette autorité de s’assurer que les informations demandées ne sont pas dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard à l’identité du contribuable concerné et à celle du tiers éventuellement renseigné ainsi qu’aux besoins de l’enquête fiscale en cause. Ainsi, l’autorité requérante détiendrait une marge d’appréciation pour évaluer la pertinence vraisemblable des informations demandées à l’autorité requise, si bien que l’étendue du contrôle de cette dernière en soit d’autant limitée. Concernant ensuite le contrôle juridictionnel, la CJUE aurait retenu que le juge doit vérifier que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment motivée 9de l’autorité requérante portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard, d’une part, au contribuable concerné ainsi qu’au tiers éventuellement renseigné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie.

Il relève, en outre, qu’en l’espèce la demande d’échange de renseignements préciserait que l’administration des Contributions directes a vérifié la régularité formelle de la demande de renseignements émanant de l’autorité fiscale requérante et a exclu l’absence manifeste de pertinence vraisemblable.

Ainsi, le délégué du gouvernement estime que l’identité de la personne concernée résulterait à suffisance de la décision d’injonction, qui préciserait que la demande concerne Monsieur…, né le … en Belgique. Il serait encore clairement demandé d’indiquer l’historique des comptes courants de Monsieur … et de préciser si la société demanderesse a consenti un ou plusieurs prêts ou avances à celui-ci.

Il conclut qu’au vu de la description quant au but fiscal poursuivi par l’autorité requérante, les questions formulées dans la demande d’injonction trouveraient toute leur justification et ne seraient donc nullement dépourvues de pertinence vraisemblable.

Le délégué du gouvernement explique, dans ce contexte, qu’il ressortirait d’une enquête administrative qui aurait été diligentée par les autorités fiscales belges le 10 juin 2016 auprès de la société de droit belge …, ci-après désignée par « la … », dont le siège serait situé à B-…, que Monsieur … serait salarié de la société demanderesse. Or, suite à une occupation principale en Belgique et en France, Monsieur … revendiquerait, à tort, l’exonération totale de ses rémunérations.

Il poursuit que l’analyse du compte bancaire luxembourgeois de Monsieur … montrerait que celui-ci disposerait d’un compte courant ouvert dans la comptabilité de la société … et qu’il aurait effectué un virement de … euros avec la communication « … ». A cela s’ajouterait qu’il bénéficierait de remboursements de frais importants versés sur son compte luxembourgeois.

Par ailleurs, les comptes annuels de la société … montreraient des dettes importantes, à savoir un montant de … euros pour l’année 2014 et un montant de … euros pour l’année 2015.

Ainsi, eu égard à l’ensemble des indications fournies par les autorités belges, il y aurait lieu de conclure que l’objectif de leur demande serait celui de savoir si la société … permettait à ses administrateurs et/ou employés de bénéficier des rétributions complémentaires non déclarées à l’administration fiscale belge.

Le délégué du gouvernement est d’avis que ces précisions répondraient exactement à la sixième question tranchée par l’arrêt Berlioz et suivant laquelle dans le cadre d’un recours juridictionnel, l’administré devrait pouvoir disposer, afin de faire pleinement entendre sa cause au sujet de l’absence de pertinence vraisemblable des informations demandées, des informations visées à l’article 20, paragraphe (2) de la directive 2011/16/UE, sans toutefois avoir accès à la demande d’information étrangère qui demeurerait un document secret.

Il conclut que la décision d’injonction se fonderait sur une demande suffisamment motivée, portant sur des informations n’apparaissant pas de manière manifeste dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard au contribuable concerné et du tiers éventuellement renseigné et ce au regard de la finalité fiscale poursuivie.

10 Dans son mémoire en réplique et quant aux faits, la société demanderesse explique qu’elle aurait été créée le 15 novembre 2006.

Après avoir cité l’article 3 de ses statuts, elle fait valoir que ses activités se concentreraient notamment sur la vérification et le conseil aux entreprises et qu’en date du 2 janvier 2009, elle aurait conclu avec Monsieur … un contrat de travail à durée indéterminée en qualité de consultant en organisation et ingénieur conseil que celui-ci aurait rompu à compter du 31 décembre 2017.

En droit, elle fait plus particulièrement état d’une violation des articles 7 et 8 de la Charte et 8 de la CEDH, au motif que les renseignements demandés et notamment les comptes courants de Monsieur …, les contrats de prêt conclus avec celui-ci, ainsi que les documents comptables et autres documents en relation avec ces renseignements constitueraient une ingérence d’une autorité publique dans l’exercice du droit au respect de sa vie privée, qui ne serait pas proportionnel du fait de l’absence de pertinence vraisemblable des informations recherchées.

Elle prétend dans ce contexte que ni elle-même, ni Monsieur … auraient eu des liens contractuels avec la …. En effet, ce serait seulement par l’intermédiaire de Madame …, une de ses salariées, qui aurait presté des services en faveur de la société …, ci-après désignée par « la société … », qui presterait elle-même des services en faveur de la … que les autorités fiscales belges auraient vu « circuler » le nom de Monsieur …, sans que celui-ci n’ait eu de contact direct ou même indirect avec la ….

Il s’agirait par ailleurs d’un contrôle qui aurait été mené « à grande échelle », alors que le nom de Monsieur … aurait été obtenu indirectement lors des investigations réalisées suite aux prestations que Madame … aurait effectuées en faveur de la société …, la société demanderesse insistant sur le fait que Madame … n’aurait pas réalisé de prestations pour la ….

Ce serait, dès lors, à tort que le délégué du gouvernement soutiendrait que le but fiscal poursuivi serait celui de savoir si la société demanderesse permettait à ses administrateurs et/ou salariés de bénéficier de rétributions complémentaires non déclarées à l’administration fiscale belge, alors qu’il ressortirait des données communiquées par le délégué du gouvernement dans son mémoire en réponse que le contrôle initial mené par les autorités fiscales aurait visé la société belge …, d’une part, et aurait eu pour but de récupérer l’ensemble des données personnelles détenues par ladite société, d’autre part.

Elle conteste, à cet égard, le fondement à l’origine du contrôle dont fait l’objet Monsieur … au motif que les enquêtes menées initialement par les autorités fiscales belges auprès de la …, d’une part, n’auraient aucun but précis et, d’autre part, ne porteraient pas sur un contribuable déterminé. Il serait, par ailleurs, impossible que les investigations menées auprès de la … auraient eu pour objet d’analyser sa propre situation personnelle alors qu’elle n’aurait jamais presté de services, ni même entretenu de lien contractuel avec la ….

La société demanderesse sollicite, ensuite, l’annulation de la décision d’injonction litigieuse sur base de la considération qu’il existerait un doute sur la légalité du contrôle opéré par les autorités fiscales belges au sein de la société belge …, alors que celui-ci aurait eu pour finalité de récupérer, sans aucun but précis et donc en violation de la loi, des données personnelles relatives à des tierces détenues par ladite société.

