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10/07/2023 | LUXEMBOURG | N°46292

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 10 juillet 2023, 46292


Tribunal administratif N° 46292 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46292 1re chambre Inscrit le 27 juillet 2021 Audience publique du 10 juillet 2023 Recours formé par la société anonyme de droit belge …, … (Belgique), contre deux actes du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable et contre un acte de l’administration de l’Environnement, en matière de mise à disposition de produits biocides

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le

numéro 46292 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 juille...

Tribunal administratif N° 46292 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46292 1re chambre Inscrit le 27 juillet 2021 Audience publique du 10 juillet 2023 Recours formé par la société anonyme de droit belge …, … (Belgique), contre deux actes du ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable et contre un acte de l’administration de l’Environnement, en matière de mise à disposition de produits biocides

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46292 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 27 juillet 2021 par Maître Ana-Lisa Franco Ferro, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, assistée de Maître Bérénice Van Bogaert, avocat au Barreau de Bruxelles (Belgique), au nom de la société anonyme de droit belge …, établie et ayant son siège social à B-…, inscrite à la Banque carrefour des Entreprises belges sous le numéro …, représentée par son conseil d’administration actuellement en fonctions, tendant à la réformation 1) de la « […] décision du 6 mai 2021 de l’Administration de l’Environnement […] », 2) de la « […] décision de Madame la Ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable du 19 mai 2021 (réf….) en matière de mise à disposition de produits biocides […] » et 3) de la « […] décision confirmative de Madame le Ministre de l’Environnement du Climat et du Développement durable du 17 juin 2021 (réf….) […] » ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 14 décembre 2021 ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif le 14 janvier 2022 par Maître Ana-Lisa Franco Ferro, pour compte de la société demanderesse, préqualifiée ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 4 février 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les actes déférés ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Ana-Lisa Franco Ferro et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 22 mars 2023 ;

1Vu l’avis du tribunal administratif du 5 juin 2023 informant les parties de la rupture du délibéré ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport complémentaire, ainsi que Maître Ana-Lisa Franco Ferro et Madame le délégué du gouvernement Cindy Coutinho en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 21 juin 2023.

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Suite à un contrôle effectué en date du 30 mars 2021 par l’administration de l’Environnement, ci-après désignée par « l’administration », dans le magasin « … », dans le cadre de la loi modifiée du 4 septembre 2015 relative aux produits biocides, ci-après désignée par « la loi du 4 septembre 2015 », le ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable, ci-après désigné par « le ministre », adressa, par courrier du 20 avril 2021, un projet de décision à l’entreprise « Magasin … », tout en l’invitant à fournir ses observations afférentes dans un délai de 10 jours, ce projet de décision étant libellé comme suit :

« […] Lors du contrôle des produits biocides présents dans votre magasin « … » en date du 30 mars 2021, les agents de l’Administration de l’environnement ont constaté que la mise à disposition sur le marché luxembourgeois de certains produits vérifiés constitue une infraction aux exigences de la loi modifiée du 4 septembre 2015 relative aux produits biocides et du règlement (UE) 528/2012.

Déjà suite à un contrôle précédent de votre magasin vous avez été informés par lettre ministérielle du 20 octobre 2020 des obligations à respecter dans le contexte de la mise à disposition sur le marché luxembourgeois de produits biocides en vertu du règlement (UE) 528/2012 et de la loi modifiée du 4 septembre 2015 relative aux produits biocides.

Malgré l’avertissement précité, plusieurs produits biocides contrôlés en vente en date du 30 mars 2021 ne sont pas conformes au cadre légal précité.

Dans le cadre d’une violation de ces dispositions légales, l’article 9 de la loi précitée du 4 septembre 2015 prévoit la possibilité pour le ministre ayant l’Environnement dans ses attributions d’imposer des mesures administratives et d’infliger des amendes administratives.

En application dudit article, un projet de décision a été envoyé en date du 20 avril 2021 dans le respect des dispositions de la loi du 1er décembre 1978 réglant la procédure administrative non contentieuse et de son règlement grand-ducal d’exécution du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes.

Nous vous remerciant pour vos observations transmises par courrier en date du XXXX dont nous avons bien pris note et qui (apportent/n’apportent cependant pas d’éléments de nature à modifier la présente décision ou l’absence d’observations de votre part);

Vu ce qui précède, les mesures et amendes énumérées ci-dessous sont décidées.

