La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

14/07/2023 | LUXEMBOURG | N°49137

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 14 juillet 2023, 49137


Tribunal administratif Numéro 49137 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49137 1re chambre Inscrit le 6 juillet 2023 Audience publique extraordinaire du 14 juillet 2023 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49137 du rôle et déposée le 6 juillet 2023 au greffe du tribunal admi

nistratif par Maître Naïma El Handouz, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre ...

Tribunal administratif Numéro 49137 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49137 1re chambre Inscrit le 6 juillet 2023 Audience publique extraordinaire du 14 juillet 2023 Recours formé par Monsieur …, alias …, Findel, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49137 du rôle et déposée le 6 juillet 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Naïma El Handouz, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, alias …, déclarant être né le … à … (Libye) et être de nationalité libyenne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 16 juin 2023 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision en question ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 10 juillet 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en sa plaidoirie à l’audience publique du 12 juillet 2023.

___________________________________________________________________________

Le 16 mars 2012, Monsieur …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par le « ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 5 mai 2006 relative au droit d’asile et à des formes complémentaires de protection, ci-après désignée par la « loi du 5 mai 2006 ».

Le 19 mars 2012, les déclarations de Monsieur … sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Grand-Duché de Luxembourg furent actées par un agent de la police grand-

ducale, police des étrangers et des jeux.

Le 11 mai 2012, les autorités luxembourgeoises acceptèrent, sur base de l’article 16, paragraphe (1), point c) du règlement (CE) N° 343/2003 du Conseil du 18 février 2003 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande d’asile présentée dans l’un des États membres par un ressortissant d’un pays tiers, la demande de reprise en charge de Monsieur …, leur adressée par leurs 1homologues suisses le 3 mai 2012, l’intéressé ayant été transféré au Luxembourg en date du 5 juillet 2012.

Par un arrêt de la Cour d’appel de Luxembourg du 8 juillet 2015, Monsieur … fut condamné pour tentative de meurtre à une peine de réclusion de 13 ans assortie d’un sursis à exécution de 3 ans. Le pourvoi en cassation dirigé contre cet arrêt fut rejeté par un arrêt de la Cour de cassation du 2 juin 2016.

Le 5 août 2015, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 25 août 2015, notifiée à l’intéressé en mains propres le lendemain, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par le « ministre », rejeta comme non fondée la demande de protection internationale de Monsieur … sur le fondement de l’article 20 de la loi du 5 mai 2006.

Il ressort d’un acte d’écrou de l’administration pénitentiaire de Luxembourg du 3 juin 2016, que la peine privative de liberté de Monsieur … débuta le 12 juillet 2013 et que la fin de ladite peine fut fixée au 21 mai 2023.

Par arrêté du 16 mai 2023, notifié à l’intéressé en mains propres le 19 mai 2023, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par le « ministre », déclara irrégulier le séjour de Monsieur …, lui ordonna de quitter le territoire luxembourgeois sans délai et prononça à son encontre une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de dix ans.

Par arrêté séparé du même jour, notifié à l’intéressé en mains propres le 19 mai 2023, le ministre décida de placer Monsieur … au Centre de rétention pour une durée d’un mois à partir de la notification de la décision. Cette décision repose sur les considérations et motifs suivants :

« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu ma décision de retour du 16 mai 2023, assortie d’une interdiction de territoire de dix ans ;

Considérant que l’intéressé est démuni de tout document d’identité et de voyage valable ;

Considérant que l’identité de l’intéressé n’est pas établie ;

Considérant de l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Il ressort d’un relevé du Centre Pénitentiaire du Luxembourg (« CPL ») du 19 mai 2023 2figurant au dossier administratif que Monsieur … en fut libéré le même jour après avoir purgé sa peine pour être transféré au Centre de rétention.

Par arrêté du 16 juin 2023, notifié à l’intéressé le 19 juin 2023, le ministre prorogea le placement en rétention de Monsieur … pour une durée d’un mois à partir de la notification.

Ledit arrêté est fondé sur la motivation suivante :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 16 mai 2023, notifié le 19 mai 2023, décidant de soumettre l’intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 16 mai 2023 subsistent dans le chef de l’intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l’identification de l’intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure du transfert ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation, sinon subsidiairement à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 16 juin 2023 ayant ordonné la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée d’un mois à compter de la notification de la décision en question.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par la « loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, après avoir rappelé les rétroactes repris ci-avant, le demandeur se réfère aux articles 2, paragraphe (1) de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, ci-après désignée par la « loi du 7 novembre 1996 », et 121 de la loi du 29 août 2008 pour soutenir que le ministre aurait fait une appréciation erronée de sa situation, commis un excès et détournement de pouvoir et aurait violé la loi ou les formes destinées à protéger les intérêts privés.

