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13/07/2023 | LUXEMBOURG | N°47741

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 13 juillet 2023, 47741


Tribunal administratif Numéro 47741 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47741 2e chambre Inscrit le 25 juillet 2022 Audience publique du 13 juillet 2023 Recours formé par Madame … et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47741 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2022 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, a

vocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame...

Tribunal administratif Numéro 47741 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47741 2e chambre Inscrit le 25 juillet 2022 Audience publique du 13 juillet 2023 Recours formé par Madame … et consorts, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47741 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juillet 2022 par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Iran), de nationalité afghane, demeurant à L-…, agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour compte des enfants mineurs …, né le … à …, …, né le … à … et …, né le … à …, tous les trois de nationalité afghane et demeurant actuellement en Iran, ayant tous élu domicile en l’étude de Maître Ardavan Fatholahzadeh, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 12 mai 2022 rejetant leur demande de regroupement familial, ainsi que de la décision confirmative du même ministre du 7 juillet 2022 prise sur recours gracieux.

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 décembre 2022 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 5 janvier 2023 par Maître Ardavan Fatholahzadeh au nom de ses mandants, préqualifiés ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 19 janvier 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, et Maître Ardavan Fatholahzadeh ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Yannick Genot en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 mars 2023.

En date du 29 août 2019, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, dénommée ci-après « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 18 février 2022, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, désigné ci-

après par « le ministre », accorda le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 128 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ainsi qu’une autorisation de séjour jusqu’au 17 février 2027 à Madame ….

Par courrier de son litismandataire du 18 mars 2022, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère, une demande de regroupement familial pour son époux, son frère mineur … et ses deux neveux mineurs … et …, tous trois de nationalité afghane.

Par décision du 12 mai 2022, le ministre s’adressa au litismandataire de Madame … dans les termes suivants :

« […] J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 24 mars 2022.

I. Demande de regroupement familial en faveur de l'époux de votre mandante Avant tout progrès en cause et sans préjudice du fait que toutes les conditions en vue de l'obtention d'une autorisation de séjour doivent être remplies au moment de la prise de décision, je vous prie de bien vouloir me faire parvenir dans les meilleurs délais les pièces suivantes qui n'étaient pas jointes à la demande :

- Une copie intégrale du passeport en cours de validité de Monsieur … ;

- L'original ou une copie certifiée conforme d'un extrait récent du casier judiciaire dans le chef de Monsieur ….

Veuillez nous adresser les documents demandés en un seul envoi, conjointement avec la présente.

II. Demande de regroupement familial en faveur du frère et des neveux de votre mandante Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, conformément à l'article 73, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration, « la demande en obtention d'une autorisation de séjour en tant que membre de la famille est accompagnée des preuves que le regroupant remplit les conditions fixées et de pièces justificatives prouvant les liens familiaux, ainsi que des copies intégrales des documents de voyage des membres de la famille ».

Étant donné que seulement une copie de la première page de Monsieur … et aucun document traduit concernant les neveux à regrouper a été joint à la demande de regroupement familial, je ne suis pas en mesure d'établir l'identité des personnes à regrouper ni votre lien familial avec eux.

Même si conformément à l'article 73, paragraphe (3) : « lorsqu'un bénéficiaire d'une protection internationale ne peut fournir les pièces justificatives officielles attestant les liens familiaux, il peut prouver l'existence de ces liens par tout moyen de preuve. La seule absence de pièces justificatives ne peut motiver une décision de rejet de la demande de regroupement familiale », il ressort de l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration que le regroupement familial de la fratrie et des neveux n'est 2pas prévu à l'article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration.

Par conséquent, l'autorisation de séjour en tant que membre de famille leur est refusée sur base des articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée.

La présente décision est susceptible de faire l'objet d'un recours devant le Tribunal administratif. La requête doit être déposée par un avocat à la Cour dans un délai de 3 mois à partir de la notification de la présente décision.

Néanmoins, je suis disposé à considérer l'octroi d'une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l'article 78, paragraphe (1) et (2) de la loi du 29 août 2008 précitée dans le chef des enfants …, … et … à condition de me faire parvenir les documents suivants:

 trois engagements de prise en charge en bonne et due forme souscrit en faveur des enfants …, … et … ainsi que les trois dernières fiches du garant ;

 une preuve que votre mandante dispose d'un logement approprié au Luxembourg ainsi que l'accord écrit du propriétaire, accompagné d'une pièce d'identité, à y loger trois personnes supplémentaires ;

 la preuve que les enfants …, … et … disposent d'une assurance maladie couvrant tous les risques sur le territoire luxembourgeois (assurance de voyage) ;

 l'exequatur par le Tribunal d'arrondissement à Luxembourg/Diekirch des décisions de la « … » sans indication de date octroyant le droit de garde des enfants …, … et … à votre mandante, exequatur qui est à demander par un avocat à la Cour conformément à l'article 680 du Nouveau Code de Procédure Civile ;

 une copie de toutes les pages des titres de voyage des trois personnes susmentionnées ou tout autre document prouvant l'identité des intéressés;

 la preuve du lien familial entre votre mandante et les enfants …, … et …, par exemple des actes de naissance, livrets de famille, etc.

