La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

30/06/2023 | LUXEMBOURG | N°49025

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 juin 2023, 49025


Tribunal administratif N° 49025 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49025 4e chambre Inscrit le 9 juin 2023 Audience publique du 30 juin 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________


JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49025 du rôle et déposée le 9 juin 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …...

Tribunal administratif N° 49025 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49025 4e chambre Inscrit le 9 juin 2023 Audience publique du 30 juin 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L.18.12.2015)

___________________________________________________________________________

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49025 du rôle et déposée le 9 juin 2023 au greffe du tribunal administratif par Maître Michel Karp, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, né le … à … (Syrie), de nationalité syrienne, assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 25 mai 2023 de le transférer vers la France comme étant l’Etat membre responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 22 juin 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Pauline Cuny, en remplacement de Maître Michel Karp, et Monsieur le délégué du gouvernement Yves Huberty en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 27 juin 2023.

___________________________________________________________________________

Le 21 décembre 2021, Monsieur … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Monsieur … fut entendu par un agent du service police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

A cette occasion et suite à une recherche dans la base de données EURODAC, il s’avéra que Monsieur … avait déjà, en date du 7 janvier 2019, introduit une première demande de protection internationale en Allemagne et, en date des 12 mars 2020 et 15 novembre 2021 deux autres demandes de protection internationale en France. Il ressortit également d’une consultation du Système d’information Schengen (SIS) que Monsieur …avait été signalé par les autorités allemandes à des fins d’interdiction d’entrée dans l’espace Schengen.

Il se dégagea en outre d’une recherche effectuée par le Centre de coopération policière et douanière de Luxembourg (CCPD) toujours à la même date, que Monsieur … s’est vu délivrer une attestation de demande de protection internationale avec une validité du 15 novembre 2021 au 14 mai 2022 par les autorités françaises.

Le 22 décembre 2021, Monsieur … fut encore entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 27 décembre 2021, les autorités luxembourgeoises contactèrent les autorités françaises en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces dernières suivant courrier électronique du 10 janvier 2022 en application de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Le 28 décembre 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.

Ledit arrêté ministériel fut notifié en mains propres à Monsieur … le 29 décembre 2021.

Par décision du 25 janvier 2022, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le même jour, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la France sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III.

Par requête déposée le 1er février 2022 au greffe du tribunal administratif, inscrite sous le numéro 46967 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours en réformation contre la décision ministérielle précitée du 25 janvier 2022, recours contentieux dont il fut débouté par un jugement du tribunal administratif du 1er mars 2022, inscrit sous le numéro 46967 du rôle.

Par arrêté du ministre du 4 mars 2022, l’arrêté d’assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg, notifié le 29 décembre 2021 à Monsieur …, fut rapporté.

Par courrier du 15 mars 2022, les autorités luxembourgeoises informèrent leurs homologues français de la suspension du transfert de Monsieur … conformément aux articles 29, paragraphes (1) et 27 paragraphe (3), point a) du règlement Dublin III au vu de l’effet suspensif du recours introduit par ce dernier devant le tribunal administratif le 1er février 2022, la période de suspension ayant pris fin le 1er mars 2022 entraînant l’extension de la date limite de transfert au 1er septembre 2022.

Par arrêté du 4 avril 2022, notifié en mains propres à l’intéressé le 7 avril 2022, le ministre prit à l’encontre de Monsieur … un nouvel arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence Findel sise à 12a, Beim Haff, L-1751 Findel pour une durée de trois mois, prorogée par arrêté du 6 juillet 2022, notifié en mains propres à l’intéressé le 7 juillet 2022 pour une durée de trois mois Monsieur … fut transféré vers la France en date du 8 août 2022.

Le 21 avril 2023, Monsieur … introduisit une nouvelle demande de protection internationale auprès du service compétent du ministère au sens de la loi du 18 décembre 2015.

A cette occasion et suite à une recherche dans la base de données EURODAC, il s’avéra que Monsieur … avait préalablement introduit des demandes de protection internationale en Allemagne le 7 janvier 2019, en France les 12 mars 2020, 15 novembre 2021 et 24 août 2022, ainsi qu’au Luxembourg le 21 décembre 2021.