Il avance que le placement en rétention, qui porterait atteinte à sa liberté de mouvement, ne serait qu’une simple faculté pour le ministre, sans qu’il ne s’agisse d’une faculté discrétionnaire, le demandeur faisant valoir que le placement en rétention devrait être sérieusement et suffisamment motivé, ce qui ne serait pas le cas en l’espèce.

Tout en se fondant sur l’article 5 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 5 novembre 1950, ci-après désignée par la « CEDH », qui prévoirait expressément la possibilité de placer en rétention un « étranger » se trouvant en 3situation irrégulière, le demandeur indique que la rétention, qui équivaudrait à une « détention », devrait rester une mesure exceptionnelle.

Il donne à considérer qu’il aurait passé les dix dernières années de sa vie au CPL avant d’être placé au Centre de rétention et reproche au ministre d’avoir attendu 3 jours avant sa libération du CPL pour entreprendre des démarches auprès des autorités consulaires du « présumé pays dont [il] serait originaire », alors qu’il aurait disposé de tous les éléments pour pouvoir organiser son éloignement dans les meilleurs délais et ce dès sa libération du CPL.

Cette lenteur dans les démarches entreprises par le ministre lui porterait un « énorme » préjudice, alors qu’après une privation de liberté de dix ans, il se verrait encore imposer une privation de liberté qui aurait pu être évitée et dont la durée pourrait être vécue, respectivement ressentie comme dépassant les limites raisonnables pour un « enfermement » et devenir insupportable ou invivable.

Le demandeur reproche également au ministre d’avoir ordonné immédiatement son placement en rétention dès le 16 mai 2023, sans qu’il n’ait envisagé d’autres solutions plus adaptées et moins dommageables en termes de privation de liberté.

Ce serait, dès lors, à tort que le ministre aurait décidé de le placer en rétention sans étudier la possibilité d’ordonner des mesures moins coercitives, telles que son placement dans la structure d’hébergement d’urgence au Kirchberg (« SHUK ») ou « tout autre foyer pour les demandeurs de protection internationale » qui seraient plus adaptés pour lui et permettraient de réduire la durée de la privation de liberté au strict minimum. Il ne ressortirait, par ailleurs, pas des éléments du dossier qu’une solution alternative et moins coercitive aurait été recherchée.

Il en conclut que ce serait à tort que le ministre aurait eu recours à sa mise en rétention sans avoir égard à la possibilité d’avoir recours à des mesures moins coercitives, alors qu’un « placement » dans la SHUK aurait été plus adapté « au vu de [sa] situation administrative ».

Le demandeur demande la réformation de la décision litigieuse, sa libération immédiate, sinon son « placement temporaire » à la SHUK.

Le demandeur fait encore valoir que le placement en rétention ne serait permis que si une mesure d’éloignement ou de transfert était en cours, si elle était menée avec diligence et si elle avait des probabilités d’aboutir. Il estime qu’il ne ressortirait pas du dossier que le ministre ait fait toutes les diligences en vue d’aboutir à son éloignement, de sorte qu’il y aurait lieu de considérer qu’aucune mesure d’éloignement n’aurait été en cours au jour de son placement en rétention, alors même que le ministre aurait déjà disposé de tous les renseignements sur son identité, avant qu’il ne soit libéré du CPL, pour entreprendre des démarches.

Il donne à considérer qu’un mois après son placement en rétention, les autorités consulaires compétentes n’auraient toujours pas donné de réponse au ministre et aucun laissez-

passer n’aurait été délivré à ce jour par les autorités de son pays d’origine qui aurait permis au ministre d’envisager son transfert vers la Tunisie ou encore la Libye. Le demandeur en conclut que la procédure d’éloignement resterait très hypothétique à l’heure actuelle et risquerait de lui faire endurer une privation de liberté trop longue compte tenu de la privation de liberté de dix années qu’il aurait déjà subie, de sorte qu’il serait injuste de lui faire endurer une rétention « inutile ».

4Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, il y a lieu de rappeler que si le tribunal est, en l’espèce, investi du pouvoir de statuer en tant que juge du fond, il n’en demeure pas moins que saisi d’un recours contentieux portant contre un acte déterminé, l’examen auquel il doit se livrer ne peut s’effectuer que dans le cadre des moyens invoqués par le demandeur pour contrer les motifs de refus spécifiques à l’acte déféré. Son rôle ne consiste pas à procéder indépendamment des motifs de refus ministériels à un réexamen général et global de la situation des requérants. Il appartient, dès lors, au demandeur d’établir que la décision critiquée est non fondée ou illégale pour l’un des motifs énumérés à l’article 2, alinéa 1er de la loi du 7 novembre 1996, tant en ce qui concerne sa conclusion que sa motivation1.