Si les documents ne sont pas rédigés dans les langues allemande, française ou anglaise, une traduction certifiée conforme par un traducteur assermenté doit être jointe. […] ».

En date du 17 juin 2022, une autorisation de séjour temporaire au titre de membre de la famille fût accordée à l’époux de Madame …, Monsieur ….

Suite au recours gracieux introduit le 27 juin 2022 à l’encontre de la décision précitée du 12 mai 2022, le ministre confirma le 7 juillet 2022 sa décision initiale dans les termes suivants :

« […] J'accuse bonne réception de votre courrier reprenant l'objet sous rubrique qui m'est parvenu en date du 27 juin 2022.

I. Quant à ma décision du 12 mai 2022 3Je suis au regret de vous informer qu'à défaut d'éléments pertinents nouveaux, je ne peux que confirmer ma décision du 12 mai 2022 dans son intégralité.

Néanmoins, je tiens à vous informer que ma proposition de considérer l'octroi d'une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l'article 78, paragraphe (1) c) reste maintenu sous condition que votre mandante nous fait parvenir les documents nécessaires demandés en date du 21 mars 2022. On ne saurait alors soulever que l'article 8 de la CEDH n'a pas été respecté.

Par ailleurs, vous faites référence aux article 70, paragraphe (4) et (5), qui ne sont pas applicables en l'espèce car votre demande ne concerne ni des ascendants, ni des enfants majeurs, ni un mineur non accompagné.

II. Quant à votre demande en obtention d'une autorisation de séjour pour motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité Il y a lieu de soulever que le ressortissant d'un pays tiers doit se trouver en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois conformément à l'article 39, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration pour solliciter une autorisation de séjour sur base de l'article 78(3).

Dans ce contexte, je me permets de citer une partie d'un arrêt de la Cour administrative du 25 juin 2015 (numéro 36058C du rôle) et une partie d'un jugement du 2 décembre 2015 (numéro 35581 du rôle) :

« Cette façon de procéder de la norme communautaire consiste à conférer aux Etats membres une option par rapport à laquelle ceux-ci ont conservé la possibilité d'en faire usage ou de ne pas en faire usage et, dans l'hypothèse où ils en font l'usage, de le faire avec une plus ou moins grande latitude, étant entendu que les raisons de la délivrance du titre de séjour à une personne, par hypothèse en séjour irrégulier, relèvent du spectre humanitaire au sens large. Dès lors, les Etats membres ont gardé la latitude de prendre en considération des motifs du spectre humanitaire au sens large avec plus ou moins d'amplitude et ont dès lors conservé la possibilité d'encadrer plus ou moins strictement la délivrance de pareil titre de séjour, s'agissant par hypothèse de personnes en séjour irrégulier, pourvu toutefois que la base humanitaire n'en fasse pas défaut ».

« En ce qui concerne le refus de qualifier les faits invoqués de motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité, force est au tribunal de rappeler que cette disposition est le fruit de la transposition de l'article 6 paragraphe 4 de la directive européenne 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, prévoyant la possibilité pour les Etats membres d'accorder un titre de séjour autonome pour des « motifs charitables, humanitaires ou autres » à un ressortissant d'un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Le législateur luxembourgeois en prévoyant à ce titre une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d'une exceptionnelle gravité a limité ce pouvoir discrétionnaire aux cas d'espèces où les faits ou circonstances invoqués sont de nature à léser de manière gravissime des droits fondamentaux de l'Homme ».

4La demande en obtention d'une autorisation de séjour pour des raisons humanitaires d'une exceptionnelle gravité dans le chef des intéressés précités et séjournant hors territoire luxembourgeois n'est en conséquence pas recevable. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 25 juillet 2022, Madame … a fait introduire, en son nom et celui des enfants mineurs …, … et …, un recours tendant à l’annulation des décisions ministérielles susvisées des 12 mai 2022 et 7 juillet 2022.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de regroupement familial, respectivement d’autorisation de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit en la présente matière, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation sous analyse lequel est encore recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de leur recours et en fait, les demandeurs reprennent en substance les faits et rétroactes tels qu’exposés ci-dessus.

Les demandeurs sollicitent l’annulation de la décision ministérielle pour violation de la loi et erreur d’appréciation, voire erreur manifeste d’appréciation des faits et se prévalent dans ce contexte de l’article 75, paragraphe (2), point c) de la loi du 18 décembre 2015.

Ils soutiennent ensuite qu’il y aurait lieu d’écarter l’application de l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, étant donné que leur demande de regroupement familial aurait été déposée dans le délai de trois mois suivant l’obtention de la protection internationale par Madame ….

Ils citent les articles 68 et 71 de la loi du 18 décembre2015, en soutenant que les dispositions relatives à la protection temporaire s’appliqueraient également à un bénéficiaire de protection internationale, alors (i) que le bénéficiaire d’une protection temporaire pourrait se voir délivrer une protection internationale ultérieurement et (ii) que la loi ne l’exclurait pas expressément.