Par arrêté du 21 avril 2023, notifié en mains propres à l’intéressé le 27 avril 2023, le ministre prit à l’encontre de Monsieur … un arrêté ordonnant son assignation à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.

Le 27 avril 2023, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement Dublin III.

En date du 2 mai 2023, les autorités luxembourgeoises contactèrent à nouveau les autorités françaises en vue de la reprise en charge de Monsieur … sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces dernières suivant courrier électronique du 16 mai 2023.

Le 11 mai 2023, Monsieur … fut entendu par un agent du service police judiciaire de la police grand-ducale, section criminalité organisée, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. Les recherches effectuées dans la base de données EURODAC ainsi que dans le SIS confirmèrent les résultats obtenus lors de la première demande de protection internationale du 21 décembre 2021. Il se dégagea en outre de ces recherches que Monsieur … avait encore introduit une demande de protection internationale en France le 24 août 2022.

Par décision du 25 mai 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas sa demande de protection internationale et qu’il sera transféré vers la France, Etat membre responsable pour examiner sa demande de protection internationale, le ministre invoquant plus particulièrement les dispositions de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une deuxième demande de protection internationale au Luxembourg en date du 21 avril 2023 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »). En vertu des dispositions de l’article 28(1) de la loi précitée et des 3 dispositions des articles 18(1)b et du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n’examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transféré vers la France qui est l’Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s’appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport d’entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale du 27 avril 2023 et le rapport de Police Judiciaire du 11 mai 2023. En mains également les courriels de votre mandataire des 12 mai 2023 et 15 mai 2023 ainsi que deux courriels du 24 mai 2023.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 21 avril 2023, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l’immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 7 janvier 2019, trois demandes en France en date des 12 mars 2020, 15 novembre 2021 et 24 août 2022 ainsi qu’une demande au Luxembourg en date du 21 décembre 2021.

Lors de votre première demande de protection internationale au Luxembourg en date du 21 décembre 2021, la responsabilité de la France pour l’examen de cette demande fut constatée et le transfert vers la France fut effectuée en date du 8 août 2022.

Afin de faciliter le processus de détermination de l’Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 27 avril 2023.

Sur cette base, la Direction de l’immigration a adressé en date du 2 mai 2023 une demande de reprise en charge aux autorités françaises sur base de l’article 18(1)b du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités françaises en date du 16 mai 2023.

2. Quant aux bases légales En tant qu’Etat membre de l’Union européenne, l’Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S’il ressort de cet examen qu’un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l’immigration rend une décision de transfert après que l’Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

4 Aux termes de l’article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n’est pas responsable pour le traitement d’une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d’une reprise en charge, et notamment conformément à l’article 18(1), point b) du règlement DIII, l’Etat responsable de l’examen d’une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge – dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 – le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n’est pas autorisé à transférer un demandeur vers l’Etat normalement responsable lorsqu’il existe des preuves ou indices avérés qu’un demandeur risquerait dans son cas particulier d’être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l’espèce, il ressort des résultats du 21 avril 2023 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Allemagne en date du 7 janvier 2019, trois demandes en France en date des 12 mars 2020, 15 novembre 2021 et 24 août 2022 ainsi qu’une demande au Luxembourg en date du 21 décembre 2021.

Après votre transfert vers la France en date du 8 août 2022, vous indiquez que vous auriez travaillé au noir à Metz et que vous seriez resté dans la rue pour la plupart du temps.

Selon vos dires, votre demande de protection internationale en France aurait été rejetée. En date du 20 avril 2023, vous auriez pris le train pour revenir au Luxembourg Lors de votre entretien Dublin III en date du 27 avril 2023, vous avez fait mention de souffrir de l’hépatite B et d’avoir consulté un médecin au Luxembourg à cet égard.

Cependant, vous n’avez fourni aucun élément concret sur votre état de santé ou fait état d’autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la France qui est l’Etat responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Monsieur, vous déclarez ne pas vouloir retourner en France parce que risqueriez d’être rapatrié en Syrie.

