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27/06/2023 | LUXEMBOURG | N°46180

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juin 2023, 46180


Tribunal administratif N° 46180 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46180 4e chambre Inscrit le 29 juin 2021 Audience publique du 27 juin 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat et contre un « arrêté du ministre de la Fonction publique » en matière de discipline

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 46180 du rôle et déposée le 29 juin 2021 au greffe du tribunal administrati

f par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avoca...

Tribunal administratif N° 46180 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46180 4e chambre Inscrit le 29 juin 2021 Audience publique du 27 juin 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat et contre un « arrêté du ministre de la Fonction publique » en matière de discipline

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JUGEMENT

Vu la requête, inscrite sous le numéro 46180 du rôle et déposée le 29 juin 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Jean-Marie Bauler, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation 1) de la décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat du 30 mars 2021 ayant prononcé, à son égard, la sanction de la révocation prévue à l'article 47 sub10 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat ;

2) de « l’arrêté du ministre de la Fonction publique », ainsi qualifié, du 6 mai 2021, pris en exécution de la décision du conseil de discipline du 30 mars 2021 ;

Vu le mémoire en réponse déposé au greffe du tribunal administratif en date du 26 novembre 2021 par le délégué du gouvernement ;

Vu le mémoire en réplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 23 décembre 2021 par Maître Jean-Marie Bauler pour compte de son mandant ;

Vu le mémoire en duplique déposé au greffe du tribunal administratif en date du 21 janvier 2022 par le délégué du gouvernement ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jonathan Holler, en remplacement de Maître Jean-Marie Bauler, et Monsieur le délégué du gouvernement Daniel Ruppert en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 février 2023 ;

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Par courrier du 20 décembre 2011, le directeur du Service de Renseignement, dénommé ci-après « le directeur », s’adressa au premier ministre, ministre d’Etat, dénommé ci-après « le premier ministre », afin de l’informer sur plusieurs reproches formulés à l’encontre de Monsieur …, conseiller de direction adjoint au Service de renseignement de l’Etat, détaché au Haut-Commissariat à la Protection nationale.

Par courrier du 21 décembre 2011, le premier ministre, saisit le commissaire du gouvernement chargé de l'instruction disciplinaire, dénommé ci-après « le commissaire du gouvernement », conformément à l'article 56 paragraphe 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, dénommée ci-après « le statut général », afin de procéder à une instruction disciplinaire à l'encontre de Monsieur ….

Par courrier du 3 janvier 2012, le commissaire du gouvernement adjoint informa Monsieur … qu'une instruction disciplinaire avait été ordonnée à son encontre tout en l’invitant à se présenter au commissariat du gouvernement chargé de l'instruction disciplinaire pour une audition devant se dérouler le 24 janvier 2012 afin de prendre position par rapport aux faits lui reprochés, audition ayant finalement eu lieu en dates des 6 et 12 mars 2012.

Par courrier du 8 mai 2013 le commissaire du gouvernement adjoint transmit une copie du dossier disciplinaire au procureur d’Etat du Parquet de Diekirch.

En date du 23 juillet 2013, le commissaire du gouvernement clôtura son instruction par l’émission d’un rapport d’instruction.

Par un courrier du même jour, le commissaire du gouvernement adjoint informa Monsieur … qu’il envisagea de transmettre le dossier au conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat, ci-après dénommé le « Conseil de discipline », conformément à l’article 56, paragraphe 5, du statut général, sans préjudice du droit de Monsieur … de prendre inspection du dossier disciplinaire en vue, le cas échéant, de présenter ses observations, respectivement de demander un complément d’instruction.

Par un courrier de son litismandataire du 9 août 2013, Monsieur … fit parvenir ses observations au commissaire du gouvernement adjoint en sollicitant l’audition de plusieurs témoins, ce qui amena ce dernier à procéder à un rapport d’instruction complémentaire émis le 30 septembre 2013 aux termes duquel la décision de transmission du dossier au Conseil de discipline fut maintenue.

Par un arrêté grand-ducal du 21 août 2020 démission honorable de ses fonctions de conseiller au grade 16 auprès de l’administration gouvernementale a été accordée à Monsieur ….

Par un jugement du tribunal d’arrondissement de et à Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, du 26 novembre 2020, Monsieur … fut condamné à une peine d’emprisonnement de trois ans, assortie du sursis intégral, ainsi qu’à une peine d’amende de 25.000,- euros.

En date du 30 mars 2021, le Conseil de discipline prit la décision qui suit :

« (…) Vu le dossier constitué à charge de … par le commissaire du Gouvernement adjoint, ci-après le commissaire, régulièrement saisi en application de l'article 56, paragraphe 2 de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de 1'Etat, ci-

après le Statut, par courrier du Premier Ministre, Ministre d'Etat, du 21 décembre 2011, au titre de l'instruction disciplinaire à charge de … et transmis pour attribution au Conseil de discipline par courrier du 30 septembre 2013.

Vu le rapport d'instruction du 23 juillet 2013, ainsi que le rapport d'instruction complémentaire du 30 septembre 2013.

Vu le courrier du 14 novembre 2013 du Procureur d'Etat de Diekirch adressé en réponse aux courriers des 22 mai et 22 octobre 2013 au mandataire de …, lui confirmant l'ouverture d'une instruction pénale pour une partie des faits faisant l'objet de l'affaire disciplinaire diligentée.

Vu le courrier du Président du Conseil de Discipline du 14 novembre 2013 informant … de la suspension de la procédure disciplinaire en attendant l'issue de l'instruction pénale.

Vu le jugement du tribunal d'arrondissement de et à Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, du 26 novembre 2020, coulé en force de chose jugée.

Vu la convocation régulière par lettre recommandée de …, acceptée le 16 février 2021, pour l'audience du 9 mars 2021 à laquelle il ne s'est pas présenté sans soumettre une excuse valable, de sorte qu'il y a lieu de procéder conformément à l'article 68 alinéa 2 du Statut.

… se voit reprocher dans la lettre de saisine du 21 décembre 2011 du Premier Ministre, Ministre d'Etat, les faits suivants :

(1) d'avoir acquis à titre privé, auprès du constructeur d'automobiles BMW établi à Munich, trois véhicules de la marque BMW, à des conditions tarifaires privilégiées exclusivement réservées aux administrations publiques nationales et internationales, en faisant croire à BMW que les voitures étaient destinées au SRE, à savoir d'avoir acquis, à titre privé :

- le véhicule BMW, modèle 120 D, numéro de châssis WBAUB51 010 …, suivant facture du 2 octobre 2008 (facture établie à son nom), - le véhicule BMW, modèle Z 4, 2.5 Si, numéro de châssis WBABU31050 …, suivant facture du 4 février 2008 (facture établie au nom de son épouse, …), - le véhicule BMW, modèle Z 4, 3.0 i, numéro de châssis WBALM51060 …, suivant facture du 28 mai 2009 (facture établie à son nom) ;

(2) d'avoir dissimulé, par des courriers du 6 août 2009, du 27 mai 2008, du 23 janvier 2008 et du 14 octobre 2009, le fait que l'achat des prédits véhicules ne se faisait pas pour le compte du SRE, et d'avoir pris, dans les courriers du 6 août 2009 et du 27 mai 2008, des titres ne lui appartenant pas (s'étant qualifié de « Direktionsrat » dans le courrier du 6 août 2009 et de « Regierungsrat et de « Direktor », dans le courrier du 27 mai 2008) ;

(3) d'avoir régulièrement invité, de 2003 à 2009, des représentants du groupe BMW dans des restaurants à Munich (afin d'entretenir une relation privilégiée avec les responsables de BMW s'occupant de la vente des véhicules BMW au corps diplomatique et au SRE) sans pour autant pouvoir attester des frais de service dépensés à ce titre moyennant des pièces justificatives, ce contrairement à la note de service 04/01 du 10 décembre 1991 d'après lesquelles lesdites pièces doivent être conservées pendant un délai de 10 ans suivant le 1er janvier qui suit l'année de l'opération d'apurement ;

(4) d'avoir vendu des voitures de service dans des conditions de négligence grave, à savoir d'avoir vendu le véhicule BMW X6, entre avril et mai 2009, en se faisant personnellement remettre le prix de vente de 49.500,00 euros (montant restitué par … à l'Etat, le 9 juin 2010, suite aux interpellations auxquelles il a été confronté en avril 2010), ainsi que le véhicule BMW 535 Touring, entre octobre 2009 et avril 2010, en se faisant personnellement remettre le prix de vente de 30.700,00 euros (montant restitué par … à l'Etat, le 9 juin 2010, suite aux interpellations auxquelles il a été confronté en avril 2010) ;

(5) d'avoir commandé des travaux de menuiserie pour le compte du SRE sans présentation de devis, partant, au mépris du respect de la procédure prévue à cet effet, de sorte que le SRE s'est vu confronté à des factures d'un montant total de 50.000,00 euros, présentées en février 2010, dont le montant de 37.000,00 euros n'a pu être payé pour dépassement du budget autorisé ;

(6) d'avoir eu recours à des fournisseurs du SRE pour la réalisation de travaux privés.