D’ailleurs, le tribunal n’est, en présence de plusieurs moyens invoqués, pas lié par l’ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant, l’examen de la légalité externe précédant celui de la légalité interne.

Quant à la légalité externe et à l’affirmation du demandeur selon laquelle la décision déférée serait dépourvue de motivation, force est de constater que le tribunal n’a pas à répondre à des moyens simplement suggérés et qu’il incombe en tout état de cause au demandeur de désigner la règle de droit qui serait violée, ainsi que la manière dont celle-ci aurait été violée par l’acte attaqué2. Or, en l’espèce, le demandeur se contente de relever de façon vague une motivation insuffisante, sans toutefois autrement expliquer le moyen et sans l’appuyer sur une quelconque disposition légale.

A titre superfétatoire et uniquement pour être complet, à admettre que le demandeur ait entendu s’appuyer sur l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, désigné ci-après par le «»règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », il échet de retenir que s’il est vrai qu’en vertu de cette disposition, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et les catégories de décisions y énumérées doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, le cas d’espèce sous examen ne tombe cependant dans aucune des hypothèses énumérées à l’alinéa 2 de l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, de sorte que l’obligation inscrite à cette disposition ne trouve pas à s’appliquer en l’espèce. Etant donné qu’il n’existe, en outre, aucun autre texte légal ou réglementaire exigeant l’indication des motifs se trouvant à la base d’une mesure de placement en rétention, respectivement de prorogation d’un placement en rétention d’un mois, sans demande expresse de l’intéressé, le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision déférée, de sorte que le moyen fondé sur un défaut d’indication des motifs est en tout état de cause à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant au fond, le tribunal relève de prime abord qu’une décision de placement en rétention est prise dans l’objectif de l’exécution d’une mesure d’éloignement. C’est ainsi que l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, sur le fondement duquel l’arrêté ministériel litigieux a été pris, prévoit que : « Afin de préparer l’exécution d’une mesure 1 Trib. adm. 17 novembre 2004, n° 18360a du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n° 31 et les autres références y citées 2 Trib. adm., 27 mai 2013, n°32017 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n°492 et les autres références y citées.

5d’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en 6cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, il est constant que le demandeur, qui a fait l’objet d’une décision de retour en date du 16 mai 2023, se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, étant relevé que la légalité de cette décision ne fait pas l’objet du présent recours. Etant donné qu’à cette dernière date, il a encore fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de dix ans, il existe, dans son chef, un risque de fuite qui est présumé en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c), numéro 1. de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel « […] Le risque de fuite dans le chef du ressortissant de pays tiers est présumé […] si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 […] », étant précisé, à cet égard, que parmi les conditions posées par ledit article 34 de la loi du 29 août 2008, figure justement celle de ne pas faire l’objet d’une décision d’interdiction de territoire, telle que prévue au paragraphe (2), numéro 3. de la disposition légale en question.

Le ministre pouvait donc a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement, les contestations y afférentes de l’intéressé, y compris celle selon laquelle son placement en rétention serait « inutile », étant, dès lors, à rejeter.

S’agissant de l’argumentation du demandeur selon laquelle le ministre aurait dû lui appliquer des mesures moins coercitives, telles que visées à l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, et notamment une assignation à résidence à la SHUK ou au sein de « tout autre foyer pour les demandeurs de protection internationale », il échet de rappeler que cette disposition légale dispose que : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

7c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens que les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme bénéficiant d’une priorité sur le placement en rétention, à condition que l’exécution d’une mesure d’éloignement, qui doit rester une perspective raisonnable, soit reportée uniquement pour des motifs techniques et que l’étranger présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale de risque de fuite de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes.3 En l’espèce, le tribunal constate que le demandeur ne lui a pas soumis d’éléments de nature à renverser la présomption du risque de fuite qui existe dans son chef, tel que retenu ci-

avant. Il est, en effet, constant qu’il ne dispose d’aucun domicile fixe déclaré au Luxembourg et qu’il n’a présenté aucun autre élément permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes, au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes, et plus particulièrement celle visée au point b) dudit article, dont il se prévaut, en substance, à l’appui de son recours, à savoir l’assignation à résidence, s’impose, étant encore précisé que la SHUK, respectivement « tout autre foyer pour demandeurs de protection internationale » ne sauraient être considérés comme domiciles stables ni comme fournissant à eux seuls une garantie de représentation suffisante, de sorte qu’une telle mesure n’y est pas concevable. Le tribunal constate également que le demandeur ne dispose pas de passeport ou de tout document justificatif de son identité et qu’il n’a pas proposé le dépôt d’une garantie financière, de sorte à ne pas pouvoir bénéficier des mesures visées à l’article 125, paragraphe (1), points a) et c) de la loi du 29 août 2008.

