La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

19/07/2023 | LUXEMBOURG | N°49040

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 juillet 2023, 49040


Tribunal administratif N° 49040 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49040 chambre de vacation Inscrit le 14 juin 2023 Audience publique de vacation du 19 juillet 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (2), L. 18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49040 du rôle et déposée le 14 juin 2023 au greffe du tribunal administratif par

Maître Marlène Aybek, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Lu...

Tribunal administratif N° 49040 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49040 chambre de vacation Inscrit le 14 juin 2023 Audience publique de vacation du 19 juillet 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (2), L. 18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49040 du rôle et déposée le 14 juin 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Marlène Aybek, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Soudan), de nationalité soudanaise, demeurant actuellement à L-…, tendant, à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 31 mai 2023 ayant déclaré sa troisième demande de protection internationale irrecevable sur le fondement de l’article 28 (2) d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 5 juillet 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision attaquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Felipe Lorenzo en sa plaidoirie à l’audience publique de vacation du 19 juillet 2023.

Le 8 février 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après dénommé « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 31 août 2020, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 1er octobre 2020, Monsieur … introduisit un recours contentieux contre la prédite décision ministérielle, recours dont il fut débouté par jugement du 21 juillet 2021, inscrit sous le numéro 45053 du rôle, confirmé par arrêt de la Cour administrative du 2 novembre 2021, inscrit sous le numéro 46389C du rôle.

Le 2 décembre 2021, Monsieur … fut convoqué auprès du ministère en vue d’un retour volontaire vers le Soudan, ce qu’il refusa.

En date du 14 février 2022, il fit introduire par le biais de son litismandataire de l’époque une demande de report à l’éloignement, ce que le ministre lui refusa par décision du 4 mars 2022.

Le 17 mars 2022, Monsieur … fut encore convoqué au ministère en vue d’un retour volontaire vers le Soudan, ce qu’il refusa à nouveau.

Le 7 juin 2022, il fit introduire, par le biais de son litismandataire de l’époque, un recours gracieux contre la décision portant refus d’un report à l’éloignement dans son chef, que le ministre rejeta en date du 5 juillet 2022.

Le 18 juillet 2022, il introduisit une demande de protection internationale en France et fit par la suite l’objet d’un transfert vers le Luxembourg en date du 2 février 2023 dans le cadre du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

En date du 9 février 2023, Monsieur … introduisit auprès du ministère une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Le 16 février 2023, il fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa nouvelle demande de protection internationale.

Par décision du 24 février 2023, notifiée à l’intéressé par un courrier recommandé envoyé le 28 février 2023, le ministre l’informa que sa nouvelle demande de protection internationale avait été déclarée irrecevable sur base de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015, après avoir résumé les rétroactes, les motifs invoqués par Monsieur … à la base de sa première demande de protection internationale et les conclusions tirées par le tribunal dans son jugement du 21 juillet 2021, ainsi que celles relevées dans l’arrêt de la Cour administrative du 2 novembre 2021, prémentionnés.

Le 20 mars 2023, Monsieur … fut convoqué à un entretien le 30 mars 2023 au ministère en vue d’un retour volontaire vers le Soudan, ce qu’il refusa à nouveau.

Le recours contentieux introduit le 16 mars 2023 par Monsieur … contre la décision ministérielle précitée du 24 février 2023 déclarant sa seconde demande de protection internationale irrecevable fut rejeté par un jugement du tribunal administratif du 4 mai 2023, inscrit sous le numéro 48710 du rôle.

En date du 26 mai 2023, Monsieur … introduisit encore auprès du ministère une nouvelle demande de protection internationale au sens de la loi du 18 décembre 2015.

Par décision du 31 mai 2023, notifiée à l’intéressé en mains propres, le ministre l’informa que sa nouvelle demande de protection internationale avait été déclarée irrecevable sur base de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015. Après avoir résumé d’abord les rétroactes, les motifs invoqués par Monsieur … à la base de sa première demande de protection internationale et les conclusions tirées par le tribunal dans son jugement du 21 juillet 2021, ainsi que celles relevées dans l’arrêt de la Cour administrative du 2 novembre 2021, prémentionnés, et, ensuite, les rétroactes, les motifs invoqués par Monsieur … à la base de sa seconde demande de protection internationale de même que la solution retenue par le tribunaldans son jugement précité du 4 mai 2023, le ministre déclara la troisième demande de protection internationale de Monsieur … irrecevable, pour les motifs suivants :

« […] Le 26 mai 2023, vous avez présenté une troisième demande de protection internationale au Luxembourg.

