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05/07/2023 | LUXEMBOURG | N°46987

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juillet 2023, 46987


Tribunal administratif N° 46987 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46987 1re chambre Inscrit le 3 février 2022 Audience publique du 5 juillet 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46987 du rôle et déposée le 3 février 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cou

r, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à …...

Tribunal administratif N° 46987 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46987 1re chambre Inscrit le 3 février 2022 Audience publique du 5 juillet 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile, en matière de police des étrangers

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46987 du rôle et déposée le 3 février 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan Fatholahzadeh, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Burkina Faso), de nationalité burkinabé, demeurant à L-…, tendant à l’annulation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 20 décembre 2021 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’un report à l’éloignement ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 mai 2022 ;

Vu le mémoire en réplique, erronément intitulé « mémoire en duplique », déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juin 2022 par Maître Ardavan Fatholahzadeh au nom de son mandant préqualifié ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Monsieur le délégué du gouvernement Jean-Paul Reiter en sa plaidoirie à l’audience publique du 12 juin 2023.

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Le 22 octobre 2019, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Par décision du 15 juillet 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », en mettant en doute la crédibilité des déclarations de Monsieur …, l’informa qu’il avait statué sur le bien-fondé de sa demande de protection internationale dans le cadre d’une procédure accélérée en se basant sur les dispositions de l’article 27, paragraphe (1), points a) et c) de la loi du 18 décembre 2015 et que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

1 Les recours en réformation introduits contre ces trois décisions du 15 juillet 2021 furent déclarés manifestement infondés par le vice-président présidant la quatrième chambre du tribunal administratif par jugement du 5 octobre 2021, inscrit sous le numéro 46284 du rôle et Monsieur … fut débouté de sa demande de protection internationale.

Par courrier de son litismandataire du 13 décembre 2021, Monsieur … introduisit auprès du ministère une demande en obtention d’un report à l’éloignement au sens des articles 125bis et 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 relative à la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ».

Par décision du 20 décembre 2021, le ministre refusa de faire droit à cette demande sur base des motifs et considérations suivants :

« (…) J'ai l'honneur de me référer à votre courrier du 13 décembre 2021 par lequel vous sollicitez pour le compte de votre mandant une demande en obtention d'un report à l'éloignement conformément à l'article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et de l'immigration.

Par la même occasion, vous exposez la situation sécuritaire au Burkina Faso à laquelle votre mandant serait exposé en cas d’un retour au Burkina Faso.

En réponse permettez-moi de vous informer que je ne suis malheureusement pas en mesure de donner une suite favorable à votre demande étant donné que Monsieur … ne remplit pas les conditions à l'article 125 bis de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l'immigration. En revanche, j'invite votre mandant à prendre contact avec Mme … de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) qui l'assistera lors de ses démarches auprès de son ambassade en vue d'un retour volontaire.

(…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 3 février 2022, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle, précitée, du 20 décembre 2021 portant rejet de sa demande en obtention d’un report à l’éloignement.

Etant donné qu’en la présente matière aucun recours au fond n’est prévu ni par la loi du 29 août 2008, ni par une autre disposition légale, le demandeur a valablement pu introduire un recours en annulation contre la décision ministérielle déférée refusant de faire droit à sa demande en obtention d’un report à l’éloignement, recours qui, par ailleurs, est recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur, après avoir rappelé les faits et rétroactes précités, explique qu’il serait de nationalité burkinabé et de confession religieuse chrétienne et qu’il aurait quitté son pays d’origine suite à une attaque de djihadistes, alors qu’il n’avait que 8 ans. Il serait resté en Libye jusqu’à son départ vers l’Europe et il souffrirait d’illettrisme du fait de ne pas avoir eu accès à l’éducation scolaire.

En droit, il invoque de prime abord une violation de l’article 6 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », pour 2absence de toute motivation contenue dans la décision déférée laquelle se baserait, selon lui, uniquement sur la loi du 29 août 2008 pour rejeter sa demande sans préciser concrètement, dans le cas de l’espèce, les raisons de fait permettant de justifier le refus du ministre.

Il se prévaut, ensuite, d’une violation de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 en avançant qu’il se trouverait dans l’impossibilité de quitter le territoire luxembourgeois pour des raisons indépendantes de sa volonté.

