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19/07/2023 | LUXEMBOURG | N°46432

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 juillet 2023, 46432


Tribunal administratif N° 46432 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46432 4e chambre Inscrit le 6 septembre 2021 Audience publique de vacation du 19 juillet 2023 Recours formé par la société par actions …, … (Italie), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46432 du rôle et déposée le 6 septembre 2021 au greffe du tribunal administra

tif par Maître Claude Geiben, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoca...

Tribunal administratif N° 46432 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46432 4e chambre Inscrit le 6 septembre 2021 Audience publique de vacation du 19 juillet 2023 Recours formé par la société par actions …, … (Italie), contre une décision du directeur de l’administration des Contributions directes en matière de remise gracieuse

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46432 du rôle et déposée le 6 septembre 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Claude Geiben, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société par actions de droit italien …, établie et ayant son siège social à I-…, inscrite au registre des entreprises de … sous le numéro …, représentée par son organe de gestion actuellement en fonctions, ayant élu domicile en l’étude de Maître Claude Geiben, sise à L-2227 Luxembourg, 12, avenue de la Porte-Neuve, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision implicite du directeur de l’administration des Contributions directes, portant rejet de sa demande de remise gracieuse introduite le 13 octobre 2020 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 15 décembre 2021 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître Claude Geiben déposé au greffe du tribunal administratif le 3 janvier 2022 au nom de sa mandante ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 31 janvier 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision directoriale critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Claude Geiben et Monsieur le délégué du gouvernement Tom Kerschenmeyer en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 mars 2023.

Il ressort d’un jugement du tribunal administratif du 5 août 2020, inscrit sous le numéro 42987 du rôle, qu’à la suite du dépôt, le 20 juillet 2011, par la société par actions de droit italien …, ci-après désignée par « la société … », de la déclaration pour l’impôt sur le revenu, l’impôt commercial et l’impôt sur la fortune des collectivités résidentes relative à l’année 2011, le bureau d’imposition Sociétés 6 de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », en application du paragraphe 205, alinéa 3 de la loi générale des impôts modifiée du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », informa 1la société …, par un courrier du 20 juillet 2011, qu’il envisagerait de s’écarter de la déclaration de la fortune au 1er janvier 2011, aux motifs suivants : « (…) Suite au transfert de la société vers l’Italie à la date du 28/02/2011, les conditions du §8a de la loi de l’impôt sur la fortune ne seront plus remplies. Les réserves pour l’I.F. des années 2007 - 2010 seront considérées comme n’étant pas maintenues pendant les 5 années d’imposition suivant leur constitution.

(…) ».

Malgré la prise de position de la société … du 3 août 2011, le bureau d’imposition émit en date du 9 novembre 2011, un bulletin d’établissement de la valeur unitaire au 1er janvier 2011 retenant une fortune imposable de ….- euros, ainsi qu’un bulletin de l’impôt sur la fortune pour l’année 2011 retenant un montant d’impôt sur la fortune dû de ….- euros, composé de la somme de ….- euros à titre de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2011 et de celle de ….- euros à titre de « réserve distribuée prématurément (8a L.I.F.) ».

Par un courrier introduit le 23 avril 2013, la société … adressa au directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », une réclamation contre le bulletin de l’impôt sur la fortune de l’année 2011.

Par décision du 17 mars 2015, répertoriée sous le numéro C 18633 du rôle, le directeur déclara irrecevable la réclamation de la société … pour avoir été introduite en dehors du délai légal tel que prévu par les paragraphes 245 et 246 AO.

Par courrier de son litismandataire du 19 mars 2014, la société … introduisit une demande auprès du directeur, ayant pour objet une remise d’impôts par voie gracieuse de l’impôt sur la fortune tel que fixé à travers le bulletin de l’impôt sur la fortune pour l’année 2011, tout en insistant sur le fait que la réserve de ….- euros qu’elle aurait créée au Luxembourg avant le transfert de son siège en Italie aurait été maintenue au bilan conformément aux dispositions légales applicables. Elle souligna également, dans ce contexte, qu’elle se trouverait confrontée à une demande d’exécution et de recouvrement de l’impôt sur la fortune pour l’année 2011 sur base d’une demande que l’administration des Contributions directes aurait adressée aux autorités fiscales italiennes sur base de la directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures, ci-après désignée par « la directive 2010/24/UE ».