Les demandeurs affirment que les trois enfants mineurs ne seraient plus sous l’autorité de leurs parents en raison du transfert de garde de ces derniers à Madame …, ce qui serait prouvé par des attestations et des documents d’identité, et parce qu’ils auraient vécu avec celle-ci avant son départ vers le Luxembourg.

Les demandeurs soulignent que la notion de « parent proche » serait à interpréter largement, de façon à inclure toutes les personnes issues de la famille, y compris les frères et sœurs, tout en expliquant que les trois enfants mineurs, vivant actuellement avec l’époux de Madame … auquel le regroupement familial aurait été accordé, risqueraient de se retrouver seuls et sans ressources en cas de départ de ce dernier, de sorte à remplir les conditions du paragraphe (2) de l’article 75 de la loi du 18 décembre 2015.

Les demandeurs font encore état d’une violation de l’article 75 de la loi du 18 décembre 2015 en ses paragraphes (6) et (7), en expliquant que les trois enfants mineurs nécessiteraient la protection de Madame …, notamment en raison de la prise de pouvoir par les talibans en Afghanistan, lesquels bafoueraient leurs droits les plus élémentaires, ne leur permettant pas de 5grandir en sécurité. Les autorités luxembourgeoises auraient ainsi omis de prendre en compte l’intérêt supérieur de ces enfants, qu’il y aurait toujours lieu de protéger.

Les demandeurs soutiennent, qu’outre le transfert de l’autorité parentale prémentionné, un lien spécial et étroit existerait entre Madame …, ses frères et son neveu. Ils citent à cet égard un arrêt de la Cour administrative du 15 mars 2018, inscrit sous le numéro 40345C du rôle relatif à l’interprétation de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, désignée ci-après par « la CEDH ».

Ils expliquent, à cet égard, qu’il serait fréquent en Afghanistan que la famille proche s’étende au-delà des liens entre parents et enfants ou frères et sœurs. Une famille aurait tendance à vivre ensemble, souvent sous le même toit et parfois, la perte d’un membre masculin de la famille entrainerait le rattachement d’une famille à un frère ou à des grands-parents, créant ainsi une famille élargie.

Les demandeurs invoquent ainsi une violation de l’article 8 de la CEDH en soutenant que cet article impliquerait que l’autorité étatique serait investie d’un pouvoir de décision non discrétionnaire, et devrait dès lors tenir compte du droit au respect de la vie privée et familiale, en citant dans ce contexte un extrait du jugement du tribunal administratif du 8 novembre 2021, inscrit sous le numéro 44974 du rôle.

Refuser le regroupement familial aux trois enfants mineurs dont la responsabilité aurait été confiée à Madame …, constituerait une ingérence prévue par l’article 8 précité, alors que ce refus conduirait inéluctablement à l’éclatement de leur cellule familiale.

Les demandeurs font encore état, pour autant que nécessaire, d’une violation du principe de l’égalité des administrés, alors que, selon eux, dans des situations identiques, le frère ou la sœur voire le neveu et la nièce mineur(e)/majeur(e) aurait été autorisé(e) à rejoindre son/sa famille au titre d’un regroupement familial. En se basant sur un jugement du tribunal administratif du 24 juin 2009, inscrit sous le numéro 24954 du rôle, ils font valoir que la décision ministérielle contreviendrait aux principes consacrés par le droit positif du fait que l’autorité administrative traiterait différemment les requérants par rapport à leurs homologues se trouvant dans la même situation et ayant obtenu une autorisation de séjour.

Finalement, les demandeurs soutiennent que, contrairement à l’affirmation des autorités luxembourgeoises, une autorisation de séjour pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité pourrait être octroyée à un demandeur qui, au moment de l’introduction de ladite demande, ne se trouvait pas sur le territoire luxembourgeois.

Ils citent à cet égard l’article 39 de la loi du 29 août 2008 en exposant que cette disposition imposerait aux demandeurs d’une autorisation de séjour, d’introduire une demande auprès de l’autorité ministérielle avant l’entrée sur le territoire, hormis les cas expressément cités à l’article 78, paragraphe (3) de ladite loi. Il s’agirait d’une « obligation incombant uniquement dans les cas susvisés, et qui ne précise[rait] pas s’il existe une obligation inverse d’être sur le territoire pour les exceptions mentionnées, telle que la demande d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires exposés à l’article 78, paragraphe 3, de la même loi ».

Ils expliquent que tant la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les États 6membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, que l’arrêt de la Cour administrative du 25 juin 2015, inscrit sous le numéro 36058C du rôle, ne seraient pas applicables et que leur invocation le cadre de la décision confirmative de rejet du 7 juillet 2022 serait dénuée de pertinence, alors que les faits à la base de cet arrêt diffèreraient des faits de l’espèce, en ce que les appelants se seraient trouvés en séjour irrégulier sur le sol luxembourgeois, ce qui ne serait pas leur cas en l’espèce. Selon eux, l’arrêt conclurait que les Etats membres seraient libres de définir des conditions strictes d’obtention d’une autorisation de séjour pour raisons humanitaires « s’agissant par hypothèse de personnes en séjour irrégulier ». Cette argumentation ne serait donc pas en lien « avec le fait d’effectuer la demande avant ou après l’arrivée au Luxembourg, puisqu’elle n’informe[rait] que sur la possibilité des Etats membres d’instaurer des règles plus restrictives que celles accordées par le droit de l’Union européenne ». Etant donné que les Etats membres seraient libres d’encadrer l’octroi « de telles autorisations », les autorités nationales seraient dans l’obligation d’appliquer strictement le droit national.