Rappelons à cet égard que la France est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. Torture »).

Il y a également lieu de soulever que la France est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 5 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la France profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu’elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière. Par conséquent, la France est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l’interdiction des mauvais traitements ancrée à l’article 3 CEDH et à l’article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n’existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu’il n’existe aucune recommandation de l’UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la France sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l’occurrence, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, ni que vous n’auriez pas les moyens de les faire valoir, notamment devant les autorités judiciaires françaises.

Vous n’avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la France ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Monsieur, vous n’avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d’existence en France revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu’elles seraient constitutives d’un traitement contraire à l’article 3 CEDH ou encore à l’article 3 Conv. torture.

Il n’existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l’article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l’examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu’en vertu de l’article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d’un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d’un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l’application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l’ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l’article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l’exécution du transfert vers la France, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l’objet d’une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

6 Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l’exécution de votre renvoi vers la France, l’exécution du transfert serait suspendue jusqu’à ce que vous seriez à nouveau apte à être transféré. Par ailleurs, si cela devait s’avérer nécessaire, la Direction de l’immigration prendra en compte votre état de santé lors de l’organisation du transfert vers la France en informant les autorités françaises conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D’autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités françaises n’ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 9 juin 2023, inscrite sous le numéro 49025 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 25 mai 2023.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions visées à l’article 28, paragraphe (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse, le tribunal administratif est compétent pour connaître du recours en réformation introduit, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur expose d’abord les faits et rétroactes gisant à la base de la décision déférée, en précisant avoir quitté la Syrie en date du 8 octobre 2010. Il explique plus particulièrement qu’il se serait rendu en France, pays dans lequel il se serait vu délivrer une carte de séjour en tant que membre de famille, alors qu’il aurait été marié à une femme de nationalité française, le demandeur précisant encore que ladite carte de séjour aurait été valable du 27 juin 2013 au 6 juin 2018. Après avoir fait l’objet d’un ordre de quitter le territoire de la part des autorités françaises, il se serait rendu en Allemagne, où il aurait déposé une demande de protection internationale. Les autorités allemandes l’auraient toutefois transféré en France, où il aurait été emprisonné jusqu’en mars 2020. Dès sa libération, il aurait introduit une demande de protection internationale en France, demande qu’il aurait toutefois retirée par la suite. Le demandeur précise encore qu’il se serait de nouveau rendu en Allemagne où il aurait subi une peine d’emprisonnement d’environ un an.

En novembre 2021, il aurait fait l’objet d’un nouveau transfert vers la France. Après y avoir vécu dans la rue, il se serait finalement rendu au Luxembourg en date du 18 décembre 2021, pour y introduire une demande de protection internationale suite à laquelle il fut retransféré vers la France le 8 août 2022. Il explique y avoir dû vivre dans la rue et sans ressources, y avoir travaillé au noir pour subvenir au minimum de ses besoins vitaux et être reparti pour le Luxembourg le 20 avril 2023.

En droit, le demandeur reproche au ministre de ne pas avoir pleinement pris en considération sa situation personnelle en ce qu’il serait malade et souffrirait d’une maladie infectieuse d’origine virale, l’hépatite B, tuant près d’1,4 millions de personnes par an, tout en expliquant que le traitement approprié permettrait d’éviter l’apparition des principales complications potentiellement mortelles de l’atteinte chronique. Le demandeur précise ensuite que le Centre Hospitalier de Luxembourg (CHL) mènerait un « combat » pour mieux comprendre et endiguer cette maladie qu’il y aurait un rendez-vous avec le docteur S-S. en date du 13 juillet 2023, médecin chef du service des maladies infectieuses, qui se serait occupée de lui en 2022 avant son transfert vers la France.