Sur votre fiche manuscrite, vous avancez prioritairement que « mon pays est en guerre » et que vous ne pouvez par conséquent pas y retourner, en faisant vraisemblablement référence aux affrontements ayant débuté le 15 avril 2023 entre les Forces armées soudanaises (SAF), dirigées par le général Abdel Fattah al-Burhan et les Forces de soutien rapide (RSF) du général Mohammed Hamdan Daglo, tout en ajoutant vaguement que votre vie serait « en danger (meurtres, viols, escroqueries) ».

Monsieur, je suis néanmoins au regret de vous informer qu'en vertu des dispositions de l'article 28 (2) d) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, votre demande de protection internationale est irrecevable au motif que vous n'avez présenté aucun élément ou fait nouveau relatifs à l'examen visant à déterminer si vous remplissez les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d'une protection internationale.

Il convient de rappeler que le ministre peut déclarer irrecevable une demande ultérieure - c'est-à-dire une demande de protection internationale introduite après qu'une décision finale a été prise sur une demande antérieure émanant de la même personne - sans vérifier si les conditions d'octroi de la protection internationale sont réunies, dans le cas où le demandeur n'invoque aucun élément ou fait nouveau relatif à l'examen visant à déterminer s'il remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d'une protection internationale.

La recevabilité d'une demande ultérieure est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir, premièrement, que le demandeur invoque des éléments ou des faits nouveaux, deuxièmement, que les éléments ou les faits nouveaux présentés augmentent de manière significative la probabilité qu'il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et, troisièmement, qu'il ait été, sans faute de sa part, dans l'incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.

Il ressort des éléments de votre dossier que vous avez introduit votre troisième demande de protection internationale le 26 mai 2023, soit après avoir été définitivement débouté par un jugement du Tribunal administratif du 4 mai 2021, précité, de votre deuxième demande de protection internationale introduite le 9 février 2023, de sorte que votre demande de protection internationale faisant l'objet de la présente analyse doit être qualifiée comme constituant une demande ultérieure au sens de l'article 32, paragraphe (1), précité.

S'agissant de la question de savoir si les éléments avancés dans le cadre de cette troisième demande peuvent être qualifiés de nouveaux éléments, il échet d'abord de souligner que sont à considérer comme nouveaux, des éléments qui sont postérieurs à la décision ministérielle de rejet de la demande initiale et à la procédure contentieuse afférente.

Or, il ressort de vos déclarations du 26 mai 2023 que vous n'invoquez pas d'éléments pouvant être qualifiés de nouveaux au sens dudit article 32 étant donné qu'ils sont antérieurs à la procédure contentieuse. En d'autres termes, le fait que vous invoquez désormais encourir un risque pour votre sécurité en raison de la dangerosité de la situation conflictuelle au Soudan 3 depuis le 15 avril 2023 ne peut pas être perçu comme un nouvel élément puisque vous étiez encore dans la phase de votre procédure contentieuse jusqu'à la date de votre plaidoirie le 24 avril 2023. Ainsi, il appert que vous aviez eu la possibilité de faire état de ce motif, respectivement que vous auriez dû compléter les motifs de votre demande du 9 février 2023 au plus tard au moment de la phase contentieuse.

Votre nouvelle demande en obtention d'une protection internationale est dès lors déclarée irrecevable au sens de l'article 28 (2), point d), de la Loi de 2015. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 juin 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 31 mai 2023.

Etant donné que la décision déférée déclare irrecevable la demande de protection internationale de Monsieur … sur base de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015 et que l’article 35 (3) de ladite loi prévoit un recours en annulation en matière de demandes de protection internationale déclarées irrecevables sur base de l’article 28 (2) de la même loi, un recours en annulation a valablement pu être dirigé contre la décision ministérielle déférée.

Le recours en annulation est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours, le demandeur indique être de nationalité soudanaise, d’ethnie Misseriya et de confession musulmane. Il retrace les rétroactes de son affaire tels que repris ci-

dessus quant à sa première et deuxième demandes de protection internationale et explique avoir introduit une troisième demande de protection internationale en raison de la situation particulière d’insécurité régnant dans son pays d’origine résultant de la guerre y sévissant depuis le mois d’avril 2023.