Ainsi, l’absence de disposition expresse du législateur ne permettrait pas une interprétation arbitraire de la part des autorités luxembourgeoises et l’imposition d’une condition supplémentaire ne figurant pas dans la loi.

Concernant l’application de l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, les demandeurs soutiennent que les enseignements de l’arrêt de la Cour administrative du 25 juin 2015, cité ci-avant, permettraient d’interpréter le sens du caractère « exceptionnel » qu’il y aurait lieu de prendre en compte lors de l’analyse « de telles demandes ».

Ils affirment à cet égard que, Madame …, n’ayant pas eu d’autre choix que de quitter son pays et de demander le regroupement familial, serait dans une situation exceptionnelle alors que son frère et ses neveux seraient à sa charge et qu’elle n’aurait plus la possibilité de résider avec eux, alors qu’il reviendrait, en principe, aux parents de ces derniers de s’en occuper. Dans la mesure où l’époux de Madame … se serait vu octroyer une autorisation de séjour en qualité de membre de famille, les trois enfants seraient contraints de devoir survivre par leurs propres moyens, ce qui caractériserait une situation totalement inédite comparée à celle d’autres familles où les enfants demeurent avec leurs parents, et non avec leurs tantes ou sœurs, de sorte qu’il y aurait lieu d’appliquer l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008.

En dernier lieu, les demandeurs invoquent une violation des articles 7 et 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », alors que les décisions attaquées empêcheraient les trois enfants mineurs d’avoir droit à une protection et aux soins nécessaires à leur bien-être, d’entretenir régulièrement des relations personnelles avec leur seul parent détenteur de l’autorité parentale, de sorte que leur intérêt supérieur n’aurait pas été pris en considération.

Dans leur mémoire en réplique, les demandeurs ajoutent que concernant les arguments de l’autorité ministérielle visant à évincer l’application des dispositions internationales et européennes, n’auraient pas lieu d’être dans la mesure où, à l’heure actuelle, la loi du 29 août 2008, ne permettrait pas une protection des droits fondamentaux supérieure à celle des dispositions de l’article 7 de la Charte, respectivement 8 de la CEDH, alors que les dispositions nationales ne pourraient primer en matière de protection des droits fondamentaux seulement si elles offraient une protection supérieure et/ou particulière de ces droits.

7Quant à l’argument de la partie étatique selon lequel les pièces prouvant le transfert de la garde des trois enfants seraient dénouées d’authenticité, les demandeurs précisent que les copies versées seraient amplement suffisantes pour attester de l’existence de pièces authentiques, alors qu’il serait impossible de se procurer des originaux compte tenu du « contexte actuel en Afghanistan ». Ils ajoutent que ce ne serait pas en raison du statut obtenu par Madame … au Luxembourg qu’un transfert de garde aurait été opéré, mais parce que les enfants se seraient trouvés en situation précaire.

Finalement, les demandeurs citent différents articles de presse en soutenant que l’article 3 de la CEDH, combiné aux articles 2, 5 et 8 de ladite convention, seraient violés en l’espèce alors que « l’omission des persécutions graves et avérés » subsisteraient dans le chef des trois enfants mineurs, en raison notamment de leur appartenance à l’ethnie Hazâra, considérée comme le « principal ennemi des talibans ».

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

A titre liminaire, en ce qui concerne la demande de communication du dossier administratif formulée au dispositif de la requête introductive d’instance, force est de constater que concomitamment à son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement a versé au greffe du tribunal administratif une copie du dossier administratif comprenant a priori l’ensemble des documents soutenant la décision déférée et que les demandeurs n’ont pas fait état d’éléments qui leur feraient défaut ni d’éléments qui leur permettraient d’affirmer qu’ils n’auraient pas eu communication de l’intégralité du dossier administratif à la base du présent litige, de sorte que cette demande est à rejeter pour ne pas être fondée.

Le tribunal rappelle ensuite qu’il n’est pas tenu par l’ordre des moyens, tel que présenté par les demandeurs, mais qu’il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile s’en dégageant.

Le tribunal constate que la demande de regroupement familial vise, d’une part, le frère mineur de Madame …, … ainsi que, d’autre part, ses deux neveux mineurs … et ….

En ce qui concerne d’abord l’article 75, et plus précisément les paragraphes (2), point c), (6) et (7) de la loi du 18 décembre 2015, dont les demandeurs sollicitent l’application, celui-

ci dispose que « (1) Le bénéficiaire de la protection temporaire peut solliciter le regroupement familial en faveur d’un ou de plusieurs membres de sa famille si la famille était déjà constituée dans l’Etat d’origine et qu’elle a été séparée en raison de circonstances entourant l’afflux massif.