En se basant sur plusieurs rapports internationaux et des articles publiés sur Internet, Monsieur … renvoie à la situation sécuritaire générale régnant au Burkina Faso, à la situation des droits de l’Homme, ainsi qu’aux attaques terroristes en augmentation contre lesquelles les autorités burkinabés ne seraient pas en mesure de protéger les civils, de sorte que sa vie et sa liberté seraient gravement menacées en cas de retour au Burkina Faso où il risquerait d’être exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après désignée par « la CEDH ».

Monsieur … estime que sa vie serait en danger et qu’il risquerait des traitements inhumains et dégradants, alors qu’il aurait déjà été victime de tels traitements.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur ajoute que le fait qu’il aurait vécu dans la précarité et été privé de scolarité, serait un facteur le rendant particulièrement vulnérable face à la menace terroriste. Avant son départ du Burkina Faso, il aurait gardé des moutons et des vaches, de sorte qu’il serait la cible idéale des groupes terroristes qui recruteraient des enfants soldats.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, estime que le ministre aurait fait une saine appréciation de la situation du demandeur, de sorte que ce serait à bon droit qu’il a refusé de lui accorder un report à l’éloignement.

S’agissant de la demande en communication du dossier administratif formulée exclusivement dans le dispositif de la requête introductive, le tribunal constate que la partie étatique a déposé ensemble avec son mémoire en réponse le dossier administratif. A défaut pour le demandeur de remettre en question le caractère complet du dossier mis à disposition à travers le mémoire en réponse, la demande en communication du dossier administratif est à rejeter comme étant devenue sans objet.

En ce qui concerne la légalité externe de la décision déférée, le tribunal relève que suivant l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 précité, toute décision administrative doit reposer sur des motifs légaux et les catégories de décisions y énumérées, notamment celles refusant de faire droit à une demande de l’administré, doivent formellement indiquer les motifs par l’énoncé au moins sommaire de la cause juridique qui leur sert de fondement et des circonstances de fait à leur base. Dans la mesure où la décision déférée refuse de faire droit à la demande en obtention d’un report à l’éloignement de l’intéressé, elle tombe dans le champ d’application de l’article 6 précité du règlement grand-ducal du 8 juin 1979.

Or, en l’espèce, force est de constater que si la décision querellée se limite certes à faire mention de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 pour indiquer la cause juridique gisant à sa base, il n’en reste pas moins que le délégué du gouvernement a, à travers son mémoire en réponse, fourni une motivation circonstanciée quant aux raisons ayant amené le ministre à refuser à Monsieur … sa demande en obtention d’un report à l’éloignement, à savoir, d’une 3part, le fait qu’il se dégagerait de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 que le facteur matériel à la base de l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de la volonté de la personne concernée devrait être lié au séjour au Luxembourg et non pas à un éloignement vers un autre pays, et, d’autre part, que le cas de figure défini à l’article 129 de la loi du 29 août 2008 tiré de l’impossibilité de regagner son pays d’origine en raison de traitements contraires à l’article 3 de la CEDH aurait déjà été toisé dans le cadre de la décision ministérielle du 15 juillet 2021 refusant de faire droit à la demande de protection internationale du demandeur, confirmée définitivement par le tribunal administratif dans son jugement, précité, du 5 octobre 2021, de sorte que le tribunal est en l’espèce en mesure de vérifier la légalité de l’acte attaqué.

Par conséquent, le moyen tiré d’un défaut de motivation est partant rejeté, étant, à cet égard, relevé que l’indication des motifs de refus n’est pas à confondre avec la question de l’existence des motifs et de leur bien-fondé, examen qui sera fait ci-après.

En ce qui concerne, ensuite, la légalité interne de la décision attaquée, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 : « (1) Si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou s’il ne peut ni regagner son pays d’origine, ni se rendre dans aucun autre pays conformément à l’article 129, le ministre peut reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances propres à chaque cas et jusqu’à ce qu’existe une perspective raisonnable d’exécution de son obligation. L’étranger peut se maintenir provisoirement sur le territoire, sans y être autorisé à séjourner. (…) ».

