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19/07/2023 | LUXEMBOURG | N°46205

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 juillet 2023, 46205


Tribunal administratif Numéro 46205 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46205 4e chambre Inscrit le 7 juillet 2021 Audience publique de vacation du 19 juillet 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de la Défense et du Général Chef d’Etat-major de l’Armée, en matière de candidature

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46205 du rôle et déposée le 7 juillet 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Séb

astien Coï, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom ...

Tribunal administratif Numéro 46205 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46205 4e chambre Inscrit le 7 juillet 2021 Audience publique de vacation du 19 juillet 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre des décisions du ministre de la Défense et du Général Chef d’Etat-major de l’Armée, en matière de candidature

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46205 du rôle et déposée le 7 juillet 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Sébastien Coï, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant actuellement à L-… tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision du ministre de la Défense du 8 juin 2021, confirmant, sur recours gracieux, sa décision du 3 mars 2021 lui refusant une dérogation à la condition d’âge prévue pour le recrutement des officiers, ainsi que contre une décision du Général, Chef d’Etat-major de l’Armée du 23 mars 2021 rejetant sa candidature dans le cadre de l’examen concours pour candidats officier de carrière de l’Armée par voie du recrutement direct ;

Vu l’ordonnance du président du tribunal administratif du 15 juillet 2021, inscrite sous le numéro 46207 du rôle ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 1er décembre 2021 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 22 décembre 2021 par Maître Sébastien Coï pour le compte de son mandant ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 18 janvier 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Sébastien Coï et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 3 mars 2023.

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Par courrier du 1er octobre 2020, Monsieur …, …, Adjoint Sous-Officier au … de l’Armée luxembourgeoise, adressa, par voie hiérarchique, sa candidature pour l’examen-

concours de la carrière d’Officier auprès de l’Armée luxembourgeoise par voie directe prévu pour novembre 2020 et finalement décalé au mois de janvier 2021, désigné ci-après « l’examen-concours » au Général, Chef d’Etat-Major de l’Armée, désigné ci-après par « le Général », candidature suivie d’un avis favorable du commandant de service de santé du même jour.

Par courrier du 9 novembre 2020, Monsieur … adressa au Général, par la voie hiérarchique, une demande de dérogation à la condition d’âge prévue à l’article 10, paragraphe (2) de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l’organisation militaire, désignée ci-après par « la loi du 23 juillet 1952 », demande transmise par courrier du commandant de service de santé du même jour ensemble avec un avis favorable de sa part au Général.

Par courrier du 26 novembre 2020, ladite demande fut transmise par le Général avec son avis favorable au ministre de la Défense, désigné ci-après par « le ministre ».

Par courrier du 8 janvier 2020, Monsieur … fut convoqué au test d’aptitude médicale et psychologique dans le cadre de l’examen concours du recrutement officier de carrière.

Par courriels des 18 et 19 janvier 2021, Monsieur … fut informé de son inscription à la session de test du 26 janvier 2021 pour sa candidature au poste d’« Officier du recrutement direct vacant à l’Armée », auquel il participa.

Par courrier du 25 janvier 2021, Monsieur … fut convoqué à l’examen-concours du recrutement officier de carrière prévu les 28 et 29 janvier 2021, auquel il participa.

Par procès-verbal du 3 mars 2021, le Président de la Commission d’examen de l’examen-concours dans la carrière d’officier de l’Armée – recrutement direct constata que Monsieur … ne remplissait pas la condition d’âge prévue à l’article 10, paragraphe (2) de la loi du 23 juillet 1952.

Par courrier du même jour, le ministre rejeta la demande présentée par Monsieur … en vue d’une dérogation à la condition d’âge du 9 novembre 2020 dans les termes suivants :

« (…) Monsieur, Je fais suite à votre demande datée au 9 novembre 2020, qui m'est parvenue en date du 26 novembre 2020.

Je tiens d'abord à vous féliciter pour la qualité de votre engagement et pour votre parcours au sein de l'Armée luxembourgeoise.

C'est avec regret que je dois vous informer que je ne peux donner de suite favorable à votre demande de dérogation quant à la condition d'âge prévue à l'article 10 de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l'organisation militaire.

En effet, la législation actuelle, sur laquelle je dois me baser pour prendre une décision, ne prévoit aucune possibilité de déroger à la condition d'âge pour le recrutement des officiers.

Dans le cadre de la refonte de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l'organisation militaire, j'entends supprimer les limites d'âge actuellement en vigueur pour le recrutement des carrières militaires et des soldats volontaires.

L'Armée a besoin d'hommes et femmes engagés et expérimentés comme vous. Je ne peux dès lors que vous encourager à poursuivre votre parcours au sein de l'Armée et à poser votre candidature au recrutement directe dans la carrière de l'officier dès que la nouvelle loi sera en vigueur. (…) » Par courrier du 23 mars 2021, le Général informa Monsieur … que sa candidature à l’examen-concours n’a pas pu être retenue alors qu’il ne remplirait pas la condition d’âge prévue par l’article 10 de la loi du 23 juillet 1952, ladite décision étant libellée comme suit :

« (…) Monsieur …, Je suis au regret de vous informer que votre candidature ne peut finalement pas être retenue dans le cadre de l’examen-concours pour candidats officier de carrière de l’Armée du recrutement direct organisé les 12, 13, 26, 28 et 29 janvier 2021, étant donné que vous ne remplissez pas la condition d’âge prévue par l’article 10 paragraphe 2 de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l’organisation militaire. (…) » Par courrier du 8 avril 2021, réceptionné par le ministre en date du 13 avril 2021, Monsieur … fit, par intermédiaire de son litismandataire, introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du ministre du 3 mars 2021, ainsi que contre la décision précitée du 23 mars 2021 du Général.

Par courrier du 8 juin 2021, le ministre rejeta le recours gracieux précité du 8 avril 2021 dans les termes suivants :

« (…) Maître, Je fais suite à votre courrier daté au 8 avril 2021, par lequel vous m'informez former un recours gracieux à l'encontre de deux décisions datées des 3 mars 2021 et 23 mars 2021 au nom et pour le compte de Monsieur ….