Le demandeur soutient que son suivi par un établissement spécialisé et performant devrait lui permettre un avenir moins obscur, alors que suite à son transfert vers la France en août 2022, son traitement aurait été arrêté brusquement et aucune thérapie n’aurait été envisagée ni prodiguée par les services médicaux français. Il affirme que compte tenu de la réalité de ces faits, il risquerait à nouveau de se retrouver à la rue, sans possibilité de soins, le transfert vers la France ayant des conséquences significatives et irrémédiables sur son état de santé, voire sur sa survie, faute de soins appropriés à sa maladie infectieuse, ce qui laisserait présager qu’il serait exposé à un risque réel de subir des traitements contraires à l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après dénommée « la Charte », respectivement de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ci-après dénommée « la CEDH ».

Le ministre n’aurait pas non plus pris en considération son orientation sexuelle, alors qu’il serait bisexuel et qu’il risquerait de ce fait de subir des traitements inhumains et dégradants en cas de retour dans son pays d’origine, la Syrie. Il indique, dans ce contexte, que le ministre devrait s’assurer auprès des autorités françaises que celles-ci tiendraient compte de cette identité de genre qui serait punie par l’article 520 du code pénal syrien.

Il relève encore avoir engagé des démarches afin de s’intégrer au Luxembourg en faisant preuve de solidarité, tel que cela résulterait de son contrat de volontariat auprès de l’association « Stemm vun der Strooss ». Le demandeur indique en outre ne pas vouloir demander d’assistance financière au Luxembourg, sa seule volonté étant celle que les autorités lui permettent de travailler alors qu’il ne pourrait pas rentrer dans son pays d’origine dans des conditions sûres et durables compte tenu de la guerre qui y perdurerait depuis plus de 12 ans.

Le demandeur se prévaut encore de deux témoignages rédigés en sa faveur pour souligner l’importance de faire preuve d’humanité dans le cadre des décisions le concernant, lesquelles devraient être prises avec humilité, bienveillance et respect.

Il estime dès lors que le ministre aurait dû faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III et examiner sa demande de protection internationale, de sorte que la décision ministérielle litigieuse serait à réformer en ce sens.

Le délégué du gouvernement, quant à lui, conclut au rejet du recours sous analyse pour n’être fondé dans aucun de ses moyens.

A titre liminaire, le tribunal relève que le recours en réformation dans le cadre duquel il est amené à statuer en la présente matière est l’attribution légale au juge administratif de la compétence spéciale de statuer à nouveau, en lieu et place de l’administration, sur tous les aspects d’une décision administrative querellée. Le jugement se substitue à la décision litigieuse en ce qu’il la confirme ou qu’il la réforme. Cette attribution formelle de compétence par le législateur appelle le juge de la réformation à ne pas seulement contrôler la légalité de la décision que l’administration a prise sur base d’une situation de droit et de fait telle qu’elle s’est présentée au moment où elle a été appelée à statuer, voire à refaire -

indépendamment de la légalité - l’appréciation de l’administration, mais elle l’appelle encore à tenir compte des changements en fait et en droit intervenus depuis la date de la prise de la décision litigieuse et, se plaçant au jour où lui-même est appelé à statuer, à apprécier lasituation juridique et à fixer les droits et obligations respectifs de l’administration et des administrés concernés1.

Aux termes de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 « Si, en application du règlement (UE) n°604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

L’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé pour conclure à la responsabilité des autorités françaises pour examiner la demande de protection internationale du demandeur, prévoit que « 1. L’Etat membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (…) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25, et 29, le demandeur dont la demande est en cours d’examen et qui a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre Etat membre ».

Il s’ensuit que l’Etat membre responsable du traitement de la demande de protection internationale est obligé de reprendre en charge le suivi de cette demande dans l’hypothèse où la demande est en cours d’examen dans ce pays et que l’intéressé a présenté une demande auprès d’un autre Etat membre.

Ainsi, si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

Le tribunal constate de prime abord qu’en l’espèce, la décision ministérielle déférée a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale de Monsieur … est la France, en ce que la responsabilité de la France pour l’examen de cette demande fut constatée lors de la première demande de protection internationale de ce dernier au Luxembourg, qu’il y a introduit trois demandes de protection internationale en date des 12 mars 2020, 15 novembre 2021 et 24 août 2022 et que les autorités françaises ont accepté la reprise en charge du demandeur en date du 16 mai 2023 sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de ne pas examiner sa deuxième demande de protection internationale déposée au Luxembourg et de le transférer vers la France.