DÉCIDE :

21. Les violations suivantes sont sanctionnées par une amende administrative :

Art. 9.3 1) mise à disposition sur le marché d’un produit biocide sans avoir soumis de notification préalable conformément à l’article 4 ;

 … 500 €  … […] 500 €  … […] 500 €  … […] 500 € 2000 € (deux-mille EUROS) […] 2. Les mesures administratives suivantes sont imposées en vertu de l’article 9, paragraphe 1er de la loi modifiée du 4 septembre 2015 :

1) – interdiction de la mise à disposition sur le marché des produits biocides mentionnés ;

2) – assurer la récupération et, le cas échéant, l’élimination dans un centre de collecte des déchets appropriés (ou retour au fournisseur) des produits biocides mentionnés, endéans les 2 mois à partir de la notification de la présente. Veuillez nous envoyer la preuve du retour au fournisseur et/ou de l’élimination des produits non-conformes ;

3) – communication de l’identité du fournisseur direct des produits biocides mentionnés, endéans les 10 jours à partir de la notification de la présente ;

[…] En cas de non-respect de ces mesures administratives, je tiens à préciser que vous vous exposez à des sanctions pénales selon l’article 12 point 2 de la loi modifiée du 4 septembre 2015 relative aux produits biocides. […] ».

Par courriel du 30 avril 2021, un responsable de « … » prit position quant au susdit projet de décision, tout en informant le ministre du fait que selon le fournisseur du produit « …l », ci-après désigné par « le produit … », ce dernier ne constituerait pas un produit biocide.

Par courriel du même jour et sur question de l’agent de l’administration en charge du dossier quant à l’identité de la « […] personne de contact du fournisseur du produit … […] », le susdit responsable de « … » fournit audit agent l’adresse électronique d’un représentant de la société à responsabilité limitée ….

Le 6 mai 2021, l’agent susmentionné de l’administration adressa à ce dernier un courrier électronique libellé comme suit :

3« […] Je vous contacte suite à un contrôle d’un de vos clients par l’autorité compétente pour la mise à disposition sur le marché de produits biocides au Luxembourg.

Lors de ce contrôle, le produit « …-… » a été repéré et identifié comme produit ayant des effets biocides et rentrant ainsi dans la portée du règlement (UE) 528/2012 sur les produits biocides.

Votre client nous informe que, d’après vos dires, il ne s’agirait ici pas d’un produit biocide.

Cependant, le produit revendique clairement des effets « anti-bactirieel/antibactérien » et revendique que la formule « contient un ingrédient antibactériel et aide à protéger la peau contre les bactéries ».

Ceux-ci sont des revendications typiques pour les produits biocides du type de produit PT1 d’après l’annexe V du règlement (UE) 528/20212 sur les produits biocides :

Type de produits 1 : Hygiène humaine ; Les produits de cette catégorie sont les produits biocides utilisés pour l’hygiène humaine, appliqués sur la peau humaine ou le cuir chevelu ou en contact avec celle-ci ou celui-ci, dans le but principal de désinfecter la peau ou le cuir chevelu.

De plus, le produit contient plusieurs substances chimiques enregistrés comme substances actives biocides pour l’usage dans des produits de ce type de produit : l’acide citrique, acide lactique.

De ces faits, l’Administration de l’environnement au Luxembourg, autorité compétente pour la mise sur le marché de produits biocides au Luxembourg, désigne ce produit comme biocide du type PT1 qui est mis sur le marché sans autorisation préalable sur le territoire luxembourgeois, ce qui est en infraction avec la loi modifiée du 4 septembre 2015 sur les biocides.

Si, par contre, ce produit ne garantit pas les effets biocides mentionnés dans les revendications sur l’étiquette, il s’agirait ici de publicité mensongère vis-à-vis du consommateur et des mesures correctives seraient à envisager (supprimer les revendications biocides mentionnés). […] ».

Par décision du 19 mai 2021, dont la teneur correspond – sauf quelques adaptations mineures – à celle du susdit projet de décision du 20 avril 2021, le ministre prononça à l’égard de « Magasin … » les mesures et amendes administratives annoncées dans ledit projet.

Par courrier adressé à l’administration le 28 mai 2021, la société de droit belge …, ci-

après désignée par « la société … », prit position quant au contenu du susdit courrier électronique du 6 mai 2021, en contestant que le produit … serait un produit biocide soumis aux dispositions du règlement 528/2012 du Parlement européen et du Conseil du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides.