(2) Sont considérés comme membres de la famille au sens du présent article:

a) le conjoint du regroupant;

b) les enfants mineurs célibataires du regroupant ou de son conjoint, qu’ils soient légitimes, nés hors mariage ou adoptés;

c) d’autres parents proches qui vivaient au sein de l’unité familiale au moment des événements qui ont entraîné l’afflux massif et qui étaient alors entièrement ou principalement à charge du regroupant. […] (6) Le ministre peut accorder le regroupement familial aux membres séparés de la famille qui ne sont pas encore présents sur le territoire d’un Etat membre, qui nécessitent une protection et dont il a acquis l’assurance qu’ils correspondent à la description du paragraphe 8(2), point c), en tenant compte, au cas par cas, des difficultés extrêmes qu’ils rencontreraient si le regroupement ne se réalisait pas.

(7) Le ministre tient compte dans sa décision de l’intérêt supérieur de l’enfant. […] ».

Force est de constater que, contrairement aux affirmations des demandeurs, ledit article ne s’applique pas à la situation de la regroupante, cette dernière n’étant pas bénéficiaire d’une protection temporaire mais d’une protection internationale depuis le 18 février 2022, de sorte que le moyen tiré d’une violation dudit article 75, en ses paragraphes (2), (6) et (7) de la loi du 18 décembre 2015 encourt le rejet pour être non fondé.

Aux termes de l’article 69 de la loi du 29 août 2008, « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille.

(2) Sans préjudice du paragraphe (1) du présent article, pour le regroupement familial des membres de famille visés à l’article 70, paragraphe (5) le regroupant doit séjourner depuis au moins douze mois sur le territoire luxembourgeois.

(3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale. ».

L’article 70, paragraphe (1) de cette même loi, sur lequel la demande en regroupement familial est encore basée, dispose que :

« Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants:

a) le conjoint du regroupant;

b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats;

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord. ».

Il se dégage de ces deux articles que lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale introduit une demande de regroupement avec un membre de sa famille tel que 9défini à l’article 70 de la loi du 29 août 2008, dans un délai de six mois suivant l’octroi d’une protection internationale, il ne doit pas remplir les conditions du paragraphe (1) de l’article 69 de ladite loi, à savoir celles de rapporter la preuve qu’il dispose (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le membre de sa famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour lui-

même et pour les membres de sa famille.

En l’espèce, il n’est pas contesté que, dès lors que Madame … a obtenu le statut de réfugié par décision ministérielle du 18 février 2022 et que sa demande de regroupement familial a été introduite le 18 mars 2022, c’est-à-dire dans le délai de six mois suivant l’obtention du statut de réfugié, les conditions prévues à l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne doivent pas être remplies.

Pour ce qui est de la demande de regroupement familial dans le chef de l’enfant …, il n’est pas contesté qu’il est le frère de la regroupante. Concernant la demande de regroupement familial des enfants … et …, il n’est pas contesté qu’ils sont les neveux de cette dernière.

Force est cependant de constater que ledit article 70 ne vise ni la fratrie, ni les neveux au titre des membres de la famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial avec un regroupant installé au Luxembourg, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a refusé de faire droit à la demande de regroupement familial.

Cette conclusion n’est pas infirmée par le moyen des demandeurs ayant trait à une violation de l’article 8 de la CEDH, en ce que la décision litigieuse les priverait de l’unité familiale à laquelle ils pourraient prétendre sur base dudit article 8 aux termes duquel :

« 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».

A titre liminaire, le tribunal rappelle le principe de primauté du droit international, en vertu duquel un traité international, incorporé dans la législation interne par une loi approbative – telle que la loi du 29 août 1953 portant approbation de la CEDH – est une loi d’essence supérieure ayant une origine plus haute que la volonté d’un organe interne. Par voie de conséquence, en cas de conflit entre les dispositions d’un traité international et celles d’une loi nationale, même postérieure, la loi internationale doit prévaloir sur la loi nationale.1 2 Partant, le tribunal souligne que si les Etats ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux, ils 1 Trib. adm., 25 juin 1997, nos 9799 et 9800 du rôle, conf. Cour adm., 11 décembre 1997, nos 9805C et 10191C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Lois et règlements, n° 72 et les autres références y citées.

2 Trib. adm., 26 avril 2019, n° 41089 du rôle, disponible sous www.jurad.etat.lu 10doivent toutefois, dans l’exercice de ce droit, se conformer aux engagements découlant pour eux de traités internationaux auxquels ils sont parties, y compris la CEDH.3 Etant relevé que les Etats parties à la CEDH ont l’obligation, en vertu de son article 1er, de reconnaître les droits y consacrés à toute personne relevant de leurs juridictions, force est au tribunal de rappeler que l’étranger a un droit à la protection de sa vie privée et familiale en application de l’article 8 de la CEDH, d’essence supérieure aux dispositions légales et réglementaires faisant partie de l’ordre juridique luxembourgeois4.

