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11/07/2023 | LUXEMBOURG | N°46509

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 11 juillet 2023, 46509


Tribunal administratif N° 46509 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46509 3e chambre Inscrit le 30 septembre 2021 Audience publique du 11 juillet 2023 Recours formé par Monsieur A et consort, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46509 du rôle et déposée le 30 septembre 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Sarah MOINEAUX, avocat à

la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A,...

Tribunal administratif N° 46509 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46509 3e chambre Inscrit le 30 septembre 2021 Audience publique du 11 juillet 2023 Recours formé par Monsieur A et consort, …, contre deux décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46509 du rôle et déposée le 30 septembre 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Sarah MOINEAUX, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur A, né le … à … (Erythrée), de nationalité érythréenne, demeurant à L-…, agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour compte de sa nièce mineure B, née le … à … (Erythrée), de nationalité érythréenne, demeurant à … (Ouganda), …, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 4 mars 2021 rejetant la demande de regroupement familial dans le chef de B, ainsi que d’une décision confirmative de refus du même ministre du 29 juin 2021 intervenue sur recours gracieux ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 29 novembre 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions critiquées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jeff RECKINGER en sa plaidoirie à l’audience publique du 28 mars 2023, Maître Sarah MOINEAUX s’étant excusée.

En date du 29 octobre 2019, Monsieur A introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 8 janvier 2021, notifiée à l’intéressé en mains propres le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », accorda à Monsieur A le statut de réfugié au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, ainsi qu’une autorisation de séjour valable jusqu’au 7 janvier 2026.

Par courrier de son mandataire du 17 février 2021, Monsieur A fit introduire une demande de regroupement familial au sens de l’article 69 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, désignée ci-après par « la loi du 29 août 2008 », dans le chef de son épouse, Madame C, et de sa nièce mineure, B.

Par courrier du 4 mars 2021, le ministre requit des pièces supplémentaires concernant Madame C et refusa de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef de B dans les termes suivants :

« […] Je suis au regret de vous informer que je ne suis pas en mesure de faire droit à votre requête.

En effet, le regroupement familial de la nièce n’est pas prévu à l’article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration.

Par conséquent, l’autorisation de séjour lui est refusée sur base des articles 75 et 101, paragraphe (1), point 1. de la loi du 29 août 2008 précitée. […] », avant d’informer Monsieur A qu’il était disposé à considérer l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l’article 78, paragraphes (1) et (2) de la loi du 29 août 2008 à condition de lui faire parvenir divers documents.

Le 3 juin 2021, Monsieur A fit introduire un recours gracieux à l’encontre de la décision précitée du 4 mars 2021 refusant le regroupement familial dans le chef de B.

Par courrier du 28 juin 2021, il fit encore parvenir au ministère des pièces relatives à son épouse.

Par courrier du 29 juin 2021, le ministre confirma sa décision initiale du 4 mars 2021 à l’encontre de B dans les termes suivants :

« […] J’accuse bonne réception de votre courrier reprenant l’objet sous rubrique qui m’est parvenu en date du 3 juin 2021.

Le paragraphe c) de l’article 70 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration prévoit le regroupement familial pour « les enfants célibataires de moins de dix-huit, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire (…) ». Les descendants directs du regroupant sont donc visés par ce paragraphe. Ainsi, et contrairement à vos dires l’enfant B, nièce de votre mandant A, ne saurait être assimilée aux « enfants » de l’article cité par le simple fait que par décision d’un Tribunal de la région … de … la garde de l’enfant lui a été attribuée. L’enfant reste la nièce de votre mandant pour laquelle le regroupement familial n’est pas prévu par l’article 70 cité.

Enfin, l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales a été respecté alors que l’octroi d’une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l’article 78, paragraphe (1) et (2) de la loi modifiée du 29 août 2008 a été considéré pour l’enfant B à condition de faire parvenir les documents cités par la décision du 8 février 2021.

Par conséquent, et après avoir procédé au réexamen du dossier de vos mandants, je suis au regret de vous informer qu’à défaut d’éléments pertinents nouveaux ou non pris en considération, je ne peux que confirmer ma décision du 4 mars 2021 dans son intégralité. […] ».

Le 7 juillet 2021, le ministre accorda à Madame C une autorisation de séjour temporaire au titre de membre de famille.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 30 septembre 2021, inscrite sous le numéro 46509 du rôle, Monsieur A a fait introduire, en son nom et en celui de sa nièce mineure, B, un recours en annulation de la décision ministérielle précitée du 4 mars 2021 refusant de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef de cette dernière, ainsi que de la décision confirmative de refus du même ministre du 29 juin 2021 intervenue sur recours gracieux.

Dans la mesure où ni la loi du 29 août 2008, ni aucune autre disposition légale n’instaure un recours au fond en matière de regroupement familial, respectivement d’autorisations de séjour, seul un recours en annulation a pu être introduit en la présente matière, de sorte que le tribunal est compétent pour connaître du recours en annulation contre les décisions des 4 mars et 29 juin 2021.