À l'audience du Conseil de Discipline du 9 mars 2021, le délégué du Gouvernement a considéré que tous les reproches, sauf celui repris sub 6), sont établis à suffisance par les preuves objectives dégagées par l'instruction disciplinaire et, pour ce qui est des reproches libellés sub 1), 2) et 4), de surplus par le renvoi aux éléments matériels constitutifs des infractions dont a été convaincues … suivant jugement pénal du 26 novembre 2020 et lesquels ne sauraient plus être remis en cause. Au regard de la gravité indubitable des faits commis par un cadre supérieur durant des années, de l'émergence continuelle de nouvelles versions les unes aussi indignes que les autres sans aucune introspection par rapport au comportement répréhensible adopté et hautement préjudiciable pour la réputation du SRE en particulier et de l'Etat en général, seule la sanction la plus sévère, à savoir la révocation de … sur base de l'article 47 point 10 du Statut, ne saurait se concevoir.

Le Conseil de Discipline considère, à l'instar des développements afférents du commissaire et la prise de position du délégué du Gouvernement à l'audience, que la matérialité du sixième reproche n'est étayée par aucun élément objectif et lasse d'être établi, de sorte qu'il y a lieu d'en faire abstraction.

Avant d'analyser les autres reproches, il y a lieu de préciser que les faits à la base de l'instruction disciplinaire menée à l'encontre de … ont également, en partie, fait l'objet d'une instruction pénale. Cette dernière s'est soldée par un jugement du tribunal d'arrondissement de et à Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, du 26 novembre 2020 (coulé en force de chose jugée), ayant condamné … au pénal, du chef d'infractions aux articles 196,197,206,207,240,245, 506-1,3) et 506-4 du code pénal, à une peine d'emprisonnement de trois (3) ans, assortie du sursis, ainsi qu'à une amende. Il y a lieu de rappeler l'autonomie du droit disciplinaire par rapport au droit pénal de sorte que le même fait, pouvant s'analyser à la fois en une faute pénale et en une faute disciplinaire, peut entraîner les deux formes de poursuite sans que la règle « non bis in idem » ne s'applique dans les rapports du droit pénal et du droit disciplinaire alors que le but de ces deux procédures est bien évidemment distinct.

D'une part, dans la répression pénale, l'intérêt de la société est en jeu, alors que, d'autre part, dans la répression disciplinaire, seul l'intérêt de la fonction publique est à considérer.

Nonobstant cette autonomie du droit disciplinaire, un jugement pénal a cependant une incidence sur la procédure disciplinaire en ce sens que le Conseil de Discipline ne peut pas remettre en cause la matérialité des faits établis par une décision judiciaire ayant autorité de chose jugée, alors qu'il reste évidemment libre de décider si ceux-ci appellent une sanction et, dans l'affirmative, d'en apprécier la gravité par rapport aux manquements au Statut.

Il se dégage du jugement correctionnel que l'action publique a été mise en mouvement le 25 mai 2013, de sorte que la prescription de l'action publique, concernant les délits reprochés à …, aurait été acquise en date du 25 mai 2018, et, concernant les crimes correctionnalisés, en date du 25 mai 2023.

S'agissant de la question de la prescription de l'action disciplinaire, il est rappelé que cette action se prescrit, conformément à l'article 74 du Statut, par trois ans à partir du jour où le manquement a été commis, la prescription étant interrompue par la saisine du commissaire et la prescription de l'action disciplinaire n'est en aucun cas acquise avant la prescription de l'action publique.

Quant au reproche 1) : la prise illégale d'intérêt pour avoir acquis, à titre privé, auprès du constructeur d'automobiles BMW établi à Munich, trois véhicules de la marque BMW, à des conditions tarifaires privilégiées exclusivement réservées aux administrations publiques nationales et internationales, en faisant croire à BMW que les voitures étaient destinées au SRE.

La prescription ayant été constatée dans le jugement pénal précité pour ce qui est des voitures achetées respectivement le 2 octobre 2008 et le 4 février 2008, … ne saurait plus répondre de ces reproches.

Par contre, pour ce qui est de la voiture de marque BMW 243.0 i, numéro de châssis WBALM51060 …, achetée suivant facture du 28 mai 2009 établie au nom de …, ce dernier a été retenu dans les liens de l'infraction à l'article 245 du code pénal par les juges du fond ayant fait valoir « il importe dès lors peu en l'occurrence de connaître le déroulement exact et le contenu des discussions lors du dîner qui a eu lieu dans un restaurant gastronomique à Kockelscheuer et notamment la question de savoir s'il lui avait été proposé par le responsable des ventes auprès de BMW, de profiter également des réductions comme allégué par lui (et radicalement contesté par celui-ci) ou non. En effet, il est sans importance au vu des développements ci-dessus que l'intérêt de … de profiter de réductions a pu être licite et s'il y a eu droit, la simple convergence de son intérêt personnel avec l'intérêt public étant suffisant pour caractériser l'infraction. … a ainsi favorisé ses intérêts privés au moyen de sa position officielle, au détriment des intérêts particuliers du groupe BMW auquel il a escroqué des avantages qui ne lui auraient pas été accordés en tant que particulier. … ne tombe pas non plus sous l'exception prévue par le deuxième alinéa de l'article 245 aux termes duquel la prise illégale d'intérêts ne s 'applique pas à celui qui ne pouvait, en raison des circonstances, favoriser par sa position ses intérêts privés et qui a agi ouvertement. Cette exception (qui n'est pas prévue par le texte français) doit s'interpréter en ce sens qu'il n'y a pas d'infraction lorsque l'acte commis n'a en rien préjudicié l'intérêt général, en d'autres termes lorsque l'acte posé à l'occasion de l'exercice d'une fonction publique s'impose ou se justifie en raison de l'intérêt général. Il est, dans ce cas sans pertinence qu'il a également profité à titre personnel à celui qui l'a décidé. (Les infractions contre l'ordre public, Vol. 5, Larcier, p.359) Il faut toutefois que le titulaire de la fonction ait agi ouvertement. Tel n'est pas le cas du prévenu qui a non seulement usé de mensonges mais encore de manœuvres afin de camoufler ses agissements ».

…, de par son comportement, a partant manqué à l'article 9.1 du Statut pour avoir, par une prise illégale d'intérêts, omis à se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l'exercice de ses fonctions lui impose, à l'article 10, paragraphe 1, alinéa 1, du Statut pour avoir porté atteinte à la dignité de sa fonction et donné lieu à scandale en achetant une voiture à titre privé en faisant croire à BMW que cette voiture était destinée au SRE, ceci afin de profiter des diminutions de prix offertes par BWW sur les voitures de service du SRE, et à l'article 10, paragraphe 3, du Statut, pour avoir accepté de la part de BMW des diminutions de prix sur une voiture achetée à titre privé.

Quant au reproche 2) : d'avoir dissimulé, par des courriers du 6 août 2009, du 27 mai 2008, du 23 janvier 2008 et du 14 octobre 2009, le fait que l'achat des prédits véhicules ne se faisait pas pour le compte du SRE, et d'avoir pris, dans les courriers des 6 août 2009 et du 27 mai 2008, des titres ne lui appartenant pas (s'étant qualifié de « Direktionsrat » dans le courrier du 6 août 2009 et de « Regierungsrat et de « Direktor », dans le courrier du 27 mai 2008).

Dans le jugement pénal … a été acquitté de l'infraction de procuration indue de sceaux au motif suivant « en l'espèce, il n'a pas été fait une application ou un usage préjudiciable aux droits ou aux intérêts de l'Etat par l'apposition du sceau de l'agence de Diekirch de l'Administration de l'enregistrement et des domaines sur les courriers du 6 août 2009 ».

Par contre pour ce qui est des courriers confectionnés par … le 14 octobre 2009, le jugement en question a retenu, en infraction aux articles 196,197,206 et 207 du code pénal, « d'avoir commis un faux en écritures publiques, par contrefaçon de signature et par fabrication de dispositions, et d'en avoir fait usage, en l'espèce :

d'avoir frauduleusement confectionné deux faux en écritures publiques, l'un en langue française et l'autre en langue allemande, portant la date du 14 octobre 2009, émanant prétendument de la Direction de l'Administration de l'enregistrement et des domaines à Luxembourg, écrits destinés à certifier le paiement de la TVA de 15 % sur cinq véhicules immatriculés aux noms de M K. de la société M. de … et de son épouse de l'époque, plus amplement décrits dans ces écrits, en utilisant un papier avec l'entête de la Direction de l'Enregistrement et des Domaines, en apposant une fausse signature censée représenter celle du préposé ayant émis le certificat, en apposant le tampon du Bureau d'Imposition II de Diekirch de l'enregistrement et des domaines et en indiquant un fait qui ne correspond pas à la réalité en ce qui concerne le véhicule immatriculé au nom de l'épouse, la TVA n'ayant pas été acquittée au moment des écrits, comme le confirme le courrier du directeur des Douanes et Accises du 6 juin 2013, et en les envoyant à son correspondant auprès de BMW AG ;

d'avoir fabriqué, sous le nom d'un fonctionnaire, des certificats de toute nature pouvant compromettre des intérêts privés, et de s'être servi d'un faux certificat fabriqué dans les circonstances énumérées à l'article 206, en l'espèce, d'avoir fabriqué, sous son propre nom, en sa qualité de fonctionnaire du Service de Renseignement, chargé de l'achat des véhicules du service, un certificat attestant que les cinq véhicules y énumérés et immatriculés au nom de personnes privées ont été utilisés par le SRE dans des opérations discrètes (), en vue de dissimuler ses agissements en apaisant les interrogations de BMW AG quant à l'immatriculation de ces cinq véhicules, et s'en être servi en l'envoyant à BMW Group, à l'attention de CM.. ».