Il s’ensuit que le ministre peut reporter l’éloignement de l’étranger pour une durée déterminée selon les circonstances si l’étranger justifie être dans l’impossibilité de quitter le territoire pour des raisons indépendantes de sa volonté ou encore s’il ne peut ni regagner son pays d’origine ni se rendre dans un autre pays conformément à l’article 129 de la loi du 29 août 2008, disposition qui quant à elle dispose comme suit :

« L’étranger ne peut être éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il établit que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ou à des traitements au sens des articles 1er et 3 de la Convention des Nations Unies contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants ».

Il s’ensuit que l’article 129, précité, s’oppose à ce qu’un étranger soit éloigné ou expulsé à destination d’un pays s’il est établi que sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la CEDH.

Partant, une lecture combinée des articles 125bis et 129 de la loi du 29 août 2008 amène le tribunal à retenir qu’au cas où l’étranger réussit à établir qu’il risque sa vie ou sa liberté dans le pays à destination duquel il sera éloigné ou qu’il y sera exposé à des traitements contraires à l’article 3 de la CEDH, le ministre est dans l’obligation de reporter l’éloignement, nonobstant le libellé de l’article 125bis qui exprime par l’utilisation du mot « peut » l’existence d’une simple faculté dans le chef du ministre1.

1 Trib. adm., 14 novembre 2012, n°29750, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n°790 et les autres références y citées.

4Il convient encore de relever que le report à l’éloignement constitue par définition une mesure provisoire, temporaire, destinée à prendre fin en même temps que les circonstances de fait empêchant l’éloignement de l’étranger soumis à une obligation de quitter le territoire auront cessé, la charge de la preuve des raisons justifiant un report à l’éloignement incombant en principe au demandeur qui se prévaut des conditions de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008.

Par ailleurs, les obstacles visés par le premier cas de figure de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008 doivent avoir trait aux modalités effectives du départ, voire de l’éloignement de l’intéressé du territoire luxembourgeois, telles que notamment la délivrance de documents de voyage valables et l’obtention d’un accord de reprise en charge de l’intéressé, l’obstacle à l’éloignement en raison de la situation de sécurité dans le pays de destination étant, quant à lui, expressément prévu par le second cas de figure dudit article 125bis, lequel, par renvoi à l’article 129 de la loi du 29 août 2008 prévoit la possibilité d’un report à l’éloignement de l’intéressé si sa vie ou sa liberté y sont gravement menacées ou s’il y est exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la CEDH.

Il appert à la lecture du recours de Monsieur … qu’il entend uniquement inscrire sa demande de report à l’éloignement dans le second cas de figure de l’article 125bis, lequel, par renvoi à l’article 129, précité, de la loi du 29 août 2008, prévoit la possibilité d’un report à l’éloignement d’un étranger s’il est établi que sa vie ou sa liberté sont gravement menacées ou s’il est exposé à des traitements contraires notamment à l’article 3 de la CEDH dans le pays à destination duquel il doit être éloigné.

L’analyse du tribunal se limitera dès lors au second cas de figure de l’article 125bis de la loi du 29 août 2008.

En ce qui concerne la crainte du demandeur d’être exposé à un risque pour sa vie ou sa liberté, ainsi qu’à des traitements contraires aux articles 3 de la CEDH en cas de retour au Burkina Faso, il y a lieu de rappeler qu’il a déposé le 22 octobre 2019 une demande de protection internationale au Luxembourg de laquelle il a été débouté par une décision ministérielle du 15 juillet 2021, confirmée définitivement par le tribunal administratif à travers son jugement, précité, du 5 octobre 2021.

Pour ce qui est des motifs invoqués à la base de ladite demande de protection internationale de Monsieur …, il ressort du jugement du 5 octobre 2021 que Monsieur … a expliqué qu’il aurait fait l’objet d’une attaque djihadiste à l’âge de … ans.

La demande tendant à un report à l’éloignement reprend le motif basé sur l’attaque djihadiste dont il a été victime avant de quitter ensemble avec sa famille le Burkina Faso pour la Libye et ajoute par rapport à la demande de protection internationale la situation sécuritaire générale au Burkina Faso.