Incidemment, le tribunal souligne que « l’importance fondamentale »5 de l’article 8 de la CEDH en matière de regroupement familial est par ailleurs consacrée en droit de l’Union européenne et notamment par la directive 2003/86/CE du Conseil du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial, que transpose la loi du 29 août 2008, et dont le préambule dispose, en son deuxième alinéa, que « Les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l'obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l'article 8 de la convention européenne pour la protection des droits humains et des libertés fondamentales et par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. ».

Il échet de conclure de ce qui précède qu’au cas où la législation nationale n’assure pas une protection appropriée de la vie privée et familiale d’une personne, au sens de l’article 8 de la CEDH, cette disposition de droit international doit prévaloir sur les dispositions législatives éventuellement contraires.

Il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », que si la notion de « vie familiale » se limite normalement au noyau familial, la Cour a également reconnu l’existence d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la CEDH, entre autres, entre frères et sœurs6, et entre nièces/neveux et tantes/oncles7.

Il échet, par ailleurs, de rappeler à ce stade-ci des développements que la notion de vie familiale ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national8. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays9.

3 Voir par exemple en ce sens CEDH, 11 janvier 2007, Salah Sheekh c. Pays-bas, (req. n° 1948/04), § 135, et trib.

adm., 24 février 1997, n° 9500 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 470 et les autres références y citées.

4 Trib. adm., 8 janvier 2004, n° 15226a du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 471 et les autres références y citées.

5 Voir « Proposition de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial », COM/99/0638 final -

CNS 99/0258, 1er décembre 1999, point 3.5.

6 Voir en ce sens CourEDH, 24 avril 1996, Boughanemi c. France (req. n° 22070/93), § 35.

7 Voir en ce sens CourEDH, 24 février 1994, Boyle c. Royaume-Uni (req. n° 16580/90), §§ 41-47.

8 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 473 (2e volet) et les autres références y citées.

9 Trib. adm., 8 mars 2012, n° 27556 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 473 (3e volet) et les autres références y citées.

11De plus, le tribunal constate que cette conception de la notion de famille, étendue au-

delà du noyau familial, pour prendre en compte l’existence d’éléments de dépendance supplémentaires entre parents proches, est cohérente avec les dispositions - certes non applicables à l’espèce - de l’article 56, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, concernant le contenu de la protection internationale, qui prévoit la possibilité pour le ministre d’étendre le bénéfice des droits découlant du statut de bénéficiaire de protection internationale aux membres de la famille du bénéficiaire, sur base d’une définition élargie de la notion de membre de famille. L’article 56, paragraphe (1) de ladite loi dispose en effet que « Le ministre veille à ce que l’unité familiale puisse être maintenue. Il peut décider que les dispositions du présent article s’appliquent aux autres parents proches qui vivaient au sein de la famille du bénéficiaire à la date du départ du pays d’origine et qui étaient alors entièrement ou principalement à sa charge. ».

Il y a dès lors lieu d’examiner en l’espèce si la vie privée et familiale dont font état les demandeurs pour conclure dans leur chef à l’existence d’un droit à la protection d’une vie familiale par le biais des dispositions de l’article 8 précité, rentre effectivement dans les prévisions de ladite disposition de droit international qui est de nature à tenir en échec la législation nationale.

Les demandeurs se prévalent, à cet égard, de deux attestations, afin d’établir le transfert de l’autorité parentale des trois enfants mineurs dans le chef de Madame …. Le tribunal est amené à retenir que les demandeurs ne lui ont pas soumis suffisamment d’éléments permettant de retenir que les documents dont ils se prévalent et qui sont intitulés « official translation » puissent être assimilés à des jugements d’adoption ou à des décisions judiciaires ayant, au regard des dispositions nationales iraniennes ou afghanes, des effets juridiques tels que Madame … serait à considérer comme étant le tuteur légal de son frère et de ses neveux. Bien au contraire, il ressort des termes de ces documents qu’il s’agit de deux simples déclarations unilatérales établies par les parents de … et par les parents des enfants … et …. A défaut d’autres éléments, la seule affirmation selon laquelle les parents respectifs des enfants mineurs auraient, en vertu de ces deux documents, transféré leur autorité parentale à Madame … n’est, en toute état de cause, pas suffisante pour retenir qu’elle serait revêtue de la garde et des droits parentaux envers ces derniers. Par ailleurs, les demandeurs restent également en défaut de verser en cause un quelconque élément permettant d’établir que Madame … aurait fourni un support matériel et financier à son frère et à ses neveux, de sorte à établir que leur responsabilité et leur garde lui auraient été confiées et qu’elle serait la seule personne capable de s’occuper de ces derniers.

Dès lors, la conclusion s’impose que Madame … n’est pas considérée comme ayant la garde de son frère et de ses neveux, ni comme étant leur tuteur légal.