La motivation reprise au jugement a notamment mis en exergue que « le caractère de faux de ces documents découle du fait qu'ils sont destinés à donner l'impression d'émaner d'une administration primafacie compétente, établis dans le dessein de ne pas éveiller la suspicion des responsables de BMW afin d'éviter des recherches et interrogations ultérieures de la part de ceux-ci, risquant ainsi de dévoiler les agissements du prévenu et de mettre en péril ses intérêt pécuniers.(…) Le document en l'occurrence devait emporter la conviction dans le chef des responsables de BMW suite à la réunion du 18 juin 2009 à Munich auprès de BMW lors de laquelle … avait demandé une attestation que les voitures immatriculées aux noms de particuliers étaient utilisées par le SRE et que la TVA afférente avait été payée. Il avait dès lors, en raison de son contenu et surtout de sa forme, une valeur de crédibilité, susceptible d'emporter l'adhésion de ceux auxquels il était envoyé et il était destiné à avoir une influence déterminante sur la formation de leur conviction ».

Ces faits avérés constituent en matière disciplinaire dans le chef de … un manquement à l'article 9 paragraphe 1 du Statut pour avoir, par la confection de faux et par l'usage de faux, omis à se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l'exercice de ses fonctions lui impose, à l'article 10, paragraphe 1, alinéa 1,du Statut pour avoir porté atteinte à la dignité de sa fonction et donné lieu à scandale en fournissant à BMW des informations mensongères quant à son expéditeur et mensongères quant à son contenu et à l'article 15 du Statut, pour ne pas avoir informé son supérieur hiérarchique qu'il a un intérêt personnel incompatible avec l'intérêt du service lorsque BMW souhaitait obtenir des explications concernant les voitures non immatriculées au nom du SRE.

Quant au reproche 3) : d'avoir régulièrement invité, de 2003 à 2009, des représentants du groupe BMW dans des restaurants à Munich (afin d'entretenir une relation privilégiée avec les responsables de BMW s'occupant de la vente des véhicules BMW au corps diplomatique et au SRE), sans pour autant pouvoir attester des frais de service dépensés à ce titre moyennant des pièces justificatives, ce contrairement à la note de service 04/01 du 10 décembre 1991.

…, lors de son audition par le commissaire, a exigé que les pièces justificatives soient versées au dossier disciplinaire, mais il s'est avéré par la suite que soit ces pièces étaient introuvables, soit avaient disparu. S'il n'a partant pas pu être possible d'établir si … a effectivement régulièrement invité des représentants de BMW dans des restaurants exclusifs à Munich, il n'en reste pas moins qu'en vertu de la note de service n° 04/01 du 10 décembre 1991, versée au dossier d'instruction, toutes les pièces justificatives relatives aux frais de service doivent être conservées pendant un délai de 10 ans à partir du 1er janvier qui suit l'année de l'opération d'apurement.

Il résulte à suffisance des éléments consignés au dossier d'instruction, y compris de l'audition de …, que … était « Chef de branche » en charge de la « gestion administrative » du SRE et que notamment la gestion administrative du personnel, du bâtiment et du budget lui incombait. En cette qualité il était de son devoir d'assurer que la note de service en question soit scrupuleusement respectée et que les pièces justificatives afférentes puissent être consultées endéans le délai prévu. Ayant omis de respecter et de faire respecter, en qualité de responsable seul en charge de ce dossier, la note de service 04/01, … a manqué à l'article 9, paragraphe 1, alinéa 2, du Statut en vertu duquel il est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées et à l'article 10, paragraphe 1, alinéa 1, en vertu duquel le fonctionnaire doit, dans l'exercice comme en dehors de l'exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public.

Quant au reproche 4 : d'avoir vendu des voitures de service dans des conditions de négligence grave, à savoir d'avoir vendu le véhicule BMW X6, entre avril et mai 2009, en se faisant personnellement remettre le prix de vente de 49.500,00 euros (montant restitué par … à l'Etat, le 9 juin 2010, suite aux interpellations auxquelles il a été confronté en avril 2010), ainsi que le véhicule BMW 535 Touring, entre octobre 2009 et avril 2010, en se faisant personnellement remettre le prix de vente de 30.700,00 euros (montant restitué par … à l'Etat, le 9 juin 2010, suite aux interpellations auxquelles il a été confronté en avril 2010).

Dans le jugement pénal précité il a été retenu à ce sujet « en présence de ces versions divergentes et des incohérences en général des explications invraisemblables fournies par le prévenu, le tribunal n'accorde strictement aucun crédit à la version de … notamment eu égard au fait qu'il n'a pas porté plainte auprès de la police malgré l'importance des sommes en question, ni pour vol, ni pour perte et ceci ni au moment de la perte alléguée ni plus tard.

Concernant l'argumentation de la défense que le prévenu aurait remboursé les sommes de 49.500 euros et de 30.700 euros en question et que partant il n'y aurait pas de préjudice et dès lors pas non plus de détournement, le tribunal souligne que le détournement de deniers publics constitue une infraction instantanée » et … a été retenu dans les liens de l'infraction de détournement de deniers publics en relation avec le prix de vente des véhicules BMW X6 et 535 Touring.

Il s'ensuit que ce comportement de … est constitutif d'un manquement à l'article 9 paragraphe 1 du Statut pour avoir, par un détournement de deniers publics, omis de se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l'exercice de ses fonctions lui impose, à l'article 9, paragraphe 2, du Statut pour, en détournant des fonds publics à des fins privées, ne pas avoir correctement exécuté la tâche lui confiée ainsi qu'à l'article 10, paragraphe 1, du Statut en vertu duquel le fonctionnaire doit, dans l'exercice comme en dehors de l'exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public.

Quant au 5ième et dernier reproche : d'avoir commandé des travaux de menuiserie pour le compte du SRE sans présentation de devis, partant au mépris du respect de la procédure prévue à cet effet, de sorte que le SRE s'est vu confronté à des factures d'un montant total de 50.000,00 euros, présentées en février 2010, dont le montant de 37.000 euros n'a pu être payé pour dépassement du budget autorisé.

Il est établi au vu des éléments dégagés par l'instruction disciplinaire que certains des travaux de menuiserie effectués par l'entreprise … ont été commandés en violation de la procédure y relative, notamment sans présentation préalable d'une demande d'acquisition sur base d'un devis en dépit de l'instruction de service n°4, intitulée « Réglementation de la gestion financière du Service de renseignements » et …, lors de son audition, n'a pas contesté que la commande de ces travaux était de sa responsabilité.

En effet, en tant que « Chef de branche » en charge de la gestion administrative du SRE il était le responsable hiérarchiquement le plus élevé de la gestion administrative du personnel, du bâtiment et du budget et il faut en conclure que … a manqué à l'article 9, paragraphe 1, alinéa 2, du Statut en vertu duquel le fonctionnaire doit se conformer aux instructions du gouvernement qui ont pour objet l'accomplissement régulier de ses devoirs ainsi qu'aux ordres de service de ses supérieurs pour ne pas s'être conformé à l'article 3 de l'instruction de service n° 4, intitulée « Réglementation de la gestion financière du Service de renseignements », à l'article 9, paragraphe 2, du Statut en vertu duquel le fonctionnaire est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées pour avoir commandé auprès de l'entreprise … des travaux pour lesquels il avait omis d'introduire une demande d'acquisition et à l'article 10, paragraphe 1, alinéa 1, du Statut en vertu duquel le fonctionnaire doit, dans l'exercice comme en dehors de l'exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public pour avoir, par la commande de travaux en violation de la procédure d'acquisition, mis le SRE dans l'impossibilité d'honorer l'engagement financier en résultant.

Aux termes de l'article 53 du Statut, l'application des sanctions se règle notamment d'après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé. Elles peuvent être appliquées cumulativement.

Il est indéniable que les faits avérés commis par un fonctionnaire ayant accédé à la carrière supérieure de l'attaché, par changement de carrière, le 1er décembre 2008 et ayant, au moment de leur perpétration, occupé la fonction de conseiller de direction adjoint du Service de renseignement de l'Etat, sont d'une particulière gravité, accentuée par la condamnation au pénal à une peine d'emprisonnement intervenue pour des infractions décriminalisées et des délits commis en concours réel, dépassant donc le cadre strictement disciplinaire, et particulièrement révélatrice de l'énergie criminelle de …. Sous cet égard il importe donc peu que … n'a aucun antécédent disciplinaire à sa charge.

S'y ajoute que l'attitude adoptée par … tout au long de l'instruction disciplinaire, une fois confronté avec des éléments objectifs, est tout simplement indigne d'un fonctionnaire de la carrière supérieure. Au lieu de prendre position sans tergiverser et d'assumer sa responsabilité par rapport à ses agissements, il s'est empêtré dans ses propres contradictions, déployant des efforts considérables pour contester l'incontestable et pour tenter de faire endosser une part de responsabilité par d'autres personnes. Le Conseil de Discipline note, à la lecture du jugement pénal, que même dans le cadre de l'instruction pénale, y compris l'instruction à l'audience, … s'est distingué par « des explications des plus chimériques », « des versions divergentes », « des incohérences en général des explications invraisemblables» et ne peut que rejoindre leur constat de la « désinvolture avec laquelle … a abusé de sa position au sein du Service de Renseignement » pour pouvoir se livrer à tous ces agissements fautifs.