C’est, dès lors, à juste titre que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, en ce compris l’assignation à résidence à la SHUK ou « tout autre foyer pour demandeurs de protection internationales », ne sont pas envisageables en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à rejeter.

Quant à l’invocation par le demandeur d’une atteinte à son droit à la liberté consacré par l’article 5 de la CEDH, il y a lieu de rappeler qu’aux termes de cette dernière disposition 3 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 804 et les autres références y citées.

8de droit international : «»1. Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. Nul ne peut être privé de sa liberté, sauf dans les cas suivants et selon les voies légales: […] f) S’il s’agit de l’arrestation ou de la détention régulières d’une personne pour l’empêcher de pénétrer irrégulièrement sur le territoire, ou contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. […] ».

Il ressort du libellé de l’article 5, paragraphe (1), point f) précité de la CEDH, que celui-

ci prévoit expressément la possibilité de détenir une personne contre laquelle une procédure d’expulsion ou d’extradition est en cours. Le terme d’expulsion doit être entendu dans son acceptation la plus large et vise toutes les mesures d’éloignement respectivement de refoulement de personnes qui se trouvent en séjour irrégulier dans un pays4.

Dans la mesure où le demandeur a fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire, de sorte qu’il se trouve en séjour irrégulier sur le territoire, tel que cela a été retenu ci-avant, et où une procédure d’éloignement à son encontre est en cours d’exécution, le ministre a valablement pu placer le demandeur au Centre de rétention et maintenir cette mesure de placement sans violer l’article 5 de la CEDH.

En ce qui concerne ensuite les diligences concrètement entreprises par le ministre pour procéder à l’éloignement du demandeur et ainsi écourter la durée de son placement en rétention, le tribunal précise, d’abord, qu’aucune disposition légale n’impose au ministre d’organiser l’éloignement d’une personne en situation irrégulière avant même la fin de sa peine privative de liberté5, de sorte que l’argumentation afférente du demandeur encourt le rejet. Le tribunal constate, ensuite, qu’il ressort du dossier administratif qu’en date du 19 mai 2023 correspondant au jour de la notification de la décision de placement du demandeur au Centre de rétention, les autorités luxembourgeoises se sont adressées aux autorités tunisiennes en vue de la délivrance d’un laissez-passer dans le chef du demandeur et de son identification, tout en joignant une photo d’identité et un jeu d’empreintes digitales du demandeur, demande que les autorités luxembourgeoises ont, à défaut de réponse des autorités tunisiennes, réitérée par courrier du 8 juin 2023.

Par courrier du 14 juin 2023, le Consul par Intérim du Consulat Général de Tunisie à Bruxelles a informé les autorités luxembourgeoises que le dossier était en cours de traitement et qu’une « réponse vous sera incessamment communiquée ».

Le tribunal relève encore que par courrier du 28 juin 2023, les autorités luxembourgeoises se sont enquises une nouvelle fois de l’état d’avancement du dossier auquel les autorités tunisiennes leur ont répondu par courrier du 1er juillet 2023 dont la teneur est identique à celle du courrier 14 juin 2023, prémentionné.

Ainsi, au vu des diligences déployées par le ministre depuis le placement du demandeur au Centre de rétention le 16 mai 2023, respectivement depuis la prorogation du placement du demandeur en date du 16 juin 2023 et dans la mesure où les autorités luxembourgeoises sont actuellement en attente d’une réponse de la part de autorités tunisiennes suite à l’envoi de leurs courriers, le tribunal est amené à constater que la procédure d’éloignement du demandeur est toujours en cours et que les démarches entreprises à cet égard par les autorités 4 Trib. adm. 25 janvier 2006, n° 20913 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 804 et les autres références y citées.

5 Trib. adm. 17 décembre 2017, n° 37259 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 962 et les autres références y citées.

9luxembourgeoises doivent être considérées, à ce stade, comme suffisantes au regard des exigences de l’article 120 de la loi du 29 août 2008 pour justifier le maintien du placement du demandeur en rétention.

C’est, dès lors, à tort que le demandeur, d’une part, reproche un manque de diligences aux autorités luxembourgeoises, qui sont, tel que relevé ci-avant, actuellement tributaires de la collaboration des autorités tunisiennes auxquelles elles se sont adressées, et, d’autre part, estime que la procédure d’éloignement resterait « hypothétique à l’heure actuelle ».

Eu égard à l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal conclut qu’en l’état actuel du dossier et en l’absence de moyens à soulever d’office, il ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité, ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique extraordinaire du 14 juillet 2023 par :

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Benoît Hupperich, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 juillet 2023 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 49137
Date de la décision : 14/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/08/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-07-14;49137 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award