C'est avec un certain étonnement que je lis votre courrier alors que vous reprochez à mes services d'avoir traité la demande de votre mandant avec légèreté, reproche que je ne saurais accepter.

Mes services ont traité la demande de dérogation d'âge de votre mandant avec l'attention nécessaire dans le but qu'aucune disposition législative ou règlementaire permettant un éventuel accès de Monsieur … au poste brigué ne leur échappe.

Or, je suis au regret de vous informer que la législation et règlementation actuelle ne me permet pas d'accorder une dérogation à la condition d'âge prévue pour le recrutement des officiers à l'article 10 de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l'organisation.

Dès lors, je ne pourrai pas donner de suite positive au recours gracieux formulé dans votre courrier du 8 avril dernier. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2021, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation des décisions précitées des 3 et 23 mars et 8 juin 2021.

Par requête séparée du même jour, Monsieur … introduisit une demande en obtention d’un sursis à exécution des décisions précitées des 3 et 23 mars 8 juin 2021 devant le président du tribunal administratif, laquelle fut rejetée par ordonnance du 15 juillet 2021, inscrite sous le numéro 46207 du rôle.

Dans le cadre de son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut, à titre liminaire, à l’irrecevabilité du recours en réformation introduit par Monsieur … pour ne pas être prévu en la présente matière, tout en se rapportant à prudence de justice quant à la recevabilité du recours en annulation introduit quant aux délais et quant à la forme.

Monsieur … n’a pas pris position quant à ces moyens.

Aux termes de l’article 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, désignée ci-après par la « loi du 7 novembre 1996 », « Le tribunal administratif statue sur les recours dirigés (…) contre toutes les décisions administratives à l’égard desquelles aucun autre recours n’est admissible d’après les lois et règlements », tandis que son article 3, paragraphe (1) dispose que « Le tribunal administratif connaît en outre comme juge du fond des recours en réformation dont les lois spéciales attribuent connaissance au tribunal administratif ».

Si le juge administratif est saisi d’un recours en réformation dans une matière dans laquelle la loi ne prévoit pas un tel recours, il doit se déclarer incompétent pour connaître du recours.1 Force est de constater qu’aucune disposition légale ne prévoit de recours au fond en la présente matière, de sorte que le tribunal doit se déclarer incompétent pour statuer sur le recours en réformation introduit à titre principal. Ainsi, seul un recours en annulation peut être introduit contre une décision de refus d’octroi d’une dérogation à la condition d’âge prévue à l’article 10 de la loi du 23 juillet 1952 et de rejet d’une candidature à l’examen-concours dans la carrière de l’officier auprès de l’Armée par recrutement directe, telles que les décisions précitées du ministre des 3 mars et 8 juin 2021 et du Général du 23 mars 2021.

En ce qui concerne la recevabilité du recours subsidiaire en annulation, force est au tribunal de préciser que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

Dès lors, étant donné que la partie gouvernementale est restée en défaut de préciser dans quelle mesure le délai d’introduction ou la forme du recours n’auraient pas été respectés, les moyens d’irrecevabilité afférents encourent le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office.

Il s’ensuit que le recours subsidiaire en annulation est recevable pour avoir été, par ailleurs, introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique être au service de l’Armée depuis le 6 septembre 2010, tout en précisant qu’il aurait réussi l’examen-concours comme 1 Trib. adm., 28 mai 1997, n° 9667 du rôle, confirmé par Cour adm. 16 octobre 1997, n ° 10082C du rôle, Pas.

adm. 2022, V° Recours en réformation, n° 9 et les autres références y citées.

officier du recrutement indirect en 2011, mais qu’il aurait préféré la perspective du terrain, de sorte à avoir préféré la carrière de sous-officier à l’époque.

Il relève ensuite avoir envoyé une demande officielle au Général en date du 1er octobre 2020 en vue de poser sa candidature comme officier dans le cadre du recrutement direct, alors qu’un examen-concours aurait été fixé pour le mois de novembre 2020 et que le poste ouvert se serait situé auprès du service de santé, service auquel il aurait été affecté, tout en précisant qu’il aurait été informé, par la suite, par le chef du personnel que ledit examen-concours aurait été annulé ou pour le moins repoussé.

Il fait encore valoir avoir été muté, contre sa volonté, sur un poste en Belgique pendant les mois de septembre 2020 à mars 2021, tandis qu’il aurait préféré pouvoir préparer au mieux cet examen-concours, intention dont il aurait fait part à l’ancien Général lors d’une entrevue avec ce dernier au courant du mois de juin ou juillet 2020.

Il explique que l’examen-concours, annulé au mois de novembre 2020, aurait été décalé au mois de janvier 2021 et qu’il aurait, en date du 9 novembre 2020 introduit une demande de dérogation d’âge auprès du ministre, vu qu’il aurait eu 31 ans tant à la date dudit examen, qu’à la date de début du stage prévu par le statut des fonctionnaires de l’Etat.

Il relève encore avoir reçu les différentes convocations pour se présenter audit examen-

concours et avoir passé ledit examen sans pourtant avoir eu de réponse à sa demande précitée de dérogation adressée au ministre.

En date du 29 janvier 2021, il aurait ensuite appris de manière officieuse qu’il aurait brillamment réussi l’ensemble des épreuves en s’y classant comme premier, information encore confirmée par le Général lors d’une entrevue avec le chef du personnel, sans pour autant qu’il n’ait reçu les résultats de l’examen, la Commission s’étant octroyé un certain délai avant de publier les résultats en attente d’une décision par rapport à sa demande en dérogation d’âge.

Le demandeur affirme ensuite avoir, lors d’un entretien téléphonique avec le Général entre le 22 et le 24 février 2021, appris qu’il n’accèderait pas à la carrière d’officier en raison de son âge, ce dernier lui ayant encore confirmé lors d’une entrevue du 8 mars 2021 qu’il se serait classé en premier aux épreuves, mais qu’il ne pourrait pas obtenir la communication de ses notes, tout en lui indiquant que « cela avait bloqué ailleurs ».