Cette demande de remise gracieuse fut rejetée par une décision directoriale du 6 mars 2019, référencée sous le n° GR 079.14.

Le recours déposé par la société … au greffe du tribunal administratif le 20 mai 2019 contre la décision précitée du 6 mars 2019 fut déclaré justifié par un jugement du tribunal administratif du 5 août 2020, inscrit sous le numéro 42987 du rôle, lequel retint, « par réformation de la décision directoriale du 6 mars 2019, numéro GR 079.14, […] que la demande de remise gracieuse introduite devant le directeur de l’administration des Contributions directes par la société par actions de droit italien …. le 19 mars 2014 est recevable rationae temporis et fondée en son principe pour ce qui est de l’impôt fixé par le bulletin de l’impôt sur la fortune pour l’année 2011, émis le 9 novembre 2011, sur base du constat que les conditions de l’article 8a LIF ne seraient pas remplies (…) », tout en « décharge[ant] la société par actions de droit italien … du paiement de l’impôt correspondant ; ».

2En date du 18 août 2020, le directeur des contributions décida ce qui suit :

« (…) Constate que la remise gracieuse décidée par le Tribunal administratif porte sur un montant de :

Impôt sur la fortune (006000) : … EUR en principal pour l'année d'imposition 2011, et en conséquence accorde la remise prévisée. (…) ».

Par une lettre recommandée datée du 13 octobre 2020, la société … adressa au directeur une nouvelle demande de remise gracieuse visant cette fois la mise en compte, pendant environ 8 ans, des intérêts de retard sur le principal des impôts sur la fortune 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011 ayant fait l’objet de la remise gracieuse accordée par le jugement précité du 5 août 2020, au motif que le recouvrement forcé pour les intérêts ne se justifiait plus du fait de concerner des impôts que l’administration des Contributions directes lui aurait finalement remboursés, en application du principe selon lequel l’accessoire suit le principal.

Cette demande de remise gracieuse ne connut pas de réponse explicite de la part du directeur.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 septembre 2021, la société … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision directoriale implicite portant rejet de sa demande en obtention d’une remise gracieuse telle que formulée en date du 13 octobre 2020, tout en demandant la condamnation de l'Etat du Grand-Duché à lui rembourser le montant de … euros avec les intérêts compensatoires depuis le jour du décaissement, le 5 mars 2019, ainsi qu’avec un intérêt de retard moratoire depuis le 31 mars 2019, date d'une mise en demeure adressée à la Recette Centrale de l'administration des Contributions directes. Au dispositif de sa requête introductive d’instance la société … sollicite finalement la condamnation de l'Etat du Grand-Duché de Luxembourg aux frais et dépens de l'instance, ainsi qu’au paiement d’une indemnité de procédure de 2.500,- euros, sur base de l'article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dénommée ci-après « la loi du 21 juin 1999 ».

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 131 AO et de l’article 8, paragraphe (3), point 1. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommée ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre une décision du directeur portant rejet d’une demande de remise gracieuse d’impôts. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Par ailleurs, en ce qui concerne la recevabilité du recours principal en réformation ainsi introduit, il échet de rappeler qu’aux termes de l’article 8, paragraphe (3), point 3. de la loi précitée du 7 novembre 1996, au cas où « aucune décision définitive n’est intervenue dans le délai de six mois à partir de la demande » introduite en application du paragraphe 131 AO, « le requérant [peut] considérer (…) la demande comme rejetée (…) et interjeter recours devant le tribunal administratif (…) contre la décision implicite de refus ».

3En l’espèce, la demande de remise gracieuse a été réceptionnée par le directeur en date du 15 octobre 2020 et le recours sous examen a été introduit devant le tribunal administratif en date du 6 septembre 2021, partant plus de six mois à partir de l’introduction de la demande afférente, de sorte qu’un recours contentieux a valablement pu être introduit contre la décision implicite de refus du directeur à la suite de la demande lui soumise, lequel est partant recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que le délégué du gouvernement se rapporte à la prudence de justice en ce qui concerne la recevabilité en la pure forme du recours sans développer d’argumentation afférente, alors que, même si le fait de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, une contestation non autrement développée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer à la carence des parties dans la présentation de leurs moyens, étant encore relevé que le tribunal n’entrevoit pas de moyen d’irrecevabilité qui serait à soulever d’office.