Par un acte du 17 juin 2021, après avoir qualifié le susdit courrier de la société … de recours gracieux introduit à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 19 mai 2021, le ministre confirma cette dernière dans toute sa teneur, ledit acte étant libellé comme suit :

4« […] J’accuse bonne réception de votre recours gracieux par courriel du 28 mai 2021 contre notre décision du 19 mai 2021 (réf. …).

Le considérant 20 du Règlement (EU) 528/2012 du 22 mai 2012 concernant la mise à disposition sur le marché et l’utilisation des produits biocides se réfère à une fonction biocide secondaire d’un produit cosmétique, mais cette notion n’est ni définie dans ce Règlement, ni dans le Règlement (EU) 1223/2009 du 30 novembre 2009 relatif aux produits cosmétiques.

Par contre, le Règlement 528/2012 précité définit le type de produits biocide 1 dans l’annexe V comme suit :

« Type de produits 1: Hygiène humaine Les produits de cette catégorie sont des produits biocides utilisés pour l’hygiène humaine, appliqués sur la peau humaine ou le cuir chevelu ou en contact avec celle-ci ou celui-ci, dans le but principal de désinfecter la peau ou le cuir chevelu. » Ce type de produit biocide inclut les savons (pour mains) désinfectants.

Dans ce sens, il y a lieu d’entendre que les produits cosmétiques dont question au considérant 20 sont par exemple les déodorants, bains de bouche cosmétiques ou shampoings anti-pellicules, dont l’action cosmétique (gestion des odeurs ou de l’apparence corporelle) peut reposer sur un mode d’action biocide inhérent à ce produit.

En conséquence, si des allégations biocides (désinfectantes) sont faites pour un produit nettoyant (savon, gel, etc.) destiné à l’hygiène humaine appliqué sur la peau humaine ou le cuir chevelu, il ne s’agit dans aucun cas d’un produit cosmétique avec fonction biocide secondaire, comme l’unique fonction du produit est celle décrite sous le type de produit biocide 1. Par ailleurs, un raisonnement contraire mènerait à une situation dans laquelle le type de produit biocide 1 deviendrait ex factis jus oritur inapplicable, ce qui n’était visiblement pas l’intention du législateur qui a choisi d’inclure ces produits parmi les produits biocides.

Compte tenu du fait que les revendications principales du produit, à savoir la mention « antibactérien » et « Savon Mains » sont bien visibles sur la face devant de l’étiquette du produit, ainsi que du fait que, le produit contient « en plus » de sa composition lui donnant les caractéristiques d’un savon pour mains « un ingrédient antibactérien et aide à protéger la peau contre les bactéries », l’acide lactique et/ou l’acide citrique, la conclusion s’impose que le produit en question a un effet biocide à travers les microorganismes, que cet effet n’est pas secondaire au nettoyage des mains, et que cette fonction a été conférée intentionnellement au produit qui, de ce fait, est un produit biocide du type de produit PT1 (cf. Question 3 du document « Guidance on the applicable legislation for leave-on hand cleaners and hand disinfectants (gel, solution, etc.) ».

Ainsi, la décision du 19 mai 2021 est à confirmer dans son ensemble.

Le produit ne sera toutefois plus à considérer comme produit biocide - sous condition de l’omission des mentions « antibactérien » et « De plus, la formule contient un ingrédient antibactérien », ou bien - sur base de tests d’efficacité réalisés sur le produit en question selon la norme EN 1040 / EN 1275 qui démontreraient l’absence d’effet désinfectant du produit. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 27 juillet 2021, la société … a fait introduire un recours tendant, aux termes de son dispositif, à la réformation de (i) la « […] décision du 6 mai 2021 de l’Administration de l’Environnement […] », (ii) la « […] décision de Madame la Ministre de l’Environnement, du Climat et du Développement durable du 19 5mai 2021 (réf….) en matière de mise à disposition de produits biocides […] » et (iii) la « […] décision confirmative de Madame le Ministre de l’Environnement du Climat et du Développement durable du 17 juin 2021 (réf….) […] », ledit recours tendant, aux termes du corps de la requête, à la réformation, sinon à l’annulation de ces mêmes actes.