Le tribunal constate ensuite que le demandeur ne conteste ni la compétence de principe des autorités françaises, ni, par conséquent, l’incompétence de principe des autorités luxembourgeoises pour connaître de sa demande de protection internationale, mais il soutient, en substance, que son transfert vers la France serait contraire aux articles 4 de la Charte et 3 1 Cour adm., 6 mai 2008, n° 23341C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n° 12 et les autres références y citées.de la CEDH, ainsi qu’à l’article 17 du règlement Dublin III, et ce en raison d’une absence de prise en charge médicale de son état de santé en France et d’un risque d’être refoulé vers la Syrie laquelle n’accepterait pas sa bisexualité.

Le tribunal rappelle que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, non invoqué en l’espèce, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du même règlement, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

Il y a, tout d’abord, lieu de rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le Protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard2. C’est, en effet, précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants3 4.

S’agissant tout d’abord de l’état de santé du demandeur, il échet de rappeler qu’aux termes de l’arrêt de la CJUE du 16 février 20175, l’article 4 de la Charte doit être interprété en ce sens que même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans l’Etat membre responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert a pour conséquence un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article6, étant précisé qu’il ressort de l’arrêt de la CJUE du 19 mars 20197, qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant8.

2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

3 Ibidem, point 79.

4 Trib. adm 26 février 2014, n° 33956 du rôle, trib. adm. 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que trib. adm. 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur www.jurad.etat.lu.

5 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 74 et 75.

6 Ibidem, points 65 et 96.

7 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17.

8 Ibidem, point 88.

Néanmoins, il ne se dégage pas de cette jurisprudence que l’Etat membre procédant à la détermination de l’Etat responsable pour l’examen de la demande de protection internationale d’un demandeur de protection internationale doit, en tout état de cause et préalablement à la prise d’une décision de transfert et par avis médical, s’assurer automatiquement que le transfert n’entraîne pas une détérioration significative et irrémédiable de l’état de santé de l’intéressé pour toute personne déclarant avoir un quelconque problème de santé.

En effet, dans l’arrêt en question, la CJUE a d’abord mis en évidence le fait, en ce qui concerne les conditions d’accueil et les soins disponibles dans l’Etat membre responsable, que les Etats membres liés par la directive 2013/33/UE du Parlement et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes d’accueil des personnes demandant la protection internationale, ci-après désignée par « la directive 2013/33/UE », sont tenus, y compris dans le cadre de la procédure au titre du règlement Dublin III, conformément aux articles 17 à 19 de cette directive, de fournir aux demandeurs d’asile les soins médicaux et l’assistance médicale nécessaires comportant, au minimum, les soins urgents et le traitement essentiel des maladies et des troubles mentaux graves : « Dans ces conditions, et conformément à la confiance mutuelle que s’accordent les États membres, il existe une forte présomption que les traitements médicaux offerts aux demandeurs d’asile dans les États membres seront adéquats (…) ». Elle a retenu ensuite que « (…) dans des circonstances dans lesquelles le transfert d’un demandeur d’asile, présentant une affection mentale ou physique particulièrement grave, entraînerait le risque réel et avéré d’une détérioration significative et irrémédiable de son état de santé, ce transfert constituerait un traitement inhumain et dégradant, au sens [de l’article 4 de la Charte]. En conséquence, dès lors qu’un demandeur d’asile produit, en particulier dans le cadre du recours effectif que lui garantit l’article 27 du règlement Dublin III, des éléments objectifs, tels que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, les autorités de l’État membre concerné, y compris ses juridictions, ne sauraient ignorer ces éléments. Elles sont, au contraire, tenues d’apprécier le risque que de telles conséquences se réalisent lorsqu’elles décident du transfert de l’intéressé ou, s’agissant d’une juridiction, de la légalité d’une décision de transfert, dès lors que l’exécution de cette décision pourrait conduire à un traitement inhumain ou dégradant de celui-ci. (…)9 ». Dans une telle situation, il appartiendra aux autorités concernées « (…) d’éliminer tout doute sérieux concernant l’impact du transfert sur l’état de santé de l’intéressé, en prenant les précautions nécessaires pour que son transfert ait lieu dans des conditions permettant de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de cette personne. Dans l’hypothèse où, compte tenu de la particulière gravité de l’affection du demandeur d’asile concerné, la prise desdites précautions ne suffirait pas à assurer que son transfert n’entraînera pas de risque réel d’une aggravation significative et irrémédiable de son état de santé, il incombe aux autorités de l’État membre concerné de suspendre l’exécution du transfert de l’intéressé, et ce aussi longtemps que son état ne le rend pas apte à un tel transfert (…)10.