11 A cet égard, la société demanderesse, en se prévalant de l’article 17, paragraphe (2) de la directive 2011/16/UE, soutient que la collecte d’informations auprès d’elle-même et de Monsieur … ne pourrait être considérée comme régulière que si les enquêtes initiales menées auprès de la … ne dérogeaient pas à la législation belge.

En s’emparant, en outre, de l’article 26, paragraphe (3) de la Convention, la société demanderesse fait valoir que l’Etat requis n’aurait pas l’obligation de fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celles de l’autre Etat contractant.

Ainsi, à défaut de justifications quant à la légalité du contrôle opéré auprès de la … et de certitude que les contrôles menés auprès de celle-ci n’excédaient pas les pouvoirs des autorités belges, la société demanderesse estime que les renseignements demandés ne pourraient être considérés comme valablement pertinents dans le cadre des enquêtes menées initialement au niveau de la …, alors que celles-ci s’analyseraient en une pêche aux renseignements.

Ensuite, elle critique le délégué du gouvernement pour avoir soutenu que Monsieur … revendiquerait « à tort » l’exonération totale de ses rémunérations, suite à une occupation principale en Belgique et en France, alors que celui-ci aurait le statut de salarié auprès d’elle-

même, de sorte que l’ensemble des rémunérations perçues par lui dans le cadre de son emploi seraient imposables au Luxembourg et donc exonérées intégralement en Belgique conformément à l’article 15 de la Convention.

La société demanderesse fait encore valoir que les autorités fiscales belges n’auraient pas épuisé les sources habituelles de renseignement internes au motif qu’une procédure visant Monsieur … serait actuellement en cours en Belgique.

Elle poursuit que le recours à l’assistance administrative internationale serait abusif, alors que la demande de renseignements porterait, d’une part, sur des renseignements que les autorités fiscales pourraient obtenir par l’exercice de leur droit de communication en Belgique dans le chef de Monsieur …, et, d’autre part, sur des renseignements comptables et financiers librement accessibles que les autorités fiscales belges auraient pu obtenir en consultant le registre de commerce et des sociétés de Luxembourg.

De l’avis de la société demanderesse, la demande d’échange de renseignements aurait seulement pour objet d’obtenir une extension du délai d’investigation suite aux enquêtes qui auraient été menées auprès de la société belge … le 10 juin 2016, soit quelques mois avant l’expiration du délai d’investigation pour l’exercice 2014, alors qu’en Belgique le délai normal d’investigation des autorités fiscales pour vérifier le montant des revenus serait de 3 ans.

Elle fait ensuite valoir que la requête concernant les historiques des comptes généraux, les historiques des comptes particuliers et fournisseurs, les journaux des achats, des ventes et financiers ainsi que le journal des opérations diverses sur la période du 1er janvier 2014 au 31 décembre 2016 viserait à obtenir des informations générales sur elle-même et ne permettait pas d’établir précisément un lien avec la demande des autorités fiscales belges. Il s’agirait en effet de pouvoir obtenir la communication de l’ensemble de ses documents financiers et économiques alors que si la demande visait uniquement les rétributions versées à Monsieur …, il lui suffirait de transmettre l’historique des versements effectués en faveur de celui-ci.

12 En outre, la requête concernant la communication de « tous les documents pertinents relatifs aux tirets précédents » tendrait à voir communiquer, de manière large et abstraite, des documents dont l’existence ne serait pas établie, mais seulement soupçonnée par les autorités belges. Or, à défaut de précisions fournies par les autorités belges, la société demanderesse estime que les informations demandées sur ce point ne seraient pas vraisemblablement pertinentes en l’espèce.

Elle déduit de ce qui précède que la communication des informations réclamées s’analyserait en une violation du droit au respect de la vie privée et du droit à la protection des données à caractère personnel, de sorte que la décision d’injonction déférée devrait être annulée.

Dans un deuxième temps, la société demanderesse reproche à l’administration fiscale une violation du droit à une bonne administration et des droits de la défense, droits qui seraient pourtant consacrés à l’article 41 de la Charte.

En s’emparant du principe de l’égalité des armes qui impliquerait l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire, la société demanderesse fait valoir que même si elle ne disposait pas d’un droit d’accès à l’ensemble de la demande d’informations qui demeurerait un document secret, conformément à l’article 16 de la directive 2011/16/UE et à l’arrêt Berlioz, elle ne saurait toutefois se satisfaire des informations données par le délégué du gouvernement, qui ne lui permettraient pas de défendre sa cause.

Elle conteste encore, dans ce cadre, la pertinence vraisemblable de la demande de renseignements litigeuse au motif que le délégué du gouvernement ne donnerait aucune précision quant au but du contrôle qui aurait été mené par les autorités fiscales belges auprès de la société belge ….

Dans son mémoire supplémentaire, la société demanderesse réitère que la demande des autorités belges tendrait, de manière générale et abstraite, à se voir communiquer des informations générales, sans aucune limite, à savoir l’historique de ses propres comptes généraux, les historiques des comptes particuliers clients et fournisseurs, les journaux des achats, des ventes et financiers ainsi que le journal des opérations diverses sur les périodes visées.

Selon la société demanderesse, il ressortirait de l’arrêt de la CJUE du 6 octobre 2020, précité, que pour qu’une demande d’échange de renseignements n’apparaisse pas comme dépourvue de toute pertinence vraisemblable, celle-ci devrait remplir cumulativement les conditions suivantes : (i) l’indication de l’identité de la personne détentrice des informations en cause, (ii) l’indication du contribuable qui est visé par l’enquête à l’origine de la demande d’échange d’informations, (iii) l’indication de la période couverte par l’enquête et (iv) l’indication des informations et documents requis. Elle précise, à cet égard, que les documents et informations requis qui ne sont pas identifiés de façon précise devraient (a) être conclus ou effectués par la personne détentrice, (b) intervenir pendant la période couverte par cette enquête et (c) avoir un lien avec le contribuable visé.

13Elle est d’avis que la quatrième condition relative à la délimitation des documents et informations réclamés de manière générale dans le cadre de la demande d’échange de renseignements des autorités belges au cas du contribuable visé ferait défaut en l’espèce, de sorte qu’il faudrait considérer que la demande de renseignements litigeuse ne respecterait pas la condition tenant à la pertinence vraisemblable.

Elle s’empare ensuite du principe juridique de l’autonomie de la personne morale selon lequel une société devrait être considérée comme une personne juridique distincte à la fois des personnes physiques ou morales qui en détiennent le capital social et de celles qui la dirigent, pour faire valoir que les autorités belges ne pourraient pas demander l’obtention de renseignements confidentiels qui seraient soumis à l’impôt luxembourgeois sans limiter leur demande à des documents qui sont censés résoudre exclusivement le cas d’imposition du contribuable concerné.