En droit, Monsieur … estime que le statut de réfugié sinon la protection subsidiaire prévus par la Convention de Genève lui auraient été refusé à tort. Il invoque une violation de l’article 28 (2) d) de la loi du 18 décembre 2015, dans la mesure où le ministre aurait commis une erreur manifeste d’appréciation des faits qu’il aurait présentés à l’appui de sa nouvelle demande de protection internationale. Ainsi, son pays d’origine serait en guerre depuis 20 ans et un nouveau conflit aurait éclaté au mois d’avril 2023, le demandeur se basant à cet égard sur différents documents dont notamment un extrait du site internet wikipedia intitulé « Conflit soudanais de 2023 » ainsi que des articles publiés les 17 avril et 10 mai 2023 par l’organisation Amnesty International intitulés : « Soudan, la protection des civils doit être assurée alors que le bilan humain s’alourdit », respectivement « Soudan, il faut protéger les populations des conséquences du conflit ». Cette nouvelle situation serait à qualifier d’élément ou de fait nouveau de nature à augmenter de manière significative la probabilité qu’il remplit les conditions pour prétendre au statut de réfugié ou au statut conféré par la protection subsidiaire.

Il conteste l’argumentation ministérielle selon laquelle il aurait dû faire état de ce nouvel élément lors de la procédure contentieuse relative à sa seconde demande de protection internationale en expliquant qu’il lui aurait été impossible de présenter la situation de son pays d'origine à partir du 15 avril 2023 auprès du tribunal administratif alors que cette question n’aurait jamais été soumise préalablement à l'appréciation du ministre. Suivant la procédure en vigueur, il serait pourtant « nécessaire de présenter chaque élément nouveau d'abord à l'appréciation de Monsieur le Ministre, afin de lui permettre de rendre une décision ministérielle ».

Le demandeur fait ensuite valoir qu'il existe un risque grave de traitements inhumains et dégradants contre sa personne en cas de retour dans son pays d'origine, au sens de l'article 48 de de la loi du 18 décembre 2015. Il se réfère encore aux articles 42 (1), points a) et b) et 41 (2) de la loi du 18 décembre 2015 qu’il estime applicables en l’espèce, puisqu’il risquerait d'être victime des atteintes graves sur base de l'article 48. Il conclut que la situation de conflit dans son pays d’origine serait réelle et sérieuse et que sa simple présence sur le territoire soudanais l’exposerait au risque de subir des traitements inhumains et dégradants.

Enfin, le demandeur conclut à une violation de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950 et approuvée par une loi du 29 août 1953, désignée ci-après par « la CEDH » interdisant la commission de traitements inhumains et dégradants sur toute personne de manière absolue. Il en conclut qu’il ne pourrait pas faire l’objet d’un retour dans son pays d’origine, sous peine d’une violation dudit article 3 en raison du risque réel d’y subir des traitements inhumains ou dégradants.

Le demandeur conclut à la recevabilité de sa troisième demande de protection internationale et partant à l’annulation de la décision ministérielle déférée.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en réitérant les considérations à la base de la décision ministérielle déférée. Il avance en substance qu’il aurait appartenu au demandeur de faire valoir ses arguments concernant les affrontements ayant lieu au Soudan depuis le mois d’avril 2023 dans le cadre de la procédure relative à sa précédente demande de protection internationale. Il explique à cet égard que la procédure relative à la seconde demande de protection internationale du demandeur n’aurait pas encore abouti au moment où les affrontements au Soudan auraient éclaté, de sorte qu’il aurait dû les invoquer dans le contexte de ladite procédure en application de l’article 32 (4) de la loi du 18 décembre 2015 selon lequel les éléments ou faits nouveaux invoqués par un demandeur ne permettraient de poursuivre l’examen de la demande que sous condition, notamment, que le demandeur ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. Dans le mesure où en l’espèce le demandeur aurait pu les invoquer durant la précédente procédure contentieuse, le ministre aurait à bon droit déclaré sa troisième demande de protection internationale irrecevable.

Aux termes de l’article 28 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « […] le ministre peut prendre une décision d’irrecevabilité, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans les cas suivants: […] d) la demande concernée est une demande ultérieure, dans laquelle n’apparaissent ou ne sont présentés par le demandeur aucun élément ou fait nouveau relatifs à l’examen visant à déterminer si le demandeur remplit les conditions requises pour prétendre au statut de bénéficiaire d’une protection internationale […] ».

