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30/06/2023 | LUXEMBOURG | N°46169

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 30 juin 2023, 46169


Tribunal administratif N° 46169 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46169 4e chambre Inscrit le 25 juin 2021 Audience publique du 30 juin 2023 Recours formé par la société à responsabilité limitée SOCIETE 1 S.àr.l., …, contre des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal, d’établissement de la valeur unitaire et de l’impôt sur la fortune en matière d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro

46169 du rôle et déposée le 25 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel Cra...

Tribunal administratif N° 46169 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46169 4e chambre Inscrit le 25 juin 2021 Audience publique du 30 juin 2023 Recours formé par la société à responsabilité limitée SOCIETE 1 S.àr.l., …, contre des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal, d’établissement de la valeur unitaire et de l’impôt sur la fortune en matière d’impôts

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46169 du rôle et déposée le 25 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Daniel Cravatte, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Diekirch, au nom de la société à responsabilité limitée SOCIETE 1 SARL, établie et ayant son siège social à L-…, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, représentée par son ou ses gérants actuellement en fonctions, tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2016, d’établissement de la valeur unitaire et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2017, tous émis le 15 mai 2019 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 25 octobre 2021 ;

Vu le mémoire en réplique déposé par Maître Daniel Cravatte au greffe du tribunal administratif le 17 novembre 2021 au nom de la société à responsabilité limitée SOCIETE 1 SARL, préqualifiée ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les bulletins déférés ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Daniel Cravatte et Monsieur le délégué du gouvernement Eric Pralong en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 13 décembre 2022.

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Suite au dépôt de sa déclaration fiscale pour l’année 2016, la société à responsabilité limitée SOCIETE 1 S.àr.l., ci-après « la société SOCIETE 1 », se vit adresser le 8 mai 2018 par le bureau d’imposition sociétés Diekirch de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le bureau d’imposition », un courrier sur base des paragraphes 170 et 205 de la loi générale des impôts du 22 mai 1931, appelée « Abgabenordnung », en abrégé « AO », sollicitant la communication de renseignements et de documents en relation avec ses participations dans les sociétés SOCIETE 2 SA et SOCIETE 3 SA, ci-après désignées par « la société SOCIETE 2 », respectivement « la société SOCIETE 3 », ainsi que le détail de son chiffre d’affaire et des autres produits exceptionnels divers, courrier qui fit l’objet d’un rappel le 20 juin 2018.

Suite à la communication des informations sollicitées par courrier électronique du 4 juillet 2018 par la société SOCIETE 1, le bureau d’imposition informa cette dernière par courrier du 9 juillet 2018, sur base du paragraphe 205 (3) AO, de son intention de s’écarter de sa déclaration fiscale de l’année 2016 dans les termes suivants :

« (…) Conformément aux dispositions du paragraphe 205 (3) de la loi générale des impôts, je vous communique ci-après les modifications essentielles que le bureau d'imposition Sociétés Diekirch se propose de faire à votre déclaration fiscale pour l'exercice 2016.

 A défaut de fournir les renseignements / pièces à l'appui demandés (évaluation de la participation SOCIETE 2 S.A., preuves de poursuites), les charges suivantes ne seront pas admises :

 Corrections de valeur sur parts dans des entreprises liées: ….-€  Corrections de valeur : Créances rés de ventes et pres. de services: ….-€ Bien disposé de vous entendre en cas de désaccord, je vous prie de formuler vos objections pour le 31 juillet 2018 au plus tard. Ce délai passé, je me permets d'admettre votre approbation et l'imposition de l'exercice en question sera établie en tant compte des modifications susmentionnées. (…) ».

Par courrier électronique du 1er août 2018, la société SOCIETE 1 prit position par rapport au courrier du bureau d’imposition du 9 juillet 2018.

Le bureau d’imposition Luxembourg émit en date du 15 mai 2019, les bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2016, d’établissement de la valeur unitaire et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2017.

Par courrier du 11 juillet 2019, la société SOCIETE 1 introduisit une réclamation auprès du directeur de l’administration des Contributions directes, ci-après désigné par « le directeur », à l’encontre des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2016, d’établissement de la valeur unitaire et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2017.

Au vu du silence gardé par le directeur à la suite de cette réclamation, la société SOCIETE 1 a fait introduire, par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 25 juin 2021, un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2016, d’établissement de la valeur unitaire et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2017.