A l’appui de son recours et en fait, la partie demanderesse, outre de passer en revue certains des rétroactes cités ci-avant, expose qu’en date du 22 mars 2011, alors qu’elle aurait été pleinement imposable au Grand-Duché de Luxembourg et après sa transformation en société à responsabilité limitée, elle aurait transféré son siège social en Italie et adopté la nationalité italienne, sans dissolution ni liquidation, tel que ce procédé serait autorisé aux termes de l’article 67-1 de la loi modifiée sur les sociétés commerciales du 10 août 1915.

Elle précise à cet égard que les décisions afférentes auraient été actées dans un procès-

verbal d'une assemblée générale extraordinaire des associés, tenue à Luxembourg pardevant notaire en date du 22 mars 2011, acte qui aurait été régulièrement publié au Mémorial C, Recueil des Sociétés et Associations, no …, du … 2011.

Elle aurait aussi régulièrement déposé l'ensemble de ses comptes annuels à Luxembourg, de même que ses déclarations fiscales, y compris une déclaration fiscale suite au départ de son siège social en Italie.

Elle rappelle que suite au courrier précité lui adressé en date du 20 juillet 2011 par le bureau d'imposition Sociétés 6, elle aurait répondu qu’aucune distribution de la réserve spéciale au sens du §8 de la loi modifiée du 16 octobre 1934 concernant l’impôt sur la fortune, dite « Vermögenssteuergesetz », en abrégé « VStG », n'aurait eu lieu ni avant ni après le 1er janvier 2011, alors qu’elle se serait engagée de maintenir, voire de ne pas distribuer ladite réserve pendant une durée de 5 ans à compter de la date du transfert de siège.

Si elle concède ne pas avoir réitéré ce désaccord relatif à cette imposition par la voie d’une réclamation formelle, il n'en resterait pas moins que sa position aurait été juste, tel que retenu, par ailleurs, par le jugement précité du 5 août 2020, qui aurait considéré que sa demande de grâce formulée par le courrier du 19 mars 2014 serait justifiée.

Or, le tribunal, dans le jugement précité, se serait uniquement prononcé sur le principal résultant du bulletin d'imposition du 9 novembre 2011, en interprétant la demande de grâce du 19 mars 2014, comme si cette dernière n’aurait pas renfermé tous les intérêts débiteurs mis en compte depuis l'émission du bulletin d'imposition du 9 novembre 2011 jusqu'au moment de l'exécution en Italie, se chiffrant à … euros.

4En droit et concernant la recevabilité de sa demande de remise gracieuse, la partie demanderesse estime qu'aucun délai légal, y compris pour demander une remise gracieuse, n’aurait couru contre elle, alors que le bulletin d'imposition sur la fortune du 9 novembre 2011 ne lui aurait jamais été valablement notifié, malgré le fait qu’elle aurait publié en bonne et due forme le transfert de son siège social en Italie.

Au fond, la partie demanderesse fait relever que le jugement précité du 5 août 2020, entre-temps coulé en force de chose jugée, aurait retenu, au bout d'une motivation très développée, que les conditions légales pour une remise gracieuse de tous les impôts sur la fortune, figurant sur le bulletin d'imposition du 9 novembre 2011, seraient données et ce, sans faire de distinction entre les impôts pour la fortune des années 2007, 2008, 2009, 2010 et 2011.

Elle estime dès lors que dans ces conditions, la mise en compte ainsi que le recouvrement forcé d'intérêts de retard sur cette même somme et ayant couru pendant environ 8 ans ne se justifierait pas, alors qu’il s'agirait d'intérêts sur des impôts que l’administration des Contributions directes lui aurait entre temps remboursés, mis à part l’impôt pour l’année 2011, pour lequel le jugement du 5 août 2020 resterait encore inexécuté.

Elle fait plaider à cet égard que le principe selon lequel l’accessoire suit le principal vaudrait également en matière de grâces, soit pour la somme de … euros correspondant aux intérêts de retard, ensemble la somme de … euros (libellée « INT. MORA/SOMME AGG. » et le montant de … euros (libellée « AGIO EX. ART.17 ») dans la sommation exécutée en Italie.