Sur question afférente du tribunal à l’audience publique des plaidoiries du 22 mars 2023 quant à la nature du recours, eu égard à cette contradiction entre le corps et le dispositif de la requête introductive d’instance, le litismandataire de la société demanderesse a confirmé que sa mandante a entendu introduire un recours en réformation à l’encontre des actes déférés, conformément aux termes du dispositif de la requête, auquel le tribunal est seul tenu.

Etant donné que l’article 14 de la loi du 4 septembre 2015 prévoit un recours au fond en la présente matière, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit par la société demanderesse.

A la susdite audience des plaidoiries, le tribunal a invité les parties à prendre oralement position quant à la question de la recevabilité du volet du recours visant le susdit courriel du 6 mai 2021 et, plus particulièrement, quant à la question du caractère décisionnel de ce dernier.

Le litismandataire de la société demanderesse a soutenu que ledit courriel constituerait une décision susceptible de recours, tout en précisant que si le tribunal devait retenir le contraire, sa mandante renoncerait à ses moyens tirés de la violation des articles 5 et 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ».

Le délégué du gouvernement a conclu à l’irrecevabilité du volet du recours visant le susdit courriel du 6 mai 2021.

L’acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux doit constituer une véritable décision de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle et patrimoniale de celui qui réclame. N’ont pas cette qualité de décision faisant grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision1, qui ne font que préparer la décision finale et qui constituent des étapes dans la procédure d’élaboration de celle-ci.2 Par ailleurs, lorsque l’administration se borne à exprimer ses prétentions, essentiellement lorsque, à propos d’un litige, elle indique les droits qui lui paraissent être les siens ou dénie ceux dont se prévaut son adversaire, un tel acte ne constitue qu’une prise de position qui ne lie ni le juge ni les intéressés et qui ne saurait dès lors donner lieu à un recours.3 1 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, confirmé sur ce point par Cour adm., 19 février 1998, n° 10263C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Actes administratifs, n° 68 et les autres références y citées.

2 Cour adm., 22 janvier 1998, nos 9647C, 9759C, 10080C et 10276C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Actes administratifs, n° 67 et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 6 octobre 2004, n° 16533, Pas. adm. 2022, V° Actes administratifs, n° 84 et les autres références y citées.

6Dans le même ordre d’idées, une lettre qui ne porte aucune décision et qui n’est que l’expression d’une opinion destinée à éclairer le requérant sur les droits qu’il peut faire valoir ou plus généralement sur sa situation juridique n’est pas susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux.4 En l’espèce, le tribunal constate que le courriel litigieux s’inscrit dans le cadre de la procédure d’adoption de la décision du 19 mai 2021, en ce qu’il fait suite à la communication du projet de décision du 20 avril 2021 et à la prise de position afférente d’un responsable de « … » par courriel du 30 avril 2021, aux termes de laquelle le produit … ne constituerait pas un produit biocide, selon le fournisseur de ce produit.

A travers le courriel sous analyse, l’administration a exprimé sa position contraire à celle du susdit fournisseur, en réaction au courriel susmentionné d’un responsable de « … » du 30 avril 2021. Ledit courriel visait à éclaircir ce fournisseur sur sa situation juridique en relation avec le produit …, sans pour autant la modifier.

Le tribunal en déduit que ledit courriel du 6 mai 2021 ne constitue qu’une prise de position de l’administration, informant un administré sur sa situation juridique, et un acte préparatoire, correspondant à une étape dans la procédure d’adoption de la décision finale, qui est celle du 19 mai 2021.

Ainsi, le courriel en question ne constitue pas une décision administrative susceptible de recours contentieux, de sorte que le volet afférent du recours en réformation introduit par la société demanderesse doit être déclaré irrecevable.

Dès lors, et dans la mesure où le litismandataire de la société … a déclaré que sa mandante renoncerait à ses moyens tirés de la violation des articles 5 et 9 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 dans l’hypothèse où le tribunal devait conclure à l’absence de caractère décisionnel du courriel du 6 mai 2021, tel que déféré, il y a d’ores et déjà lieu de donner acte à la société demanderesse de cette renonciation.

Quant à la recevabilité du recours pour le surplus, le tribunal constate, à titre liminaire, que la décision du 19 mai 2021, confirmée dans son intégralité par l’acte du 17 juin 2021, comporte deux volets, à savoir, d’une part, une amende administrative et, d’autre part, des mesures administratives. Tant l’amende que les mesures administratives ont été décidées par rapport à un certain nombre de produits, en ce compris le produit ….