Elle estime qu’une réponse à la décision d’injonction litigieuse permettrait aux autorités belges de réaliser une véritable pêche aux renseignements alors que, de cette manière, celles-

ci obtiendraient des renseignements concernant de manière globale tous ses clients et fournisseurs sur la période visée par la demande sans que ces informations et renseignements ne concerneraient précisément Monsieur ….

La société demanderesse critique ensuite l’enquêté telle que réalisée par les autorités belges auprès de la … en faisant valoir que si un tel procédé pouvait, le cas échéant, se concevoir dans une procédure purement interne belge, il ne saurait être toléré dans les relations internationales, alors que la demande d’échange d’informations émanant des autorités belges devrait « respecter les conditions fixées dans les traités internationaux et l’application en droit qui en est faite ».

De l’avis de la société demanderesse, les autorités belges auraient ainsi dénaturé la procédure d’échange de renseignements en ayant recours à une procédure visant un contribuable visé afin d’obtenir toutes sortes d’informations visant en réalité elle-même, ses clients et ses fournisseurs.

A cet égard, la société demanderesse, en se référant à l’article 6, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014 et à l’arrêt Berlioz, reproche à l’administration fiscale d’avoir manqué à son devoir d’analyse des informations demandées par les autorités fiscales belges, notamment eu égard au critère de pertinence vraisemblable des informations demandées.

A cela s’ajouterait que les actions menées par l’Etat belge dans le cadre des litiges fiscaux opposant le contribuable visé à l’administration fiscale belge auraient toutes été rejetées par le tribunal de première instance de Liège en date du 8 février 2021, de sorte qu’à l’heure actuelle les informations demandées ne seraient plus pertinentes pour élucider les affaires fiscales du contribuable visé dans la mesure où son cas d’imposition aurait fait l’objet d’une imposition définitive et de décisions de justice belges.

Dans ce contexte, elle soutient plus particulièrement que la jurisprudence considérerait de manière constante que des renseignements seraient vraisemblablement pertinents dans la mesure où ils seraient utiles dans le cadre de l’examen du cas d’imposition en cours devant les autorités de l’Etat requérant. Ainsi, il y aurait lieu de considérer, en l’espèce, que dans la mesure où l’imposition du contribuable visé pour la période litigieuse, à savoir de 2014 à 2016, aurait été déterminée et débattue devant les tribunaux belges, la demande d’échange de renseignements litigieuse émise auprès de l’administration des Contributions directes serait 14devenue sans objet et ne serait, dès lors, plus en lien avec une « enquête ou un contrôle en cours ».

La société demanderesse précise, à cet égard, qu’il ressortirait du jugement du tribunal de première instance de Liège du 8 février 2021 que malgré la demande de renseignements émise par les autorités fiscales belges, celles-ci auraient adressé en date du 23 juillet 2018 au contribuable visé une décision de taxation concernant les impôts litigieux. Elle en conclut que les renseignements demandés ne seraient pas nécessaires pour déterminer le cas d’imposition du contribuable visé, alors que les enquêtes et contrôles effectués auprès du contribuable visé auraient permis d’obtenir les renseignements nécessaires pour établir son imposition.

La société demanderesse est ainsi d’avis que l’obtention des renseignements demandés devrait être considérée comme étrangère au cas d’imposition visé et ne pourrait dès lors pas être considérée comme vraisemblablement pertinente dans le cadre du présent cas d’imposition.

Analyse du tribunal A titre liminaire, le tribunal constate que la demande d’échange de renseignements des autorités belges ayant donné lieu à la décision d’injonction litigieuse, est basée sur la Convention, ainsi que sur la directive 2011/16/UE, transposée en droit interne par la loi modifiée du 29 mars 2013 relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ci-

après désignée par « la loi du 29 mars 2013 ». La demande en cause se trouve également fondée sur la convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale et son protocole d’amendement, approuvés par la loi du 26 mai 2014, ci-après désignée par « la Convention d’assistance mutuelle ». La décision d’injonction du 7 mars 2018, quant à elle, est fondée sur la loi du 25 novembre 2014.

La Convention et la directive 2011/16/UE présentent deux ensembles de dispositions ayant des champs d’application distincts en ce qui concerne tant les Etats liés que les personnes et les impôts visés, de manière qu’ils sont susceptibles de s’appliquer parallèlement à une situation donnée. La directive 2011/16/UE prime cependant dans les relations entre Etats membres de l’Union européenne sur les conventions de non-double imposition conclues par deux d’entre eux non pas en tant que disposition postérieure, mais en tant que disposition du droit de l’Union européenne hiérarchiquement supérieure en ce sens que la directive laisse en principe entière l’application de la convention de non-double imposition, mais peut imposer à deux Etats membres un échange de renseignements dans des hypothèses où la convention de non-double imposition entre ces deux Etats membres ne le prévoit pas tout en admettant, au vœu de son article 1er, alinéa 3, « […] l’exécution de toute obligation des États membres quant à une coopération administrative plus étendue qui résulterait d’autres instruments juridiques, y compris d’éventuels accords bilatéraux ou multilatéraux. »11. Etant donné que la directive 2011/16/UE prime sur les conventions de non-double imposition convenues entre Etats membres, et que ni l’article 26 de la Convention, ni l’article 5 de la Convention d’assistance mutuelle ne prévoient de manière vérifiée un échange de renseignements plus étendu que la directive 2011/16/UE, il y a lieu de conclure que la directive 2011/16/UE, ensemble avec la loi du 29 mars 2013 ayant transposé son contenu en droit interne, constitue le cadre légal de référence par rapport à la décision d’injonction du 7 mars 2018.

11 CJUE, 11 octobre 2007, Européenne et Luxembourgeoise d’investissements SA (ELISA) c. Directeur général des impôts, C-451/05 ; Cour adm., 31 août 2015, n° 36893C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

15Les moyens présentés par la société demanderesse par rapport à la décision d’injonction peuvent être synthétisés en substance comme suit : (i) défaut d’indication de la finalité fiscale dans la décision, (ii) violation du droit à une bonne administration et du droit à un procès équitable, (iii) défaut d’épuisement des sources de renseignements habituels, (iv) défaut de contrôle par le directeur de la pertinence vraisemblable et (v) défaut de pertinence vraisemblable des renseignements demandés.

L’examen de la légalité externe devant précéder celui de la légalité interne, le tribunal est de prime abord amené à se pencher sur les reproches d’un défaut d’indication de la finalité fiscale dans la décision d’injonction et d’un défaut de communication de la demande d’échange de renseignements, respectivement des informations y contenues, étant relevé que le tribunal n’est pas tenu de suivre l’ordre dans lequel les moyens sont présentés par la société demanderesse.

Quant au moyen de légalité externe tenant à un défaut d’indication de la finalité fiscale dans la décision d’injonction et quant à l’absence de communication de la demande des autorités belges En ce qui concerne de prime abord les informations auxquelles la société demanderesse peut avoir accès, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 3, paragraphe (4) de la loi du 25 novembre 2014, dans sa version applicable au moment de la prise de la décision litigieuse, « La demande d’échange de renseignements ne peut pas être divulguée. La décision d’injonction ne comporte que les indications qui sont indispensables pour permettre au détenteur des renseignements d’identifier les renseignements demandés. ».