La partie demanderesse rappelle que le jugement précité du 5 août 2020 aurait relevé qu'il aurait été inéquitable qu’elle doive supporter la charge des impôts que l'administration des Contributions directes aurait indûment mis en compte, sans pour autant se prononcer sur les intérêts de retard, ce qui l’aurait alors motivée à également demander la grâce pour les intérêts de retard recouvrés en Italie au début de l'année 2020.

Elle estime inconcevable qu’un contribuable soit digne d'une grâce pour le principal, sans être digne d'une grâce sur les intérêts de retard.

En effet, si un contribuable a été reconnu digne d'une grâce pour iniquité ou rigueur objectives, il serait évident que ce dernier remplirait également les critères pour être gracié en ce qui concerne les intérêts de retard, dès le début de leur computation.

Dans son mémoire en réplique, la partie demanderesse s’oppose à l’argumentation du délégué du gouvernement selon laquelle sa demande de remise gracieuse serait tardive et irrecevable pour être forclose aux termes des dispositions du paragraphe153 AO.

Elle rappelle d’abord, dans ce contexte, le principe selon lequel l'accessoire suit le principal, lequel aurait été appliqué en matière de grâces fiscales notamment par un jugement du tribunal administratif du 18 novembre 2021, inscrit sous le numéro 44012 du rôle, même si le tribunal administratif, dans le jugement précité du 5 août 2020, aurait, en l’espèce, retenu que les intérêts de retard n’auraient pas fait l'objet de la demande de remise gracieuse initiale.

Elle reproche ensuite au délégué du gouvernement de s’emparer, de manière artificielle, du fait que les intérêts de retard auraient été « imputés jusqu'au 30 septembre 2018 », pour conclure à la tardiveté de sa demande de remise gracieuse des intérêts de retard présentée le 13 5octobre 2020, alors que cette imputation ne serait qu’un simple calcul interne à l'administration fiscale, n'engageant pas les tiers et ne faisant pas légalement courir un délai de forclusion contre elle, d’autant plus que ni les impôts en question, ni les intérêts de retard n'auraient de fait encore été payés à cette date.

La partie demanderesse fait relever, dans ce contexte qu’elle aurait été forcée de payer les impôts et intérêts de retard en Italie au mois de mars de l'an 2019, de sorte qu’elle en aurait valablement demandé la grâce au courant de l'année ayant suivi cette contrainte d'exécution sur sol italien, soit dans le délai prévu par le paragraphe 153 AO, à savoir jusqu'à la fin de l'année qui suit celle de l'événement qui a fait survenir les faits à l'origine du droit à la grâce.

De plus, elle aurait encore demandé la remise gracieuse litigieuse dans l'année du jugement du 5 août 2020 ayant accordé la remise gracieuse pour le principal.

La partie demanderesse reproche encore à la partie gouvernementale que cette dernière n'expliquerait pas davantage pourquoi les intérêts payés à l'Etat italien, ainsi que les frais de poursuite sur sol italien n'entreraient pas dans les montants pour lesquels elle pourrait solliciter une remise gracieuse, alors que la demande y relative serait à adresser à l'Etat ayant eu la revendication fiscale ab initio.

De plus, ces frais, leur liquidation et leur recouvrement seraient la suite directe de l'agissement de l'administration fiscale luxembourgeoise, du fait que cette dernière serait allée jusqu'au bout dans le recouvrement d'un impôt qui aurait finalement été gracié pour les raisons très claires retenues par le jugement précité du 5 août 2020. En effet, ledit recouvrement aurait précédé de quelques jours le refus directorial de la demande de remise gracieuse pour le principal.

Etant donné que la partie gouvernementale n’aurait toujours pas prouvé lui avoir valablement notifié le bulletin d'imposition pour lesdits impôts sur la fortune, lequel aurait été émis à un moment où elle aurait déjà valablement publié le transfert de son siège social en Italie, la partie demanderesse invoque un jugement du tribunal administratif du 10 janvier 2020, inscrit sous le numéro 44012 du rôle, ayant retenu qu’à défaut de tout renseignement de la part de la partie étatique quant aux dates d'émission, respectivement de notification, des bulletins d'imposition en cause, la tardiveté alléguée de la demande de remise gracieuse portant sur les intérêts de retard relatifs à ces années d'imposition, ne saurait pas être établie.