Or, il se dégage sans équivoque des développements respectifs des parties que les débats sont circonscrits au produit …, de sorte que le tribunal n’est pas utilement saisi des volets de la décision du 19 mai 2021, confirmée par l’acte du 17 juin 2021, concernant les produits autres que ce dernier.

Ainsi, c’est par rapport au seul produit … que le tribunal analysera la recevabilité – et, le cas échéant, le bien-fondé – du recours, en ce qu’il vise les actes des 19 mai et 17 juin 2021.

Par avis du 5 juin 2023, le tribunal a informé les parties de la rupture du délibéré, afin de permettre à ces dernières de prendre oralement position quant à la question de l’intérêt de la société demanderesse à agir à l’encontre des actes des 19 mai et 17 juin 2021 et, plus 4 Trib. adm., 17 mars 2021, n° 43431, Pas. adm. 2022, V° Actes administratifs, n° 48.

7particulièrement, quant à la question de savoir dans quelle mesure l’amende administrative infligée et les différentes mesures administratives imposées à « Magasin … » en relation avec le produit …, telles que reprises sub 1. 1) et sub 2. 1) à 3) dans la décision du 19 mai 2021, sont de nature à lui faire grief.

A l’audience publique des plaidoiries du 21 juin 2023, à laquelle l’affaire avait été refixée à cette fin, le litismandataire de la société demanderesse a concédé que sa partie n’a pas d’intérêt à agir à l’encontre de l’amende administrative infligée à « Magasin … » en relation avec le produit …, de même qu’en ce qui concerne les mesures administratives énumérées sub 2. 2) à 3) dans la décision du 19 mai 2021, en ce que ces amende et mesures ne la concerneraient pas.

Il en irait cependant autrement en ce qui concerne la mesure administrative prévue au point 2. 1) de ladite décision, à savoir l’interdiction de la mise à disposition sur le marché du produit ….

Même si la société … n’est pas le destinataire de la décision du 19 mai 2021, il n’en resterait pas moins qu’un intérêt indirect serait suffisant pour agir devant les juridictions administratives, si la situation personnelle de l’administré concerné est affectée.

Tel serait le cas en l’espèce, étant donné que la mesure d’interdiction de la mise à disposition sur le marché imposée à « Magasin … » empêcherait cette entreprise de vendre le produit …, dont la société demanderesse serait le producteur.

A cela s’ajouterait que l’acte du 17 juin 2021 aurait été directement adressé à la société …, que le ministre y aurait fait état d’un recours gracieux introduit par cette dernière et qu’il y aurait précisé que la décision du 19 mai 2021 serait confirmé. Ainsi, l’administration aurait elle-même reconnu que la société demanderesse aurait un intérêt à agir.

Sur question afférente du tribunal, le litismandataire de la société demanderesse a confirmé que ce serait la motivation fournie à travers l’acte du 17 juin 2021, selon laquelle le produit … constituerait un produit biocide, qui ferait grief à sa mandante, plutôt que les mesures concrètement décidées par le ministre sur base de cette motivation.

Le délégué du gouvernement a conclu à l’irrecevabilité du recours pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la société demanderesse, au motif que la décision du 19 mai 2021 aurait été prise à l’encontre de « Magasin … », et non pas à l’encontre de la société demanderesse.

Celle-ci n’étant pas le destinataire de ladite décision, elle n’aurait ni qualité ni intérêt à agir à l’encontre des actes déférés.

Dans ce contexte, le représentant étatique a encore insisté sur le fait que la décision du 19 mai 2021 aurait comporté une indication des voies de recours, mais que le destinataire de celle-ci, à savoir « Magasin … », aurait payé l’amende lui infligée. Il en a déduit que le présent litige n’aurait plus d’objet.

Par ailleurs, le délégué du gouvernement a soutenu que l’acte du 17 juin 2021 ne constituerait pas une décision administrative à l’égard de la société demanderesse, étant donné que la décision initiale aurait visé « Magasin … », de sorte qu’elle n’aurait pas « capacité » à agir à l’encontre dudit acte, le représentant étatique ayant encore souligné que cet acte, qui s’inscrirait dans le contexte d’un simple échange de courriers entre l’administration et la société 8demanderesse, n’aurait que le caractère d’une information à l’égard de cette dernière, même si la terminologie y employée est malencontreuse.