Toutes les considérations développées ne permettent que de rejoindre l'appréciation du délégué du Gouvernement et de recourir à la sanction la plus sévère prévue au Statut, à savoir la révocation prévue à l'article 47, point 10.

Par ces motifs :

le Conseil de discipline, siégeant en audience publique, … régulièrement convoqué, statuant conformément aux dispositions de l'article 68 alinéa 2 du statut général des fonctionnaires de l'Etat, sur le rapport oral de son président, le délégué du Gouvernement entendu en ses conclusions, prononce à l'égard de … du chef des manquements retenus ci-dessus la sanction disciplinaire prévue à l'article 47.10. de la loi modifiée du 16 avril 1979 fixant le statut général des fonctionnaires de l'Etat, à savoir la révocation, condamne … aux frais de la procédure, ces frais liquidés à 21,75 euros. (…) ».

Par un arrêté grand-ducal du 6 mai 2021, la sanction disciplinaire de la révocation fut appliquée à l’encontre de Monsieur … avec effet au 30 mars 2021, tout en abrogeant, avec effet à la même date, l’arrêté grand-ducal du 21 août 2020 ayant accordé démission honorable à Monsieur ….

Par une requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 29 juin 2021, inscrite sous le numéro 46180 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant principalement à la réformation et subsidiairement à l’annulation de la décision précitée du Conseil de discipline du 30 mars 2021 et de « l’arrêté du ministre de la Fonction publique », ainsi qualifié, du 6 mai 2021.

Quant au recours contre la décision du Conseil de discipline :

Aux termes de l’article 54, paragraphe 2 du statut général prévoyant un recours au fond contre les décisions du conseil de discipline prononçant une sanction disciplinaire à l’encontre d’un fonctionnaire, sur renvoi du commissaire du gouvernement, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation introduit à titre principal contre la décision précitée du conseil de discipline du 30 mars 2021.

Il n’y a partant pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité du recours, sans pour autant fournir le moindre moyen à ce sujet.

Force est au tribunal de préciser que s’il est exact que le fait, pour une partie, de se rapporter à prudence de justice équivaut à une contestation, il n’en reste pas moins qu’une contestation non autrement étayée est à écarter, étant donné qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de leurs conclusions.

Dès lors, étant donné que la partie gouvernementale est restée en défaut de préciser dans quelle mesure le recours ne serait pas recevable, le moyen d’irrecevabilité afférent encourt le rejet, étant relevé que le tribunal n’entrevoit pas non plus de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office.

Au vu de ces considérations et en l’absence d’autres moyens d’irrecevabilité, le recours principal en réformation dirigé contre la décision déférée du Conseil de discipline du 30 mars 2021 est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, le demandeur retrace sa carrière auprès de l’Etat du Grand-duché de Luxembourg, laquelle aurait commencé avec sa nomination, le 1er octobre 1985, auprès du ministère de la Fonction Publique, administration du Personnel de l'Etat et qui se serait terminée avec effet au 1er janvier 2021 par la démission honorable de ses fonctions de conseiller au grade 16 avec attribution du titre honorifique, lui accordée par un arrêté grand-

ducal du 21 août 2020.

Quant aux rétroactes de la présente affaire disciplinaire, le demandeur donne à considérer qu’il aurait été affecté au SRE depuis 2001 et qu’après s’être vu renouveler son habilitation de sécurité en date du 22 mars 2011 pour une durée de 2 ans, la procédure disciplinaire aurait été ouverte en son encontre en date du 21 décembre 2011, à un moment où il se serait déjà trouvé détaché auprès du Haut-Commissariat à la protection nationale.

Tout en passant en revue les rétroactes cités ci-avant, le demandeur met en exergue les nombreuses interventions du directeur au cours de l’instruction du dossier disciplinaire, soulignant également une demande d’information de la part de l’Autorité nationale de Sécurité auprès du ministère d’Etat en date du 14 mars 2013.

Il fait encore exposer que par un courrier du 14 novembre 2013, le Procureur d'Etat de Diekirch l’aurait informé qu'une instruction pénale aurait été ouverte pour une partie des faits faisant l'objet de l'affaire disciplinaire diligentée à son égard.

Par courrier du Président du Conseil de Discipline du même jour, il aurait été informé de la suspension de sa procédure disciplinaire en attendant l'issue de l'instruction pénale.

Il fait finalement relever qu’en date du 18 février 2021, son litismandataire aurait demandé en vain la refixation de l'audience prévue devant le Conseil de discipline en raison du délai extrêmement court, à savoir 14 jours ouvrés, entre la convocation et l'audience.

En droit, le demandeur conclut d’abord à la nullité de la décision déférée du Conseil de discipline pour violation de ses droits de la défense, au motif que ce dernier aurait refusé de refixer la date des plaidoiries et statué par défaut, alors même que la demande afférente aurait été formulée plus de 15 jours avant l'audience, refixation qui aurait été justifiée par la complexité de l’affaire ayant nécessité une instruction disciplinaire de plus d’une année et une instruction pénale de sept années.

Etant donné que le premier rapport d'instruction compterait quelques 79 pages et plusieurs centaines d'annexes et que le rapport complémentaire serait composé de 22 pages, il aurait été absolument impossible d'instruire un tel dossier en seulement 14 jours ouvrés.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait souligner que l’affirmation de la partie gouvernementale selon laquelle le délégué du gouvernement auprès du Conseil de discipline serait parvenu à préparer le dossier en bonne et due forme malgré le fait qu'il aurait pris connaissance de ce dossier pour une première fois le 19 février 2021, donnerait à penser que ce dernier aurait nécessairement eu connaissance du dossier en amont et ce, en sa qualité de fonctionnaire au sein du ministère de la Fonction publique.

C’est à bon droit que le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen pour manquer en fait, alors que, d’ailleurs contrairement au délégué du gouvernement auprès du Conseil de discipline, le litismandataire du demandeur a été en charge du dossier de son mandant dès le début de l’instruction disciplinaire, s’étant fait communiquer tant le rapport principal que son complément à la clôture de l’instruction en 2013 avec possibilité de prendre inspection des pièces du dossier, tout en s’étant occupé de la défense de Monsieur … devant les instances pénales ayant abouti au jugement correctionnel précité du 26 novembre 2020, de sorte que la communication itérative du dossier disciplinaire trois semaines avant l’audience des plaidoiries devant le Conseil de discipline ne saurait être considérée comme ayant pu affecter les droits de la défense du demandeur.

Le moyen afférent encourt dès lors le rejet.

En deuxième lieu le demandeur sollicite de retenir la nullité de la décision déférée du Conseil de discipline pour défaut de caractérisation des faits disciplinaires, alors que ce dernier se serait contenté de reprendre le jugement pénal, sans jamais faire la moindre corrélation avec les faits reprochés lors de l'instruction disciplinaire et sans qualifier ces derniers sur un plan disciplinaire.

Ainsi, le Conseil de discipline aurait manifestement substitué le jugement du tribunal d'arrondissement de Diekirch du 26 novembre 2020 aux rapports d'instruction du commissaire du gouvernement, manquant de ce fait à son devoir d'instruction de l'affaire et atténuant nettement le principe de l'autonomie du droit disciplinaire auquel il aurait lui-même fait référence dans sa décision.

Le demandeur fait encore répliquer à cet égard que le Conseil de discipline se serait contenté de reprendre les infractions retenues au pénal pour les qualifier péremptoirement de manquements aux articles 9 § 1 alinéas 1 et 2, 10 § 1 alinéa 1 et 10 § 3 du statut général.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

Force est d’abord au tribunal de relever que la décision déférée du Conseil de discipline énonce bien les faits ayant donné lieu à la saisine du commissaire du gouvernement en date du 21 décembre 2011 et qui ont dès lors fait l’objet de l’instruction disciplinaire qui s’en est suivie, laquelle a été clôturée par le rapport d’instruction précité, tel que complété.

Or, étant donné que le rapport d’instruction apprécie certains faits sous réserve qu’ils ne soient pas prescrits et que Monsieur … a, devant le commissaire du gouvernement, contesté la plupart des faits, également qualifiables pénalement, de sorte à avoir en conséquence fait l’objet d’une instruction pénale, c’est à bon escient que le Conseil de discipline s’est référé au jugement correctionnel du 26 novembre 2020, coulée en force de chose jugée, pour statuer sur les seuls faits ainsi juridiquement établis et non prescrits afin de les qualifier au sens du droit disciplinaire.

Ainsi, c’est à tort que le demandeur fait insinuer que le Conseil de discipline n’aurait ni instruit le dossier, ni procédé à la « caractérisation des faits disciplinaires », alors qu’il ressort de la décision déférée citée in extenso ci-avant que cette dernière prend soin, pour tous les faits finalement retenus, lesquels ne font d’ailleurs actuellement plus l’objet de contestations de la part du demandeur, de les qualifier par rapport aux obligations statutaires auxquelles le demandeur est soumis, de sorte que ce moyen laisse d’être fondé.

En troisième lieu, le demandeur conclut à une violation du principe de légalité consacrée par l'article 14 de la Constitution et l'article 7 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, dénommée ci-après « la CEDH », d'une part, parce que les incriminations seraient trop vagues et, d'autre part, parce que le fonctionnaire poursuivi ne saurait pas à quelle peine s'attendre, tant l'éventail des sanctions serait important, d’autant plus qu’en l’espèce, il n'aurait pas été condamné par la juridiction pénale à la peine accessoire prévue à l'article 24 du Code pénal et qu’il aurait bénéficié d'un arrêté de mise en retraite exécuté bien avant la sanction disciplinaire.