Il relève encore que le candidat qui se serait classé en deuxième position à l’examen-

concours aurait refusé le poste.

Il affirme finalement avoir reçu en date du 11 mars 2021 uniquement la décision ministérielle de refus de dérogation du 3 mars 2021 laquelle aurait ensuite été entérinée par la décision du Général du 23 mars 2021.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur conteste encore avoir été informé oralement à plusieurs reprises qu’il aurait dépassé la limite d’âge, respectivement que ce fait l’empêcherait d’accéder à la carrière d’officier, cette difficulté n’ayant, contrairement aux développements de la partie étatique, jamais été évoquée par son autorité hiérarchique et ne transpercerait d’aucun document officiel, ni d’aucune correspondance avec le lieutenant, chef du département des ressources humaines au sein du ministère de la Défense.

De même, aucune fin de non-recevoir ne lui aurait été opposée au moment où il aurait formulé sa demande de dérogation. Le fait qu’il aurait pu participer à l’examen-concours sans dérogation d’âge démontrerait, selon le demandeur, que celle-ci serait considérée comme pure formalité par la hiérarchie militaire.

En droit, il s’empare tout d’abord des articles 11 et 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, désigné ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 » et estime que les décisions déférées encourraient l’annulation, alors que le ministre ne lui aurait, à ce jour, pas communiqué l’intégralité de son dossier administratif et notamment l’ensemble de ses notes obtenues lors de l’examen-concours et ce malgré sa demande en ce sens dans le cadre de son recours gracieux précité du 8 avril 2021.

Dans son mémoire en réplique, il admet que, suite à l’introduction de sa requête en obtention d’un sursis à exécution devant le président du tribunal administratif en date du 7 juillet 2021, certaines pièces auraient été communiquées par la partie étatique et que dans le cadre de son recours au fond des pièces complémentaires auraient été versées.

Néanmoins, le demandeur estime qu’à la lecture desdites pièces, il devrait constater que certains documents manqueraient toujours et que la légalité de certains actes serait douteuse.

Ainsi, les convocations à l’examen-concours signées par le lieutenant seraient manquantes, alors même qu’elles seraient susceptibles d’établir que seule la condition de réussite au test de langues auprès de l’INAP lui y aurait été indiquée et non pas la condition d’âge actuellement mise en exergue.

Il manquerait également les réponses internes tant de son supérieur hiérarchique, que du Général suite à sa demande de dérogation, avant que cette dernière ne soit envoyée au ministre.

De même, feraient défaut le document mentionnant l’avancement au grade de 1er sergent, le document notifiant l’atteinte de ses 10 années d’ancienneté, ainsi que toute mention sur ses états de service postérieurement à la date du 21 septembre 2015.

Il relève encore que la version de la décision du 23 mars 2023 du Général, versée par la partie étatique, différerait de la décision lui notifiée, alors que cette dernière serait signée et présenterait une mise en page différente.

Il estime, finalement, que le procès-verbal du résultat, respectivement des notes obtenues à l’examen-concours, versé dans le cadre de la requête en obtention d’une mesure provisoire n’aurait pas été communiqué dans le cadre du recours au fond.

Le demandeur s’offusque encore du fait d’avoir fait l’objet de poursuites disciplinaires pour avoir effectué une capture d’écran d’un courrier du ministre de la fonction publique du 28 janvier 2021 à l’adresse du ministre et versé cette capture d’écran dans le cadre de la procédure devant le juge des référés, alors même que la partie étatique aurait spontanément produit une copie dudit courrier dans le cadre de l’affaire au fond, le demandeur qualifiant cette attitude de la partie étatique comme déloyale.

Dans ce contexte, il s’estime victime d’un acharnement de la part de son administration, alors même qu’il aurait toujours été considéré comme un excellent élément et qu’il aspirerait de progresser dans sa carrière professionnelle.

Il réfute encore l’argumentation de la partie étatique contenue dans son mémoire en réponse suivant laquelle il devrait, dans le cadre du présent recours, être traité comme une personne ne faisant pas encore parti du personnel de l’Armée en raison de son choix de postuler via un recrutement externe, alors qu’au contraire, il n’aurait été traité comme personne externe qu’à deux reprises, lors de l’émission des convocations et lors de l’examen-concours.

Il estime finalement que, même à supposer qu’une violation des articles 11 et 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne puisse plus être invoquée à ce stade, ce qui ne serait pas le cas, il n’en demeurerait pas moins vrai que ses droits de la défense auraient été violés.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne tout d’abord l’invocation par le demandeur d’une violation de l’article 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, le tribunal relève que cette disposition est relative au droit pour une tierce personne concernée par une décision administrative qui est susceptible de porter atteinte à ses droits et intérêts d’obtenir communication des éléments d'informations sur lesquels l'administration s'est basée ou entend se baser. Or, étant donné que Monsieur … est le destinataire direct de la décision déférée, les dispositions de l’article 12 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne sont pas applicables en l’espèce.

En ce qui concerne ensuite l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, qui dispose que : « Tout administré a droit à la communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative, chaque fois que celle-ci est atteinte, ou susceptible de l'être, par une décision administrative prise ou en voie de l'être. (…) », il échet de relever que si cette disposition consacre le droit pour tout administré d’obtenir communication intégrale du dossier relatif à sa situation administrative chaque fois que celle-ci est atteinte ou susceptible de l’être, par une décision administrative prise ou en voie de l’être, la non-communication d’un dossier administratif suite à une décision d’ores et déjà prise à l’encontre d’un administré respectivement d’un tiers intéressé n’est pas de nature à entraîner la nullité de ladite décision.

Le respect de cette obligation de transparence n’est pas une fin en soi et l’administré ne saurait utilement en invoquer une violation que si un défaut de communication du dossier a pour effet de porter une atteinte aux droits de sa défense2. Par ailleurs, l’administration n’est pas obligée de communiquer de manière spontanée à l'administré les éléments d'information sur lesquels elle s'est basée ou entend se baser, mais cette obligation présuppose l'initiative de l'administré3.