Le tribunal relève encore qu’il ne ressort ni des éléments du dossier, ni du récit de Madame …, tel qu’acté dans le rapport de son audition effectuée le 29 août 2019 dans le cadre de la procédure de demande de protection internationale et soumis au tribunal, qu’elle aurait actuellement des liens réels avec son frère et ses neveux, suffisamment étroits pour attester qu’une vie familiale effective au sens de l’article 8 de la CEDH existe. Si la regroupante affirme qu’actuellement il existerait un lien spécial et étroit entre elle, son frère et ses neveux, au point qu’elle en serait responsable et qu’elle exercerait sur eux l’autorité parentale, elle reste en défaut de rapporter concrètement la preuve à suffisance de droit d’un lien particulier entre eux, respectivement de la dépendance financière et matérielle de ces derniers à son égard. Tel que retenu par le tribunal ci-avant, les déclarations unilatérales de transferts de l’autorité parentale respectifs des trois enfants mineurs versées en cause ne permettent pas non plus de conclure à une telle relation entre les demandeurs.

12 Il suit des considérations qui précèdent que les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une vie familiale effective, ni un lien de dépendance autre que des liens affectifs normaux qu’une sœur entretient avec son frère, respectivement une tante avec ses neveux, de sorte qu’ils ne sauraient utilement se prévaloir des dispositions de l’article 8 de la CEDH.

Le moyen afférent à une violation de l’article 8 de la CEDH est dès lors rejeté.

Au vu de ces mêmes considérations, le moyen relatif à une violation de l’article 7 de la Charte ainsi qu’une violation de l’intérêt supérieur de l’enfant et plus particulièrement de l’article 24 de la Charte, prévoyant que « 1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité.

2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu'ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale.

3. Tout enfant a le droit d'entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. » est également à écarter.

En effet, force est de relever que ces dispositions ne tiennent pas en échec les dispositions légales relatives aux conditions d’entrée et de séjour au Luxembourg, de même qu’elles ne confèrent pas un droit subjectif à un enfant en l’autorisant à séjourner dans un pays de son choix10, étant, à cet égard, rappelé que la fratrie et les neveux et nièces ne sont pas prévus au titre des membres de la famille au sens de l’article 70 de la loi du 29 août 2008, susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial avec un regroupant installé au Luxembourg.

L’affirmation des demandeurs selon laquelle les décisions ministérielles du 12 mai et 7 juillet 2022 empêcheraient les enfants d’entretenir des relations personnelles avec leur seul parent, détenteur de l’autorité parentale est à écarter en l’espèce, alors que, tel que retenu ci-avant, Madame … ne saurait être considérée comme étant le tuteur des trois enfants mineurs. Force est également au tribunal de constater que Madame … a, lors de son entretien du 29 août 2019 effectuée dans le cadre de la procédure de demande de protection internationale, déclaré que son frère mineur irait actuellement à l’école en Iran, de sorte qu’à défaut d’éléments concrets mis en avant par les demandeurs, permettant de retenir qu’il serait dans l’intérêt supérieur des enfants de quitter l’Iran, sans que la simple affirmation des demandeurs selon laquelle « les décisions entreprises empêchent lesdits enfants mineurs d’avoir droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être », ne saurait être suffisante pour retenir le contraire, force étant de constater que les demandeurs restent en défaut d’étayer cette affirmation, voire de verser une quelconque pièce susceptible de prouver cette affirmation, laquelle reste partant à l’état de pure allégation et ne saurait ainsi être prise en considération.

Le moyen fondé sur une violation des articles 7 et 24 de la Charte est partant également rejeté.

S’agissant du volet du recours ayant trait à la demande d’une autorisation de séjour pour motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, il convient de relever qu’aux termes de l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, « A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, le ministre peut 10 Cour adm., 11 déc. 2012, n° 30874C du rôle, disponible sous www.ja.etat.lu.

13accorder une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité au ressortissant de pays tiers. ».

L’article 78, paragraphe (3), précité, permet dès lors au ministre, sauf dans l’hypothèse où l’intéressé constitue une menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques, d’accorder un droit de séjour s’il estime que le ressortissant du pays tiers a fait état de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité.

Quant à la condition de l’existence de « motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité », il y a lieu de rappeler que l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 est le fruit de la transposition de l’article 6, paragraphe (4) de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 24 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, prévoyant la possibilité pour les Etats membres d’accorder un titre de séjour autonome pour des « motifs charitables, humanitaires ou autres » à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Le législateur luxembourgeois, en prévoyant à ce titre une autorisation de séjour pour des motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, a limité ce pouvoir discrétionnaire aux cas d’espèce où les faits ou circonstances invoqués sont de nature à léser de manière gravissime des droits fondamentaux de l’Homme11.

Afin d’établir l’existence dans leur chef de motifs humanitaires d’une exceptionnelle gravité, les demandeurs se prévalent en substance de la responsabilité que Madame … aurait à l’égard de son frère et de ses neveux, alors qu’elle n’aurait plus la possibilité de résider avec eux.

Or, tel que l’a justement soulevé la partie étatique, la personne au profit de laquelle une autorisation de séjour est demandée doit, conformément à l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, se trouver en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, afin de pouvoir se voir octroyer ladite autorisation.

En effet, s’il est vrai que l’article 78, paragraphe (3) précité ne reprend pas les termes « en séjour irrégulier », cette prémisse de base conditionne cependant fondamentalement le cas de figure légalement entrevu de l’octroi d’une autorisation de séjour à titre humanitaire12.