Conformément aux dispositions combinées du paragraphe 228 AO et de l’article 8, paragraphe (3) point 3. de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, dénommée ci-après « la loi du 7 novembre 1996 », le tribunal administratif est appelé à statuer comme juge du fond sur un recours introduit contre un bulletin de l’impôt sur le revenu, en cas de silence du directeur pendant plus de 6 mois suite à une réclamation y relative lui adressée dans les délais. Le tribunal est partant compétent pour connaître du recours principal en réformation tel qu’introduit par la société SOCIETE 1.

Il n’y a dès lors pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Le recours en réformation ayant, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai prévus par la loi, il est dès lors à déclarer recevable.

Cette conclusion n’est pas remise en cause par la circonstance que le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité en la forme du recours, étant précisé que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

Dès lors, étant donné que le délégué du gouvernement est resté en défaut de préciser dans quelle mesure la forme pour introduire le recours litigieux n’aurait pas été respectée en l’espèce, le moyen d’irrecevabilité afférent encourt le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office.

A l’appui de son recours, la demanderesse expose, tout d’abord, les faits et rétroactes à la base du litige sous examen, en précisant avoir été constituée le 16 septembre 1986 et être active dans le marché des transports routiers internationaux et que son objet social s'étendrait également à la détention de participations dans des sociétés actives sur le même marché, sociétés établies au Luxembourg ainsi qu'à l'étranger.

Elle conteste ensuite les bulletins litigieux de l’année 2016 au motif que le bureau d’imposition aurait, à tort, refusé de prendre en compte deux corrections de valeur, et plus particulièrement une première correction de valeur à hauteur de … euros ayant trait à l'acquisition de 98% des parts sociales de la société SOCIETE 2, ainsi qu’une deuxième correction de valeur à hauteur de … euros portant sur une créance à l'égard de la société SOCIETE 3, toutes les deux des sociétés de droit belge établies à … en Belgique.

En ce qui concerne la société SOCIETE 2, la demanderesse, après avoir explicité les différents détenteurs des parts sociales de ladite société depuis sa constitution, opérations résultant du registre des actions de celle-ci, soutient que son acquisition desdites parts sociales le 2 janvier 2014 aurait été comptabilisée dans ses bilans des années 2014 et 2015 et se serait justifiée économiquement, dans la mesure où la société SOCIETE 2 aurait disposé de capitaux propres à hauteur de … euros en 2014.

Or, sa participation dans la société SOCIETE 2 aurait perdu toute valeur suite à la déclaration en faillite de ladite société le 13 mars 2017, circonstance excluant qu’elle pourrait récupérer un quelconque montant de son investissement.

En conséquence, le principe de la prudence comptable, ainsi que l'obligation à charge des sociétés d'établir des bilans correspondant à la réalité, lui auraient imposé de procéder à une correction de valeur de sa participation dans la société SOCIETE 2, en réduisant celle-ci à zéro, alors qu'une participation dans une société déclarée en état de faillite ne vaudrait plus rien. En effet, les conditions de la faillite supposeraient que la société concernée ne serait plus à même de régler ses dettes, de sorte qu'il serait évident que les détenteurs des actions de ladite société ne pourraient jamais récupérer leurs investissements.

Ainsi, conformément aux principes comptables et financiers régissant le droit des sociétés, la demanderesse aurait repris la perte engendrée par la faillite de la société SOCIETE 2 lors de l’établissement de son bilan de l'exercice 2016, manière de faire qui serait d'ailleurs conforme au paragraphe 14, alinéa (2) de la loi modifiée du 16 octobre 1934 concernant l'évaluation des biens et valeurs, appelée « Bewertungsgesetz », en abrégé « BewG ».

En ce qui concerne la société SOCIETE 3, la demanderesse explique avoir eu, au cours de l’année 2016, une créance à hauteur de … euros à l'égard de ladite société belge, créance qui aurait cependant dû faire l’objet d’une correction de valeur à hauteur d’un tiers, dans la mesure où les capitaux propres de la société SOCIETE 3, d’un montant de … euros dans les bilans de l'exercice allant du 1er juillet 2015 au 30 juin 2016, auraient été réduits au montant négatif de … euros à l’exercice social subséquent en raison d’une perte de … euros, situation ayant également perduré durant les deux exercices sociaux suivants. En raison de cette détérioration manifeste et définitive de la situation financière de la société SOCIETE 3, la demanderesse estime que ses chances de récupérer sa créance à hauteur de … euros seraient plus que réduites et que ladite créance serait définitivement perdue, de sorte que la correction de valeur litigieuse à hauteur d'un tiers de cette créance serait pleinement justifiée pour se baser non pas sur de simples craintes, mais sur des éléments objectifs résultant des bilans officiels de la société SOCIETE 3.