Aux termes de l’article 32 de la même loi, « (1) Constitue une demande ultérieure une nouvelle demande de protection internationale présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel le ministre a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 23, paragraphes (2) et (3).

(2) Lorsqu’une personne qui a demandé à bénéficier d’une protection internationale fait de nouvelles déclarations ou présente une demande ultérieure, ces nouvelles déclarations ou les éléments de la demande ultérieure sont examinés dans le cadre de l’examen de la demande antérieure par le ministre ou, si la décision du ministre fait l’objet d’un recours juridictionnel en réformation, par la juridiction saisie.

5 (3) Le ministre procède à un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en vertu de l’article 28, paragraphe (2), point d). Le ministre peut procéder à l’examen préliminaire en le limitant aux seules observations écrites présentées hors du cadre d’un entretien.

(4) Si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale, l’examen de la demande est poursuivi, à condition que le demandeur concerné a été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. […] ».

Il ressort de ces dispositions que le ministre peut déclarer irrecevable une demande ultérieure - c’est-à-dire une demande de protection internationale introduite après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure émanant de la même personne, y compris, notamment, le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande -, sans vérifier si les conditions d’octroi de la protection internationale sont réunies, dans le cas où le demandeur n’invoque aucun élément ou fait nouveau relatif à l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre à une protection internationale. Saisi d’une telle demande ultérieure, le ministre effectue un examen préliminaire des éléments ou des faits nouveaux qui ont été présentés par le demandeur, afin de prendre une décision sur la recevabilité de la demande en question. L’examen de la demande n’est poursuivi que si les éléments ou faits nouveaux indiqués augmentent de manière significative la probabilité que le demandeur remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et à condition que le demandeur concerné ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de les faire valoir, au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse. Dans le cas contraire, la demande est déclarée irrecevable.

Il s’ensuit que la recevabilité d’une demande ultérieure est soumise à trois conditions cumulatives, à savoir (i) que le demandeur invoque des éléments ou des faits nouveaux, (ii) que les éléments ou les faits nouveaux présentés augmentent de manière significative la probabilité qu’il remplisse les conditions requises pour prétendre à une protection internationale et (iii) qu’il ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure, y compris durant la phase contentieuse.

A la lecture de la décision déférée le tribunal constate qu’en l’espèce le ministre a déclaré irrecevable la troisième demande de protection internationale du demandeur au seul motif que la condition énoncée par l’article 32 (4) de la loi du 18 décembre 2015 n’aurait pas été remplie. La décision ministérielle est ainsi fondée sur l’argument selon lequel le demandeur aurait disposé de la possibilité de faire valoir les éléments qu’il invoque à l’appui de sa troisième demande de protection internationale dans le cadre de la procédure contentieuse ayant trait à sa deuxième demande, de sorte qu’il ne saurait être considéré comme ayant été dans l’incapacité de se prévaloir de ces éléments ou de ces faits nouveaux au cours de la précédente procédure.

Le raisonnement ainsi avancé par la partie étatique est toutefois à nuancer. Force est, ainsi, au tribunal de constater que s’il est certes vrai qu’aux termes de l’article 32 (4) précité de la loi du 18 décembre 2015, il faut que le demandeur ait été, sans faute de sa part, dans l’incapacité de faire valoir les éléments nouveaux, au cours de la précédente procédure « y compris durant la phase contentieuse », cette disposition est logiquement à lire en combinaison avec l’article 32 (2) de la même loi selon lequel les nouvelles déclarations ou les éléments dela demande ultérieure sont examinés dans le cadre de l’examen de la demande antérieure par le ministre ou, « si la décision du ministre fait l’objet d’un recours juridictionnel en réformation, par la juridiction saisie ». La demande ultérieure qui intervient au moment où une procédure contentieuse relative à la demande antérieure est pendante devant la juridiction administrative, est donc à analyser par ladite juridiction, sous condition toutefois que cette dernière soit saisie d’un recours en réformation.

En effet, le juge administratif saisi d’un recours en réformation est appelé à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse en se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, pour apprécier la situation juridique et fixer les droits et obligations respectifs de l'administration et des administrés concernés1. Il s’ensuit que, saisi d’un recours en réformation, le juge administratif sera amené à analyser les nouveaux éléments, voire même la nouvelle demande, que le demandeur a déposé au cours de la procédure contentieuse. La situation à laquelle les article 32 (2) et 32 (4) de la loi du 18 décembre 2015 s’appliquent est donc celle où le juge administratif est saisi, en vertu de l’article 35 (1) de la même loi, d’un recours en réformation, dirigé contre une décision du ministre ayant refusé de faire droit à une première demande de protection internationale, au moment où le demandeur introduit une nouvelle demande, laquelle sera alors à analyser par le juge d’ores et déjà saisi du recours en réformation dirigé contre la première décision.