Le recours est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur explique que les parents de B seraient décédés dans un accident de voiture le … 2010. Celle-ci serait la fille de sa sœur. De ce fait, il aurait été désigné comme son tuteur légal par une décision datée du … 2012 du tribunal de la région …, sous-région de …, ville de …, en Erythrée. Il aurait cependant quitté son pays d’origine pour introduire une demande de protection internationale auprès des autorités luxembourgeoises en date du 29 octobre 2019 et se serait vu octroyer le statut de réfugié par décision ministérielle du 8 janvier 2021. Conformément aux articles 69, paragraphe (3) et 70 paragraphe (1), points a) et c) de la loi du 29 août 2008, il aurait introduit en date du 17 février 2021 une demande de regroupement familial dans le chef de son épouse et de B, pour laquelle cette demande n’aurait pas été favorablement accueillie.

En droit, le demandeur reproche, tout d’abord, au ministre une violation par les décisions déférées des articles 7 et 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-

après désignée par « la Charte », ainsi que de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH », en ce que le ministre, en refusant de faire droit à la demande de regroupement familial au bénéfice de B au motif que le regroupement familial de la nièce ne serait pas prévu à l’article 70 de la loi du 29 août 2008, porterait atteinte de manière disproportionnée à leur droit à la vie privée et familiale, ainsi qu’à l’intérêt supérieur de l’enfant.

Le demandeur invoque, ensuite, une violation par les décisions déférées de l’article 70, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 en affirmant que B devrait être considérée comme faisant partie des « enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant (…), à condition d’en avoir le droit de garde et la charge (…) ». Il soutient, à cet effet, que la garde de B lui aurait été transférée par le jugement de tutelle du … 2012 et qu’il assumerait, depuis lors, toutes les obligations relatives à l’exercice de l’autorité parentale à l’égard de l’enfant. Il précise qu’ils entretiendraient incontestablement une vie familiale intense, stable et préexistante à son entrée sur le territoire luxembourgeois. Il serait, en outre, dans l’intérêt supérieur de l’enfant mineur B de rejoindre son tuteur légal au Grand-Duché où elle pourrait mener avec lui une vie familiale. Il ajoute que les décisions refusant le regroupement familial dans le chef de B porteraient préjudice à son intérêt supérieur d’enfant, alors que son épouse aurait reçu l’autorisation ministérielle pour le rejoindre au Luxembourg et qu’elle serait ainsi dans l’obligation soit d’abandonner l’enfant B, alors âgée de douze ans, en Ouganda, où elles auraient trouvé ensemble refuge, pour le rejoindre au Luxembourg, soit de renoncer à lerejoindre. Il en conclut que les décisions litigieuses seraient à annuler pour violation de la loi et erreur manifeste d’appréciation.

Ensuite, en se référant à un arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne, ci-après désignée par « la CJUE », du 13 mars 20191, à une communication de la Commission européenne au Conseil de l’Union européenne et au Parlement européen du 3 avril 2014, ci-après désignée par « la communication de la Commission », concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE du Conseil de l’Union européenne du 22 septembre 2003 relative au droit au regroupement familial2, ci-après désignée par « la directive 2003/86 », ainsi qu’à un document du Comité des Droits de l’Enfant des Nations Unies3, et après avoir cité l’article 8 de la CEDH, le demandeur donne à considérer que les décisions litigieuses violeraient l’article 9, paragraphe (1) de la Convention relative aux droits de l’enfant adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989, ci-après désignée par « la CIDE », en ce que le ministre méconnaîtrait l’intérêt supérieur de l’enfant B.

En ce qui concerne le fait qu’une autorisation de séjour pourrait être accordée à l’enfant B en vertu de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008, le demandeur explique qu’il lui aurait été impossible en tant que réfugié reconnu depuis janvier 2021 d’accéder au marché de l’emploi et à la location d’un logement, de sorte qu’il ne pourrait pas remplir les conditions auxquelles le ministre entendrait le soumettre, ce qui ferait échec à sa vie familiale, à celle de l’enfant B et à l’intérêt supérieur de cette dernière. Ainsi, la proposition du ministre en ce sens ne remédierait pas à la violation de l’article 8 de la CEDH que les décisions litigieuses engendreraient.

Le demandeur invoque encore, dans ce contexte, la directive 2003/86, notamment son considérant 8 et ses articles 7 et 12, pour soutenir que les décisions litigieuses refusant le regroupement familial à l’enfant B et lui demandant de fournir un « engagement de prise en charge en bonne et due forme », interviendraient en violation de ces dispositions.

Enfin, le demandeur entend invoquer une violation du principe de l’égalité des administrés, en faisant valoir que l’autorité administrative traiterait différemment d’autres bénéficiaires de protection internationale qui auraient également introduit une demande de regroupement familial dans les trois mois qui auraient suivi la reconnaissance du statut de réfugié en faveur d’enfants qui n’auraient pas été leurs enfants biologiques ou adoptifs et pour lesquels des documents identiques à ceux qu’il aurait soumis, notamment qui attesteraient la désignation comme tuteurs des enfants concernés, se seraient vu accorder le regroupement familial sans difficulté.