Sur base de l’ensemble des considérations qui précèdent, la demanderesse conclut à la réformation des bulletins litigieux en ce que ces derniers devraient prendre en compte les corrections de valeur opérées en relation avec les sociétés SOCIETE 2 et SOCIETE 3.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours pour ne pas être fondé dans ses moyens, alors que le bureau d’imposition aurait, à juste titre, majoré le revenu imposable de l’année 2016 de la demanderesse, d'une part, d'un montant de … euros qui se rapporte à une correction de valeur opérée sur une participation dans la société SOCIETE 2 et, d'autre part, d'un montant de … euros relatif à des corrections de valeurs envers des créances à l’égard de la société SOCIETE 3.

En ce qui concerne la correction de valeur en relation avec la participation de la demanderesse dans la société SOCIETE 2, le délégué du gouvernement argumente que les transferts des parts sociales de ladite société au cours des années 2012 et 2014 n’auraient pas eu lieu dans des conditions applicables sur un marché libre de pleine concurrence, au regard des bénéficiaires économiques de l'époque, ainsi que des liens de parenté éventuels entre Monsieur … SOCIETE 2, administrateur-délégué de la demanderesse et Monsieur … SOCIETE 2, lesquels se seraient cédés lesdits parts sociales avant leur acquisition par la demanderesse. Le délégué du gouvernement relève encore, dans ce contexte, que la demanderesse serait restée en défaut de verser la liste de ses actionnaires pour les années 2012 à 2016, ainsi que de son actionnaire, à savoir la société anonyme de droit luxembourgeois SOCIETE 4 SA.

Le délégué du gouvernement conclut encore au rejet de l’argument de la demanderesse selon lequel elle aurait eu conscience de la perte définitive de son investissement lors de l'établissement en 2018 de son bilan de l’année 2016, en rappelant, d’une part, que, selon le droit commercial, les comptes auraient dû être approuvés au plus tard en date du 30 juin 2017 par une assemblée générale et être publiés au plus tard le 31 juillet 2017 au registre de commerce et des sociétés, et, d’autre part, qu’en matière fiscale, l'évaluation des biens d'un actif net investi devrait être faite sur base des faits et circonstances existant à la date de clôture de l'exercice et non en fonction de faits postérieurs et imprévisibles à cette date.

Ainsi, l'exploitant ne pourrait pas tenir compte des faits survenus après la clôture de l'exercice et qui, à la date de cette clôture, n'existaient pas encore, soit en germe, soit à l'état latent. De même les situations futures imprévisibles à la date de clôture et se réalisant après la date de l'établissement du bilan ne pourraient pas non plus être prises en considération, alors que la date de clôture de l'exercice serait déterminante pour l'évaluation des éléments d'actif et de passif du bilan de fin d'exercice, de sorte qu’en l'occurrence, la date de clôture de l'exercice social au 31 décembre 2016 aurait dû être déterminante pour l'évaluation de la participation de la demanderesse dans la société SOCIETE 2 au 31 décembre 2016 et non la date de l'établissement de son bilan, le délégué du gouvernement relevant encore que le jugement de faillite de la société SOCIETE 2 n'aurait été prononcé que le 13 mars 2017 et non au cours de l'exercice 2016.

En ce qui concerne la correction de valeur litigieuse de la créance de la demanderesse sur la société SOCIETE 3, le délégué du gouvernement relève, tout d’abord, que la demanderesse aurait détenu une participation de 99,84 % dans le capital social de ladite société, participation ayant été cédée le 20 octobre 2016. Sur base de l’article 61 de la loi modifiée du 19 décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises, ainsi que des articles 22 et 23 de la loi modifiée du 4 décembre 1967 concernant l’impôt sur le revenu, ci-après désignées par « la loi du 19 décembre 2002 », respectivement « LIR », le délégué du gouvernement fait encore valoir que la demanderesse serait restée en défaut de fournir les factures en question, ainsi que des documents montrant les poursuites engagées afin de récupérer les créances au cours de l'année 2016 et se serait limitée à invoquer un bilan clôturé au 30 juin 2017 de la société SOCIETE 3 renseignant des fonds propres négatifs, alors qu’un gestionnaire même moyennement diligent et consciencieux, tendant à assurer la rentabilité d'une exploitation commerciale, n'aurait pas renoncé au recouvrement de créances envers des tiers.