Cette conclusion s’impose aussi à la lumière d’une lecture combinée des articles 34, 38 et 78 de la loi du 29 août 2008, voire a fortiori dans une approche systémique des lois du 29 août 2008 et du 18 décembre 2015 et de leurs champs d’application respectifs. En effet, l’interaction de ces textes et la logique des choses ne permet pas d’admettre que des ressortissants de pays tiers se trouvant hors territoire luxembourgeois puissent solliciter depuis l’extérieur une autorisation de séjour à titre humanitaire. Admettre le contraire, c’est-à-dire admettre que par le truchement d’une demande d’autorisation de séjour à titre humanitaire formulée depuis l'extérieur des Etats de l'Union européenne, serait admettre que la législation européenne relative à l’asile puisse être largement déjouée13.

Force est cependant de constater que les trois enfants ne se trouvent actuellement pas en séjour irrégulier sur le territoire luxembourgeois, mais demeurent toujours en Iran, de sorte 11 Cour adm., 5 décembre 2017, n° 39776C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 583 et les autres références y citées.

12 Ibid.

13 Ibid.

14que le tribunal est amené à conclure que c’est à bon droit que le ministre a rejeté la demande d’octroi d’une autorisation de séjour à titre humanitaire dans le chef de …, … et … .

Le moyen ayant trait à une violation de l’article 78, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 est partant rejeté pour être non fondé.

Concernant le moyen fondé sur une violation du principe d’égalité de traitement, il échet de relever que le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi, tel que consacré par l’article 15 de la version de la Constitution entrée entretemps en vigueur, suivant lequel tous les Luxembourgeois sont égaux devant la loi, applicable à tout individu touché par la loi luxembourgeoise si les droits de la personnalité, et par extension, si les droits extrapatrimoniaux sont concernés, ne s’entend pas dans un sens absolu, mais requiert que tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit soient traités de la même façon.

Le principe d’égalité de traitement est compris comme interdisant le traitement de manière différente de situations similaires, à moins que la différenciation soit objectivement justifiée.

Il appartient par conséquent, aux pouvoirs publics, tant au niveau national qu’au niveau communal, de traiter de la même façon tous ceux qui se trouvent dans la même situation de fait et de droit. Par ailleurs, lesdits pouvoirs publics peuvent, sans violer le principe de l’égalité, soumettre certaines catégories de personnes à des régimes légaux différents, à condition que les différences instituées procèdent de disparités objectives, qu’elles soient rationnellement justifiées, adéquates et proportionnées à leur but14. Pour que le principe d’égalité puisse être valablement mis en œuvre, il convient de pouvoir dégager deux situations comparables par rapport auxquelles une inégalité de traitement puisse être utilement invoquée.

Or, il échet de constater que les demandeurs sont restés en défaut de soumettre au tribunal des éléments suffisants quant à des personnes qui se seraient trouvées dans une situation similaire, voire identique à la leur.

Le moyen afférent est partant rejeté pour manquer de fondement.

Ce constat n’est pas infirmé par la référence faite par les demandeurs au jugement du tribunal administratif du 8 novembre 2021, inscrit sous le numéro n°44974 du rôle, alors que les faits à la base dudit jugement diffèrent des faits en l’espèce, en ce que les personnes à regrouper dans le cadre du jugement du 8 novembre 2021 étaient les enfants du bénéficiaire de protection internationale, alors que dans le présent cas, il s’agit des neveux et du frère de la regroupante.

Quant aux affirmations des demandeurs selon lesquelles les décisions ministérielles du 12 mai et du 7 juillet 2022 auraient violé l’article 3 de la CEDH, combiné aux articles 2, 5 et 8 de cette même convention, en raison, selon l’entendement du tribunal, des persécutions graves et avérées qui subsisteraient dans le chef des trois enfants mineurs à cause de leur appartenance à l’ethnie Hazara, considérée comme le « principal ennemi des talibans » en Afghanistan, il convient de retenir qu’il ressort de la requête introductive d’instance que les trois enfants sont nés en Iran, et qu’ils demeurent actuellement toujours en Iran. A défaut de toute précision ou toute explication circonstanciée en fait et en droit, quant à l’incidence de leur appartenance à l’ethnie Hazara en Iran, le moyen ayant trait à une violation de l’article 3 de la CEDH, combiné aux articles 2, 5 et 8 de ladite convention est à écarter pour être non fondé.

14 Trib. adm., 6 décembre 2000, n° 10019 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Lois et règlements, n° 9 et les autres références y citées.

15 Au vu de l’ensemble des considérations qui précèdent, il y a lieu de rejeter le recours en annulation pour n’être fondé en aucun de ses moyens.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

rejette la demande en communication de l’intégralité du dossier administratif ;

condamne les demandeurs aux frais et dépens.

Ainsi jugé par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Annemarie Theis, juge, Caroline Weyland, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 13 juillet 2023 par le premier vice-président, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 14 juillet 2023 Le greffier du tribunal administratif 16


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47741
Date de la décision : 13/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 30/09/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-07-13;47741 ?

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