Il estime, de ce fait que le traitement lui réservé, par le refus pur et simple de la demande de regroupement familial entraînerait une différence de traitement interdite par l’article 10bis de la Constitution, tel que rédigé à l’époque du recours, lequel poserait le principe de l’égalité de traitement devant la loi et qui interdirait de traiter de manière différente des situations objectivement similaires, ce qui serait le cas en l’espèce.

1 CJUE, 13 mars 2019, E. contre Staatssecretaris van Veiligheid en Justitie, C-635/17.

2 Commission européenne, 3 avril 2014, Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial.

3 Comité des Droits de l'Enfant des Nations Unies, 29 mai 2013, Observation générale n° 14 (2013) sur le droit de l'enfant à ce que son intérêt supérieur soit une considération primordiale (art. 3, par. 1).Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour n’être fondé en aucun de ses moyens. Il insiste sur le fait que B ne pourrait pas être considérée comme assimilable à un enfant célibataire de moins de dix-huit ans de Monsieur A et qu’à ce titre, ils ne pourraient pas se prévaloir de l’article 70, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008.

Il explique, dans ce contexte, qu’il y aurait une différence fondamentale entre l’adoption, qui créerait une nouvelle filiation, et la tutelle, qui constituerait une mesure de protection, en renvoyant à cet égard au Code civil, et plus particulièrement à ses articles 368 et 450. Or, la décision de justice érythréenne du 14 mars 2012 concernerait l’ouverture d’une tutelle à l’encontre de B et non une adoption, le délégué du gouvernement reprochant, à ce titre, aux demandeurs de n’avoir toujours pas fourni d’exequatur de ce jugement.

Concernant la violation de l’article 8 de la CEDH et de l’intérêt supérieur de l’enfant, le délégué du gouvernement fait valoir qu’en application de ces principes, le ministre aurait proposé, après avoir constaté que les conditions relatives au regroupement familial ne seraient pas remplies, d’accorder à B une autorisation de séjour sur base de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008, avant de conclure que le fait que Monsieur A doive remplir les conditions posées par cet article ne serait pas de nature à rendre tout rapprochement entre les demandeurs impossible et ne violerait pas les prédits principes.

Quant à la violation de l’article 10bis de la Constitution, le délégué du gouvernement estime que les demandeurs n’auraient pas fourni des éléments suffisants concernant des personnes qui se seraient trouvées dans une situation similaire, voire identique à la leur et qui se seraient vu accorder le droit au regroupement familial, de sorte que leurs affirmations resteraient à l’état d’allégations.

A titre liminaire, il échet de relever que lorsqu’il est saisi d’un recours en annulation, le tribunal administratif a le droit et l’obligation d’examiner l’existence et l’exactitude des faits matériels qui sont à la base de la décision attaquée, de vérifier si les motifs dûment établis sont de nature à motiver légalement la décision attaquée et de contrôler si cette décision n’est pas entachée de nullité pour incompétence, excès ou détournement de pouvoir ou pour violation de la loi ou des formes destinées à protéger des intérêts privés4.

A cet égard, le tribunal constate que par le biais de la décision du 4 mars 2021, le ministre a refusé de faire droit à la demande de regroupement familial dans le chef de la nièce mineure de Monsieur A au motif que le regroupement de la nièce ne serait pas prévu par l’article 70 de la loi du 29 août 2008. Dans sa décision du 29 juin 2021, le ministre a confirmé dans son intégralité sa décision du 4 mars 2021, tout en ajoutant que l’article 8 de la CEDH aurait été respecté par la proposition de lui octroyer une autorisation de séjour pour raisons privées conformément à l’article 78, paragraphes (1) et (2) de la loi du 29 août 2008, à condition que Monsieur A lui fasse parvenir les documents nécessaires.

Il échet de rappeler que le regroupement familial, tel qu’il est défini à l’article 68, point c) de la loi du 29 août 2008, a pour objectif de « maintenir l’unité familiale » entre le regroupant, en l’occurrence le bénéficiaire d’une protection internationale, et les membres de sa famille.

4 Trib. adm., 1er octobre 2012, n° 28831 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 38 et les autres références y citées.Aux termes de l’article 69 de la loi du 29 août 2008, « (1) Le ressortissant de pays tiers qui est titulaire d’un titre de séjour d’une durée de validité d’au moins un an et qui a une perspective fondée d’obtenir un droit de séjour de longue durée, peut demander le regroupement familial des membres de sa famille définis à l’article 70, s’il remplit les conditions suivantes :

1. il rapporte la preuve qu’il dispose de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, conformément aux conditions et modalités prévues par règlement grand-ducal ;

2. il dispose d’un logement approprié pour recevoir le ou les membres de sa famille ;

3. il dispose de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille. […] (3) Le bénéficiaire d’une protection internationale peut demander le regroupement des membres de sa famille définis à l’article 70. Les conditions du paragraphe (1) qui précède, ne doivent être remplies que si la demande de regroupement familial est introduite après un délai de trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale. ».