De plus, le Conseil de discipline n'aurait caractérisé aucune infraction disciplinaire, alors qu’il se serait contenté de reprendre les infractions retenues au pénal pour les qualifier péremptoirement de manquements aux articles 9, paragraphe (1), alinéas 1 et 2, ainsi que 10, paragraphe (1), alinéa 1 et 10 § 3 du statut général.

Alors que les dispositions précitées du statut général seraient des dispositions « fourre-

tout », susceptibles d'être invoquées à l'appui de n'importe quel manquement et aux fins de prononcer n'importe quelle sanction, le fonctionnaire poursuivi serait exposé à une incertitude et à une insécurité juridique disproportionnées et partant inacceptables.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur fait préciser à ce sujet que si les juridictions tolèreraient une marge d'indétermination, les administrés ne le feraient plus et un Etat de droit ne devrait pas autoriser de tolérance à cet égard.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

En matière disciplinaire, la Cour constitutionnelle a relevé dans ses arrêts des 3 décembre 2004 et 14 décembre 2007, inscrits sous les numéros de registre 23/04, respectivement 41/07, que si en règle générale le droit disciplinaire devait répondre aux exigences du principe de la légalité des peines, le droit disciplinaire est appelé à tolérer dans la formulation des comportements illicites et dans l’établissement des peines à encourir une marge d’interprétation, sans que le principe de la spécification de l’incrimination et de la peine ne soit affecté, dans la mesure où des critères logiques, techniques et d’expérience professionnelle permettaient de prévoir avec une sûreté suffisante la conduite à sanctionner et la sévérité de la peine à appliquer. De même, ledit principe de la légalité des peines ne fait pas obstacle à ce qu’en matière disciplinaire les infractions soient définies par référence aux obligations légales et réglementaires auxquelles est soumise une personne en raison des fonctions qu’elle exerce, de la profession à laquelle elle appartient ou de l’institution dont elle relève1.

Il s’ensuit que le moyen encourt d’ores et déjà le rejet, outre le constat qu’en l’espèce, du fait d’avoir commis, parmi d’autres infractions pénales, notamment les crimes de faux en écritures publiques, ainsi que de détournement de deniers publics, certes décriminalisés en l’espèce, le demandeur ne saurait feindre s’être trouvé dans une situation d’insécurité juridique intenable, alors qu’il ne saurait manifestement s’attendre, sur le plan disciplinaire, ni à ce que les obligations et devoirs du fonctionnaire tels que fixés au statut général puissent tolérer de tels faits, ni à écoper d’un simple doigt levé.

Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que le tribunal correctionnel n’a pas retenu l’interdiction de remplir des fonctions, emplois ou offices publics prévue à l’article 11 du Code pénal. En effet, si cette sanction accessoire qui est facultative en matière correctionnelle au vœu de l’article 24 du Code pénal, implique qu’en application de l’article 49 du statut général, « Le fonctionnaire condamné pour un acte commis intentionnellement à une peine privative de liberté d’au moins un an sans sursis ou à l’interdiction de tout ou partie des droits énumérés à l’article 11 du Code pénal perd de plein droit son emploi, son titre et son droit à la pension.», le fait que le juge pénal n’a pas prononcé une telle peine accessoire en l’occurence, ne saurait, en application du principe de l’indépendance du droit disciplinaire par rapport au droit pénal, s’imposer au pouvoir disciplinaire, lequel reste libre, dans le respect de l’autorité de la chose jugée au pénal quant à la matérialité des faits litigieux, de faire sa propre appréciation quant à la sanction disciplinaire adaptée à l’espèce, d’autant plus que l’objet même de la poursuite disciplinaire vise notamment à juger l’impact des fautes disciplinaires commises par un fonctionnaire sur la continuation, respectivement la manière de l’exercice de ses fonctions.

1 Cour adm. 4 juillet 2017, n° 39250C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 346, deuxième volet et l’autre référence y relevée.

Il en va de même de l’argumentation du demandeur tenant à mettre en exergue le fait que par un arrêté grand-ducal du 21 août 2020, il avait été admis à la retraite avec effet au 1er janvier 2021, soit avant le prononcé de la sanction disciplinaire actuellement litigieuse, alors qu’au-

delà du constat que ledit arrêté a été pris sans considération de la procédure disciplinaire encore en cours à ce moment-là et a été abrogé par la suite, cette circonstance n’est d’aucune pertinence dans le cadre du moyen tenant à une prétendue violation du principe de légalité par la décision du Conseil de discipline déférée.

Le demandeur conclut ensuite à une violation du principe d'impartialité consacré par l’article 6 de la CEDH et les articles 41 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, dénommée ci-après « la Charte », notamment en ce qui concerne la composition du Conseil de discipline et en ce qui concerne le commissaire du gouvernement.

Quant à la composition du conseil de discipline, le demandeur critique le fait que dans cet organe décisionnel, considéré d’ailleurs par l’exposé des motifs du projet de loi n° 4891 comme une quasi juridiction, siègeraient des représentants de l'Etat, alors que ce dernier serait pourtant partie en cause.

Or, étant donné que le conseil de discipline serait en fait une véritable juridiction au sens de l' article 6, paragraphe (1) de la CEDH du fait de statuer tant en matière civile en ce qui concerne la sanction de la révocation, qu’en matière pénale pour ce qui est de l'amende, il serait censé en respecter les garanties du procès équitable et impartial, ce qui ne serait pourtant pas le cas du fait qu’outre les deux magistrats professionnels, le conseil de discipline serait composé notamment d'un délégué du ministère de la Fonction publique et d'un délégué du ministère d'Etat qui, eux, devraient être considérés comme parties en cause, du fait de disposer d'une délégation de signature pour le compte des ministres respectifs et du fait de risquer d'avoir eu, en amont et au sein de leurs ministères respectifs, une connaissance des dossiers jugés par le conseil de discipline auprès duquel ils siègent. Il s’y ajouterait que le délégué du gouvernement auprès du conseil de discipline serait également fonctionnaire du ministère de la Fonction publique et serait nommé à l'occasion du même arrêté grand-ducal que les membres du Conseil de Discipline, de sorte qu’il se poserait un sérieux problème d'équilibre face au seul représentant de la chambre des fonctionnaires et employés publics, tel que le Conseil d’Etat l’aurait également souligné dans le cadre de travaux parlementaires afférents.

Le demandeur invoque, à ce titre deux arrêts du Conseil constitutionnel français qu’il estime pertinents en l’espèce par analogie en ce que le premier aurait invalidé un article du code de l’action sociale et des familles pour contrariété à la Constitution française en ce qu’il prévoyait la participation de fonctionnaires dans la composition d’une commission centrale d’aide sociale en méconnaissance du principe d’indépendance, et le deuxième ayant décidé que les dispositions, prévoyant que deux fonctionnaires, représentant le ministre de la santé et le ministre de l’outre-mer, siégeant au sein du conseil national de l’ordre des pharmaciens, seraient contraires à la Constitution pour méconnaître le principe d’indépendance, alors même que celles-ci prévoyaient que lesdits représentants ministériels y siègent avec voix consultative.

Le demandeur se réfère également aux doutes exprimés en 2002 par le Conseil d'Etat luxembourgeois lui-même en ce qui concerne la composition du Conseil de discipline et la nécessité d’un délégué du gouvernement, alors que le conseil comprendrait déjà deux délégués de ministres, dont le rôle deviendrait de ce fait plus ambigu.

Etant donné que le commissariat chargé de l'instruction dépendrait directement du ministre ayant la Fonction publique dans ses attributions, au sein du ministère duquel il aurait ses bureaux, il aurait lieu de relever qu'à toutes les étapes de la procédure, un représentant dudit ministère, sinon le ministre lui-même, serait impliqué.

Subsidiairement, le demandeur propose de poser à ce sujet une question préjudicielle à la Cour de justice de l'Union européenne, dénommée ci-après « la CJUE », de la teneur suivante :

« l'article 59 alinéas i et 3 du Statut général des fonctionnaires de l'Etat, en tant qu'il prévoit d'une part que le Conseil de discipline est composé notamment d'un délégué du ministère de la Fonction publique et d'un délégué du ministère d 'Etat, tous considérés comme représentant la partie poursuivante, et d'autre part d'un délégué du Gouvernement qui « défendra les intérêts du Gouvernement », ce dernier appartenant également au ministère de la Fonction publique et enfin, l'article 56 du Statut, en tant qu'il confie l'instruction disciplinaire au commissaire du Gouvernement chargé de l'instruction disciplinaire lui-même fonctionnaire au sein du ministère de la Fonction publique et tenant ses bureaux auprès dudit ministère, sont-ils conformes aux articles 41 et 47 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ? ».

Dans son mémoire en réplique, le demandeur conteste la pertinence de la jurisprudence des juridictions administratives sur ce point, invoquée par le délégué du gouvernement, alors qu’il ne s’agirait plus de la seule question de considérer la composition du Conseil de discipline comme l'application traditionnelle du principe de l'échevinage qui, il serait vrai, tendrait à rechercher un équilibre dans la représentation des parties présentes au sein d'une quasi juridiction ayant un pouvoir décisionnel, mais que son moyen viserait un manque d'indépendance du Conseil de discipline dans la mesure où ce dernier ne serait qu'un des services du ministère de la Fonction publique.