Ainsi, cet arrêt concerne l’hypothèse particulière suivant laquelle un demandeur de protection internationale produit des éléments objectifs, telles que des attestations médicales établies au sujet de sa personne, de nature à démontrer la gravité particulière de son état de 9 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points74 et 75.

10 Ibidem, points 76 à 85 et point 96.santé et les conséquences significatives et irrémédiables que pourrait entraîner un transfert sur celui-ci, hypothèse dans laquelle les autorités de l’Etat membre procédant au transfert doivent prendre les précautions spécifiques afin de sauvegarder de manière appropriée et suffisante l’état de santé de la personne concernée, telles que, par exemple, l’obtention, de la part de l’Etat membre responsable, de la confirmation que les soins indispensables seront disponibles à l’arrivée11.

Or, force est de constater en l’espèce, qu’il ressort des pièces versées en cause et plus particulièrement des résultats d’analyses du Laboratoire national de santé du 3 mai 2023, qu’il s’agit de simples résultats d’analyses médicales effectuées et qu’aucun diagnostic médical n’y est adjoint, de sorte qu’il n’en ressort pas qu’un transfert du concerné vers la France pourrait avoir des conséquences significatives et irrémédiables sur son état de santé, respectivement que son état de santé s’opposerait à son transfert vers la France. A cet égard, il convient encore de noter que le demandeur ne verse aucune autre pièce témoignant de la gravité de son état de santé, respectivement d’un quelconque suivi médical dont il ferait l’objet, les seules pièces versées par Monsieur … confirmant, d’une part, un rendez-vous pour une nouvelle prise de sang le 20 juin 2023, et, d’autre part un rendez-vous avec le Docteur S-

S. en date du 13 juillet 2023. Dans ce contexte, le tribunal doit, par ailleurs, constater que lors de son entretien Dublin III auprès de la direction de l’Immigration en date du 27 avril 2023, le demandeur a déclaré sur son état de santé « J’ai l’hépatite B mais j’étais chez un médecin au Luxembourg et le médecin m’a dit que ma condition s’améliore » et il indique ne pas suivre de traitement médical spécifique, de sorte qu’il n’y a pas non plus mis en avant une quelconque considération selon laquelle son état de santé pourrait constituer un obstacle à son transfert en France.

Par ailleurs, le demandeur reste en défaut de verser une quelconque pièce, voire un quelconque indice concret, susceptible de laisser conclure qu’il ne pourrait pas bénéficier en France des soins médicaux dont il pourrait avoir besoin, respectivement que ce même pays ne respecterait pas les obligations lui imposées à travers le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, ses affirmations à cet égard restant en effet à l’état de pures allégations.

Enfin, et même à admettre que le demandeur ne puisse pas accéder, en tant que demandeur de protection internationale, au système de santé français, quod non, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités françaises en usant des voies de droits internes, voire devant les instances européennes adéquates.