L’article 70 de la loi du 29 août 2008, qui définit les membres de la famille susceptibles de rejoindre un bénéficiaire d’une protection internationale dans le cadre du regroupement familial, dispose que : « (1) Sans préjudice des conditions fixées à l’article 69 dans le chef du regroupant, et sous condition qu’ils ne représentent pas un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la santé publique, l’entrée et le séjour est autorisé aux membres de famille ressortissants de pays tiers suivants :

a) le conjoint du regroupant ;

b) le partenaire avec lequel le ressortissant de pays tiers a contracté un partenariat enregistré conforme aux conditions de fond et de forme prévues par la loi modifiée du 9 juillet 2004 relative aux effets légaux de certains partenariats ;

c) les enfants célibataires de moins de dix-huit ans, du regroupant et/ou de son conjoint ou partenaire, tel que défini au point b) qui précède, à condition d’en avoir le droit de garde et la charge, et en cas de garde partagée, à la condition que l’autre titulaire du droit de garde ait donné son accord.

(2) Les personnes visées aux points a) et b) du paragraphe (1) qui précède, doivent être âgées de plus de dix-huit ans lors de la demande de regroupement familial.

(3) Le regroupement familial d’un conjoint n’est pas autorisé en cas de mariage polygame, si le regroupant a déjà un autre conjoint vivant avec lui au Grand-Duché de Luxembourg.

(4) Le ministre autorise l’entrée et le séjour aux fins du regroupement familial aux ascendants directs au premier degré du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, sans que soient appliquées les conditions fixées au paragraphe (5), point a) du présent article.

(5) L’entrée et le séjour peuvent être autorisés par le ministre :

6 a) aux ascendants en ligne directe au premier degré du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont à sa charge et qu’ils sont privés du soutien familial nécessaire dans leur pays d’origine ;

b) aux enfants majeurs célibataires du regroupant ou de son conjoint ou partenaire visé au paragraphe (1), point b) qui précède, lorsqu’ils sont objectivement dans l’incapacité de subvenir à leurs propres besoins en raison de leur état de santé ;

c) au tuteur légal ou tout autre membre de la famille du mineur non accompagné, bénéficiaire d’une protection internationale, lorsque celui-ci n’a pas d’ascendants directs ou que ceux-ci ne peuvent être retrouvés. ».

Les articles 69 et 70 de la loi du 29 août 2008 règlent dès lors les conditions dans lesquelles un ressortissant de pays tiers, membre de la famille d’un ressortissant de pays tiers résidant légalement au Luxembourg, peut rejoindre celui-ci. L’article 69 concerne les conditions à remplir par le regroupant pour être admis à demander le regroupement familial, tandis que l’article 70 définit les conditions à remplir par les différentes catégories de personnes y visées pour être considérées comme membre de famille, susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial.

Il ressort encore de l’article 69, paragraphe (3) de la loi du 29 août 2008 que lorsqu’un bénéficiaire d’une protection internationale introduit une demande de regroupement avec un membre de sa famille, tel que défini à l’article 70 de la même loi, dans un délai de trois mois suivant l’octroi d’une protection internationale, il ne doit pas remplir les conditions du premier paragraphe de l’article 69, à savoir celles de rapporter la preuve qu’il dispose (i) de ressources stables, régulières et suffisantes pour subvenir à ses propres besoins et ceux des membres de sa famille qui sont à sa charge, sans recourir au système d’aide sociale, (ii) d’un logement approprié pour recevoir le membre de sa famille et (iii) de la couverture d’une assurance maladie pour lui-même et pour les membres de sa famille. Dans le cas contraire, il doit remplir cumulativement les conditions visées au premier paragraphe de l’article 69 précité.

Dans la mesure où il n’est pas contesté que Monsieur A a introduit la demande de regroupement familial dans les trois mois de l’obtention de son statut de protection internationale, il échet de constater qu’il ne doit pas remplir les conditions prévues à l’article 69, paragraphe (1) de la loi du 29 août 2008 pour demander le regroupement familial avec les membres de sa famille.

En ce qui concerne les conditions à remplir par B, le tribunal constate que ni le lien familial entre les demandeurs ni le décès de ses parents ni l’authenticité ni le contenu du jugement de placement sous tutelle n’ont fait l’objet de contestations, de sorte que ces éléments doivent être considérés comme établis, et que les discussions des parties tournent principalement autour de la question de savoir si le placement de B, orpheline, sous la tutelle de Monsieur A a créé un lien de filiation, tel qu’il permettrait l’application de l’article 70, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 visant les enfants célibataires de moins de dix-huit ans.

Or, force est de constater à la lecture dudit article que celui-ci vise exclusivement les enfants, soit les descendants directs, et non pas les neveux et nièces, même placés sous la tutelle du regroupant, au titre des membres de la famille susceptibles de faire l’objet d’un regroupement familial avec le regroupant installé au Luxembourg.