La partie demanderesse en conclut que sa demande de remise gracieuse, formée le 13 octobre 2020, ne saurait pas être considérée comme tardive, alors qu’elle aurait été formulée juste quelques cinq mois après le jugement du 5 août 2020, d'ailleurs coulé en force de chose jugée entre ces deux dates, lequel aurait finalement confirmé sa position selon laquelle le bureau d'imposition n'aurait pas légalement eu le droit d'augmenter les cotes d'impôts sur la fortune pour les années 2007, 2008, 2009 et 2010.

En tout état de cause, les intérêts de retard, tout comme le principal gracié figurant sur un bulletin d'imposition émis, se heurteraient à une rigueur objective, qu'il faudrait curer par une restitution, étant donné que les « Ereignisse » visés par le paragraphe 153 AO seraient soit le recouvrement en Italie en mars 2019, soit la date du jugement précité du 5 août 2020 ayant pour la première fois confirmé son point de vue en donnant droit à sa demande de remise gracieuse, certes pour le principal seulement.

6 Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours, en soulignant d’abord que le jugement précité du 5 août 2020 aurait explicitement retenu que la décision du directeur du 6 mars 2019 aurait porté exclusivement sur une remise gracieuse du principal de l'impôt sur la fortune tel que fixé à travers le bulletin de l'impôt sur la fortune du 9 novembre 2011 et non pas sur une remise gracieuse des intérêts de retard, lesquels n’auraient partant pas fait l'objet de la demande de remise gracieuse initiale.

Il estime que l'événement déclencheur du délai au sens du paragraphe 153 AO serait la date d'imputation des intérêts de retard qui s'effectuerait au début du mois étant donné que chaque mois serait compté pour un mois entier, de sorte qu’étant donné que les intérêts de retard auraient été continuellement imputés depuis le mois de décembre 2011, le solde des intérêts de retard se serait élevé au montant de … euros au 30 septembre 2018, date d’arrêté de compte. Ainsi, suivant le paragraphe 153 AO, le délai pour demander une remise gracieuse desdits intérêts de retard imputés jusqu'au 30 septembre 2018 aurait été le 31 décembre 2019, de sorte que la demande de remise gracieuse litigieuse introduite en date du 13 octobre 2020 serait à considérer comme étant tardive.

En tout état de cause, en ce qui concerne le montant de … euros, également repris dans le rôle de recouvrement italien, il s'agirait des frais de recouvrement encaissés par l'Etat italien dans le cadre des diligences de recouvrement, lesquels seraient exclus du champ d'application du paragraphe 131 AO, de sorte que la demande adverse serait à rejeter sur ce point.

Il en serait de même du montant de … euros correspondant aux intérêts de retard imputés selon la législation italienne entre la date de la demande de recouvrement du 11 octobre 2018 adressée à l’Italie et la date de recouvrement effectif du 15 mars 2019, pour lequel la partie demanderesse resterait encore en défaut d'établir que les conditions du paragraphe 131 AO seraient remplies.

L’Etat fait encore dupliquer qu’à défaut d’avoir déposé une demande de remise gracieuse portant sur les intérêts de retard endéans des délais légaux et ensemble avec celle portant sur le principal, le principe selon lequel l’accessoire suit le principal n'aurait pas vocation à s'appliquer. Or, il ne serait pas contesté par la partie demanderesse que le jugement du 5 août 2020 aurait explicitement retenu qu’elle n'aurait pas introduit de demande de remise gracieuse pour les intérêts de retard avec celle visant le principal.

Le délégué du gouvernement souligne ensuite que la question de la notification du bulletin de l'impôt sur la fortune de l'année 2011 daté du 9 novembre 2011 serait étrangère à la détermination de l’« Ereignis » au sens du paragraphe 153 AO.

