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11/07/2023 | LUXEMBOURG | N°49109

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juillet 2023, 49109


Tribunal administratif N° 49109 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49109 3e chambre Inscrit le 3 juillet 2023 Audience publique du 11 juillet 2023 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49109 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 juillet 2023 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembo

urg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Tunisie) et être de nationali...

Tribunal administratif N° 49109 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49109 3e chambre Inscrit le 3 juillet 2023 Audience publique du 11 juillet 2023 Recours formé par Monsieur …, … contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de rétention administrative (art. 120, L. 29.08.2008)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49109 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 juillet 2023 par Maître Philippe STROESSER, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, déclarant être né le … à … (Tunisie) et être de nationalité tunisienne, actuellement retenu au Centre de rétention au Findel, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 16 juin 2023 ordonnant la prorogation de son placement au Centre de rétention pour une durée supplémentaire d’un mois à partir de sa notification ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 6 juillet 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision critiquée ;

Entendu le juge-rapporteur en son rapport, ainsi que Maître Charlotte MARC, en remplacement de Maître Philippe STROESSER et Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique de ce jour.

Il ressort du dossier administratif que Monsieur … est arrivé en France, accompagné de son père, grâce à un « VISA court séjour » valable du 26 octobre 2019 au 10 décembre 2019.

Après son arrivée au Luxembourg, en tant que mineur non accompagné, Monsieur … se vit attribuer un administrateur ad hoc par ordonnance du juge des tutelles délégué près le tribunal d’arrondissement de et à Luxembourg du … 2019.

Le 20 décembre 2019, Monsieur … introduisit, auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 1er juin 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … du refus de sa demande de protection 1internationale comme n’étant pas fondée, tout en lui ayant ordonné de quitter le territoire luxembourgeois dans un délai de trente jours.

En date du 6 juillet 2021, Monsieur … fut convoqué au ministère pour le 13 juillet 2021 en vue de l’organisation de son retour vers son pays d’origine. Il déclara à cette occasion qu’il voudrait attendre la réponse concernant « son apprentissage ».

Par courrier de son mandataire de l’époque du 12 juillet 2021, Monsieur … introduisit une demande en obtention d’un titre de séjour pour raisons privées, lequel lui fut refusé par décision du ministre du 4 août 2021.

Le recours gracieux introduit par le concerné contre la prédite décision du 4 août 2021 fut rejeté par le ministre par décision du 9 novembre 2021.

En date des 5 août et 15 novembre 2021, Monsieur … fut de nouveau convoqué au ministère pour le 12 août 2021, respectivement pour le 24 novembre 2021 en vue de l’organisation de son retour vers son pays d’origine. Il déclara à ces occasions qu’il n’accepterait pas le refus du ministre concernant « son apprentissage » et qu’il refuserait un retour volontaire dans son pays d’origine au motif que, selon lui, la Tunisie ne serait pas un pays sûr.

Par missive du 29 mars 2022, l’association sans but lucratif CARITAS introduisit une demande de régularisation en faveur de Monsieur …, laquelle fut également refusée par décision ministérielle du 21 avril 2022.

En date du 17 avril 2023, les autorités françaises demandèrent aux autorités luxembourgeoises de reprendre en charge Monsieur … sur le fondement de l’article 18 paragraphe (1), point b) du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, demande qui fut acceptée par les autorités luxembourgeoises en date du 19 avril 2023 en vertu du point d) de l’article 18 paragraphe (1) du même règlement.

En réponse à une demande adressée au Centre de coopération policière et douanières (CCPD) en date du 18 avril 2023, les autorités françaises informèrent leurs homologues luxembourgeois que Monsieur … était connu pour des faits de violence commis envers sa compagne en date du 8 avril 2023.

Le 17 mai 2023, le ministre a assorti sa décision de retour prise à l’encontre de Monsieur … en date du 1er juin 2021 d’une interdiction de territoire de cinq ans.