Il ressort d’ailleurs de la directive 2003/86, et plus particulièrement de son article 4, ainsi que de la communication de la Commission, précitée, à laquelle les demandeurs ont fait référence, que seuls les membres de la famille nucléaire, c’est-à-dire le conjoint et les enfants mineurs biologiques ou adoptés du regroupant ou du conjoint, - à condition que le regroupant ou son conjoint, respectivement, ait le droit de garde et en ait la charge -, ont droit au regroupement familial sans que les Etats membres puissent exercer leur marge d’appréciation.

Si, dans ce contexte, les demandeurs estiment que B devrait être considérée comme étant l’enfant mineure de Monsieur A, dans la mesure où elle a été placée sous sa tutelle par jugement du … 2012 du tribunal de …, en Erythrée, et qu’il exerce sur elle un droit de garde, il échet néanmoins de relever que par un arrêt du 26 mars 2019, la CJUE a été amenée à retenir que « la notion de « descendant direct » d’un citoyen de l’Union figurant à l’article 2, point 2, sous c), de la directive 2004/38 doit être interprétée en ce sens qu’elle n’inclut pas un enfant qui a été placé sous la tutelle légale permanente d’un citoyen de l’Union au titre de la kafala algérienne, dès lors que ce placement ne crée aucun lien de filiation entre eux. »5.

Il y a, dès lors, lieu de retenir, au vu de ces enseignements et par analogie, que l’enfant qui a été placé sous la tutelle légale permanente d’un ressortissant de pays tiers, bénéficiaire d’une protection internationale, ne peut être considéré comme étant un enfant célibataire de moins de dix-huit ans de ce ressortissant, tel que visé à l’article 70, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008, lorsque ce placement sous tutelle ne crée aucun lien de filiation entre eux.

Or, dans la mesure où les demandeurs ne démontrent pas qu’un lien de filiation a été créé entre eux par le jugement de placement sous tutelle du … 2012, dans lequel il est seulement précisé que Monsieur A est autorisé à élever B, à s’occuper de son éducation, à voyager avec elle à l’étranger et à représenter l’enfant auprès des autorités, le ministre pouvait a priori refuser de faire droit à la demande de regroupement familial litigieuse.

Cependant, le tribunal est amené à préciser que si le neveu ou la nièce d’un ressortissant de pays tiers disposant d’une protection internationale ne sont certes pas visés par l’article 70 précité de la loi du 29 août 2008, tel que cela a été retenu ci-avant, cette disposition légale est toutefois susceptible de heurter les articles 7 de la Charte et 8 de la CEDH, dont les termes respectifs sont les suivants : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de ses communications. », et « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2. Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-

être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».

A cet égard, il y a lieu de rappeler, à titre liminaire, le principe de primauté du droit international, en vertu duquel un traité international, incorporé dans la législation interne par une loi approbative - telle que la loi du 29 août 1953 portant approbation de la CEDH - est une loi d’essence supérieure ayant une origine plus haute que la volonté d’un organe interne. Par voie de conséquence, en cas de conflit entre les dispositions d’un traité international et celles 5 CJUE, 26 mars 2019, SM contre Entry Clearance Officer, UK Visa Section, C-129/18, point 73.d’une loi nationale, même postérieure, la loi internationale doit prévaloir sur la loi nationale6,7.

Partant, si les Etats ont le droit, en vertu d’un principe de droit international bien établi, de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux, ils doivent toutefois, dans l’exercice de ce droit, se conformer aux engagements découlant pour eux de traités internationaux auxquels ils sont parties, y compris la CEDH8.

Etant relevé que les Etats parties à la CEDH ont l’obligation, en vertu de son article 1er, de reconnaître les droits y consacrés à toute personne relevant de leurs juridictions, force est au tribunal de rappeler que l’étranger a un droit à la protection de sa vie privée et familiale en application de l’article 8 de la CEDH, d’essence supérieure aux dispositions légales et réglementaires faisant partie de l’ordre juridique luxembourgeois9.

Incidemment, il y a lieu de souligner que « l’importance fondamentale »10 de l’article 8 de la CEDH en matière de regroupement familial est par ailleurs consacrée en droit de l’Union européenne et notamment par la directive 2003/86, prémentionnée, transposée par la loi du 29 août 2008, et dont le préambule dispose, en son deuxième alinéa, que « Les mesures concernant le regroupement familial devraient être adoptées en conformité avec l’obligation de protection de la famille et de respect de la vie familiale qui est consacrée dans de nombreux instruments du droit international. La présente directive respecte les droits fondamentaux et observe les principes qui sont reconnus notamment par l’article 8 de la convention européenne pour la protection des droits humains et des libertés fondamentales et par la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. ».

Il échet de conclure de ce qui précède qu’au cas où la législation nationale n’assure pas une protection appropriée de la vie privée et familiale d’une personne, au sens de l’article 8 de la CEDH, cette disposition de droit international doit prévaloir sur les dispositions législatives éventuellement contraires. En ce sens également, une lacune de la loi nationale ne saurait valablement être invoquée pour justifier de déroger à une convention internationale.