Or, s’agissant du motif basé sur l’attaque djihadiste dont il a été victime, il échet de constater que dans le jugement précité du 5 octobre 2021 ayant définitivement débouté le demandeur de sa demande de protection internationale, le vice-président présidant la quatrième chambre du tribunal administratif a retenu « que les faits relatifs à l’attaque de djihadistes sont trop éloignés dans le temps, pour remonter à plus de dix ans pour pouvoir fonder une demande de protection internationale présentée en 2019.

5De plus, le soussigné arrive à la conclusion que lesdites craintes doivent être qualifiées d’hypothétiques, dans la mesure où il ressort du rapport d’audition de Monsieur … que celui-

ci a déclaré être originaire de Tenkodogo, département situé au Centre Est du Burkina Faso, tandis que les attaques djihadistes dont font état les documents invoqués par le demandeur, et plus particulièrement le rapport de l’« Austrian Development Agency » de novembre 2020 et intitulé « Burkina Faso : Länderinformation », ainsi que l’article de presse publié sur internet le 8 juin 2021 et intitulé « Violences djihadistes : pourquoi le Burkina Faso a du mal à vaincre les groupes armés ? », ont eu lieu dans la zone frontalière entre le Mali, le Niger et le Burkina Faso, située au Nord Est dudit pays.

Par ailleurs, les auteurs de ces agissements sont des personnes privées, sans lien avec l’Etat, de sorte que, Monsieur … ne peut, en tout état de cause, faire valoir une crainte fondée d’être persécuté, respectivement un risque réel de subir des atteintes graves que si les autorités burkinabés ne veulent ou ne peuvent lui fournir une protection effective contre les agissements dont il fait état, en application de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015, ou s’il a de bonnes raisons de ne pas vouloir se réclamer de la protection des autorités de son pays d’origine.

Dans ce cadre, il y a lieu de rappeler que chaque fois que la personne concernée est admise à bénéficier de la protection du pays dont elle a la nationalité, et qu’elle n’a aucune raison, fondée sur une crainte justifiée, de refuser cette protection, l’intéressé n’a pas besoin de la protection internationale. En toute hypothèse, il faut que l’intéressé ait tenté d’obtenir la protection des autorités de son pays pour autant qu’une telle tentative paraisse raisonnable en raison du contexte. Cette position extensive se justifie au regard de l’aspect protectionnel du droit international des réfugiés qui consiste à substituer une protection internationale là où celle de l’Etat fait défaut2.

L’essentiel est en effet d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit. C’est l’absence de protection qui est décisive, quelle que soit la source de la persécution ou de l’atteinte grave infligée.

Il y a encore lieu de souligner que si une protection n’est considérée comme suffisante que si les autorités ont mis en place une structure policière et judiciaire capable et disposée à déceler, à poursuivre et à sanctionner les actes constituant une persécution ou une atteinte grave et lorsque le demandeur a accès à cette protection, la disponibilité d’une protection nationale exigeant par conséquent un examen de l’effectivité, de l’accessibilité et de l’adéquation d’une protection disponible dans le pays d’origine même si une plainte a pu être enregistrée, - ce qui inclut notamment la volonté et la capacité de la police, des tribunaux et des autres autorités du pays d’origine, à identifier, à poursuivre et à punir ceux qui sont à l’origine des persécutions ou des atteintes graves - cette exigence n’impose toutefois pas pour autant un taux de résolution et de sanction des infractions de l’ordre de 100 %, taux qui n’est pas non plus atteint dans les pays dotés de structures policière et judiciaire les plus efficaces, ni qu’elle n’impose nécessairement l’existence de structures et de moyens policiers et judiciaires identiques à ceux des pays occidentaux.

En effet, la notion de protection de la part du pays d’origine n’implique pas une sécurité physique absolue des habitants contre la commission de tout acte de violence, mais suppose des démarches de la part des autorités en place en vue de la poursuite et de la répression des 2 Jean-Yves Carlier, Qu’est-ce qu’un réfugié ?, Bruylant, 1998, p. 754 6actes de violence commis, d’une efficacité suffisante pour maintenir un certain niveau de dissuasion.

Il incombe au juge administratif de vérifier si, compte tenu des circonstances du cas d’espèce, une protection adéquate a été offerte au demandeur de protection et lui est ouverte, étant rappelé que l’essentiel est d’examiner si la personne peut être protégée compte tenu de son profil dans le contexte qu’elle décrit.