Force est de relever en l’espèce, que le demandeur n’a demandé la communication d’une copie de son dossier administratif que dans le cadre de son recours gracieux du 8 avril 2021, dirigé contre la décision précitée du 3 mars 2021 du ministre et celle du 23 mars 2021 du Général, de même qu’il n’est pas contesté par la partie étatique que la communication du dossier administratif ainsi sollicité n’a eu lieu que dans le cadre de la procédure contentieuse 2 Trib. adm. 9 septembre 2009, n° 25142 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 141 et les autres références y citées.

3 Trib. adm. 4 mai 1998, n°10257 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 136 et les autres références y citées.

devant le tribunal administratif contre les décisions déférées par le demandeur, celui-ci contestant néanmoins le caractère complet du dossier administratif.

Il échet, dans ce contexte, de relever que la communication du dossier administratif ne constitue pas seulement, de façon générale, l’expression de la transparence de l’action de l’administration, mais elle doit également permettre à l’administré de décider, en pleine connaissance de cause, au vu des éléments dont dispose l’administration et sur lesquels elle se base pour asseoir sa décision, s’il est utile pour lui de saisir une juridiction. Il existe en effet un rapport étroit entre l’obligation de communication du dossier administratif et le droit fondamental à une protection juridictionnelle effective. En d’autres termes, la communication du dossier administratif doit permettre à l’administré de connaître le contenu de ce dossier concernant sa situation administrative et de juger ainsi, en pleine connaissance de cause, de l’opportunité d’un recours contentieux de sa part4.

Or, le tribunal constate que le demandeur n’établit pas en quelle mesure ses droits de la défense auraient été violés par le fait de ne pas avoir eu connaissance du contenu intégral de son dossier administratif, étant relevé que les décisions déférées, ainsi que le débat mené entre les parties ont exclusivement trait au fait, non contesté, que le demandeur ne satisfait pas à la condition d’âge prévue à l’article 10, paragraphe (2) de la loi du 23 juillet 2023, de sorte que le tribunal ne conçoit pas en quelle mesure les droits de la défense du demandeur seraient lésés par l’absence de communication de son dossier administratif préalablement à la présente phase contentieuse, la motivation des décisions déférées reposant exclusivement sur un texte légal publié au Mémorial.

Pour la même raison, les pièces manquantes relatives aux résultats de son examen, extraits de carrière et promotions ne sont pas pertinentes pour le présent litige.

Il s’ensuit que le moyen tiré d’une violation de l’article 11 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est à rejeter pour ne pas être fondé.

A titre superfétatoire, le tribunal relève que les développements du demandeur relatifs aux convocations à l’examen-concours reçues par lui et qui établiraient, selon lui, que cette condition ne lui aurait pas été opposée au moment de l’admission audit examen, ne sont pas pertinents dans la mesure où il verse lui-même lesdites convocations et qu’il reste en défaut d’invoquer un quelconque moyen à cet égard.

En ce qui concerne la légalité interne des décisions déférées, le demandeur invoque une violation, par l’article 10 de la loi du 23 juillet 2023, tant de l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, désignée ci-après « la Charte », que de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d’un cadre général en faveur de l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, désignée ci-après « la directive 2000/78/CE », ainsi que de l’article 10bis, paragraphe (1) de la Constitution.

A titre liminaire, le tribunal relève que les décisions déférées, à savoir, d’une part, les décisions précitées du ministre du 3 mars et 8 juin 2021 et, d’autre part, la décision précitée du Général du 23 mars 2021, diffèrent en ce qui concerne leur objet.

4 Trib. adm. 30 novembre 2011, n° 27601 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 133 et les autres références y citées.

En ce qui concerne la décision précitée du ministre du 3 mars 2021, elle répond à la demande de Monsieur … du 9 novembre 2020 sollicitant une dérogation relative à la condition d’âge prévue à l’article 10, paragraphe (2), tiret 2 de la loi du 23 juillet 1952 en soulignant qu’il n’existe pas de disposition légale permettant d’accorder une dérogation à la condition d’âge litigieuse.

En ce qui concerne la décision du Général du 23 mars 2021, quand-bien même elle fait suite au refus du ministre d’accorder une telle dérogation à Monsieur …, elle a pour objet le rejet de la candidature de Monsieur … à l’examen-concours pour la carrière d’officier de l’Armée du mois de janvier 2021 sur base de l’article 10, paragraphe (2) de la loi du 23 juillet 1952.

La décision du ministre du 8 juin 2021, quant à elle, répond au recours gracieux dirigé contre les deux décisions précitées.

Toujours à titre liminaire, et en ce qui concerne le refus de dérogation relative à la condition d’âge, le tribunal constate que le demandeur (i) ne conteste pas avoir dépassé l’âge maximum fixé par l’article 10, paragraphe (2), tiret (2) de la loi du 23 juillet 1952 et (ii) n’a formulé aucun moyen par rapport à l’existence d’une faculté ou non pour le ministre d’accorder une dérogation à la condition posée audit article, mais se limite à mettre en cause la légalité, respectivement la constitutionnalité de cette condition légale.

Etant donné qu’il n’appartient pas au tribunal de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions, le recours, en ce qu’il est dirigé contre la décision du ministre du 3 mars 2021 refusant d’accorder une dérogation à la condition d’âge litigieuse est à déclarer non fondé, étant toutefois précisé que la question de la légalité, respectivement constitutionnalité de cette condition, fera l’objet d’une analyse séparée du tribunal dans le cadre du bien-fondé du recours.

En ce qui concerne les décisions déférées en ce qu’elles refusent l’admission à la carrière d’officier par la voie externe, il appartient d’abord au tribunal, au vu de l’ensemble des actes de procédure et pièces versés au dossier, de déterminer la suite de traitement des moyens et arguments des parties compte tenu de la logique juridique dans laquelle ils s’insèrent.5 Au vu du principe ainsi retenu, le tribunal traitera par priorité le moyen tiré de l’inconstitutionnalité de l’article 10, paragraphe (2) de la loi du 23 juillet 1952.