Néanmoins, à titre subsidiaire, il faudrait retenir qu’en application de l'article 155 du Nouveau code de procédure civile applicable en matière fiscale en vertu du paragraphe 102 AO, la remise serait faite à personne si elle est effectuée à « son représentant légal, à un fondé de pouvoir de ce dernier ou à toute personne habilité à cet effet ». En l’espèce, le bulletin litigieux aurait valablement été notifié à l'adresse du mandataire de la partie demanderesse en la personne de Madame … et/ou sa fiduciaire dénommée …, étant donné que le mandat de cette dernière n’aurait jamais été contesté par la partie demanderesse tout au long de la procédure. Au contraire, ce dernier aurait été confirmé à plusieurs reprises avant et après l'émission du bulletin litigieux, et ce, notamment par la signature en date du 3 août 2006 par 7Madame …, en sa « qualité de représentant légal actuellement en fonction de … », du formulaire visant à obtenir la correspondance de l'administration des Contributions directes pour le compte de la partie demanderesse, par la déclaration d’impôt pour l'année 2011 signée et remise par Madame …, en sa qualité de représentant légal de la société, en date du 18 juillet 2011, ladite déclaration indiquant clairement comme représentant légal Madame « … » et comme adresse le « … », et ceci à une date où le siège social aurait d'ores-et-déjà été transféré en Italie, et finalement par un courrier du 3 août 2011 de la part de … et/ou … en sa qualité de « mandataire spéciale de …». De plus l'existence d'un tel mandat serait d’ailleurs expressément souligné par la demande de remise gracieuse datée du 19 mars 2014, dans le cadre de laquelle la partie demanderesse aurait déclaré avoir reçu via sa fiduciaire-comptable à Luxembourg (…, Madame …) le courrier du bureau d'imposition du 20 juillet 2011 et que cette dernière aurait répondu à l'administration au nom et pour le compte de la partie demanderesse.

Par ailleurs, la Cour administrative aurait retenu, dans un arrêt du 15 juillet 2021, inscrit sous le numéro 45739C du rôle, que si l'administration des Contributions directes pourrait notifier en parallèle le bulletin d'impôt au contribuable lui-même, ce serait la notification au mandataire désigné et accepté par l'administration des Contributions directes en application du paragraphe 107, alinéa (4) AO qui ferait courir le délai de réclamation.

Le délégué du gouvernement s’oppose encore à prendre en compte le paiement de la dette au mois de mars 2019 comme « Ereignis » faisant courir le délai, sinon ce dernier dépendrait uniquement de la pure volonté du contribuable décidant à un moment donné ou non de régler sa dette d'impôt, ce qui serait de nature à ôter tout élément d'objectivité dans l'appréciation du commencement du délai pendant lequel une demande de remise gracieuse pourrait être introduite. Au contraire, l'imputation légale des intérêts de retard ne serait ni artificielle ni arbitraire et trouverait son origine dans la stricte application de la loi, laquelle serait bien opposable à la partie demanderesse contrairement à un « simple calcul interne ».

En ce qui concerne le champ d'application d'une demande de remise, il serait encore constant que le paragraphe 131 AO porterait uniquement sur les impôts, à l'exclusion des frais de poursuite ou autres mesures de coercition telle que des astreintes, tel que cela aurait été retenu par un jugement du tribunal administratif du 8 septembre 2021, inscrit sous le numéro 43810 du rôle.

Force est au tribunal de relever qu’au vu de la mise en cause, par la partie gouvernementale, de la recevabilité ratione temporis de la demande de remise gracieuse du 13 octobre 2020, il faudra d’abord toiser cette question avant de pouvoir, le cas échéant, analyser le bien fondé de ladite demande de remise gracieuse.

Aux termes du paragraphe 131 AO, « Sur demande justifiée du contribuable endéans les délais du § 153 AO, le directeur de l’Administration des contributions directes ou son délégué accordera une remise d’impôt ou même la restitution, dans la mesure où la perception d’un impôt dont la légalité n’est pas contestée entraînerait une rigueur incompatible avec l’équité, soit objectivement selon la matière, soit subjectivement dans la personne du contribuable. Sa décision est susceptible d’un recours au tribunal administratif, qui statuera au fond. ».