En l’espèce, il y a lieu de relever que si la décision d’injonction comporte l’indication du contribuable visé, à savoir Monsieur …, elle reste cependant muette quant à la finalité fiscale poursuivie.

Force est de relever que dans un arrêt récent du 17 novembre 2022, inscrit sous le numéro 47734C du rôle12, la Cour administrative a retenu que si la CJUE n’avait pas encore reconnu au détenteur de renseignements un droit de communication de l’information minimale au cours de la phase administrative dans son arrêt Berlioz du 16 mai 2017, elle a admis l’existence d’un tel droit en faveur du détenteur de renseignements dans son arrêt du 25 novembre 202113, en justifiant cette solution par la nécessité de respecter la substance du droit à un recours effectif, qui implique que le détenteur soit mis en mesure de décider en connaissance de cause s’il reconnaît la validité de la décision d’injonction lui adressée ou s’il entend en contester la légalité.

La Cour administrative en a déduit que depuis cet arrêt de la CJUE du 25 novembre 2021, l’exclusion de la communication de l’information minimale relative à la finalité fiscale déjà dans la décision d’injonction, telle qu’elle pouvait être déduite de l’arrêt de la CJUE du 16 mai 2017, ne saurait plus être maintenue, de sorte qu’il faut admettre que l’information minimale relative à la finalité fiscale de la demande d’échange de renseignements étrangère doit dorénavant être fournie en tant que motivation dans la décision d’injonction même. A cet égard, il y a lieu de rappeler que les arrêts de la CJUE statuant sur des renvois préjudiciels ont un effet ex tunc en ce sens qu’un tel arrêt interprète le droit de l’Union et éclaire et précise, 12 Dans le même sens à propos d’une demande visant un groupe de contribuables : Cour adm., 20 octobre 2022, n° 47770C du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu.

13 CJUE, 25 novembre 2021, Etat luxembourgeois contre L., C- 437/19.

16lorsque besoin en est, la signification et la portée de cette règle telle qu’elle doit ou aurait dû être comprise et appliquée depuis le moment de sa mise en vigueur, de sorte que la règle ainsi interprétée peut donc, et même doit, être appliquée par le juge national même à des rapports juridiques nés et constitués avant l’arrêt statuant sur la demande d’interprétation, si par ailleurs les conditions permettant de porter devant les juridictions compétentes un litige relatif à l’application de ladite règle se trouvent réunies14.

Il s’ensuit que c’est à juste titre que la société demanderesse critique la décision pour ne pas contenir l’indication de la finalité fiscale.

S’agissant toutefois des conséquences à tirer de ce défaut d’indication de la finalité fiscale dans une décision d’injonction émise conformément à la loi du 25 novembre 2014, il se dégage de la jurisprudence désormais constante de la Cour administrative et notamment d’un arrêt récent du 20 avril 2023, inscrit sous le numéro 48650C du rôle, que la seule sanction consiste dans la suspension des délais de recours jusqu’au moment où le détenteur de renseignements aura obtenu une communication suffisante de la finalité fiscale justifiant la demande d’échange étrangère et partant la décision d’injonction prise à sa suite15.

Il s’ensuit que l’absence vérifiée de l’indication de la finalité fiscale dans la décision d’injonction n’emporte pas son annulation et le moyen afférent est à rejeter.

Enfin et dans la mesure où la CJUE a entériné dans l’arrêt Berlioz le caractère secret de la demande de renseignements étrangère conformément à l’article 16 de la directive 2011/16/UE, principe qu’elle a réitéré dans son arrêt précité du 25 novembre 2021, la demande formulée par la société demanderesse de se voir autoriser à consulter la demande d’échange de renseignements émanant de l’administration fiscale belge est, également, à rejeter.

Pareillement, le moyen fondé sur une violation de ses droits de la défense, de son droit à un procès équitable, voire d’une violation du principe de l’égalité des armes, au motif d’un défaut d’accès à la demande d’échange de renseignements est à rejeter, dans la mesure où la société demanderesse, si elle ne disposait effectivement pas des informations requises au moment de la rédaction du recours sous analyse, a eu la possibilité de prendre position, à travers un mémoire en réplique, sur les informations et explications lui fournies par l’Etat dans sa réponse, possibilité dont elle a d’ailleurs fait usage, celle-ci ayant par ailleurs pu produire un mémoire supplémentaire devant le tribunal dans lequel elle a amplement fait connaître sa position quant à la finalité fiscale de la demande d’échange de renseignements de l’autorité compétente belge et quant à l’absence alléguée de pertinence vraisemblable des renseignements sollicités au sein de ladite demande.

Quant au moyen ayant trait à la condition de l’épuisement des voies internes La société demanderesse fait valoir que les autorités fiscales belges n’auraient pas épuisé les sources habituelles de renseignements internes au motif qu’elles pourraient obtenir les renseignements litigieux soit par l’exercice de leur droit de communication en Belgique dans le chef de Monsieur …, soit en consultant le registre de commerce et des sociétés de Luxembourg.

14 CJUE, 27 mars 1980, Amministrazione delle finanze dello Stato c/ Denkavit italiana, C-61/79.

15 Cour adm., 17 novembre 2022, n° 47734C du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu.

17La condition d’épuisement des voies internes est prévue par la directive 2011/16/UE et par l’article 18, paragraphe (1) de la loi du 29 mars 2013 disposant que « l’autorité requise luxembourgeoise fournit à l’autorité requérante les informations [vraisemblablement pertinentes], à condition que l’autorité requérante ait déjà exploité les sources habituelles d’information auxquelles elle peut avoir recours pour obtenir les informations demandées sans risquer de nuire à la réalisation de ses objectifs », cette disposition étant le reflet de la directive qu’elle transpose.

Il se dégage de cette disposition que la communication des informations vraisemblablement pertinentes à l’autorité requérante est subordonnée au fait que cette dernière ait déjà exploité les sources usuelles de renseignements à sa disposition, étant relevé que cette obligation d’épuiser les voies internes n’est pas absolue, mais connaît, aux termes de la directive 2011/16/UE, un tempérament à travers l’expression « sans risquer de nuire à la réalisation de ses objectifs », cette exception visant à préserver les chances de succès des vérifications menées par l’autorité requérante lorsqu’en enquêtant sur son propre territoire, elle risquerait, par exemple, de nuire à l’efficacité de sa propre enquête en s’adressant aux contribuables visés ou à des tiers16.

Le tribunal relève encore que l’épuisement, par l’Etat requérant, des sources d’information disponibles représente une condition de légalité d’une demande d’échange de renseignements à côté du contrôle de la pertinence vraisemblable des renseignements sollicités17.