Dans ce cadre, le demandeur explique être d’avis que du fait de l’application d’une condition d’âge au recrutement externe, il se trouverait traité plus défavorablement qu’une autre personne se trouvant dans une situation similaire, mais qui postulerait dans le cadre d’un recrutement interne.

Il relève, dans ce contexte, qu’il serait important de signaler à ce stade que le poste convoité par lui en qualité d’officier auprès du service de santé aurait été ouvert, par la suite, aux sous-officiers par la voie interne.

5 Trib. adm., 31 mars 2006, n°21060 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse n° 515 et les autres références y citées.

Dans ce cadre, il précise encore qu’il existerait une passerelle entre la carrière de sous-

officier et celle d’officier pour laquelle la condition d’âge n’existerait pas. En effet, il résulterait du règlement grand-ducal du 27 février 2011 modifiant le règlement grand-ducal modifié du 10 août 1972 concernant les conditions de recrutement, de formation et d’avancement des sous-

officiers de carrière de l’Armée, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 27 février 2011 », lequel aurait crée un nouvel article 25bis du règlement grand-ducal modifié du 10 août 1972 concernant les conditions de recrutement, de formation et d’avancement des sous-

officiers de carrière, désigné ci-après « le règlement grand-ducal du 10 août 1972 », qui ne prévoirait pas de condition d’âge, mais uniquement une condition d’ancienneté d’au moins 10 ans de service, ce qui reviendrait, in fine à empêcher de facto les sous-officiers de moins de 29 ans de postuler à la carrière d’officier.

Ceci renforcerait l’idée que la condition d’âge de 29 ans pour le recrutement externe ne serait ni essentielle, ni déterminante pour l’accession à la carrière d’officier, cette condition, appliquée à son cas, signifiant qu’il serait en réalité trop vieux pour accéder à la carrière d’officier par voie de recrutement externe, mais trop jeune pour accéder à la même carrière par la voie du recrutement interne, puisqu’il n’aurait acquis les 10 années d’ancienneté qu’en 2021.

Il en conclut que le seul fait pour lui d’avoir, en qualité de sous-officier, postulé à la carrière d’officier par la voie externe et non par la voie interne ne suffirait pas à justifier une telle différence de traitement, de sorte qu’il y aurait lieu de saisir la Cour constitutionnelle de la question préjudicielle suivante : « L’article 10 alinéa 2, deuxième tiret de la loi modifiée du 23 juillet 1952 concernant l’organisation militaire exigeant que le candidat sous-officier notamment soit âgé de moins de 29 ans accomplis le jour de son admission au stage combiné aux dispositions de l’article 2 point c) du règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 fixant les conditions de recrutement, de formation et d’avancement des officiers de l’Armée exigeant que le candidat sous-officier notamment ne doit pas avoir dépassé l’âge de 29 ans accomplis le jour de son admission au stage pour un recrutement direct alors que l’article 1er point 18 du règlement grand-ducal du 27 février 2011 insérant un article 25bis au règlement grand-ducal modifié du 10 août 1972 concernant les conditions de recrutement, de formation et d’avancement des sous-officiers de carrière de l’Armée proprement dite n’érige aucune condition d’âge dans l’hypothèse où le sous-officier accède à la carrière d’officier par la voie interne, est-il conforme à l’article 10 bis paragraphe 1er de la Constitution ? » Dans son mémoire en réplique, il estime que, contrairement aux développements de la partie étatique, les deux catégories de personnes, à savoir, d’une part, le candidat-officier, anciennement sous-officier de carrière, et, d’autre part, le candidat externe, se trouveraient dans une situation comparable en ce qu’ils aspireraient tous les deux à intégrer la carrière de l’officier. Or, la différence de traitement subie par le candidat-officier postulant par voie externe, par rapport au sous-officier de carrière postulant par voie interne ne saurait, d’après le demandeur, procéder de disparités objectives et ne saurait être rationnellement justifiée, adéquate et proportionnée à son but.

Il précise encore qu’il ne faudrait pas perdre de vue que son cas pourrait être qualifié « d’hybride », alors qu’en effet, il aurait été sous-officier de carrière, au jour où il aurait voulu accéder à la carrière de l’officier via la voie de recrutement externe, ce qui aurait engendré une situation « ubuesque » dans son chef puisqu’il serait trop jeune pour devenir officier via la voie interne, mais trop vieux pour devenir officier via la voie externe.

Il relève finalement que les courriers des ministres précités des 22 décembre 2020 et 28 janvier 2021, ainsi que le courrier du Général du 26 novembre 2020, versés en cause, démontreraient que la condition d’âge imposée ne serait plus justifiée.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, et dans la mesure où le demandeur inclut, dans sa proposition de formulation d’une question préjudicielle, le règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 fixant les conditions de recrutement, de formation et d’avancement des officiers de l’Armée, désigné ci-après par « le règlement grand-ducal du 25 janvier 2011 », qui prévoirait en son article 2, également une condition d’âge de 29 ans, le tribunal relève que par arrêt n°121/16 du 11 mars 2016, la Cour constitutionnelle a d’ores et déjà déclaré l’article 10, alinéa 1er contraire aux dispositions combinées des articles 32, paragraphe (3) et 96 de la Constitution, en ce qu’il ne précise ni les fins, conditions et modalités du déroulement du stage des officiers, soit au Luxembourg, soit à l’étranger, ni celles de l’examen de fin de stage, arrêt suite auquel le règlement grand-ducal du 25 janvier 2011, en tant que règlement grand-ducal d’exécution dudit article 10 de la loi du 23 juillet 1952, a été déclaré inapplicable par un jugement du tribunal administratif du 3 février 2017, inscrit sous le numéro 35668a du rôle. Au vu de l’arrêt précité de la Cour constitutionnelle, la même solution s’impose en l’espèce.