En vertu du paragraphe 153 AO, auquel le paragraphe 131 AO renvoie en ce qui concerne le délai applicable à l’introduction de la demande de remise gracieuse, « Wo außer 8den Fällen der §§ 151 und 152 Erstattungsansprüche aus Rechtsgründen zugelassen sind, erlöschen sie, falls nicht anderes bestimmt ist, wenn sie nicht bis zum Schluss des Jahres geltend gemacht werden, das auf das Jahr folgt, in dem die Ereignisse, die den Anspruch begründen, eingetreten sind. ».

Il s’ensuit que le délai pour l’introduction d’une demande de remise gracieuse expire à la fin de l’année qui suit celle pendant laquelle le demandeur a eu connaissance des faits sur lesquels il entend fonder sa demande (« Ereignisse, die den Anspruch begründen »), en d’autres termes les faits justifiant la remise gracieuse.1 En ce qui concerne une remise gracieuse pour une dette d’impôt, il a été jugé que s’il est vrai qu’en principe, l’événement déclencheur est la date à laquelle la dette d’impôt dont la remise est sollicitée devient exigible, soit la date de l’émission du bulletin d’imposition, cet événement peut cependant également être la survenance de faits qui, de par leur nature, sont susceptibles d’entrer en ligne de compte pour être invoqués à l’appui d’une demande de remise gracieuse2.

En effet, si en application du paragraphe 153 AO une demande de remise gracieuse doit être introduite avant la fin de l’année qui suit celle pendant laquelle le contribuable a eu connaissance de l’événement justifiant sa demande, le tribunal retient que les faits (« Ereignisse ») ainsi visés sont nécessairement ceux qui sont susceptibles de justifier une remise gracieuse, à savoir, soit des faits impliquant une rigueur objective, qui se trouve vérifiée si objectivement l’application de la loi fiscale conduit à un résultat non voulu par le législateur, soit des faits impliquant une rigueur subjective, qui elle se trouve vérifiée si la perception de l’impôt compromet l’existence économique du contribuable et le prive des moyens de subsistance indispensables.

C’est dans cette optique que le jugement précité du 5 août 2020 a retenu la recevabilité de la demande de remise gracieuse du 19 mars 2014 au motif que « la demande de remise gracieuse litigeuse repose ainsi, entre autre, sur un changement de position adopté par l’administration à la suite d’un arrêt de la CJUE du 6 septembre 2012, matérialisé à travers une circulaire du 14 novembre 2013. C’est cette circulaire, qui reflète la position du directeur que le paragraphe 8a LIF n’est pas à interpréter de la manière qu’il exige l’assujettissement obligatoire d’une collectivité résidente à l’impôt sur la fortune pendant les 5 années de la constitution de la réserve à la suite du transfert du siège social vers un autre Etat membre de l’Union européenne, qui peut être considérée, en l’espèce, comme un « fait » (« Ereignis ») au sens du paragraphe 153 AO puisque la demande de remise gracieuse est fondée sur ce changement de position. Il s’ensuit que le délai pour introduire la demande de remise gracieuse a, en l’espèce, expiré le 31 décembre 2014, soit à la fin de l’année qui suit celle au cours de laquelle la circulaire a été adoptée. » Il s’ensuit que pour la dette d’impôt relative à l’année 2011, à la base des intérêts actuellement litigieux, c’est la circulaire directoriale du 14 novembre 2013 qui est à considérer comme événement déclencheur (« Ereignis »), ayant fait courir le délai prévu au paragraphe 153 AO.

1 Cour adm., 11 juillet 2019, numéro 42643C du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

2 Idem.

9 C’est également à bon droit que le délégué du gouvernement a relevé que le jugement en question du 5 août 2020 a expressément souligné que la décision du directeur du 6 mars 2019 prise sur le fondement du paragraphe 131 AO « a porté exclusivement sur une remise gracieuse du principal de l’impôt sur la fortune tel que fixé à travers le bulletin de l’impôt sur la fortune du 9 novembre 2011 et non sur une remise gracieuse des intérêts de retard, qui n’ont pas partant pas fait l’objet de la demande de remise gracieuse litigieuse. », de sorte que ledit jugement n’a accordé la remise gracieuse que pour l’impôt sur la fortune tel que fixé à travers le bulletin d’impôt du 9 novembre 2011 et non pas pour les intérêts de retard.