L’intérêt à agir est à vérifier dans le chef du demandeur comme étant personnel et direct, légitime et certain, né et actuel. Ces six qualités s’apprécient dans le temps au jour de l’introduction du recours. Elles se conjuguent par rapport à la matière en ce qu’un administré ne peut valablement recourir contre une décision administrative individuelle qu’à condition que celle-ci lui fasse grief, c’est-à-dire qu’elle aggrave effectivement et réellement, à la date de l’introduction du recours, sa situation.5 Toute partie intéressée peut attaquer une décision administrative devant le juge administratif. Contrairement à ce que semble suggérer la partie étatique, cette qualité n’appartient pas seulement au destinataire direct de l’acte, mais encore à toutes les personnes dont les droits et même les simples intérêts peuvent être affectés par les effets de cet acte.6 L’intérêt à agir conditionnant la recevabilité d’un recours administratif ne doit pas seulement être né et actuel, effectif et légitime, mais encore personnel et direct. Un intérêt indirect à agir ne suffit pas pour former un recours contentieux, encore qu’il soit le cas échéant jugé suffisant pour intervenir dans une instance, soit en y étant appelé, soit en y apparaissant volontairement.7 Ne justifie pas d’un intérêt direct, un demandeur qui ne fait état que d’une affectation de sa situation, mais qui omet d’établir l’existence d’un lien suffisamment direct entre la décision querellée et sa situation personnelle.8 Par ailleurs, l’intérêt, que ce soit l’intérêt à agir ou celui à intervenir, se mesure par rapport au seul dispositif de la décision faisant l’objet du litige au principal, seul élément de la décision susceptible d’entraîner des conséquences directes en procédant à une modification de l’ordonnancement juridique. Ainsi, le dispositif est, des divers éléments de l’acte, le seul qui puisse faire grief et un recours ne peut être exercé contre un élément de l’acte autre que le dispositif. Un requérant ne peut partant pas se prévaloir, pour justifier son recours, de la seule motivation révélée par la décision.9 Or, le dispositif de la décision du 19 mai 2021 consiste en l’amende administrative infligée et en les mesures administratives imposées à « Magasin … », tandis que celui de l’acte du 17 juin 2021, qui est purement confirmatif de la décision du 19 mai 2021, réside dans la confirmation de ces amende et mesures administratives.

Le tribunal constate néanmoins, au vu des déclarations afférentes faites par le litismandataire de la société demanderesse à l’audience publique des plaidoiries du 21 juin 2023 et compte tenu du fait qu’au dispositif de la requête introductive d’instance, cette dernière sollicite la réformation des actes déférés « […] dans le sens d’annuler la qualification de 5 Cour adm., 12 octobre 2017, n° 39490C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 6.

6 Trib. adm., 26 janvier 1998, nos 10190 et 10352 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 9 et les autres références y citées.

7 Trib. adm., 11 octobre 1999, nos 11243 et 11244 du rôle, confirmé par Cour adm., 17 février 2000, n° 11608C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 17 et les autres références y citées.

8 Trib. adm., 27 juin 2001, n° 12485 du rôle, confirmé par Cour adm., 17 janvier 2002, n° 13800C du rôle, Pas.

adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 16 et les autres références y citées.

9 Trib. adm., 14 juin 2019, n° 40874 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 4.

9biocide pour le [produit … ] […] », que c’est essentiellement la motivation gisant à la base de ces amende et mesures administratives, à savoir la considération selon laquelle le produit … serait à considérer comme un produit biocide, qui a amené la société demanderesse à introduire le présent recours.

Au vu des développements qui précèdent, la société demanderesse ne saurait cependant se prévaloir de cette seule motivation fournie par le ministre à l’appui de l’amende infligée et des mesures administratives imposées à « Magasin … » pour fonder son intérêt à agir, mais il lui appartient d’établir en quoi sa situation personnelle serait aggravée par lesdites amende et mesures administratives, qui constituent les seuls éléments à caractère décisionnel des actes déférés.

A cet égard, le tribunal partage l’appréciation de la société demanderesse selon laquelle elle n’a pas d’intérêt à agir à l’encontre de l’amende administrative infligée, non pas à elle-même, mais à « Magasin … », de même qu’à l’encontre des mesures administratives énumérées sub 2. 2)10 et 311) dans la décision du 19 mai 2021, ces mesures, qui consistent en des obligations de faire imposées à « Magasin … », n’étant pas de nature à aggraver la situation personnelle de la société demanderesse.