Dans la mesure où, la condition d’âge litigieuse n’est par contre pas uniquement prévue par le règlement grand-ducal du 25 janvier 2011, mais également par l’article 10, alinéa 2, deuxième tiret, disposition non visée par le prédit arrêt de la Cour constitutionnelle, la question de la constitutionnalité de ladite disposition au regard de l’article 10bis de la Constitution reste pertinente pour la solution du présent litige.

Quant audit moyen fondé sur une violation de l’article 10bis de la Constitution, en sa version applicable en l’espèce, qui dispose que « Les Luxembourgeois sont égaux devant la loi », il convient de rappeler que le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée. Il appartient par conséquent aux pouvoirs publics de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit.

Cependant, les pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe d’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées au but.

Le contrôle de la constitutionalité d’une loi appartenant toutefois exclusivement à la Cour Constitutionnelle, il est rappelé que l’article 6 de la loi du 27 juillet 1997 dispose que :

« Lorsqu’une partie soulève une question relative à la conformité d’une loi à la Constitution devant une juridiction, celle-ci est tenue de saisir la Cour Constitutionnelle.

Une juridiction est dispensée de saisir la Cour Constitutionnelle lorsqu’elle estime que:

a) une décision sur la question soulevée n'est pas nécessaire pour rendre son jugement;

b) la question de constitutionnalité est dénuée de tout fondement;

c) la Cour Constitutionnelle a déjà statué sur une question ayant le même objet. (…) ».

En l’espèce, le demandeur invoque une différence de traitement entre une personne, étant, comme en l’espèce, d’ores et déjà sous-officier de carrière au sein de l’Armée, souhaitant accéder à la carrière d’officier au sein de l’Armée par voie de recrutement externe et la personne, sous-officier de carrière au sein de l’Armée, souhaitant accéder à ladite carrière par voie de recrutement interne, et ce, en ce que l’article 10, paragraphe (2), tiret 2 de la loi du 23 juillet 1952 prévoirait une condition de ne pas avoir dépassé l’âge de 29 ans avant l’admission au stage dans le cadre uniquement d’un recrutement par voie externe à ladite carrière, sans que cette condition d’âge ne soit prévue dans le cadre du recrutement par voie interne.

Force est cependant de relever que les catégories de personnes entre lesquelles une discrimination est alléguée ne se trouvent manifestement pas dans une situation comparable au regard des mesures invoquées.

En effet, tel que relevé à bon droit par la partie étatique, le parcours d’une personne souhaitant accéder au poste d’officier de l’Armée par voie de recrutement interne comprend d’ores et déjà une formation et une expérience dans l’Armée dont ne dispose pas une personne souhaitant accéder par voie externe et ne pouvant a priori pas faire valoir une telle expérience professionnelle au sein de l’Armée, de sorte que les deux dispositions règlent des situations différentes.

Ce constat n’est pas énervé par les développements du demandeur relativement au fait qu’in concreto, dans son cas personnel, il disposerait d’une expérience professionnelle au sein de l’Armée et qu’il serait dès lors comparable aux candidats au recrutement interne, alors que la voie de recrutement externe, bien qu’également ouverte au personnel d’ores et déjà engagé au sein de l’Armée, est a priori destinée au recrutement de personnes externes à celle-ci, la décision du demandeur de choisir la voie de recrutement externe relevant de son choix personnel.

Il s’ensuit que le moyen tenant à une violation, par l’article 10 de la loi du 23 juillet 1952, de l’article 10bis de la Constitution est d’ores et déjà à rejeter, pour manquer de comparabilité objective entre les situations alléguées, sans devoir poser de question préjudicielle y relative.

En deuxième lieu, le demandeur invoque une violation par l’article 10 de la loi du 23 juillet 1952 de l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, désignée ci-après par « la Charte », et des articles 1er, 4 et 6 de la directive 2000/78/CE, alors que l’interdiction de discrimination liée à l’âge ne serait pas absolue mais qu’une différence de traitement ne pourrait être justifiée que dans certaines hypothèses, lorsque ladite condition d’âge serait objectivement justifiée par un objectif légitime, que les moyens de réaliser cet objectif seraient appropriés et nécessaires et que la condition d’âge constituerait une exigence essentielle et déterminante.

A cet égard, il fait valoir que la Cour de justice de l’Union européenne, désignée ci-

après par « la CJUE », aurait eu l’occasion à maintes reprises de se prononcer sur cette problématique, en se référant plus particulièrement aux arrêts de cette dernière des 12 janvier 2010, Wolf, 13 novembre 2014, Vital Perez et du 15 novembre 2015, Salabierra Sorondo, dans lesquels la CJUE aurait entériné la différence de traitement fondée sur l’âge en appliquant les dispositions de l’article 4 de la directive 2000/78/CE et aurait affirmé que les Etats membres pourraient prévoir une différence liée à l’âge lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la condition d’âge constituerait une exigence professionnelle essentielle et déterminante pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée, ces trois arrêts ayant comme point commun une appréciation in concreto de la différence de traitement liée à l’âge.

Or, en l’espèce, il considère qu’à l’examen de son cas, la condition d’âge n’apparaîtrait comme étant ni essentielle, ni déterminante, l’objectif poursuivi étant illégitime et le moyen utilisé étant pour le moins disproportionné.

En s’emparant encore d’un jugement du tribunal administratif du 11 juillet 2005, inscrit sous le numéro 19188 du rôle, selon lequel une différence de traitement liée à l’âge serait justifiée par la nécessité d’une période d’emploi raisonnable avant la retraite pour garantir aux fonctionnaires un développement homogène de leur carrière et pour ne pas affecter négativement les droits à la pension du fonctionnaires et ainsi d’éviter certains problèmes de gestion de ressources humaines, le demandeur estime qu’une telle justification ne saurait jouer dans son cas, alors qu’il serait fonctionnaire d’Etat et membre de l’Armée depuis le 6 septembre 2010, et donc depuis l’âge de 21 ans, de sorte qu’aucun risque pour le développement homogène de sa carrière et pour ses droits à la pension n’existerait.