Le même jour, le ministre prit un arrêté de placement au Centre de rétention à l’encontre de Monsieur …, arrêté notifié à l’intéressé le 19 mai 2023, date de son transfert au Luxembourg, et fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 111, 120 à 123 et 125 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon interdiction d’entrée sur le territoire de cinq ans du 17 mai 2023 ;

2 Considérant que l’intéressé est dépourvu de tout document de voyage valable ;

Considérant que l’intéressé a rejeté la possibilité d’un retour volontaire en date des 12 août et 24 novembre 2021 ;

Considérant qu’il existe un risque de fuite dans le chef de l’intéressé, alors qu’il ne dispose pas d’une adresse au Grand-Duché de Luxembourg ;

Considérant par conséquent que les mesures moins coercitives telles qu’elles sont prévues par l’article 125, paragraphe (1), points a), b) et c) de la loi modifiée du 29 août 2008 précitée ne sauraient être efficacement appliquées ;

Considérant que les démarches nécessaires en vue de l’éloignement de l’intéressé seront engagées dans les plus brefs délais ;

Considérant que l’exécution de la mesure d’éloignement est subordonnée au résultat de ces démarches ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 26 mai 2023, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation, sinon en annulation contre la décision ministérielle, précitée du 17 mai 2023, recours qui fut déclaré non fondé par jugement du tribunal administratif du 5 juin 2023, n°48982 du rôle.

Par un arrêté du 16 juin 2023, notifié à l’intéressé le 19 juin 2023, le ministre décida de prolonger la mesure de placement prise à l’égard de Monsieur … pour une durée d'un mois à compter de la notification.

Ledit arrêté est fondé sur les motifs et considérations suivants :

« […] Vu les articles 111 et 120 à 123 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration ;

Vu la loi modifiée du 28 mai 2009 concernant le Centre de rétention ;

Vu mon arrêté du 17 mai 2023, notifié le 19 mai 2023, décidant de soumettre l'intéressé à une mesure de placement ;

Considérant que les motifs à la base de la mesure de placement du 17 mai 2023 subsistent dans le chef de l'intéressé ;

Considérant que toutes les diligences en vue de l'identification de l'intéressé afin de permettre son éloignement ont été entreprises auprès des autorités compétentes ;

Considérant que ces démarches n’ont pas encore abouti ;

Considérant qu’il y a lieu de maintenir la mesure de placement afin de garantir l’exécution de la mesure de l’éloignement ; […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 juillet 2023, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel précité du 16 juin 2023.

Etant donné que l’article 123, paragraphe (1) de la loi modifiée du 29 août 2008 portant sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 », institue un recours de pleine juridiction contre une décision de rétention administrative, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal, recours qui est encore recevable pour avoir été introduit selon les formes et délai prévus par la loi.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

A l’appui de son recours, Monsieur …, après avoir exposé les faits et rétroactes à la base de la décision déférée et après avoir cité l’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, souligne, de manière générale, que le placement au Centre de rétention devrait être considéré comme un ultime remède et ne constituerait qu’une simple faculté pour le ministre et non pas une obligation systématique. Cette faculté accordée au ministre devrait se baser sur des motifs sérieux et être proportionnée par rapport à la situation donnée, alors que le placement en rétention d’une personne constituerait une atteinte à la liberté de mouvement qui devrait être motivée à suffisance, ce qui ne serait pas le cas en espèce.

Il indique également qu’en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008, le maintien de la rétention serait conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et exécuté avec toute la diligence nécessaire, impliquant que le ministre serait dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter son éloignement dans les meilleurs délais.

Le demandeur conteste ensuite toute perspective d’éloignement dans son chef, de sorte à remettre en question que son éloignement puisse être réalisé dans un délai raisonnable.

Il souligne, dans ce contexte, que le maintien au Centre de rétention constituerait une mesure privative de liberté qui devrait être réduite au strict minimum, de sorte qu’il devrait être mis en liberté en attendant l'exécution de la mesure d'éloignement.