La situation est toutefois différente lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation. Ainsi, contrairement au recours en réformation, l’analyse du tribunal, dans le cadre d’un recours en annulation ne saurait porter que sur la situation de fait et de droit telle qu'elle s'est présentée au moment de la prise de la décision déférée, le juge de l'annulation ne pouvant, en effet, faire porter son analyse ni à la date où le juge statue, ni à une date postérieure au jour où la décision déférée a été prise2.

Dès lors, lorsque le juge administratif est saisi, tel qu’en l’occurrence, d’un recours en annulation sur base de l’article 35 (3) de la loi du 18 décembre 2015, dirigé contre une décision du ministre ayant déclaré irrecevable une seconde demande de protection internationale et qu’au cours de ladite procédure contentieuse le demandeur entend faire valoir d’autres éléments, le juge administratif d’ores et déjà saisi, n’est pas compétent pour statuer sur ces éléments, puisque, saisi d’un recours en annulation, son analyse ne saurait porter que sur la situation de fait et de droit telle qu'elle s'est présentée au moment de la prise de la décision déférée, c’est-à-dire, en l’occurrence, au moment de la prise de la décision ayant déclaré irrecevable la seconde demande de protection internationale.

Il suit des considérations qui précèdent que l’article 32 (4), lu en combinaison avec l’article 32 (2) de la loi du 18 décembre 2015 n’est pas applicable lorsque le juge administratif est saisi d’un recours en annulation dirigé contre une décision du ministre ayant déclaré une seconde demande de protection internationale irrecevable et qu’au cours de cette procédure contentieuse le demandeur soulève de nouveaux éléments. Dans ladite hypothèse, le demandeur ne saurait partant porter les nouveaux éléments à l’appui de sa deuxième demande devant le juge administratif d’ores et déjà saisi, puisque ce dernier n’est pas compétent pour en connaître. Dans cette situation particulière et sous condition que les éléments dont le demandeur veut se prévaloir n’auraient pas pu être invoqués à un stade antérieur à sa seconde demande de protection internationale, le demandeur est donc à considérer comme ayant été, 1 Cour adm. 6 mai 2008, n° 23341C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n°12, ainsi que les autres références y citées.

2 Trib. adm. 23 mars 2005, n°19061 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n°22, ainsi que les autres références y citées.sans faute de sa part, dans l’incapacité de faire valoir les éléments nouveaux, au cours de la précédente procédure.

En l’espèce, les éléments dont le demandeur entend se prévaloir consistent dans les affrontements ayant éclaté au Soudan depuis le 15 avril 2023. Le demandeur ne pouvait partant pas faire état desdits évènements avant la date du 15 avril 2023. Toujours est-il qu’à cette date, le tribunal était d’ores et déjà saisi du recours contentieux introduit contre la décision du ministre ayant déclaré sa seconde demande de protection internationale irrecevable. Eu égard aux considérations qui précèdent, le demandeur était donc en l’espèce à considérer comme étant sans faute de sa part, dans l’incapacité de faire valoir les éléments nouveaux, au cours de la précédente procédure.

Il s’ensuit que le ministre n’a pas valablement pu déclarer la troisième demande de protection internationale du demandeur irrecevable au seul motif qu’il aurait dû faire état des éléments invoqués à l’appui de ladite demande dans le cadre de la procédure contentieuse antérieure relative à sa seconde demande de protection internationale. La décision ministérielle encourt dès lors l’annulation.

Par ces motifs, le tribunal administratif, chambre de vacation, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 31 mai 2023 déclarant irrecevable la demande de protection internationale ultérieure de Monsieur … ;

au fond le déclare justifié, partant annule la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 31 mai 2023 déclarant irrecevable la demande de protection internationale ultérieure de Monsieur … ;

condamne la partie étatique aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, et lu à l’audience publique du 19 juillet 2023 par le premier vice-président, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 juillet 2023 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Chambre de vacation
Numéro d'arrêt : 49040
Date de la décision : 19/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/08/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-07-19;49040 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award