La majoration du revenu imposable de l'année 2016 par les prédits montants litigieux serait partant à confirmer.

La demanderesse, dans son mémoire en réplique, réfute le reproche du délégué du gouvernement selon lequel le transfert des participations dans la société SOCIETE 2, au cours des années 2012 à 2014, n’aurait respecté les conditions applicables sur un marché libre de pleine concurrence, en soutenant que ledit reproche aurait été formulé de manière vague et générale, ne lui permettant pas de prendre position et en précisant que la cession des actions, en date du 2 janvier 2014, aurait été effectuée à leur valeur nominale, de sorte à avoir été effectuée selon les règles du marché.

Par ailleurs, au regard du bilan de l’exercice social 2013/2014 de la société SOCIETE 2, aucune surévaluation desdits parts sociales ne pourrait être reprochée à la demanderesse, dans la mesure où les capitaux propres auraient dépassé le prix de vente.

La demanderesse conteste encore l’analyse du délégué du gouvernement aux termes de laquelle elle n’aurait pas pu prendre en considération, dans le cadre de sa déclaration fiscale pour l’année 2016, la survenance de la faillite de la société SOCIETE 2, alors que, conformément à l’article 22, alinéa (2) LIR, le contribuable concerné pourrait tenir compte des faits et circonstances ayant existé à la date de clôture de l’exercice d’exploitation, mais dont l’existence ne se serait révélée qu’ultérieurement, mais avant la date d'établissement du bilan. Tel aurait été, en l’occurrence, le cas, dans la mesure où la citation en faillite de la société SOCIETE 2 daterait du 8 décembre 2016 et que par jugement du 26 décembre 2016 du tribunal de commerce de Hainaut une procédure de réorganisation judiciaire aurait été ouverte à l’encontre de cette dernière, jugement dans lequel le juge compétent aurait déjà exprimé, de manière explicite, de sérieux doutes quant à la viabilité financière de ladite société, de sorte qu’il y aurait lieu de considérer que la société SOCIETE 2 aurait déjà été virtuellement en faillite à la fin de l’année 2016 et que cette situation aurait été confirmée en mars 2017.

En ce qui concerne la correction de valeur de sa créance envers la société SOCIETE 3, la demanderesse se prévaut également de l’article 22, alinéa (2) LIR pour faire valoir qu’au moment de l’établissement de sa déclaration fiscale et de son bilan pour l’année 2016, la situation financière de la société SOCIETE 3, marquée par des fonds propres négatifs à hauteur de … euros ressortant de son bilan, aurait été connue, de sorte qu’elle aurait pu en tenir compte. Elle explique encore, dans ce cadre, avoir accordé un certain crédit à ladite société en raison de la circonstance que celle-ci aurait détenu des créances à l’égard des sociétés SOCIETE 2 et SOCIETE 5, actuellement sous administration judiciaire, voire en état de faillite, dans l’espoir de récupérer au moins une partie de sa créance. Des poursuites judiciaires à l’encontre de la société SOCIETE 3 ne pourraient, selon la demanderesse, que conduire à la mise en faillite de ladite société et partant à la perte définitive et irrémédiable de sa créance à l’égard de celle-ci.

Force est de constater que les parties sont en désaccord tant sur les conditions que doit remplir une créance, respectivement une participation dans une société, pour être qualifiées d’irrécouvrables, que sur la date de survenance des circonstances à prendre en considération pour procéder à une correction de valeur desdits éléments de l’actif de la demanderesse.

Il échet tout d’abord de rappeler que d’une manière générale l’administration de la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable, ce principe étant inscrit à l’article 59 de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 », aux termes duquel « La preuve des faits déclenchant l’obligation fiscale appartient à l’administration, la preuve des faits libérant de l’obligation fiscale ou réduisant la cote d’impôt appartient au contribuable.

La charge de la régularité de la procédure fiscale appartient à l’administration.