En se référant à un jugement du 19 février 2009 du tribunal administratif, inscrit sous le numéro 25374 du rôle, le demandeur fait finalement valoir que le placement dans une structure fermée serait disproportionné au regard des circonstances et de son comportement, de sorte que, sur le fondement de l’article 125 de la loi du 29 août 2008, il estime pouvoir être assigné à résidence dans un lieu à fixer par le ministre, avec l’obligation de se présenter régulièrement auprès des services ministériels ou de toute autre autorité désignée.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

En présence de plusieurs moyens invoqués, le tribunal n'est pas lié par l'ordre dans lequel ils lui ont été soumis et détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l'effet utile s'en dégageant, de manière que les moyens tenant à la validité formelle d'une décision doivent être examinés, dans une bonne logique juridique, avant ceux portant sur son caractère justifié au fond.

En ce qui concerne tout d’abord la légalité externe de l’arrêté ministériel litigieux, et plus particulièrement le reproche non autrement circonstancié d’une insuffisance de la motivation fournie par le ministre, il convient de souligner que ces développements sont à rejeter pour ne pas être fondés, étant donné qu’aucun texte légal ou réglementaire n’exige l’indication formelle des motifs se trouvant à la base d’une décision de placement en rétention, sans demande expresse de l’intéressé - l’article 6, alinéa 2 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, en vertu duquel certaines catégories de décisions doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base, n’étant pas applicable à une telle décision - , de sorte que le ministre n’avait pas à motiver spécialement la décision litigieuse.

Le moyen afférent est partant à rejeter pour ne pas être fondé.

Quant à la légalité interne de la décision déférée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 120, paragraphe (1), de la loi du 29 août 2008 : « Afin de préparer l’éloignement en application des articles 27, 30, 100, 111, 116 à 118 […], l’étranger peut, sur décision du ministre, être placé en rétention dans une structure fermée, à moins que d’autres mesures moins coercitives telles que prévues à l’article 125, paragraphe (1), ne puissent être efficacement appliquées.

Une décision de placement en rétention est prise contre l’étranger en particulier s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement […] ».

Par ailleurs, en vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi : « La durée de la rétention est fixée à un mois. La rétention ne peut être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise. Elle peut être reconduite par le ministre à trois reprises, chaque fois pour la durée d’un mois si les conditions énoncées au paragraphe (1) qui précède sont réunies et qu’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Si, malgré les efforts employés, il est probable que l’opération d’éloignement dure plus longtemps en raison du manque de coopération de l’étranger ou des retards subis pour obtenir de pays tiers les documents nécessaires, la durée de la rétention peut être prolongée à deux reprises, à chaque fois pour un mois supplémentaire ».

L’article 120, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 permet ainsi au ministre, afin de préparer l’exécution d’une mesure d’éloignement, de placer l’étranger concerné en rétention dans une structure fermée pour une durée maximale d’un mois, ceci plus particulièrement s’il existe un risque de fuite ou si la personne concernée évite ou empêche la préparation du retour ou de la procédure d’éloignement. En effet, la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement nécessite notamment la mise à disposition de documents de voyage valables, lorsque l’intéressé ne dispose pas des documents requis pour permettre son éloignement et que des démarches doivent être entamées auprès d’autorités étrangères notamment en vue de l’obtention d’un accord de réadmission ou de reprise en charge de l’intéressé. Elle nécessite encore l’organisation matérielle du retour, en ce sens qu’un moyen de transport doit être choisi et que, le cas échéant, une escorte doit être organisée. C’est précisément afin de permettre à l’autorité compétente d’accomplir ces formalités que le législateur a prévu la possibilité de placer un étranger en situation irrégulière en rétention pour une durée maximale d’un mois, mesure qui peut être prorogée par la suite.

En vertu de l’article 120, paragraphe (3) de la même loi, le maintien de la rétention est cependant conditionné par le fait que le dispositif d’éloignement soit en cours et soit exécuté avec toute la diligence requise, impliquant plus particulièrement que le ministre est dans l’obligation d’entreprendre toutes les démarches requises pour exécuter l’éloignement dans les meilleurs délais.