En ce qui concerne les faits de l’espèce, il échet de rappeler qu’il est de jurisprudence que l’argumentation consistant à soutenir que le « parent collatéral » serait d’emblée exclu de la protection de l’article 8 de la CEDH est erronée. En effet, s’il est vrai que la notion de famille restreinte, limitée aux parents et aux enfants mineurs, est à la base de la protection accordée par ladite convention, il n’en reste pas moins qu’une famille existe, au-delà de cette cellule fondamentale, chaque fois qu’il y a des liens de consanguinité suffisamment étroits11.

6 Trib. adm., 25 juin 1997, nos 9799 et 9800 du rôle, confirmé par Cour adm., 11 décembre 1997, nos 9805C et 10191C, Pas. adm. 2022, V° Lois et règlements, n° 32 et les autres références y citées.

7 Trib. adm., 26 avril 2019, n° 41089 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 471 et les autres références y citées.

8 Voir par exemple en ce sens CourEDH, 11 janvier 2007, Salah Sheekh c. Pays-bas, n° 1948/04, § 135, et trib.

adm., 24 février 1997, n° 9500 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 644.

9 Trib. adm., 8 janvier 2004, n° 15226a du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 471 et les autres références y citées.

10 Voir « Proposition de directive du Conseil relative au droit au regroupement familial », COM/99/0638 final -

CNS 99/0258, 1er décembre 1999, point 3.5.

11 Trib. adm., 18 février 1999, n° 10687 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 490 et les autres références y citées. Le tribunal observe que, de la même manière, il ressort de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme, ci-après désignée par « la CourEDH », que si la notion de « vie familiale » se limite normalement au noyau familial, la Cour a également reconnu l’existence d’une vie familiale au sens de l’article 8 de la CEDH, entre autres, entre frères et sœurs adultes12, et entre parents et enfants adultes13, mais aussi entre tantes/oncles et nièces/neveux14.

Il échet, par ailleurs, de rappeler à ce stade-ci des développements que la notion de vie familiale ne se résume pas uniquement à l’existence d’un lien de parenté, mais requiert un lien réel et suffisamment étroit entre les différents membres dans le sens d’une vie familiale effective, c’est-à-dire caractérisée par des relations réelles et suffisamment étroites parmi ses membres, et existantes, voire préexistantes à l’entrée sur le territoire national15. Ainsi, le but du regroupement familial est de reconstituer l’unité familiale, avec impossibilité corrélative pour les intéressés de s’installer et de mener une vie familiale normale dans un autre pays16, à savoir, en l’occurrence, leur pays d’origine, l’Erythrée, que Monsieur A a quitté pour solliciter une protection internationale au Luxembourg.

De plus, il y a lieu de constater que cette conception de la notion de famille, étendue au-delà du noyau familial, pour prendre en compte l’existence d’éléments de dépendance supplémentaires entre parents proches, est cohérente avec les dispositions - certes non applicables à l’espèce - de l’article 56, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015, concernant le contenu de la protection internationale, qui prévoit la possibilité pour le ministre d’étendre le bénéfice des droits découlant du statut de bénéficiaire de protection internationale aux membres de la famille du bénéficiaire, sur base d’une définition élargie de la notion de membre de famille. L’article 56, paragraphe (1) de ladite loi dispose, en effet, que « Le ministre veille à ce que l’unité familiale puisse être maintenue. Il peut décider que les dispositions du présent article s’appliquent aux autres parents proches qui vivaient au sein de la famille du bénéficiaire à la date du départ du pays d’origine et qui étaient alors entièrement ou principalement à sa charge. ».

A ce propos, la Commission européenne a encouragé, dans la communication précitée, les Etats membres à considérer également comme membres de famille les personnes qui n’ont pas de liens biologiques, mais qui sont prises en charge au sein de l’unité familiale, telles que les enfants recueillis, en soulignant que les Etats membres conservaient toute latitude à cet égard. Elle a également précisé que la notion de dépendance était l’élément déterminant17.

Il suit des considérations qui précèdent que les neveux et nièces d’un regroupant peuvent, en principe, être considérés comme membres de sa famille, en tant que parents collatéraux, en application de l’article 8 de la CEDH.

12 Voir en ce sens CourEDH, 24 avril 1996, Boughanemi c. France, n° 22070/93, § 35.

13 Voir CourEDH, 9 octobre 2003, Slivenko c. Lettonie, n° 48321/99, §§ 94 et 97.

14 Voir CourEDH, 25 novembre 2008, Jucius et Juciuvienė c. Lituanie, n° 14414/03, §§ 20, 21 et 27, et CourEDH, 4 décembre 2012, Butt c. Norvège, n° 47017/09, § 76.

15 Cour adm., 12 octobre 2004, n° 18241C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 473 et les autres références y citées.

16 Trib. adm., 8 mars 2012, n° 27556 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 473 et autres références y citées.

17 Commission européenne, 3 avril 2014, Communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen concernant les lignes directrices pour l’application de la directive 2003/86/CE relative au droit au regroupement familial, page 23.Cependant, il ressort de la jurisprudence relative à l’article 8 de la CEDH qu’un regroupant ne peut invoquer l’existence d’une vie familiale à propos d’une personne ne faisant pas partie du noyau familial strict qu’à condition qu’il démontre qu’elle est à sa charge et qu’un lien de dépendance autre que les liens affectifs normaux est établi.