La preuve peut être rapportée par tous les moyens, hormis le serment. ».

En ce qui concerne les corrections de valeur litigieuses, il y a lieu de rappeler qu’en vertu de l’article 23, paragraphe (1) LIR « l’évaluation des biens de l’actif net investi doit répondre aux règles prévues aux alinéas suivants et, en ce qui concerne les exploitants obligés à la tenue d’une comptabilité régulière, aux principes d’une comptabilité pareille ».

L’article 23, paragraphe (3) LIR, quant à lui, pose à l’égard de tous les biens de l’actif autres que les immobilisations amortissables, dont les créances de l’actif circulant, la règle qu’ils « sont à évaluer au prix d’acquisition ou de revient. Lorsque la valeur d’exploitation y est inférieure, l’évaluation peut se faire à cette valeur inférieure. Lorsque la valeur d’exploitation de biens ayant fait partie de l’actif net investi à la fin de l’exercice précédent est supérieure à la valeur retenue lors de la clôture de cet exercice, l’évaluation peut se faire à la valeur d’exploitation, sans que toutefois le prix d’acquisition ou de revient puisse être dépassé ».

L’article précité s’inspire du principe de prudence en autorisant l’exploitant à évaluer une créance déterminée à une valeur d’exploitation inférieure à la date de clôture de l’exercice, valeur qui est donc inférieure à celle du jour de la conclusion de l’opération.

Une telle correction de valeur pour créance douteuse constitue par essence une diminution de la valeur attribuée à une créance par rapport à sa valeur nominale pour tenir compte d'un risque concret de non-recouvrement et qui anticipe ainsi partiellement ou intégralement sur un exercice d'exploitation antérieur la perte définitive de cet élément de l'actif en cas de constat d'une impossibilité définitive de recouvrement au cours d'un exercice d'exploitation postérieur.

La comptabilisation d’une correction de valeur pour risque de non-recouvrement d’une créance sur base du principe de prudence se trouve partant soumise à la condition de l’existence d’une certaine probabilité d’une irrécouvrabilité qui doit avoir existé à la date de clôture de l’exercice social en question. La cause de la constitution d’une telle provision consiste nécessairement dans un élément factuel qui fonde une certaine probabilité d’irrécouvrabilité de la créance et non pas dans la naissance de la créance-même, de manière que l’ouverture du droit à la constitution d’une correction de valeur doit être rattachée ratione temporis à cet événement factuel et non pas à la naissance de la créance.

Il échet encore de se référer aux dispositions du BewG, dont le paragraphe 10, alinéa 1er dispose que, sauf dispositions contraires, l’évaluation doit se faire sur la base de la valeur estimée de réalisation (« gemeiner Wert »). Le paragraphe 14 BewG pour sa part règle, notamment, l’évaluation des créances en capital, lesquelles sont à évaluer selon la méthode prévue par la loi pour ce genre de valeurs, c’est-à-dire, dans la plupart des cas, selon la valeur estimée de réalisation qui fait l’objet du paragraphe 10 BewG. Comme pour toutes les autres valeurs, deux éléments entrent en ligne de compte pour l’évaluation : l’existence ou le principe de la créance ou de la dette, et sa valeur. Les créances doivent en principe être retenues pour leur valeur nominale.

La loi prévoit cependant certaines dérogations : ainsi, le paragraphe 14, alinéa 2 BewG précise que les créances irrécouvrables ne sont pas prises en considération (« Forderungen, die uneinbringlich sind, bleiben ausser Ansatz ») : celles-ci sont alors retenues pour zéro à condition qu’elles soient effectivement irrécouvrables, les créances simplement litigieuses ou douteuses étant pour leur part évaluées à leur valeur probable de recouvrement, compte tenu de toutes les circonstances du cas, c’est-à-dire qu’il faut prendre en considération tous les faits importants pour l’évaluation, même ceux qui, sans être connus, existaient déjà à la date de l’évaluation et auraient pu être constatés par une révision ultérieure, les circonstances qui ne pouvaient pas encore être envisagées à la date de l’évaluation restant par contre sans influence1.