Une mesure de placement peut être reconduite à trois reprises, chaque fois pour une durée d’un mois, si les conditions énoncées au paragraphe (1) de l’article 120, précité, sont réunies et s’il est nécessaire de garantir que l’éloignement puisse être mené à bien.

Une décision de prorogation d’un placement en rétention est partant en principe soumise à la réunion de quatre conditions, à savoir que les conditions ayant justifié la décision de rétention initiale soient encore données, que le dispositif d’éloignement soit toujours en cours, que celui-ci soit toujours poursuivi avec la diligence requise et qu’il y ait des chances raisonnables de croire que l’éloignement en question puisse être « mené à bien ».

En l’espèce, il est constant en cause, pour avoir par ailleurs, été retenu par le jugement prémentionné du tribunal administratif du 5 juin 2023, que le demandeur se trouve en séjour irrégulier au Luxembourg, dans la mesure où il a fait l’objet d’une décision de retour le 1er juin 2021, laquelle est entretemps coulée en force de chose décidée, et qu’il a fait l’objet d’une interdiction d’entrée sur le territoire d’une durée de cinq ans le 17 mai 2023, décision qui ne fait pas l’objet de la présente instance contentieuse. Il est, par ailleurs, constant en cause qu’il ne dispose ni d’un document de voyage valable ni d’une autorisation de séjour valable pour une durée supérieure à trois mois, ni d’une autorisation de travail.

Il s’ensuit qu’en vertu de l’article 111, paragraphe (3), point c) de la loi du 29 août 2008, aux termes duquel le risque de fuite est présumé plus particulièrement si l’étranger ne remplit pas ou plus les conditions de l’article 34 de la même loi ou encore s’il ne dispose pas de documents d’identité ou de voyage en cours de validité, le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120, paragraphe (1), précité de la loi du 29 août 2008, placer le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

Il appartient dès lors au demandeur de soumettre au tribunal des éléments permettant de renverser cette présomption, en fournissant des éléments susceptibles d’être qualifiés de garanties de représentation effectives de nature à prévenir le risque de fuite.

Force est toutefois de constater et tel que d’ores et déjà relevé dans le jugement prémentionné du 5 juin 2023, - le demandeur n’ayant apporté aucun nouvel élément dans le cadre du présent litige - que Monsieur … n’a fourni aucun élément qui permettrait de renverser la présomption du risque de fuite existant dans son chef.

Bien au contraire, et à l’instar des conclusions figurant dans le jugement prémentionné du 5 juin 2023, il ressort du dossier administratif que le demandeur a été signalé comme ayant disparu depuis le 20 juin 2022 et qu’il a été renvoyé aux autorités luxembourgeoises par les autorités françaises en date du 19 mai 2023 en exécution du règlement Dublin III. Par ailleurs, il se dégage des informations fournies par le CCPD le 18 avril 2023 que Monsieur … a commis un acte de « violence sans incapacité par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité » et qu’il est domicilié en France à Audun-le-Tiche. Enfin, il se dégage de deux notes au dossier administratif des 12 août et 24 novembre 2021 que le concerné a déclaré au ministère qu’il n’accepte pas le refus du ministre concernant « son apprentissage » et qu’il refuse de retourner volontairement dans son pays d’origine, ce qui corrobore l’existence d’un risque de fuite dans son chef, étant rappelé à cet égard que la notion de risque de fuite se définit comme le risque de se soustraire à la mesure d’éloignement.

Il s’ensuit que le ministre pouvait a priori valablement, sur base de l’article 120 paragraphe (1), précité, de la loi du 29 août 2008, placer et maintenir le demandeur en rétention afin d’organiser son éloignement.

Le demandeur fait encore valoir que le ministre aurait dû choisir une option moins coercitive que son placement en rétention telle qu’une assignation à résidence avec obligation dans son chef de se présenter régulièrement à des intervalles à fixer auprès des services ministériels ou toute autre autorité désignée.