A toutes fins utiles, il convient encore de souligner que le règlement Dublin III ne s’oppose pas au transfert des personnes vulnérables, à savoir les personnes handicapées, les personnes âgées, les femmes enceintes, les mineurs et les personnes ayant été victimes d’actes de torture, de viol ou d’autres formes graves de violence psychologique, physique ou sexuelle, mais prévoit dans son article 32, paragraphe (1), premier alinéa une obligation à charge de l’Etat membre procédant au transfert de transmettre à l’Etat membre responsable des informations relatives aux besoins particuliers de la personne à transférer aux seules fins de l’administration de soins ou de traitements médicaux, et avec le consentement explicite de la personne concernée, de sorte qu’en cas de besoin il pourra être tenu compte de l’état de santé du demandeur lors de l’organisation du transfert vers la France par le biais de la communication aux autorités françaises des informations adéquates, pertinentes et 11 Ibidem, point 83.raisonnables le concernant conformément aux articles 31 et 32 du règlement Dublin III, à condition que l’intéressé exprime son consentement explicite à cet égard.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que le moyen fondé sur une violation par la décision ministérielle litigieuse des articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH est à rejeter pour ne pas être fondé.

Force est encore au tribunal de relever, dans ce contexte, en ce qui concerne les reproches du demandeur selon lesquels le ministre n’aurait pas correctement pris en considération sa bisexualité, alors qu’il affirme risquer des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Syrie, que c’est à bon droit que le délégué du gouvernement a rappelé que la demande de protection internationale du demandeur, déposée en France, est en cours de traitement par les autorités françaises, de sorte qu’aucune décision définitive sur cette demande, ni aucune décision de retour n’ont été prises jusqu’ici. Ainsi, il appartient à l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale du demandeur, en l’occurrence la France, d’analyser les craintes de ce dernier en relation avec des risques de traitements contraires aux articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH qu’il pourrait encourir en cas de retour dans son pays d’origine, la Syrie.

En ce qui concerne finalement le moyen du demandeur selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. (…) », le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres12. Si, tel que relevé à juste titre par le demandeur, un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend certes pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge13, et s’il appartient au juge administratif de vérifier si les motifs invoqués ou résultant du dossier sont de nature à justifier la décision attaquée14, de sorte que lorsque l’autorité s’est méprise, à partir de données fausses en droit ou en fait, sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation, il y a lieu de réformer la décision en question, encore faut-il que pareille erreur dans le chef de l’autorité administrative résulte effectivement des éléments soumis au tribunal. Par ailleurs, dans le cadre du contrôle d’un pouvoir discrétionnaire, le tribunal est amené à sanctionner une disproportion si celle-ci est manifeste.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la décision déférée par rapport aux articles 4 de la Charte et 3 de la CEDH, que les prétentions du demandeur ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation que le demandeur semble estimer que le ministre aurait dû appliquer la clause discrétionnaire, il y a lieu de retenir qu’il ne saurait pas davantage être reproché au ministre de s’être mépris sur ses possibilités de choix et sur les limites de son pouvoir d’appréciation 12 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 65.

13 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2021, V° Recours en annulation, n° 55 et les autres références y citées.

14 CdE, 11 mars 1970, Pas. 21, p.339.en ne faisant pas usage de la simple faculté discrétionnaire lui offerte par l’article 17 du règlement Dublin III d’examiner la demande de protection internationale de Monsieur … alors même que cet examen incombe aux autorités françaises.

Il s’ensuit que c’est à bon droit que le ministre a décidé de transférer le demandeur vers la France, l’Etat membre responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, sans faire application de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, de sorte que le moyen fondé sur une violation de cette disposition est également rejeté.

Ce constat n’est pas énervé par l’argumentation du demandeur selon laquelle il aurait fait preuve de solidarité en raison de son engagement en tant que volontaire auprès de l’association « Stemm vun der Strooss », alors que cet élément, bien que louable, n’est pas de nature à constituer un motif humanitaire ou exceptionnel de nature à devoir amener les autorités luxembourgeoises de se déclarer responsables du traitement de sa demande de protection internationale. Le même constat s’impose quant aux développements de Monsieur … concernant ses efforts d’intégration sociale dont attesteraient plusieurs personnes, pièces versées à l’appui du présent recours.

Au regard de l’ensemble des considérations qui précèdent et en l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours sous analyse est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 juin 2023 par :

Paul Nourissier, vice-président, Olivier Poos, premier juge, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 juin 2023 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 49025
Date de la décision : 30/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-06-30;49025 ?

Source

Voir la source

Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award