Dans le cadre de la violation du principe d'impartialité objective, il ne serait pas question de rechercher si les différents fonctionnaires du ministère de la Fonction publique auraient ou non manifesté d'une quelconque manière un comportement caractérisé permettant de conclure à une appréhension raisonnable de préjugé, à savoir un problème de partialité subjective, mais de la structure même ou de l'organisation de l'entité concernée.

Quant au commissariat chargé de l'instruction, ce dernier non seulement dépendrait également directement du ministre ayant la Fonction publique dans ses attributions, mais exercerait de facto et de jure 3 fonctions incompatibles, à savoir celle de juge d'instruction (instruire à charge et à décharge,) de juge (classer l'affaire, sinon de renvoyer à l'autorité, sinon au Conseil de discipline) et celle de procureur, puisque, indéniablement, son rapport devrait être considéré comme un réquisitoire.

D'un point de vue de la partialité subjective, le demandeur estime que l'omniprésence du directeur du SRE lors de l'instruction disciplinaire ferait en sorte que ce dernier se serait comporté comme un véritable directeur d'enquête à charge, en sollicitant des informations sur l'état de la procédure disciplinaire, en témoignant, en donnant des consignes au commissaire du gouvernement adjoint sur les suites à réserver à la procédure disciplinaire en cours et en versant des pièces à ce dernier.

Il en résulterait une « collusion » manifeste entre le directeur du SRE, principal accusateur, et le commissaire du gouvernement adjoint, viciant fondamentalement l'instruction disciplinaire en ne garantissant plus l'indépendance et l'impartialité de l'autorité enquêtrice.

Le demandeur fait encore préciser à cet égard, dans sa réplique, que l'introduction des poursuites, faite par courrier ministériel du 21 décembre 2011, se fonderait exclusivement sur un rapport du directeur du SRE du 20 décembre 2011, lequel serait donc non seulement à l'origine des poursuites, mais aussi témoin à charge lors de l'instruction disciplinaire.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen en tous ses volets.

L’article 6, paragraphe 1er de la CEDH dispose que « Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle (…) ».

Si l’article 6, précité, impose certes des impératifs à respecter en matière de procès équitable, les garanties afférentes n’ont néanmoins pas pour autant vocation à s’appliquer au niveau d’une procédure disciplinaire purement administrative, en ce qu’elles n’entrent en ligne de compte qu’à un stade ultérieur, au niveau de l’instance juridictionnelle compétente pour connaître du recours dirigé contre la décision administrative traduisant l’aboutissement de ladite procédure disciplinaire.

Or, le Conseil de discipline critiqué en l’espèce ne constitue qu’une étape dans le processus décisionnel aboutissant à la sanction disciplinaire et ne revête pas en lui-même un caractère juridictionnel, de sorte que les moyens avancés par le demandeur, en ce qu’ils sont basés sur une violation alléguée de l’article 6 de la CEDH au niveau de la procédure disciplinaire administrative ayant précédé la décision déférée, laissent d’être fondés.

Force est néanmoins de relever que, même si l’autorité administrative en charge de la procédure disciplinaire n’est pas formellement soumise au respect de l’article 6 de la CEDH, il a été jugé qu’elle est néanmoins tenue d’observer les principes généraux de droit, tels que le principe de procédure équitable, le respect des droits de la défense ou encore le principe général d’impartialité, et ce, même en l’absence d’un texte exprès2.

A cet égard, il a été retenu qu’il échet d’une manière générale d’assurer que l’enquête disciplinaire soit conduite par une personne compétente à condition que son impartialité ne soit pas contestable. De même, l’autorité amenée à prendre la décision sur la sanction à appliquer doit être impartiale d’un point de vue subjectif, en ce qu’elle ne doit pas avoir procédé à des prises de position antérieures de nature à préjuger du résultat de la procédure disciplinaire, de même qu’il est exigé que, d’un point de vue objectif, ledit organe ne puisse pas être soupçonné de partialité objective, la partialité objective pouvant découler de conditions structurelles ou organisationnelles qui autoriseraient à suspecter l’impartialité d’un organe3.

2 Trib. adm., 12 mars 2008, n° 21852a du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 271 (1er volet) et autres références y citées.

3 Trib. adm., 8 juillet 2015, n°34312 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 271 (2e volet) et les autres références y citées.

En ce qui concerne d’abord les développements du demandeur relatifs à la composition du Conseil de discipline, force est de constater que cette mise en doute de l’impartialité de cet organe se base sur le seul constat qu’il a été composé, outre de deux magistrats, d’un représentant du ministère de la Fonction publique, ainsi que d’un représentant du ministère d’Etat, ces derniers membres manquant, d’après le demandeur, d’objectivité du fait de leur pouvoir de représentation de leurs ministres respectifs dans la gestion quotidienne des affaires courantes.

Aux termes de l’article 59 du statut général « Le Conseil de discipline est composé de deux magistrats de l'ordre judiciaire, d'un délégué du ministre de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative, d'un délégué du ministre d'Etat et d'un représentant à désigner par la Chambre des Fonctionnaires et Employés Publics, ainsi que d'un nombre double de suppléants choisis selon les mêmes critères. (…). » Il a été retenu que la seule présence au sein du Conseil de discipline d’un fonctionnaire du ministère de la Fonction publique et d’un représentant du ministère d’Etat ne permet pas de conclure à une appréhension raisonnable de préjugé lorsque ces fonctionnaires n’ont pas manifesté d’une quelconque manière un comportement caractérisé permettant de conclure à une appréhension raisonnable de préjugé et notamment lorsque ceux-ci n’ont pas été appelés à prendre précédemment une décision ou à effectuer une intervention qui les auraient conduits à prendre position ou à émettre une appréciation pouvant constituer un préjugé sur le litige leur soumis en tant que membres du conseil de discipline.4 Le demandeur restant, en l’espèce, en défaut de rapporter des éléments de preuve concrets à cet égard, le moyen tiré d’une absence d’impartialité dans le chef du Conseil de discipline est dès lors à rejeter pour ne pas être fondé. A titre superfétatoire, il y a lieu de relever que le demandeur aurait eu la possibilité, le cas échéant, de solliciter, sur le fondement de l’article 60 du statut général, la récusation d’un desdits membres suspectés de partialité subjective, ce qu’il est cependant resté en défaut de faire.

Il en va de même du reproche de partialité dans le chef du commissaire du gouvernement, alors que d’un point de vue objectif, il convient de relever qu’il a été jugé que du seul fait qu’il soit appelé, en fonction des résultats de l’enquête, soit à classer l’affaire, soit à transmettre le dossier à l’autorité administrative ou encore au Conseil de discipline aux fins de décision, le commissaire du gouvernement ne peut pas être soupçonné de partialité objective au cours de l’enquête, la partialité ne pouvant être déduite ex post du seul résultat de l’enquête. En effet, la possibilité du commissaire du gouvernement aux termes d’une instruction à charge et à décharge, à décider du sort de l’affaire, n’a par ailleurs que la qualité d’un acte préparatoire, le Conseil de discipline demeurant souverain dans son appréciation5, le demandeur n’avançant par ailleurs pas le moindre élément de nature à établir une partialité subjective dans le chef de ce dernier, conclusion qui n’est pas remise en cause par le fait qu’il a été saisi sur base d’un rapport du directeur du SRE, respectivement qu’il aurait entendu ce dernier en tant que témoin ou obtenu des pièces de la part de ce dernier.

Il s’ensuit que le moyen fondé sur une prétendue impartialité du commissaire du gouvernement et du Conseil de discipline est à rejeter.

4 Trib. adm., 12 mars 2008, n° 21852a du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 289 (1er volet) et les autres références y citées.

5 En ce sens : trib. adm., 12 mars 2008, n° 21852a du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 285 (1er volet) et les autres références y citées.

Le délégué du gouvernement auprès du Conseil de discipline étant un représentant du gouvernement défendant les intérêts de ce dernier, il n’a pas à être impartial, de sorte que l’argumentation y relative encourt également le rejet Ensuite, le demandeur conclut à une violation du principe non bis in idem, en raison de sa condamnation au pénal pour les mêmes faits par un jugement du tribunal d'arrondissement de et à Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, du 26 novembre 2020, alors que l'autonomie du droit disciplinaire par rapport au droit pénal ne saurait se justifier par la seule différence des intérêts protégés, à savoir ceux de la « société » par le droit pénal et ceux de « la fonction publique » par le droit disciplinaire, lesdits intérêts constituant tout au plus des éléments de la définition de ces deux domaines.

Il invoque à ce titre l'affaire « Kurdov et Ivanov c. Bulgarie » de la Cour des droits de l’Homme, dénommée ci-après « la CourEDH », portant le numéro 16137/04 du 31 mai 2011, pour souligner que les faits en cause ne seraient pas des éléments typiques d'une infraction d'ordre disciplinaire, étant donné qu’il n’y aurait aucun caractère propre à une faute disciplinaire, le demandeur rappelant son argumentation selon laquelle le Conseil de discipline n'aurait pas caractérisé d'éventuels manquements disciplinaires, mais se serait limité à reprendre la qualification des faits, telle qu'elle aurait été faite par le juge pénal.

Les faits susceptibles d'être sanctionnés pénalement et qui ont déjà fait l'objet d'une peine pénale ne seraient pas susceptibles de donner lieu à une sanction disciplinaire sous peine de faire double emploi, d’autant plus que la sanction de la révocation serait une sanction assimilable à la sanction pénale pouvant être prononcée par le juge pénal en application des articles 11, paragraphe (1) et 24 du Code pénal, peine que le juge pénal n’aurait d’ailleurs pas prononcée en l’espèce.