Il fait encore plaider que la condition d’âge litigieuse n’apparaîtrait pas comme essentielle et déterminante, alors qu’il aurait pu s’inscrire à l’examen-concours, le passer et se classer à la première place. Ainsi, la reconnaissance officieuse de sa réussite par les responsables militaires confirmerait que la condition d’âge n’aurait aucune justification en l’espèce, ce qui serait encore confirmé par la lecture du courrier du Général d’Armée du 26 novembre 2020 adressé au ministre, ainsi que des courriers du commandant de service de santé, versés en cause.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur estime encore qu’il serait curieux de lire dans le mémoire en réponse du délégué du gouvernement que l’état actuel de la législation ne permettrait pas au ministre de déroger légalement à la limite d’âge litigieuse, alors qu’il serait important de rappeler que la directive 2000/78/CE aurait été transposée en droit interne à travers « deux lois des 28 et 29 novembre 2006 » et que, transposée en droit interne, cette directive, « ainsi que toutes les décisions rendues sur cette base », serait applicable au moment auquel il aurait souhaité « redevenir » officier et auquel il aurait sollicité la dérogation d’âge.

Il estime, par ailleurs, que les traités internationaux, ainsi que tout le droit européen feraient partie d’un bloc de légalité.

Tout en se référant de nouveau aux arrêts de la CJUE en la matière et les différentes étapes de l’analyse de cette dernière en matière de discrimination liée à l’âge, le demandeur estime que, dans son cas, manifestement aucune caractéristique justifiant la condition d’âge litigieuse ne serait avancée par la partie étatique. En tout état de cause, la condition visant à garantir une période d’emploi raisonnable avant la retraite ou la bonne condition physique du candidat, ne saurait trouver application vu sa qualité de fonctionnaire et membre de l’Armée depuis 2010.

En effet, il n’y aurait, dans son cas, aucun risque de développement hétérogène ni de sa carrière, ni de ses droits à la pension, de même que tant ses facultés physiques, qu’intellectuelles seraient excellentes, tel que le démontrerait sa réussite à l’examen-concours.

De plus, le fait d’autoriser le candidat à s’inscrire à l’examen-concours, de le laisser passer cet examen et de l’informer qu’il se serait classé premier, démontrerait que la condition d’âge ne serait pas perçue comme étant essentielle et déterminante pour accéder à la carrière de l’officier.

Le demandeur estime finalement que la partie étatique avouerait elle-même l’ineptie de la condition litigieuse, alors que le projet de loi n°7880 sur l’organisation de l’Armée prévoirait de supprimer ladite condition, le demandeur versant encore un extrait d’un arrêt de la CJUE du 17 novembre 2022, C-304/21.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet desdits moyens.

En ce qui concerne d’abord l’argumentation du demandeur fondée sur la directive 2000/78/CE, il se pose la question de l’applicabilité directe de cette directive. En effet, en vertu du principe de l’effet direct du droit communautaire, consacré par la jurisprudence de la CJUE6, les particuliers ne peuvent que, sous certaines conditions, invoquer directement en droit national les dispositions du droit communautaire pour faire valoir les droits qu’ils en tirent.

Plus particulièrement, par rapport aux directives européennes qui n’ont pas été transposées en droit national endéans le délai de transposition, respectivement qui ont été transposées de façon incorrecte, l’effet direct peut être invoqué à l’égard de l’Etat défaillant dans le sens de l’opposabilité à cet Etat membre des droits que les particuliers peuvent tirer de la directive, à condition toutefois que les dispositions invoquées soient inconditionnelles et suffisamment précises7.

L’invocabilité directe d’une directive communautaire est plus particulièrement conditionnée par le défaut de transposition de la directive dans le délai imposé, respectivement par la transposition incorrecte de la directive.

Force est de constater en l’espèce que la directive 2000/78/CE a été transposée en droit luxembourgeois, en ce qui concerne les fonctionnaires de l’Etat, par une loi du 29 novembre 2006 modifiant 1) la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l’Etat, 2) la loi modifiée du 24 décembre 1985 fixant le statut général des fonctionnaires communaux.

Ainsi, à défaut d’invoquer une transposition incomplète de la directive 2000/78/CE, le demandeur n’est pas fondé à invoquer directement la directive 2000/78/CE, de sorte que le moyen afférent est d’ores et déjà à rejeter comme étant non fondé.

En ce qui concerne ensuite le moyen du demandeur en ce qu’il est basé sur une violation de l’article 21 de la Charte aux termes duquel « 1. Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l’appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l’âge ou l’orientation sexuelle. 2. Dans le domaine d’application du traité instituant la Communauté européenne et du traité sur l’Union européenne, et sans préjudice des dispositions particulaires desdits traités, toute discrimination fondée sur la nationalité est interdite. », le tribunal relève qu’en matière d’emploi, tant public que privé, la CJUE a retenu qu’ « Il y a lieu de rappeler que la Cour a reconnu l’existence d’un principe de non-

discrimination en fonction de l’âge qui doit être considéré comme un principe général du droit de l’Union et qui a été concrétisé par la directive 2000/78 dans le domaine de l’emploi et du 6 cf. arrêt Van Gend & Loos, n° 26/62 du 5 février 1963 pour ce qui du droit communautaire primaire ; cf. arrêt Van Duyn, n° 41/74 du 4 décembre 1974 pour ce qui du droit communautaire dérivé et plus particulièrement des directives 7 cf. arrêt Van Duyn, précité travail (arrêts Kücükdeveci, C-555/07, EU:C:2010:21, point 21, ainsi que Prigge e.a., C-447/09, EU:C:2011:573, point 38). »8.

En ce qui concerne les différences de traitement sur base d’un critère lié à l’âge, la CJUE a, dans le même arrêt, retenu qu’une telle différence de traitement « « (…) ne constitue pas une discrimination lorsque, en raison de la nature d’une activité professionnelle ou des conditions de son exercice, la caractéristique en cause constitue une exigence professionnelle essentielle et déterminante, pour autant que l’objectif soit légitime et que l’exigence soit proportionnée».(…) ». et que « (…) c’est non pas le motif sur lequel est fondée la différence de traitement, mais une caractéristique liée à ce motif qui doit constituer une exigence professionnelle essentielle et déterminante (…). » En l’espèce, le tribunal constate que le demandeur ne formule, en substance, aucune critique à l’égard de la condition d’âge par rapport à la nature de l’activité professionnelle que comporte le poste d’officier au sein de l’Armée ou des conditions de son exercice, son argumentation se basant essentiellement sur la différence de traitement des candidats souhaitant y accéder par voie de recrutement externe, d’une part, et des candidats souhaitant y accéder par voie de recrutement interne, d’autre part.