Dans le cas d’espèce, le tribunal constate que le formulaire de demande d’échange de renseignements émanant des autorités belges indique sous la rubrique A1-6) que celles-ci ont épuisé les sources habituelles de renseignements qu’elles auraient pu déployer pour obtenir les informations recherchées sans courir le risque de compromettre le résultat de leur enquête.

Au vu de ces éléments et en l’absence de toute autre information venant contredire les indications des autorités fiscales belges, il convient d’admettre en l’état que le directeur a pu partir du principe que ces dernières ont bien respecté à suffisance la condition de l’épuisement des sources internes habituelles avant d’introduire leur demande d’échange de renseignements.

Le moyen afférent est partant à rejeter.

Quant au contrôle effectué par le directeur et quant à la pertinence vraisemblable des renseignements demandés Tel que relevé ci-avant, la demande de renseignements des autorités belges est basée sur la directive 2011/16/UE, transposée en droit interne par la loi du 29 mars 2013, précitée, qui constitue dès lors le cadre légal de référence par rapport à la décision d’injonction déférée.

En ce qui concerne tout d’abord le contrôle à opérer par le tribunal, il convient de relever que l’article 3, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, en sa version en vigueur au moment de la prise de la décision d’injonction litigieuse, dispose que « L’administration fiscale compétente vérifie la régularité formelle de la demande d’échange de renseignements. La demande d’échange de renseignements est régulière en la forme si elle contient l’indication de 16 Cour adm., 31 mars 2022, n° 42143Ca du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu.

17 Cour adm., 25 février 2021, n° 45455C du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu.

18la base juridique et de l’autorité compétente dont émane la demande ainsi que les autres indications prévues par les Conventions et lois. ».

Dans son arrêt Berlioz du 16 mai 2017, la CJUE a délimité le champ du contrôle à exercer par le juge compétent saisi dans l’Etat requis par rapport à la demande d’injonction en ce sens que « les limites applicables au contrôle de l’autorité requise s’imposent de la même manière au contrôle du juge »18 et que « le juge doit uniquement vérifier que la décision d’injonction se fonde sur une demande suffisamment motivée de l’autorité requérante portant sur des informations qui n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard, d’une part, au contribuable concerné ainsi qu’au tiers éventuellement renseigné et, d’autre part, à la finalité fiscale poursuivie. »19.

Tel que cela a été relevé par la Cour administrative dans son arrêt du 12 janvier 2021, inscrit sous le numéro 41486Ca du rôle, la CJUE a rappelé dans son arrêt du 6 octobre 2020, affaires jointes C-245/19 et C-246/19, certains des principes déjà énoncés par elle dans l’arrêt Berlioz, dont notamment celui que si l’autorité requérante, qui est maîtresse de l’enquête à l’origine de la demande d’échange d’informations, dispose d’une marge d’appréciation pour évaluer, selon les circonstances de l’affaire, la pertinence vraisemblable des informations demandées, elle ne saurait pour autant demander à l’autorité requise des informations ne présentant aucune pertinence pour cette enquête et que des renseignements sollicités à travers une demande d’échange d’informations de l’autorité requérante visant à faire effectuer une recherche d’informations « tous azimuts », telle que visée au considérant 9 de la directive 2011/16/UE20, ne sauraient, en tout état de cause, être considérés comme étant vraisemblablement pertinents au sens de l’article 1er, paragraphe (1) de la directive 2011/16/UE21.

La CJUE a ensuite rappelé que dans l’hypothèse du recours par le destinataire de la décision d’injonction, la juridiction compétente doit contrôler que la motivation de cette décision et de la demande sur laquelle celle-ci se fonde est suffisante pour établir que les informations en cause n’apparaissent pas, de manière manifeste, dépourvues de toute pertinence vraisemblable eu égard à l’identité du contribuable visé, à celle de la personne détenant ces informations et aux besoins de l’enquête en cause.

Au vu des principes énoncés par la CJUE dans son arrêt Berlioz et réitérés dans son arrêt du 6 octobre 2020 quant à la nécessité d’un contrôle du bien-fondé d’une décision d’injonction et de l’étendue de ce contrôle restreint, et tel que la Cour administrative l’a retenu dans son arrêt du 12 janvier 2021, inscrit sous le numéro 41486Ca du rôle, le tribunal est amené à conclure que l’article 3, paragraphe (1) de la loi du 25 novembre 2014, précité, en sa version en vigueur au moment de la prise de la décision d’injonction litigieuse, n’était pas conforme aux articles 1er, paragraphe (1) et 5 de la directive 2011/16/UE ensemble avec l’article 47 de la 18 CJUE (grande chambre), 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund SA c. Etat luxembourgeois, C-682/15, considérant n° 85.

19 Considérant n° 86.

20 « Il importe que les États membres échangent des informations concernant des cas particuliers lorsqu’un autre État membre le demande et fassent effectuer les recherches nécessaires pour obtenir ces informations. La norme dite de la « pertinence vraisemblable » vise à permettre l’échange d’informations en matière fiscale dans la mesure la plus large possible et, en même temps, à préciser que les États membres ne sont pas libres d’effectuer des « recherches tous azimuts » ou de demander des informations dont il est peu probable qu’elles concernent la situation fiscale d’un contribuable donné. Les règles de procédure énoncées à l’article 20 de la présente directive devraient être interprétées assez souplement pour ne pas faire obstacle à un échange d’informations effectif ».

21 Cour adm., 12 janvier 2021, n° 41486Ca du rôle, considérant n° 35.

19Charte, de sorte qu’il doit en écarter l’application au vu du rang hiérarchique supérieur de ces normes de droit de l’Union européenne par rapport à la loi interne luxembourgeoise en ce qu’elle entend empêcher le directeur, en tant qu’autorité compétente de l’Etat requis, et à sa suite, le cas échéant, le juge administratif, de procéder à tout examen de la validité au fond d’une demande d’échange de renseignements lui adressée22.

En ce qui concerne ensuite la question de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés dans la décision d’injonction du 7 mars 2018, il échet tout d’abord de relever que l’article 6 de la loi du 29 mars 2013 dispose comme suit :

« A la demande de l’autorité requérante, l’autorité requise luxembourgeoise lui communique les informations vraisemblablement pertinentes pour l’administration et l’application de la législation interne de l’Etat membre requérant relative aux taxes et impôts visés à l’article 1er, dont elle dispose ou qu’elle obtient à la suite d’enquêtes administratives ».

Le critère de la pertinence vraisemblable se trouve explicité dans le considérant n° 9 du préambule de la directive 2011/16/UE qui le définit comme suit : « Il importe que les États membres échangent des informations concernant des cas particuliers lorsqu’un autre État membre le demande et fassent effectuer les recherches nécessaires pour obtenir ces informations. La norme dite de la « pertinence vraisemblable » vise à permettre l’échange d’informations en matière fiscale dans la mesure la plus large possible et, en même temps, à préciser que les États membres ne sont pas libres d’effectuer des « recherches tous azimuts » ou de demander des informations dont il est peu probable qu’elles concernent la situation fiscale d’un contribuable donné. Les règles de procédure énoncées à l’article 20 de la présente directive devraient être interprétées assez souplement pour ne pas faire obstacle à un échange d’informations effectif ».