Le demandeur fait encore répliquer à cet égard, par rapport aux développements du délégué du gouvernement, que le fait d’accepter la circonstance que le droit pénal et le droit disciplinaire poursuivraient des objectifs différents pour exclure le principe non bis in idem aboutirait à rendre inapplicable ledit principe.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

Le principe non bis in idem a été repris tant par l’article 4 du Protocole n° 7 à la CEDH, dénommé ci-après « le Protocole n° 7 », dont le paragraphe (1) est libellé comme suit : « Nul ne peut être poursuivi ou puni pénalement par les juridictions du même Etat en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de cet Etat » que par l’article 14-7 du Pacte des Nations Unies relatif aux droits civils et politiques du 19 décembre 1966, dénommé ci-après « le Pacte », en vertu duquel « Nul ne peut être poursuivi ou puni en raison d’une infraction pour laquelle il a déjà été acquitté ou condamné par un jugement définitif conformément à la loi et à la procédure pénale de chaque pays ».

Il échet de conclure de ces textes de droit international qu’il s’agit d’un principe consacré dans les grands systèmes internationaux de protection des droits de l’homme. Ce principe répond à une exigence de justice et de sécurité juridique et fait obstacle à ce qu’une même personne puisse être sanctionnée deux fois en raison des mêmes faits.

Il est de jurisprudence constante que ce principe qui fait certes obstacle à ce que l’administration puisse sanctionner disciplinairement deux fois ou davantage une personne en raison des mêmes faits, ne s’oppose toutefois pas à ce qu’il soit infligé, à raison des mêmes faits, une sanction pénale et une sanction administrative, dès lors que ces deux types de sanctions sont de nature différente et poursuivent des objectifs différents. En effet, l'autonomie du droit disciplinaire et les caractères propres à la faute disciplinaire font que celle-ci est déterminée selon des critères qui sont différents de ceux qui permettent de définir l'infraction pénale. Cette indépendance se manifeste notamment du point de vue qu'un même fait peut s'analyser à la fois en une faute pénale et en une faute disciplinaire, entraînant les deux formes de poursuite, ce qui revient à dire que la règle non bis in idem ne s'applique pas dans les rapports du droit pénal et du droit disciplinaire. En effet, le but de ces deux procédures est distinct, puisque, d'une part, dans la répression pénale, l'intérêt de la société est en jeu, alors que, d'autre part, dans la répression disciplinaire, seul l'intérêt de la fonction publique est à considérer6.

En l’espèce, si le jugement, coulé en force de chose jugée, du tribunal d'arrondissement de et à Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, du 26 novembre 2020 a retenu que les faits commis par le demandeur sont à qualifier d’infractions pénales, à savoir notamment de détournement de deniers publics, du blanchiment-détention et du blanchiment-utilisation, de la prise illégale d’intérêts et du faux en écriture publiques, force est de relever les mêmes comportements, sont également à qualifier de fautes disciplinaires, ainsi que l’a bien retenu le Conseil de discipline, contrairement à ce qui est avancé par le demandeur, dans la décision déférée cité in extenso ci-avant en retenant pour chaque comportement, exemple factuel à l’appui, une violation des devoirs et obligations incombant au demandeur en sa qualité de fonctionnaire, figurant notamment aux articles 9, 10 et 15 du statut général.

Cette conclusion n’est pas énervée par l’argumentation du demandeur selon laquelle la sanction de la révocation serait une sanction assimilable à la sanction pénale prévue par l’article 11 du Code pénal, alors qu’au-delà du constat que le demandeur n’a justement pas écopé de cette peine, facultative et limitée dans la durée au vœux de l’article 24 du Code pénal, applicable en matière correctionnelle, cette dernière implique une interdiction de remplir des fonctions, emplois ou offices publics, peine pouvant être prononcée à l’encontre de toute personne qu’elle soit agent public ou pas, tandis qu’une révocation ne concerne que les fonctionnaires publics. Par ailleurs, la conséquence d’une condamnation à une telle interdiction ne relève pas de la procédure disciplinaire telle que réglée par les articles 51 et suivants du statut général, mais emporte pour le fonctionnaire la perte de plein droit de son emploi, de son titre et de son droit à la pension en application de l’article 49 du statut général.

Il s’ensuit que le moyen tenant à une violation du principe non bis in idem est à rejeter.

Finalement le demandeur conclut au caractère disproportionné de la sanction disciplinaire lui infligée, au motif qu’il aurait un casier disciplinaire vierge, qu’il aurait remboursé l'ensemble des sommes détournées, qu’il aurait depuis 2013, encore obtenu 3 promotions jusqu’au grade 16 de la carrière supérieure et travaillé sans que le bon fonctionnement du service public ne soit entravé, ainsi qu’en raison du dépassement du délai raisonnable, pour l’appréciation duquel il faudrait prendre en compte la durée s'étant écoulée entre la date de notification des reproches à l’origine de la procédure disciplinaire, en 6 Trib. adm., 11 juin 2001, n° 12473 du rôle, conf. par Cour adm. 11 décembre 2001, n° 13705C du rôle, Pas.

adm. 2022, V° Fonction publique, n° 243 et les autres références y citées.

l’occurence le 3 janvier 2012, et la décision juridictionnelle définitive statuant sur le recours introduit contre la sanction disciplinaire prononcée, le 30 mars 2021, soit en tout quelques 9 années et 3 mois.

Il y aurait dès lors, en l'espèce, un dépassement du délai raisonnable susceptible de se répercuter sur la prise en compte du caractère proportionné de la peine disciplinaire prononcée à son encontre, en ce qu’un tel dépassement serait susceptible d'aboutir à un allègement de la sanction à prononcer sur le plan disciplinaire.

Dans son mémoire en réplique, le demandeur reproche encore au délégué du gouvernement de se contredire pour, d’un côté, en ce qui concerne la qualification des infractions disciplinaires, avoir invoqué l'autonomie du droit disciplinaire par rapport au droit pénal, pour, d’un autre côté, en ce qui concerne l’appréciation du délai raisonnable, se limiter à se reporter aux conclusions y relatives du jugement correctionnel du tribunal d'arrondissement de et à Diekirch du 26 novembre 2020.

Il demande encore à transposer à la présente espèce les enseignements d’un arrêt de la Cour administrative du 11 novembre 2008, inscrit sous le numéro 24324C du rôle, lequel aurait par ailleurs également été invoqué par la partie gouvernementale.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ce moyen.

Force est, à titre liminaire, au tribunal de relever que le demandeur ne conteste actuellement pas la matérialité des faits lui reprochés et qui ont été retenus par la décision déférée, de même qu’il n’a pas valablement mis en cause la qualification des comportements retenus par rapport aux obligations et devoirs des fonctionnaires de l’Etat, notamment au regard de ce qui a été retenu ci-avant quant au deuxième moyen de la requête introductive d’instance.

Il est dès lors constant que le demandeur a violé l’article 9 du statut général, aux termes duquel « 1. Le fonctionnaire est tenu de se conformer consciencieusement aux lois et règlements qui déterminent les devoirs que l’exercice de ses fonctions lui impose.

Il doit de même se conformer aux instructions du gouvernement qui ont pour objet l’accomplissement régulier de ses devoirs ainsi qu’aux ordres de service de ses supérieurs. (…) », l’article 10 du statut général en ce que ce dernier prévoit que « 1. Le fonctionnaire doit, dans l’exercice comme en dehors de l’exercice de ses fonctions, éviter tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de ces fonctions ou à sa capacité de les exercer, donner lieu à scandale ou compromettre les intérêts du service public. (…) 3. Le fonctionnaire ne peut solliciter, accepter ou se faire promettre d’aucune source, ni directement ni indirectement, des avantages matériels dont l’acceptation pourrait le mettre en conflit avec les obligations et les défenses que lui imposent les lois et les règlements et notamment le présent statut. », ainsi que l’article 15 du même texte disposant que « Le fonctionnaire qui dans l’exercice de ses fonctions est amené à se prononcer sur une affaire dans laquelle il peut avoir un intérêt personnel de nature à compromettre son indépendance doit en informer son supérieur hiérarchique. (…) ».