A cet égard il échet de relever qu’aux termes de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 : « Dans les cas prévus à l’article 120, le ministre peut également prendre la décision d’appliquer une autre mesure moins coercitive à l’égard de l’étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, n’est reportée que pour des motifs techniques et qui présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3).

On entend par mesures moins coercitives :

a) l’obligation pour l’étranger de se présenter régulièrement, à intervalles à fixer par le ministre, auprès des services de ce dernier ou d’une autre autorité désignée par lui, après remise de l’original du passeport et de tout document justificatif de son identité en échange d’un récépissé valant justification de l’identité ;

b) l’assignation à résidence pour une durée maximale de six mois dans les lieux fixés par le ministre ; l’assignation peut être assortie, si nécessaire, d’une mesure de surveillance électronique qui emporte pour l’étranger l’interdiction de quitter le périmètre fixé par le ministre. Le contrôle de l’exécution de la mesure est assuré au moyen d’un procédé permettant de détecter à distance la présence ou l’absence de l’étranger dans le prédit périmètre. La mise en œuvre de ce procédé peut conduire à imposer à l’étranger, pendant toute la durée du placement sous surveillance électronique, un dispositif intégrant un émetteur. Le procédé utilisé est homologué à cet effet par le ministre. Sa mise en œuvre doit garantir le respect de la dignité, de l’intégrité et de la vie privée de la personne.

La mise en œuvre du dispositif technique permettant le contrôle à distance et le contrôle à distance proprement dit, peuvent être confiés à une personne de droit privé ;

c) l’obligation pour l’étranger de déposer une garantie financière d’un montant de cinq mille euros à virer ou à verser soit par lui-même, soit par un tiers à la Caisse de consignation, conformément aux dispositions y relatives de la loi du 29 avril 1999 sur les consignations auprès de l’Etat. Cette somme est acquise à l’Etat en cas de fuite ou d’éloignement par la contrainte de la personne au profit de laquelle la consignation a été opérée. La garantie est restituée par décision écrite du ministre enjoignant à la Caisse de consignation d’y procéder en cas de retour volontaire.

Les décisions ordonnant des mesures moins coercitives sont prises et notifiées dans les formes prévues aux articles 109 et 110. L’article 123 est applicable. Les mesures prévues peuvent être appliquées conjointement. En cas de défaut de respect des obligations imposées par le ministre ou en cas de risque de fuite, la mesure est révoquée et le placement en rétention est ordonné ».

Les dispositions des articles 120 et 125 de la loi du 29 août 2008, précités, sont à interpréter en ce sens qu’en vue de la préparation de l’exécution d’une mesure d’éloignement, les trois mesures moins coercitives énumérées à l’article 125, paragraphe (1) sont à considérer comme mesures proportionnées bénéficiant d’une priorité par rapport à une rétention pour autant qu’il soit satisfait aux deux exigences posées par ledit article 125, paragraphe (1), de sorte que pour considérer ces autres mesures moins coercitives comme suffisantes et que la rétention ne répond à l’exigence de proportionnalité et de subsidiarité, que si aucune des autres mesures moins coercitives n’entre en compte au vu des circonstances du cas particulier.

L’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008, prévoit plus particulièrement que le ministre peut prendre la décision d’appliquer, soit conjointement, soit séparément, les trois mesures moins coercitives y énumérées à l’égard d’un étranger pour lequel l’exécution de l’obligation de quitter le territoire, tout en demeurant une perspective raisonnable, est reportée pour des motifs techniques, à condition que l’intéressé présente des garanties de représentation effectives propres à prévenir le risque de fuite tel que prévu à l’article 111, paragraphe (3) de la même loi. Ainsi, s’il existe une présomption légale d’un risque de fuite dans le chef de l’étranger se trouvant en situation irrégulière sur le territoire national, celui-ci doit la renverser en justifiant notamment de garanties de représentation suffisantes1.

En l’espèce, pour les mêmes considérations que celles retenues ci-avant, le tribunal est amené à retenir que le demandeur ne lui a pas soumis suffisamment d’éléments concluants permettant de retenir l’existence, dans son chef, de garanties de représentation suffisantes au sens de l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 nécessaires pour que le recours aux mesures moins contraignantes visées aux points a), b) et c) dudit article s’impose.