La CJUE a encore précisé que « cette notion de pertinence vraisemblable reflète celle utilisée à l’article 26 du modèle de convention fiscale de l’OCDE tant en raison de la similitude des concepts utilisés que de la référence aux conventions de l’OCDE dans l’exposé des motifs de la proposition de directive du Conseil COM(2009) 29 final, du 2 février 2009, relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal, ayant conduit à l’adoption de la directive 2011/16 »23.

La condition de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés implique que la demande porte sur un cas d’imposition précis et spécifique et qu’elle soit relative à un contribuable déterminé, les renseignements demandés devant être vraisemblablement pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante. En somme, il faut qu’il existe une possibilité raisonnable que les renseignements demandés se révèleront pertinents pour l’enquête menée par l’autorité requérante. En revanche, la décision d’injonction est à qualifier de « pêche aux renseignements » si elle est fondée sur une demande d’échange de renseignements qui porte sur des informations qui sont manifestement dépourvues de toute pertinence vraisemblable pour l’enquête menée par l’autorité requérante et ce eu égard au contribuable concerné, au tiers éventuellement renseigné et à la finalité fiscale poursuivie.

L’exécution du contrôle de l’absence manifeste de pertinence vraisemblable des renseignements demandés par l’autorité requérante avant la prise d’une décision d’injonction 22 Cour adm., 12 janvier 2021, n° 41486Ca du rôle, considérant n° 40.

23 Arrêt Berlioz, considérant n° 67.

20s’analyse en une protection essentielle dont le non-respect affecte la validité de la décision d’injonction24.

En ce qui concerne ensuite le rôle du tribunal saisi d’un recours en annulation contre une injonction de communiquer des renseignements, celui-ci est circonscrit par une triple limitation, à savoir, premièrement, celle découlant de sa compétence limitée de juge de l’annulation, deuxièmement, celle découlant du fait que la décision directoriale repose à la base sur la décision d’une autorité étrangère, dont la légalité, le bien-fondé et l’opportunité échappent au contrôle du juge luxembourgeois, et, troisièmement, celle du critère s’imposant tant au directeur qu’au juge administratif, à savoir celui de la « pertinence vraisemblable ». En ce qui concerne ce dernier critère, il y a lieu de relever que si le juge de l’annulation est communément appelé à examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, ce contrôle doit, en la présente matière, être considéré comme plus limité, puisque le juge n’est pas appelé à vérifier si la matérialité des faits donnant lieu au contrôle lequel justifie la demande de renseignements est positivement établie, mais seulement si les renseignements sollicités paraissent être vraisemblablement pertinents dans le cadre du contrôle ou de l’enquête poursuivie dans l’Etat requérant25. La CJUE a, en effet, rappelé à cet égard que l’autorité requise ne possède en général pas une connaissance approfondie du cadre factuel et juridique existant dans l’Etat requérant, et il ne saurait être exigé qu’elle ait une telle connaissance26.

Il s’ensuit qu’un demandeur ne saurait être admis à apporter la preuve, au cours de la phase contentieuse, que les explications soumises par l’Etat requérant reposent sur des faits inexacts, dans la mesure où cette faculté imposerait en effet au tribunal de se livrer à un contrôle de la matérialité des faits à la base de la demande de renseignements de l’autorité étrangère.

Or, ce débat doit être porté devant les autorités compétentes de l’Etat requérant. Il n’appartient pas non plus au directeur, et corrélativement au tribunal, d’examiner, d’après le droit de l’Etat requérant, la situation fiscale du contribuable visé dans l’Etat requérant, cette compétence et les contestations afférentes relevant des seules autorités de l’Etat requérant.

Il n’est fait exception à cette limitation du rôle du juge luxembourgeois que dans les hypothèses où la personne ayant recouru contre une décision directoriale d’injonction de fournir des renseignements soumet en cause des éléments circonstanciés qui sont de nature à ébranler le contenu de la demande de renseignements étrangère en des volets essentiels de la situation à la base de la demande d’échange de renseignements et qui reviennent ainsi à affecter sérieusement la vraisemblance de la pertinence des informations sollicitées ou d’autres conditions posées à un échange de renseignements27.

Dans cette logique, le tribunal est encore amené à conclure que la conséquence de cette limitation de son rôle est nécessairement celle de qualifier uniquement ceux des renseignements demandés comme vraisemblablement pertinents qui se rattachent au strict cas d’imposition invoqué par l’Etat requérant, y compris la qualité dont est revêtu le contribuable selon les explications de l’Etat requérant. Par voie de conséquence, tout renseignement 24 Cour adm., 26 octobre 2017, n° 36893Ca du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 1461 et les autres références y citées.

25 Trib. adm., 12 juillet 2012, n° 30164 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 1477 et les autres références y citées.

26 CJUE (grande chambre), 16 mai 2017, Berlioz Investment Fund SA c. Etat luxembourgeois, C-682/15, considérant n° 77.

27 Cour adm., 1er octobre 2020, n° 44825C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 1477.

21dépassant le cadre tracé par le cas d’imposition invoqué par l’Etat requérant est à qualifier de pêche aux renseignements.

Aussi, le juge administratif, pour ce faire, vérifiera, d’une part, si les obligations imposées à l’autorité requérante ont été respectées quant à la transmission des informations nécessaires pour la mise en œuvre de l’échange d’information et, d’autre part, si l’autorité requise a respecté les obligations mises à sa charge.28 En l’espèce, force est de constater que les critiques de la société demanderesse quant au contrôle à opérer par le directeur portent en substance non pas sur la vérification formelle opérée par le directeur, mais plutôt sur la vérification de la pertinence vraisemblable des informations demandées, de sorte que les critiques quant au contrôle à opérer par le directeur et le principe même de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés se recoupent en substance.

Ensuite, il convient de retenir que les contestations soulevées par la société demanderesse au titre de la condition de la pertinence vraisemblable des renseignements demandés et tendant à remettre en question la méthode d’investigation par rapport à la procédure fiscale applicable en Belgique, respectivement la légalité du contrôle fiscal effectué en Belgique auprès de la … pour en tirer des conclusions sur la légalité de la décision faisant l’objet du présent litige sont à rejeter, étant donné qu’ils ont trait à la réalité de la situation factuelle dans l’Etat requérant et qu’un tel examen excèderait le rôle et les pouvoirs du tribunal dans le cadre du présent recours en annulation, tel qu’il a été décrit ci-avant. En effet, le rôle du tribunal saisi d’un recours en la présente matière est, tel que décrit ci-dessus, circonscrit notamment par la limitation que la décision directoriale repose à la base sur la décision d’une autorité étrangère, dont la légalité, le bien-fondé et l’opportunité échappent au contrôle du juge luxembourgeois. Il n’appartient dès lors pas à l’autorité luxembourgeoise et de ce fait au juge luxembourgeois de contrôler la légalité de la décision à la base de la décision faisant l’objet du présent recours, respectivement de vérifier la conformité des opérations fiscales effectuées en Belgique au droit interne belge, tel que le suggère la société demanderesse en indiquant notamment qu’il se poserait la question de la légalité du contrôle opéré auprès de la … qui aurait eu pour finalité de récupérer en violation de la loi des données personnelles relatives à des tiers détenues par celle-ci ou encore que la collecte d’informations auprès de la société demanderesse et de Monsieur … ne pourrait être considérée comme régulière que si les enquêtes menées à la base auprès de la … ne dérogeaient pas à la législation belge, ceci étant une question de droit relevant de la compétence de l’administration fiscale belge, ainsi que des juridictions belges.