Or, en ce qui concerne la condition d’âge dans le cadre du recrutement à un poste au sein de la force publique, il ressort d’un arrêt de la CJUE du 17 novembre 2022, C-304/21, invoqué par le demandeur, que « la Cour a jugé que la possession de capacités physiques particulières est une caractéristique liée à l’âge et que les fonctions concernant la protection des personnes et des biens, l’arrestation et la surveillance des auteurs de faits délictueux ainsi que les patrouilles préventives peuvent exiger l’utilisation de la force physique. La nature de ces fonctions implique une aptitude physique particulière dans la mesure où les défaillances physiques lors de l’exercice desdites fonctions sont susceptibles d’avoir des conséquences importantes non seulement pour les agents de la police eux-mêmes et pour les tiers, mais aussi pour le maintien de l’ordre public (voir, en ce sens, arrêts du 13 novembre 2014, Vital Pérez, C-416/13, EU:C:2014:2371, points 37, 39 et 40, et du 15 novembre 2016, Salaberria Sorondo, C-258/15, EU:C:2016:873, points 34 et 35). », tout en jugeant qu’ « Il appartiendra à la juridiction de renvoi, qui est seule compétente pour interpréter la législation nationale applicable, de déterminer quelles sont les fonctions effectivement exercées par les commissaires de la police d’État et, au vu de celles-ci, d’établir si la possession de capacités physiques particulières est une exigence professionnelle essentielle et déterminante (…) ».

Or, en l’espèce, force est de relever que le demandeur ne conteste pas, tel que relevé à bon droit par le délégué du gouvernement, que le poste d’officier de l’Armée implique une aptitude physique particulière dans la mesure où les défaillances physiques lors de l’exercice desdites fonctions sont susceptibles d’avoir des conséquences importantes, de sorte qu’à l’instar de la partie étatique, le tribunal constate qu’une condition d’âge dans le cadre du recrutement au poste d’officier de l’Armée est a priori justifiée par l’exigence professionnelle essentielle et déterminante de disposer des capacités physiques que comporte ce poste, circonstance non contestée par le demandeur.

En ce qui concerne ensuite, l’argumentation du demandeur selon laquelle l’absence d’une condition d’âge dans le cadre du recrutement interne établirait ipso facto l’absence de nécessité d’une telle condition d’âge pour pouvoir accéder audit poste par la voie externe, tel 8 CJUE, 13 novembre 2014, Mario Vital Perez c Ayuntamiento de Iviedo, ECLI:EU:C:2014:2371 que relevé ci-avant et sur base d’un premier constat qu’une condition d’âge en matière de recrutement pour le poste d’officier de l’Armée, peu importe la voie de recrutement, est a priori justifiée par les capacités physiques exigées pour ledit poste, le tribunal constate, à l’instar de la partie étatique, que la voie de recrutement interne implique le recrutement exclusif de personnes faisant d’ores et déjà parti du personnel de l’Armée et disposant d’une ancienneté et donc d’une expérience professionnelle de 10 années, celle-ci permettant de conclure à des capacités physiques suffisantes, acquises et maintenues à travers cette expérience, justifiant dès lors l’absence de la condition d’âge litigieuse.

Ce constat n’est pas énervé par les développements du demandeur relatifs à sa situation particulière, notamment le fait d’être au service de l’Armée depuis 2010 et d’avoir brillamment réussi à l’examen concours litigieux, alors que, tout au contraire, cette circonstance démontre que l’absence d’une condition d’âge dans le cadre du recrutement interne, donc de personnes pouvant faire d’ores et déjà état d’une expérience professionnelle au sein de l’Armée, est justifiée, sans que soit invalidé le constat qu’une telle condition est justifiée dans le cadre du recrutement externe, voie de recrutement destinée aux personnes a priori externes à l’Armée et ne pouvant pas faire valoir une telle expérience, étant rappelé que le fait de vouloir accéder au poste litigieux par voie de recrutement externe relève du choix personnel du demandeur.

La condition d’âge litigieuse étant justifiée par un but légitime au sens de l’article 21 de la Charte, le tribunal constate que le demandeur reste en défaut d’établir en quelle mesure cette condition serait néanmoins disproportionnée, celui-ci se bornant à contester la proportionnalité de la condition d’âge, sans pourtant formuler une critique circonstanciée à cet égard.

Il s’ensuit que le moyen relatif à une contrariété de l’article 10 paragraphe (2), tiret 2 de la loi du 23 juillet 1952 à l’article 21 de la Charte laisse d’être fondé et est à rejeter.

Ce constat n’est pas non plus énervé par les développements du demandeur relatifs à une volonté du législateur d’abolir ladite condition d’âge dans un projet de loi modifiant la loi du 23 juillet 1952, alors qu’une telle volonté n’établit pas ipso facto une contrariété de l’actuel article 10 paragraphe (2), tiret 2 de la loi du 23 juillet 1952 à l’article 21 de la Charte.

Il suit de toutes les considérations qui précèdent, et à défaut d’autres moyens invoqués, que le recours doit être rejeté en son ensemble.

Le demandeur réclame encore l’allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.000.- euros sur base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999, demande qu’il y a lieu de rejeter au vu de l’issue du litige.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours principal en réformation, reçoit en la forme, le recours subsidiaire en annulation au fond, déclare le recours non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par le demandeur ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique de vacation du 19 juillet 2023 par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Olivier Poos, premier juge, Laura Urbany, juge en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 juillet 2023 Le greffier du tribunal administratif 17


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 46205
Date de la décision : 19/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/08/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-07-19;46205 ?

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