Or, en l’espèce, il ne ressort pas des éléments à la disposition du soussigné que les autorités du Burkina Faso n’auraient pas été capables, respectivement disposées à offrir au demandeur une protection adéquate contre les agissements dont il aurait été victime, dans la mesure où ni sa famille, ni le demandeur lui-même n’ont fait appel à ces dernières suite à la prétendue attaque des djihadistes. ». Le jugement précise, par ailleurs, qu’aucun élément du dossier ne permet de retenir qu’en cas de retour dans son pays d’origine, Monsieur … risquerait de subir des persécutions, alors que les craintes invoquées sont purement hypothétiques et s’analysent en l’expression d’un simple sentiment général d’insécurité plutôt qu’en une crainte fondée de persécution au sens de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés et de la loi du 18 décembre 2015.

Il s’ensuit que dans la mesure où le demandeur a basé sa demande en obtention d’un report à l’éloignement, en ce qui concerne cette attaque djihadiste, sur un récit identique à celui ayant été analysé par le vice-président présidant la quatrième chambre du tribunal administratif et ayant amené celui-ci à rejeter définitivement sa demande de protection internationale, sans que le ministre ne se soit vu soumettre des éléments traduisant un changement au niveau de la situation au Burkina Faso ou au niveau de sa situation particulière qui se serait produit entre le 5 octobre 2021, date du jugement rendu par le juge unique, et le 13 décembre 2021, date de l’introduction par le demandeur de sa demande d’un report à l’éloignement, voire le 20 décembre 2021, date de la prise de la décision ministérielle litigieuse, le ministre ne pouvait se départir des conclusions dégagées par le juge unique à travers son jugement du 5 octobre 2021.

Partant, à défaut d’élément pertinent nouveau soumis au ministre au moment de la prise de la décision litigieuse qui n’aurait pas été examiné par le juge unique dans son jugement du 5 octobre 2021, c’est à bon droit que le ministre a refusé d’accorder le report à l’éloignement à Monsieur ….

S’agissant de la situation sécuritaire générale régnant au Burkina Faso, le tribunal constate, à l’instar du délégué du gouvernement, que Monsieur … se borne à citer des rapports et articles de presse concernant la situation sécuritaire au Burkina Faso, alors que la simple invocation de rapports faisant état, de manière générale, de discriminations ou de violations des droits de l’Homme, respectivement de la présence de groupes islamistes dans un pays, ne suffit pas à établir que tout ressortissant de ce pays a des raisons de craindre d’être persécuté ou encourt un risque réel d’être soumis à la torture ou à des traitements inhumains ou dégradants. Il incombe en effet au demandeur de démontrer in concreto qu’il a personnellement des raisons de craindre qu’il encourt un risque réel d’être exposé à des traitements inhumains et dégradants3.

Or, force est au tribunal de constater que le demandeur se contente en l’espèce de faire état de la situation générale au Burkina Faso en renvoyant auxdits documents, sans invoquer 3 Trib.adm., 16 décembre 2013, n°31582 du rôle, disponible sur www.jurad.etat.lu.

7le moindre élément relatif à sa situation personnelle permettant d’établir in concreto que sa liberté ou sa vie seraient gravement menacées, sinon qu’il risquerait de faire l’objet de traitements inhumains et dégradants contraires notamment à l’article 3 de la CEDH en cas de retour au Burkina Faso.

Au vu de ce qui précède et compte tenu du seuil élevé fixé par l’article 3 de la CEDH, le tribunal n’estime pas que le renvoi du demandeur au Burkina Faso soit dans ces circonstances incompatible avec l’article 3 de la CEDH et constituerait une violation de l’article 129 de la loi du 29 août 2008 précitée.

Au vu de tout ce qui précède, le recours en annulation est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en annulation dirigé à l’encontre de la décision ministérielle du 20 décembre 2021 portant refus d’accorder au demandeur un report à l’éloignement ;

au fond, le déclare non justifié et, partant, en déboute ;

rejette la demande en communication du dossier administratif comme étant devenue sans objet ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 5 juillet 2023 par :

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Benoît Hupperich, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 5 juillet 2023 Le greffier du tribunal administratif 8


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 46987
Date de la décision : 05/07/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 15/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-07-05;46987 ?

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