Il s’ensuit nécessairement que la partie demanderesse aurait pu solliciter, à l’époque, également une remise des intérêts ayant couru sur ladite dette d’impôt, depuis l’échéance de cette dernière, à savoir depuis le mois de décembre 2011, soit bien avant la demande de remise gracieuse du 19 mars 2014.

Si, en l’espèce, la partie demanderesse conclut à une rigueur objective en ce qu’il serait injuste de lui réclamer des intérêts sur un principal pour lequel une remise gracieuse lui a été accordée, le principe selon lequel l’accessoire suit le principal, invoqué par la partie demanderesse à cet effet, tel que cela se dégage d’ailleurs de la jurisprudence citée par la partie demanderesse elle-même3, est cependant plutôt de nature à faire en sorte que pour les intérêts sur la dette d’impôt, il y a lieu de retenir le même évènement déclencheur que celui relatif aux impôts, soit, en l’occurrence, la circulaire directoriale du 14 novembre 2013, ce d’autant plus que c’est l’attitude de la partie demanderesse de ne pas régler sa dette fiscale dès son échéance et avant tout recours, tel que le lui commande le privilège du préalable, qui a fait courir lesdits intérêts jusqu’à leur recouvrement forcé.

Au vu de ce qui précède et pour les mêmes motifs, il y a lieu de rejeter non seulement l’argumentation de la partie demanderesse selon laquelle elle aurait dû attendre le jugement du tribunal administratif du 5 août 2020, se prononçant sur sa demande gracieuse relative à sa dette d’impôt au principal, pour savoir si les intérêts sur sa dette principale étaient susceptibles de faire l’objet d’une demande de remise gracieuse, mais également celle selon laquelle il faudrait à cet égard prendre en compte la date de décaissement, lequel, comme le souligne à bon droit le délégué du gouvernement, dépend de surcroît largement de la seule volonté du contribuable.

Il suit de cette considération que le délai pour solliciter une remise gracieuse relative aux intérêts en tant qu’accessoire de la dette d’impôt a commencé à courir le 14 novembre 2013 pour s’écouler le 31 décembre 2014, de sorte que la demande de remise gracieuse litigieuse introduite par un courrier du 13 octobre 2020 est à considérer irrecevable ratione temporis, sans qu’il n’y ait lieu de statuer plus en avant.

Il s’ensuit que le recours encourt le rejet et la décision implicite de refus du directeur suite à la demande de remise litigieuse du 13 octobre 2020 est à confirmer.

S’agissant finalement de la demande de la partie demanderesse de se voir rembourser les intérêts de retard et autres frais déboursés en exécution des bulletins d’impôts ayant fait l’objet d’une remise gracieuse, telle que formulée à travers le dispositif de sa requête 3 Trib adm, 18 novembre 2021, n° 44012 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu : « le délai pour solliciter une remise gracieuse de l’impôt sur le revenu (…), ainsi que des intérêts de retard afférents, qui constituent un accessoire à l’impôt auquel ils se rapportent et dont ils suivent le même sort, a expiré au plus tard le (…). ».

10introductive d’instance, force est au tribunal de retenir, tel que cette problématique a été soulevée d’office à l’audience publique des plaidoiries, qu’il est en tout état de cause incompétent pour connaître d’une demande en restitution y compris les intérêts moratoires et compensatoires de retard sur celle-ci.

Au vue de l’issue du litige, la partie demanderesse est encore à débouter de sa demande en allocation d’une indemnité de procédure de 2.500,- telle que réclamée au dispositif de sa requête introductive d’instance, sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit à l’encontre de la décision implicite du directeur de l’administration des Contributions directes refusant de faire droit à la demande de remise gracieuse lui adressée en date du 13 octobre 2020 ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur recours subsidiaire en annulation ;

se déclare incompétent pour connaître de la demande en condamnation de l’Etat à rembourser à la demanderesse le montant de … euros, y compris des intérêts de retard sur cette somme, telle que formulée par la demanderesse à travers le dispositif de la requête introductive d’instance ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 2.500,-

euros telle que sollicitée par la partie demanderesse sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999.

condamne la partie demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 19 juillet 2023 par:

Françoise Eberhard, permier vice-président, Olivier Poos, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 juillet 2023 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 46432
Date de la décision : 19/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/08/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-07-19;46432 ?

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