Plus particulièrement, pour qu’une créance puisse être considérée comme étant effectivement irrécouvrable, et puisse, le cas échéant, donner lieu à constatation d’une correction de valeur, elle doit répondre à un certain nombre de critères, à savoir notamment que le risque de non-recouvrement doit être nettement précisé et individualisé, c’est-à-dire 1 Voir E. Maquil, L’évaluation des biens et des droits, Etudes fiscales, 1968/74, n° 24/25/44, pp.42-43 qu’il doit concerner une créance déterminée et non pas un risque général, lié à la conjoncture par exemple et qu’il doit pouvoir être déterminé avec une certaine certitude, notamment au vu d’événements qui rendent probables la perte, tel que par exemple l’absence de réponse aux relances successives, ou encore l’existence de procédures contentieuses2.

Par ailleurs, aux termes de l’article 22, paragraphe (2) LIR, « la situation à la date de la clôture de l’exercice d’exploitation est déterminante pour l’évaluation en fin d’exercice ;

l’exploitant pourra tenir compte des faits et circonstances qui ont existé à cette date et dont l’existence ne s’est révélée qu’ultérieurement, mais avant la date d’établissement du bilan ».

En ce qui concerne, tout d’abord, la correction de valeur litigieuse en relation avec les parts sociales détenues par la demanderesse dans la société SOCIETE 2, force est au tribunal de rejeter, à titre liminaire, les contestations du délégué du gouvernement quant aux conditions dans lesquelles lesdites parts avaient été cédées en 2012 et en 2014, - la partie étatique argumentant que ces transferts n’auraient pas été réalisées dans des conditions applicables sur un marché libre de pleine concurrence -, alors qu’il reste en défaut de fournir un quelconque élément circonstancié soutenant ses affirmations, le fait de relever un « (…) éventuel lien de parenté entre les bénéficiaires économiques de l’époque (…) » étant manifestement insuffisant pour remettre en question lesdites opérations par ailleurs dûment documentées par les pièces versées par la demanderesse, et plus particulièrement les actes de cession y relatifs.

Le tribunal doit encore relever que la demanderesse a encore valablement pu expliquer le prix de cession en se référant, d’une part, à la valeur nominale des parts sociales litigieuses en précisant que le capital social de la société SOCIETE 2 avait fait l’objet d’une augmentation de … euros le 13 septembre 2011, et, d’autre part, aux capitaux propres de ladite société, tel que ressortant de son bilan de l’exercice social 2013/2014.

Il y a encore lieu de relever qu’il ressort des dispositions légales qui précèdent que c’est à la date de clôture de son exercice d’exploitation 2016 que la demanderesse doit pouvoir faire état de l’existence d’éléments suffisants pour faire admettre le caractère irrécouvrable de sa participation dans la société SOCIETE 2, ainsi que de sa créance à l’encontre de la société SOCIETE 3 et pour justifier ainsi les corrections de valeur litigieuses, l’article 22, alinéa (2) LIR autorisant le contribuable à prendre en compte les faits ayant existé à la date de clôture d’un exercice déterminé, mais révélés ultérieurement jusqu’à l’établissement du bilan.

En ce qui concerne la correction de valeur en relation avec la société SOCIETE 2, le tribunal doit retenir que la demanderesse pouvait valablement faire le constat que ladite société était déjà au mois de décembre 2016 dans l’impossibilité de pouvoir honorer ses factures, de sorte à se trouver dans un état d’insolvabilité avéré, tel que dûment documenté par la citation en faillite du 8 décembre 2016, ainsi que par le jugement du tribunal de commerce du …, division … du 26 décembre 2016, ayant déclaré ouverte la procédure de réorganisation judiciaire à l’égard de la société SOCIETE 2, ledit jugement faisant encore état des sérieux doutes du juge délégué quant aux chances de ladite société de redresser sa situation financière par le biais de ladite procédure, doutes qui furent confirmés par la déclaration en faillite de la société SOCIETE 2 le 13 mars 2017.

2 Voir A. Steichen, Manuel de droit fiscal – Droit fiscal spécial, T.2, n° 1322-1323.

Contrairement à l’argumentation du délégué du gouvernement, les prédits éléments sont antérieurs à la date d’établissement du bilan de la demanderesse de l’année 2016, et ceci tant en ce qui concerne le délai légal pour le dépôt des documents sociaux qu’en ce qui concerne la date effective d’établissement desdits documents, de sorte que la société SOCIETE 1 pouvait valablement en tenir compte.