Il ressort également de la jurisprudence de la CourEDH, et notamment de l’arrêt du 1er décembre 2005, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas, n° 60665/00, qu’à chaque fois qu’un mineur est concerné, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale et que l’Etat refusant le regroupement familial doit ménager un juste équilibre entre les intérêts des demandeurs d’une part, et son propre intérêt à contrôler l’immigration, d’autre part. La CourEDH y a encore indiqué que, pour mettre en balance ces différents intérêts, elle tenait compte de l’âge des enfants concernés, de leur situation dans leur pays d’origine et de leur degré de dépendance vis-à-vis de leurs parents. Elle y a également précisé qu’elle avait précédemment rejeté des affaires dans lesquelles les enfants concernés par le regroupement familial avaient atteint un âge où ils n’avaient vraisemblablement pas autant besoin de soins que de jeunes enfants et où ils étaient de plus en plus capables de se débrouiller seuls18, avant de retenir que, dans l’affaire dont elle était saisie, il y avait violation de l’article 8 de la CEDH par le refus d’octroyer à la mineure de 15 ans concernée un regroupement familial avec sa mère dans la mesure où sa grand-mère, qui s’en occupait en Ethiopie, l’avait retirée de l’école et qu’elle risquait de la marier19, de sorte que sa situation personnelle, en tant que mineure, dans son pays d’origine faisait pencher la balance en faveur de l’octroi d’un regroupement familial dans son chef.

Dans une autre affaire, la CourEDH a retenu que l’étendue des obligations pour l’Etat variait en fonction de la situation particulière de la personne concernée et de l’intérêt général, et que les facteurs à prendre en considération dans ce contexte étaient la réalité de l’entrave à la vie familiale, l’étendue des liens des personnes concernées avec l’Etat en cause, la question de savoir s’il existait ou non des obstacles insurmontables à ce que la famille vive dans le pays d’origine d’une ou plusieurs des personnes concernées et celle de savoir s’il existait des éléments touchant au contrôle de l’immigration ou des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion20, tout en précisant que lorsqu’il y avait des enfants, les autorités nationales devaient, dans leur examen de la proportionnalité aux fins de la CEDH, faire primer leur intérêt supérieur21.

Il ressort de ces arrêts que, dans le cadre de la demande de regroupement familial avec un mineur, il est nécessaire de prendre en compte l’âge de l’enfant concerné, sa situation dans son pays d’origine et son degré de dépendance vis-à-vis du regroupant, puis de vérifier la réalité de l’entrave à la vie familiale, notamment l’étendue des liens des personnes concernées avec le Luxembourg, s’il existe ou non des obstacles insurmontables à ce que la famille vive dans le pays d’origine de l’une de ces personnes et s’il existe des éléments touchant au contrôle de l’immigration ou des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion, tout en faisant primer l’intérêt supérieur de l’enfant.

En l’espèce, à titre liminaire, dans la mesure où il n’est pas allégué qu’il existerait des éléments touchant au contrôle de l’immigration ou des considérations d’ordre public pesant en faveur d’une exclusion à l’encontre de B, le tribunal n’analysera pas ce point.

18 CourEDH, 1er décembre 2005, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas, n° 60665/00, §§ 44 et 49.

19 CourEDH, 1er décembre 2005, Tuquabo-Tekle c. Pays-Bas, n° 60665/00, § 50.

20 CourEDH, 10 juillet 2014, Mugenzi c. France, n° 52701/09, § 44.

21 CourEDH, 10 juillet 2014, Mugenzi c. France, n° 52701/09, § 45.

En ce qui concerne, ensuite, les liens entre les demandeurs, le tribunal est amené à constater que Monsieur A a indiqué, lors de l’entretien mené dans le cadre de sa demande de protection internationale en date du 16 novembre 2020, que sa sœur était décédée dans un accident de la circulation en compagnie de son époux et qu’il s’occupait depuis lors de sa nièce B.

Ces affirmations n’ayant pas été contestées par la partie étatique et lesdites déclarations étant appuyées par les documents versés par les demandeurs, à savoir les certificats qui renseignent le décès des parents de B en date du … 2010, alors qu’elle était âgée d’à peine deux ans, et le jugement érythréen du … 2012, qui renseigne son placement sous la tutelle de son oncle maternel, Monsieur A, il échet de constater que les liens de consanguinité entre les demandeurs sont avérés.

Outre les liens de consanguinité qui peuvent laisser supposer l’existence de liens affectifs entre les demandeurs, il leur appartient encore de démontrer l’existence de liens de dépendance autres que les liens affectifs normaux.

Si, dans ce contexte, le délégué du gouvernement semble remettre en cause l’existence d’un tel lien de dépendance en reprochant aux demandeurs de ne pas avoir remis un jugement luxembourgeois d’exequatur du jugement érythréen de tutelle du … 2012, de sorte qu’il ne serait pas opposable aux autorités luxembourgeoises, il échet de relever que l’exequatur est la procédure pour permettre l’exécution d’un jugement étranger dans l’ordre juridique national.