Quant à l’interdiction de mise à disposition sur le marché du produit …, telle que prévue au point 2. 1) de la décision du 19 mai 2021, le tribunal relève qu’il est constant en cause que cette mesure n’emporte pas, de manière générale, une interdiction de mise à disposition sur le marché du produit …, mais se limite à interdire pareille mise à disposition à « Magasin … », qui est le seul destinataire de la décision en question.

Il appartient, dès lors, à la société demanderesse d’établir en quoi le fait que le produit … ne peut dorénavant plus être mis à disposition sur le marché par « Magasin … » est de nature à aggraver effectivement et réellement sa situation personnelle.

De l’entendement du tribunal, cette aggravation de la situation de la société demanderesse, qui, selon les explications figurant dans la requête introductive d’instance, assure, en sa qualité de société active dans le commerce en gros de produits de parfumerie et de beauté, la distribution du produit … en Belgique et au Luxembourg, résiderait dans le fait qu’à l’avenir, « Magasin … » ne commanderait plus le produit litigieux auprès d’elle, afin de le proposer à la vente.

Or, le lien ainsi invoqué entre la mesure administrative litigieuse et la situation personnelle de la société demanderesse n’est qu’indirect, en ce qu’il dépend des choix commerciaux que le destinataire direct de la mesure administrative litigieuse, à savoir « Magasin … », aurait éventuellement fait dans le futur, en l’absence de ladite mesure, étant souligné qu’il n’est même pas établi que « Magasin … », entité qui n’a, quant à elle, pas introduit de recours – gracieux ou contentieux – à l’encontre de la décision ministérielle lui imposant la mesure administrative litigieuse, ait eu l’intention de passer de nouvelles commandes du produit … , après l’épuisement de son stock.

10 « […] assurer la récupération et, le cas échéant, l’élimination dans un centre de collecte des déchets appropriés (ou retour au fournisseur) des produits biocides mentionnés, endéans les 2 mois à partir de la notification de la présente. Veuillez nous envoyer la preuve du retour au fournisseur et/ou de l’élimination des produits non-

conformes […] ».

11 « […] communication de l’identité du fournisseur direct des produits biocides mentionnés, endéans les 10 jours à partir de la notification de la présente […] ».

10 Dans ce contexte, le tribunal constate qu’il n’est ni allégué ni a fortiori établi que suite à la décision ministérielle du 19 mai 2021, des commandes du produit … auraient été annulées par « Magasin … ». Par ailleurs, la société demanderesse ne fait pas état d’un contrat conclu entre elle-même et « Magasin … » qui aurait porté sur la fourniture du produit … et qui ne pourrait, du fait de ladite mesure administrative, plus être exécuté, respectivement qui aurait dû être résilié, modifié ou au renouvellement duquel il aurait dû être renoncé. De manière plus générale, le tribunal constate qu’il n’est pas fait état de relations commerciales continues entre la société demanderesse et « Magasin … » concernant le produit …, qui auraient dû être rompues du fait de la mesure administrative en question.

Dans ces circonstances, le tribunal conclut que la société demanderesse n’a pas établi l’existence d’un lien suffisamment direct entre la mesure administrative litigieuse et sa situation personnelle, de sorte que l’intérêt à agir invoqué n’est qu’un intérêt indirect – ce que le litismandataire de la société demanderesse a, d’ailleurs, expressément admis, lors de l’audience publique des plaidoiries du 21 juin 2023.

Etant donné qu’il ressort des précisions faites ci-avant qu’un tel intérêt indirect ne suffit pas pour former un recours contentieux, le recours, en ce qu’il vise les actes des 19 mai et 17 juin 2021, doit être déclaré irrecevable pour défaut d’intérêt à agir dans le chef de la société demanderesse.

Etant donné que le recours vient d’être déclaré irrecevable dans chacun de ses volets, la société demanderesse est à débouter de sa demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 1.000 euros sur le fondement de l’article 33 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

donne acte à la société demanderesse de ce qu’elle renonce à ses moyens tirés de la violation des articles 5 et 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes ;

déclare le recours irrecevable ;

déboute la société demanderesse de sa demande tendant à l’octroi d’une indemnité de procédure de 1.000 euros ;

condamne la société demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 10 juillet 2023 par :

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Benoît Hupperich, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

11s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 10 juillet 2023 Le greffier du tribunal administratif 12


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 46292
Date de la décision : 10/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-07-10;46292 ?

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