Par ailleurs, la demanderesse a suffi à l’exigence de l’individualisation du poste litigieux de son actif, alors que la correction de valeur vise l’intégralité des parts sociales de la société SOCIETE 2, et le risque a été suffisamment déterminé au regard de la situation de faillite de la société SOCIETE 2.

En considération de ces éléments, il y a lieu de retenir que lors de la clôture de l’exercice d’exploitation de 2016, respectivement lors de l’approbation des comptes de ce même exercice, le risque de non-recouvrement lié à la participation de la demanderesse dans la société SOCIETE 2 a pu être déterminé avec une certitude suffisante, de sorte que l’inscription d’une correction de valeur y relative au titre de l’exercice 2016 a été justifiée.

La même conclusion est à retenir en ce qui concerne la correction de valeur en relation avec la créance de la demanderesse sur la société SOCIETE 3 d’un montant de … euros, que la société SOCIETE 1 a valablement pu réduire d’un montant de … euros au regard de la situation financière précaire de ladite société, situation matérialisée par une perte, pour l’année sociale 2016/2017, à hauteur de … euros, tel que ressortant explicitement du bilan afférent, ayant engendré des capitaux négatifs à hauteur de … euros, étant, pour le surplus, relevé que cette situation de la société SOCIETE 3 a encore perduré lors de l’exercice social 2017/2018.

Dans ce contexte, il y a encore lieu de rejeter l’argumentation étatique selon laquelle la société SOCIETE 1 serait restée en défaut d’engager des procédures de recouvrement de sa créance à l’égard de la société SOCIETE 3, ce qu’un gestionnaire moyennement diligent et consciencieux aurait, selon la partie étatique, fait, dans la mesure où il ressort des explications circonstanciées de la demanderesse, non remis en cause par le délégué du gouvernement qui n’a pas pris position par rapport à celles-ci, que l’absence de poursuites se justifiait par la considération, d’une part, que la société SOCIETE 3 dispose de créances à l’égard de deux sociétés sous administration judiciaire, les sociétés SOCIETE 2 et SOCIETE 5, et que la demanderesse espère se voir payer ses créances par la société SOCIETE 3, du moins partiellement, à partir du moment où cette dernière obtient le remboursement de ses propres créances, et, d’autre part, que l’engagement de procédures de recouvrement à l’encontre de la société SOCIETE 3 aurait conduit à la mise en faillite de cette dernière et à la perte de l’ensemble de la créance de la société SOCIETE 1.

C’est encore à bon droit que la demanderesse estime avoir suffi à l’exigence de l’individualisation de sa créance à l’égard de la société SOCIETE 3 soumise à une correction de valeur, dans la mesure où la créance en cause vise en effet un débiteur identifié et le risque a été déterminé au vu de la situation précise de ce débiteur.

Il découle de l’ensemble des développements qui précèdent que c’est à tort que le bureau d'imposition a refusé la prise en compte, d’une part, de la correction de valeur en relation avec les parts sociales détenues par la demanderesse dans la société SOCIETE 2, et, d’autre part, de la correction de valeur en relation avec la créance de la demanderesse sur la société SOCIETE 3, et que les bulletins déférés sont à réformer de ce chef.

La demanderesse sollicite encore l’allocation d’une indemnité de procédure de 1.500 euros, demande qui est cependant à rejeter, étant donné que la société SOCIETE 1 reste en défaut d’affirmer et partant a fortiori d’établir que les conditions légales pour retenir une iniquité au sens de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 se trouveraient réunies en l’espèce.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare justifié, partant, par réformation des bulletins de l’impôt sur le revenu des collectivités et de l’impôt commercial communal de l’année 2016, d’établissement de la valeur unitaire et de l’impôt sur la fortune au 1er janvier 2017, tous émis le 15 mai 2019 à l’égard de la société SOCIETE 1, admet la correction de valeur à hauteur de … euros ayant trait aux parts sociales de la société SOCIETE 2, ainsi que la correction de valeur à hauteur de … euros portant sur une créance à l'égard de la société SOCIETE 3 pour l’année fiscale litigieuse ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

rejette la demande en paiement d’une indemnité de procédure de 1.500 euros telle que formulée par la demanderesse ;

condamne l’Etat aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 30 juin 2023 par :

Paul Nourissier, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, Laura Urbany, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 30 juin 2023 Le greffier du tribunal administratif 10


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 46169
Date de la décision : 30/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 08/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-06-30;46169 ?

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