Force est encore au tribunal de constater que la demande de renseignements émanant des autorités belges indique l’identité du contribuable visé et contient, par ailleurs, une description de l’affaire et de la finalité fiscale pour laquelle les renseignements sont demandés.

Ainsi, il ressort de la demande d’échange de renseignements que celle-ci s’inscrit dans le cadre d’une enquête administrative diligentée par l’administration fiscale belge auprès de la société de droit belge … de laquelle il ressort que Monsieur … est salarié de la société ….

Les autorités belges soulignent que Monsieur … revendiquerait, à tort, l’exonération totale de ses rémunérations en Belgique, alors qu’il exercerait son occupation principale en Belgique et en France. Il ressortirait, en outre, du compte bancaire de Monsieur … au 28 Cour adm., 27 mai 2014, n°34291C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Impôts, n° 1400 et les autres références y citées.

22Luxembourg que celui-ci disposerait d’un compte courant ouvert dans la comptabilité de la société demanderesse et qu’il aurait effectué un virement à hauteur de …0 euros avec la mention « … ». A cela s’ajouterait qu’il bénéficierait de remboursements de frais importants versés sur son compte bancaire luxembourgeois et que les dettes de la société demanderesse s’élèveraient à … euros pour l’année 2014 et à … euros au cours de l’année 2015.

Les explications fournies en l’espèce par les autorités belges sont ainsi suffisantes pour retenir que la demande de renseignements s’inscrit dans le cadre d’un cas d’imposition déterminé, à savoir celui de Monsieur … qui est soupçonné de bénéficier de rétributions complémentaires de la part de la société demanderesse au Luxembourg non déclarées en Belgique.

La demande renseigne, par ailleurs, tel que déjà relevé ci-dessus, que l’autorité belge a épuisé, dans son pays, toutes les sources habituelles de renseignements à sa disposition pour obtenir les renseignements requis.

D’un point de vue formel, la demande de renseignements satisfait dès lors aussi bien à la condition de détermination du contribuable visé qu’à celle selon laquelle elle doit porter sur un cas d’imposition, de contrôle ou d’enquête précis et spécifique.

Cette conclusion n’est pas énervée par les contestions de la société demanderesse quant à l’existence même d’une « enquête ou un contrôle en cours » en Belgique, alors que l’imposition de Monsieur … aurait déjà été valablement contestée devant les tribunaux belges, celles-ci ayant trait à des considérations factuelles, voire au bien-fondé de la procédure fiscale en Belgique, question qui n’est pas soumise au contrôle du tribunal lequel n’a pas à examiner la situation fiscale du contribuable visé dans l’Etat requérant, cette compétence et les contestations afférentes relevant des seules autorités de l’Etat requérant. Les contestations afférentes de la société demanderesse sont partant rejetées comme étant dépourvues de pertinence.

En ce qui concerne ensuite la condition que les renseignements demandés doivent pouvoir être qualifiés comme étant « vraisemblablement pertinents » de sorte à prévenir une « pêche aux renseignements », le tribunal vient de relever que la demande des autorités belges renseigne les liens entre Monsieur …, en tant que contribuable visé, et la société …, en tant qu’employeur de Monsieur ….

En substance, les autorités fiscales belges ont justifié la demande de renseignements par l’affirmation qu’un contrôle fiscal opéré en Belgique auprès de la … avait fait apparaître des éléments de nature à faire soupçonner que Monsieur … percevrait des rétributions complémentaires de la part de la société demanderesse qu’il n’aurait pas déclarées en Belgique alors qu’il bénéficierait de remboursements de frais importants versés sur son compte bancaire luxembourgeois, que la société demanderesse disposerait de pertes importantes au cours de la période litigieuse et en raison d’un virement effectué sur son compte courant ouvert auprès de la société …. Sur base de ces soupçons, les autorités belges demandent des renseignements afin de permettre une correcte imposition des revenus de Monsieur …. Ces explications sont en principe suffisantes prima facie pour justifier le principe de la demande de renseignements sans que les autorités fiscales n’aient, au regard des conclusions retenues ci-avant, à justifier la matérialité de leurs constats, étant relevé qu’il n’est pas requis que la Belgique fournisse plus de preuves de l’existence de ces faits, mais il suffit qu’il existe, sur base d’informations vérifiables, un indice vraisemblable en ce sens.

23 Au regard du descriptif de la demande formulée par les autorités fiscales belges, des mentions précises, des vérifications déjà effectuées et de la finalité étayée des informations qu’elles souhaitent collecter par le biais des autorités luxembourgeoises, le tribunal est amené à retenir qu’il peut être raisonnablement exclu que les informations sollicitées par l’autorité requérante belge constituent une pêche aux renseignements et ne seraient pas pertinentes pour élucider l’affaire fiscale du contribuable visé.

En ce qui concerne les questions précises posées aux tirets un et deux, le tribunal est amené à retenir que de manière générale les informations demandées sont en principe susceptibles de renseigner les autorités fiscales belges quant à l’existence de revenus non déclarés en Belgique, de sorte que ces renseignements sont à considérer comme vraisemblablement pertinents par rapport au cas d’imposition visé et par rapport au but fiscal affirmé par les autorités belges, à savoir celui de démontrer que Monsieur … bénéficierait de rétributions complémentaires de la part de la société … qu’elle n’aurait pas déclarées à l’administration fiscale belge.

Concernant l’argumentation de de la société demanderesse fondée respectivement sur les articles 7 et 8 de la Charte et 8 de la CEDH, le tribunal tient à relever qu’au-delà des autres conditions posées par ces dispositions pour la validité d’une ingérence étatique dans la vie privée, le caractère proportionné d’une telle ingérence par rapport au but légitime poursuivi est seulement donné s’il est suffisamment probable que les renseignements sollicités serviront réellement à la fixation de l’impôt. Ce critère de la pertinence vraisemblable des informations demandées s’analyse dès lors en une application particulière en matière d’échange de renseignements du critère plus général de la proportionnalité découlant de ces dispositions. La CJUE a notamment jugé dans l’arrêt Berlioz que la pertinence vraisemblable des informations demandées par un Etat membre à un autre Etat membre constitue une condition à laquelle la demande d’informations doit satisfaire pour déclencher l’obligation de l’Etat membre requis d’y donner suite et, par là même, une condition de légalité de la décision d’injonction adressée par cet Etat membre à un administré. Or, la conclusion ci-avant tirée que les renseignements sollicités par les autorités belges, tels que repris aux tirets 1 et 2 de la décision litigieuse, satisfont au critère de la pertinence vraisemblable doit également emporter la conclusion de la conformité de la décision d’injonction du 7 mars 2018 aux prédites dispositions.