Il suit des considérations qui précèdent que c’est à bon droit que le ministre a retenu que les mesures moins coercitives prévues par l’article 125, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 ne sauraient être efficacement appliquées en l’espèce, de sorte que les contestations afférentes du demandeur sont à écarter.

S’agissant ensuite des critiques du demandeur quant aux diligences entreprises par le ministre pour exécuter son éloignement, le tribunal a retenu dans son jugement, prémentionné du 5 juin 2023, qu’il se dégageait des éléments du dossier administratif qu’en date du 19 mai 2023, soit le jour-même du placement au Centre de rétention de Monsieur …, les autorités ministérielles luxembourgeoises ont contacté les autorités consulaires tunisiennes à Bruxelles en vue de l’identification de l’intéressé et de l’obtention d’un laissez-passer, demande à laquelle étaient joints un jeu d’empreintes digitales, deux photos d’identité de l’intéressé ainsi qu’une copie de sa carte d’identité et une photographie de la première page de son passeport.

C’est sur base de ces considérations que le tribunal a retenu dans son jugement prémentionné que les démarches entreprises jusque-là étaient à qualifier de suffisantes au regard des exigences posées par la loi.

En ce qui concerne les démarches entreprises depuis lors, il se dégage du dossier administratif que suite à deux rappels adressés par les autorités luxembourgeoises en date des 1 Trib. adm., 9 mai 2016, n° 37854 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 947 et les autres références y citées.8 et 26 juin 2023 aux autorités consulaires tunisiennes, ces dernières ont, en date des 8 juin et 1er juillet 2023, répondu que le dossier de Monsieur … est en cours de traitement et qu’une réponse sera incessamment communiquée.

Force est ainsi de relever, au regard des diligences accomplies à ce jour par le ministre, actuellement tributaire de la collaboration des autorités étrangères - étant relevé qu’il ne saurait être nui aux relations diplomatiques par un nombre exagéré de rappels adressés aux autorités étrangères compétentes - que c’est à tort que le demandeur estime que le ministre n’aurait pas accompli les démarches appropriées et nécessaires afin de procéder à son éloignement du territoire luxembourgeois. En effet, le tribunal est amené à conclure que non seulement le dispositif de l’éloignement est en cours, mais qu’il est encore poursuivi avec la diligence légalement requise, de sorte que le moyen afférent est à rejeter.

C’est encore à tort que le demandeur affirme que son éloignement n’aurait pas de chances d’être mené à bien, alors que, même si la demande n’a, à ce jour, pas encore abouti, notamment en raison du manque de réactivité des autorités tunisiennes, la procédure d’identification actuellement entamée, ne saurait, à ce stade, être considérée comme étant d’ores et déjà vouée à l’échec, étant relevé à cet égard, qu’il ne s’agit que de la première prorogation du placement de Monsieur …, le législateur ayant expressément prévu la possibilité de proroger un placement en rétention pour un cinquième, voire un sixième mois, au cas où les autorités étrangères tardent à identifier un étranger en séjour irrégulier et à émettre le document de voyage requis.

Au vu de ce qui précède, le moyen relatif à une prétendue absence de diligences du ministre en vue d’organiser l’éloignement du demandeur, ainsi que celui tiré d’une prétendue impossibilité de procéder à son éloignement sont dès lors à rejeter au stade actuel pour ne pas être fondés.

Il se dégage de l’ensemble des considérations qui précèdent qu’en l’état actuel du dossier et compte tenu des moyens figurant dans la requête introductive d’instance, le tribunal ne saurait utilement mettre en cause ni la légalité ni le bien-fondé de la décision déférée. Il s’ensuit que le recours sous analyse est à rejeter comme non fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juillet 2023 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge,Annemarie Theis, juge, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juillet 2023 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 49109
Date de la décision : 11/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-07-11;49109 ?

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