Or, en l’espèce, la discussion se limite à l’existence ou non de liens entre les demandeurs pouvant être protégés par l’article 8 de la CEDH et non pas de l’exécution dans l’ordre juridique luxembourgeois dudit jugement de tutelle, celui-ci étant en effet versé par ces derniers pour tenter de démontrer l’existence des liens de dépendance entre eux.

Ainsi, le tribunal est amené à retenir que cette décision de justice érythréenne, ainsi que les certificats de décès, actes dont il n’est pas établi, ni même allégué, qu’ils constitueraient des faux, démontrent que B était à la charge de Monsieur A depuis l’âge de deux ans, qu’elle dépendait entièrement de lui et qu’il existe entre eux des liens de dépendance au-delà des liens affectifs normaux, au sens de l’article 8 de la CEDH.

Cette analyse est confortée par le fait que la partie étatique, à défaut de contester la réalité de ces liens entre les demandeurs, relève au contraire dans son mémoire en réponse que la proposition du ministre d’accorder une autorisation de séjour sur base de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 pouvait « être considérée comme étant la reconnaissance de l’existence de liens entre les requérants ».

En ce qui concerne la situation personnelle de B, force est de constater que la demande de regroupement familial a été introduite alors qu’elle était âgée de 12 ans, soit à un âge où il est supposé qu’elle ne peut subvenir à ses propres besoins, et alors qu’elle avait quitté son pays d’origine pour l’Ethiopie en 2018 en compagnie de Madame D, qui s’en occupait depuis le départ du regroupant d’Erythrée. Entretemps, ces dernières se sont réfugiées en Ouganda, tel que le renseigne l’« Asylum Seeker Certificate » émis par les autorités ougandaises en date du 2 juin 2021. Ainsi, il existe de ce fait, tant dans le chef du regroupant, bénéficiaire du statut de réfugié au Luxembourg, que dans le chef de la regroupée, réfugiée en Ouganda, des obstacles insurmontables à ce qu’ils puissent vivre dans leur pays d’origine, l’Erythrée.

Force est à cet égard de constater, - outre le fait qu’il n’est pas allégué que la famille pourrait se réunir et vivre en Ouganda -, qu’en ayant autorisé le regroupement familial de l’épouse de Monsieur A au Luxembourg, le ministre a concédé que la vie familiale ne pouvait se dérouler qu’au Luxembourg, de sorte qu’en refusant la venue de B, il a compromis leur vie familiale.

Ainsi, au vu des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que le ministre en refusant le regroupement familial dans le chef de B, tout en octroyant une autorisation de séjour au seul adulte présent à ses côtés, à savoir Madame D avec laquelle elle s’est réfugiée en Ouganda, a porté atteinte à son intérêt supérieur d’enfant et au droit à la vie privée et familiale du regroupant tel que consacré à l’article 8 de la CEDH.

Cette analyse n’est pas remise en cause par l’argument de la partie étatique consistant à soutenir que la proposition du ministre d’octroyer une autorisation de séjour sur base de l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 permettrait de remplir les requis de l’article 8 de la CEDH.

Il y a lieu de relever que cet article dispose que « (1) A condition que leur présence ne constitue pas de menace pour l’ordre public, la santé ou la sécurité publiques et qu’ils disposent de la couverture d’une assurance maladie et d’un logement approprié, le ministre peut accorder une autorisation de séjour pour raisons privées : […] c) au ressortissant de pays tiers qui ne remplit pas les conditions du regroupement familial, mais dont les liens personnels ou familiaux, appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs de refus […] », envisageant, ainsi, la possibilité pour le ministre d’accorder une autorisation de séjour aux ressortissants de pays tiers ne remplissant pas les conditions du regroupement familial, mais dont les liens personnels ou familiaux sont tels que le refus d’autoriser le séjour porterait une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de la vie privée ou familiale, consacré par l’article 8 de la CEDH.

Or, force est de constater que l’autorisation de séjour prévue à l’article 78, paragraphe (1), point c) de la loi du 29 août 2008 ne permet pas de redresser l’atteinte à l’intérêt supérieur de l’enfant B engendrée par le refus du regroupement familial, tel que constaté par le tribunal dans les développements qui précèdent, de sorte que le moyen de la partie étatique afférent encourt le rejet pour être non fondé.

Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent, le tribunal est amené à retenir que les décisions ministérielles déférées des 4 mars et 29 juin 2021 encourent l’annulation, sans qu’il n’y ait lieu de statuer sur les autres moyens invoqués.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en annulation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant annule les décisions du ministre de l’Immigration et de l’Asile des 4 mars et 29 juin 2021 et renvoie l’affaire en prosécution de cause audit ministre ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 11 juillet 2023 par :

Thessy Kuborn, vice-président, Géraldine Anelli, premier juge, Sibylle Schmitz, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Thessy Kuborn Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 11 juillet 2023 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 46509
Date de la décision : 11/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-07-11;46509 ?

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