En revanche, en ce qui concerne la troisième question posée, à savoir celle de fournir les historiques des comptes généraux, les historiques des comptes particuliers clients et fournisseurs, les journaux des achats, des ventes et financiers ainsi que le journal des opérations diverses sur les périodes visées, le tribunal est amené à retenir que cette question tend à voir communiquer la comptabilité entière de la société … sans limiter la portée de cette demande à la personne de Monsieur …. La comptabilité de la société …, respectivement l’identité de ses clients et fournisseurs doivent toutefois être considérées, en l’absence de toute explication en ce sens de la part des autorités belges, comme étant étrangères au cas d’imposition de Monsieur … et ne peuvent dès lors pas être considérées comme vraisemblablement pertinentes dans le cadre de ce cas d’imposition.

Il s’ensuit que la troisième question contenue dans la décision d’injonction du 7 mars 2018 tend en partie à obtenir des renseignements qui ne sont pas vraisemblablement pertinents pour le cas d’imposition en cause et ce dans la mesure où elle tend à obtenir et à continuer aux autorités belges des informations relatives aux activités de la société … dépourvues de lien avec le cas d’imposition de Monsieur ….

24 Pour être tout à fait complet, et à supposer qu’en s’emparant de l’article 26, paragraphe (3), point b) de la Convention, le demandeur ait entendu contester le respect par l’autorité requise de la condition de réciprocité, respect dont la vérification s’impose à celle-ci sur le fondement de l’article 4 de la loi du 31 mars 2010 portant approbation de l’avenant et de l’échange de lettres y relatif à la Convention, et en vertu duquel « Les dispositions des paragraphes 1 et 2 ne peuvent en aucun cas être interprétées comme imposant à un Etat contractant l’obligation : […] b) de fournir des renseignements qui ne pourraient être obtenus sur la base de sa législation ou dans le cadre de sa pratique administrative normale ou de celle de l’autre Etat contractant ; […] », le tribunal constate que sous le point A 1-5) intitulé « Reciprocity » de la demande de renseignements, les autorités belges ont confirmé que la Belgique est à même de fournir des renseignements similaires.

Au vu de la confirmation expresse des autorités belges qu’elles peuvent fournir les mêmes renseignements aux autorités luxembourgeoises et à défaut de contestations pertinentes de la société demanderesse permettant d’énerver ce constat, et susceptibles de retenir que la Belgique ne serait pas en mesure de fournir les renseignements bancaires sollicités, le moyen afférent de la société demanderesse est à rejeter. Cette conclusion n’est pas énervée par les contestations de la société demanderesse quant à l’utilisation des renseignements obtenus dans le cadre des opérations de saisie effectuées en Belgique. En effet, tel que cela a été retenu ci-

avant, ces contestations sont inopérantes dans le cadre du présent litige qui a pour objet le contrôle de la régularité de la décision d’injonction directoriale suite à une demande de renseignements belge, mais qui n’a pas pour objet le contrôle de la légalité des opérations de contrôle effectuées par les autorités belges sur leur territoire national, contrôle que le tribunal n’est pas autorisé à faire.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que la décision directoriale déférée est conforme aux principes précités tels que définis par la jurisprudence de la CJUE en ce qu’elle enjoint à la société … (i) de préciser les historiques des comptes courants de Monsieur … pour les années 2014 à 2016, (ii) de préciser si elle a consenti un ou plusieurs prêts ou avances à Monsieur … et dans l’ affirmative, (iii) de préciser ces conventions, respectivement d’indiquer les modalités des prêts ou avances consentis au cours des années 2014 à 2016. Il incombe, par conséquent, également à la société … de fournir une copie de tous les documents pertinents relatifs à la première et à la deuxième question.

Par contre, la décision directoriale déférée n’est pas conforme aux principes précités tels que définis par la jurisprudence de la CJUE dans la mesure où elle tend à obtenir et à continuer aux autorités belges des renseignements qui ne peuvent pas être considérés comme vraisemblablement pertinents dans le cadre du contrôle fiscal de ces dernières, en l’occurrence ceux dépassant les confins ci-avant tracés et visant à fournir les historiques des comptes généraux, les historiques des comptes particuliers clients et fournisseurs, les journaux des achats, des ventes et financiers ainsi que le journal des opérations diverses pour les années 2014 à 2016 et qui ne sont a priori, à défaut de toute explication concrète et précise, d’aucune utilité dans le cadre de la détermination de l’imposition de Monsieur … en Belgique. En ce sens, la décision d’injonction déférée doit donc encourir l’annulation.

S’il est vrai qu’une décision administrative indivisible ne peut pas faire l’objet d’une annulation partielle, tel n’est pas le cas pour une décision dont l’illégalité ne s’étend qu’à certains de ses éléments, aisément dissociables, auquel cas rien ne s’oppose à ce que le juge ne prononce que l’annulation de ces chefs illégaux, laissant subsister le reste de la décision. Etant 25donné qu’en l’espèce, les renseignements valablement requis par le directeur peuvent être dissociés de ceux dont il n’a pas pu exiger la fourniture, il y a lieu d’annuler la décision directoriale dans la mesure précisée au dispositif.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le recours est à déclarer partiellement fondé.

Etant donné que le tribunal vient de procéder à l’annulation partielle de la décision déférée, il y a lieu de faire masse des dépens et de les mettre pour moitié à charge de la société demanderesse et pour l’autre moitié à charge de l’Etat.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation ;

reçoit le recours subsidiaire en annulation en la forme ;

au fond, le déclare partiellement fondé ;

partant annule la décision du directeur de l’administration des Contributions directes du 7 mars 2018, référencée sous le numéro 2017-1122-S1 MG, dans l’unique mesure où elle enjoint à la société anonyme … de fournir les renseignements et documents tels que sollicités dans la question suivante : « Veuillez fournir les historiques des comptes généraux, les historiques des comptes particuliers clients et fournisseurs, les journaux des achats, des ventes et financiers ainsi que le journal des opérations diverses sur les périodes visées » ;

fait masse des frais et dépens et les impose pour moitié à la partie étatique et pour moitié à la société demanderesse.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Carine Reinesch, premier juge, Annemarie Theis, juge, et lu à l’audience publique extraordinaire du 20 juillet 2023 par le vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 20 juillet 2023 Le greffier du tribunal administratif 26


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 40997
Date de la décision : 20/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/08/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-07-20;40997 ?

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