En ce qui concerne la proportionnalité de la décision déférée et partant l’adéquation de la sanction à appliquer par rapport aux faits retenus, l’article 53 du statut général prévoit que « L’application des sanctions se règle notamment d’après la gravité de la faute commise, la nature et le grade des fonctions et les antécédents du fonctionnaire inculpé. », impliquant, d’après la jurisprudence en la matière, que les critères d’appréciation de l’adéquation de la sanction prévus légalement sont énoncés de manière non limitative, de sorte que le tribunal est susceptible de prendre en considération tous les éléments de fait lui soumis qui permettent de juger de la proportionnalité de la sanction à prononcer, à savoir, entre autres, l’attitude générale du fonctionnaire.7 Il a également été jugé que, dans le cadre du recours en réformation exercé contre une sanction disciplinaire, le tribunal est amené à apprécier les faits commis par le fonctionnaire en vue de déterminer si la sanction prononcée par l'autorité compétente a un caractère proportionné et juste, en prenant notamment en considération la situation personnelle et les antécédents éventuels du fonctionnaire.8 S’il est vrai que le demandeur n’avait certes pas d’antécédents disciplinaires avant les faits lui actuellement reprochés, et qu’il peut faire état d’une considérable ancienneté au sein de la fonction publique, où il a encore poursuivi sa carrière, après les faits litigieux, jusqu’au grade 16, force est néanmoins de retenir qu’au vu de la gravité conséquente des reproches avérés, le demandeur ayant gravement violé, dans le cadre de sa fonction et à plusieurs reprises son obligation de se conformer aux lois et règlement lui imposés ainsi que compromis les intérêts du service public, en abusant de la confiance lui accordée par sa hiérarchie dans le but de s’enrichir personnellement au détriment de l’Etat, de sorte que la confiance de ce dernier dans son agent est nécessairement irrémédiablement rompue et que seule une sanction impliquant la fin des relations de travail est envisageable en l’espèce. De plus, il n’est pas contesté que les faits litigieux, d’ailleurs également passibles de peines correctionnelles, concernant les délits de blanchiment et de prise illégales d’intérêts, respectivement criminelles, en ce qui concerne le détournement de deniers publics et le faux en écritures publiques, ont gravement porté atteinte à la dignité de ses fonctions, tout en ayant donné lieu à un scandale retentissant ayant affecté la responsabilité politique du ministre de l’Etat de l’époque.

Ainsi, au vu de l’énergie criminelle mise en lumière par le comportement du demandeur, l’insouciance et le manque d’introspection de ce dernier, qui, tel que relevé à bon droit par la décision déférée, a essayé par tous les moyens et jusque devant le juge pénal de se délier de sa responsabilité en niant les évidences, seule la sanction la plus grave de la révocation est de nature à adéquatement répondre aux faits reprochés, sans qu’une disproportion ne puisse être constatée à cet égard.

Cette conclusion n’est pas énervée par le fait que le demandeur a intégralement remboursé les sommes détournées, notamment en considération du fait qu’il n’a jamais cessé d’essayer de se dédouaner de sa responsabilité dans ce contexte par de nombreuses explications incohérentes et invraisemblances à ce sujet, tel que cela a été retenu par le jugement précité 26 novembre 2020.

Le demandeur ne saurait pas non plus faire état d’un dépassement du délai raisonnable dans ce contexte, alors qu’un tel dépassement ne saurait être retenu en l’espèce.

En effet, si le respect du délai raisonnable s’impose notamment pour assurer la sécurité juridique et pour éviter une trop longue incertitude sur l’issue de la procédure disciplinaire, le dépassement du délai raisonnable doit être apprécié in concreto et aux divers stades de la 7 Trib. adm. 12 juillet 2019, nos 40837 et 41256 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction Publique, n° 345 et les autres références y citées.

8 Trib. adm. 1er juillet 1999, n° 10936 du rôle, Pas. adm. 20221, V° Fonction Publique, n° 384, 1er volet, et les autres références y citées.

procédure, en fonction des circonstances de la cause, de la nature de l’affaire, du comportement de l’agent et de celui de l’autorité.9 En ce qui concerne l’implication d’une procédure pénale parallèle, il a été jugé qu’en présence de poursuites pénales pour les mêmes faits, l'autorité, si elle n'est pas tenue de surseoir à statuer jusqu'à ce que la juridiction répressive se soit définitivement prononcée, peut toutefois estimer prudent d'attendre qu'une décision judiciaire ait statué définitivement sur l'action publique en vue d’arrêter la matérialité des faits litigieux, sans que ce choix ne la dispense de l'obligation de statuer, par la suite, dans un délai raisonnable10.

Or, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement a soutenu qu’en l’espèce, il ne saurait être question d’un dépassement du délai raisonnable, alors que, si le demandeur s’est certes déjà fait notifier l’ouverture d’une affaire disciplinaire à son encontre en date du 3 janvier 2012, il ne saurait être reproché aux autorités disciplinaires d’avoir attendu que l’enquête pénale soit clôturée, se concrétisant par le jugement précité du 26 novembre 2020 par le tribunal d’arrondissement de et à Diekirch, siégeant en matière correctionnelle, coulé en force de chose jugée, alors qu’au vu des nombreuses contestations de la part du demandeur en ce qui concerne sa responsabilité dans les faits lui reprochés, seul l’aboutissement de la procédure pénale a permis d’arrêter de manière incontestable le déroulement exact des faits litigieux.

Aucun reproche ne peut ainsi être dirigé contre le Conseil de discipline lequel a rendu la décision déférée dans les quatre mois du jugement pénal, étant donné qu’en ce qui concerne la longueur de la procédure pénale ayant précédé la convocation devant le Conseil de discipline, c’est à bon droit que le délégué du gouvernement a relevé qu’il a été retenu de manière définitive par le tribunal d’arrondissement de et à Diekirch, dans son jugement précité du 26 novembre 2020, qu’en raison notamment de la complexité de l’affaire et de la lourdeur de son instruction, des nombreuses infractions concernées, ainsi que du manque de collaboration du demandeur, aucun dépassement du délai raisonnable ne peut être retenu en ce qui concerne la procédure pénale, conclusion qui doit dès lors être intégralement reprise en l’occurrence en ce qui concerne la suspension afférente du volet disciplinaire, étant donné que le procureur d’Etat avait déjà été saisi par le commissaire du gouvernement en date du 8 mai 2013.

Si le délai entre le dépôt de la requête introductive d’instance et le présent jugement n’est certes pas imputable au demandeur, force est cependant de relever qu’il ne saurait, en tout état de cause, pas être conclu à un dépassement du délai raisonnable de nature à influer sur la gravité de la sanction en faveur du demandeur, alors qu’au vu des circonstances spécifiques de l’affaire telles que relevées ci-avant et notamment le caractère gravissime des reproches adressés au demandeur, basés sur des faits matériellement établis par un jugement correctionnel coulé en force de chose jugée, et dont le caractère punissable sur un plan disciplinaire n’a pas été sérieusement mis en cause par le demandeur dans le cadre du présent recours, l’insécurité juridique pour le demandeur et l’incertitude sur son sort restent négligeables, d’autant plus que le demandeur ne risquait, en l’occurrence, pas de réformation in pejus de la décision litigieuse, ayant été condamné à la peine la plus sévère du catalogue des peines prévu par le statut général.

Il s’ensuit qu’en l’espèce, le moyen tenant à invoquer une disproportion de la sanction disciplinaire litigieuse encourt le rejet.

9 ibidem 10 Trib. adm. 12 mars 2008, n° 22010a du rôle, conf. sur ce point par Cour adm. 11 novembre 2008, n° 24324C du rôle, Pas. adm 2022, V° Fonction publique, n° 280 et les autres références y citées.

Il suit de ce qui précède que le recours en ce qu’il est dirigé contre la décision du Conseil de discipline du 30 mars 2021 est à rejeter en tous ses moyens.

Quant au recours contre « l’arrêté du ministre de la Fonction publique », ainsi qualifié, du 6 mai 2021 :

A titre liminaire, force est de relever que l’arrêté du 6 mai 2021, tel que déféré et tel qu’il figure parmi les pièces versées au tribunal, a été pris par le Grand-duc et non, comme erronément indiqué dans la requête introductive d’instance, par le « ministre de la Fonction publique », lequel a seulement contresigné ledit arrêté et notifié ce dernier à Monsieur ….

A défaut d’une disposition légale prévoyant un recours au fond contre une décision de l’autorité de nomination pris en exécution d’une décision du Conseil de discipline, le tribunal doit se déclarer incompétent pour connaître du recours principal en réformation dirigé contre ledit arrêté, contre lequel seul un recours en annulation peut être dirigé.11 En effet, même si le pouvoir de nomination ne dispose que d’une compétence liée dans l’exécution de la décision rendue par le Conseil de discipline, il n’empêche que l’arrêté grand-ducal d’exécution a son existence propre du fait de faire grief à son destinataire, de sorte qu’il constitue un acte attaquable per se, dont la légalité interne ou externe peut toujours être mise en cause séparément de l’acte qu’il exécute.

Il s’ensuit que le tribunal n’est pas compétent pour statuer sur le recours principal en réformation.

Le recours subsidiaire en annulation est par contre recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi, sans que cette conclusion ne soit énervée par le fait que le délégué du gouvernement se rapporte à prudence de justice quant à la recevabilité dudit recours, alors qu’il est rappelé qu’il n’appartient pas au juge administratif de suppléer la carence des parties au litige et de rechercher lui-même les moyens juridiques qui auraient pu se trouver à la base de la contestation du délégué du gouvernement, à défaut de cause d’irrecevabilité d’ordre public qui serait à soulever d’office.

En droit, le demandeur conclut d’abord à une violation de l'article 9 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l´Etat et des communes, dénommé ci-après « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », alors qu’il n’aurait ni été informé de l'intention de l'administration par la communication des éléments de fait et de droit qui l'amènent à agir, ni bénéficié d'un quelconque délai pour prendre position.

En deuxième lieu, il invoque une violation de l'article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, en ce que l'arrêté grand-ducal du 6 mai 2021 aurait abrogé, avec effet à la même date, l'arrêté grand-ducal du 21 août 2020 lui accordant démission honorable de ses fonctions à partir du 1er janvier 2021 avec attribution du titre honorifique de ses fonctions, le demandeur soulignant que l'arrêté grand-ducal du 21 août 2020 serait sans équivoque un acte recognitif de droit.

Après avoir procédé à un comparatif des deux cas de figure traités par les articles 8 et 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, le demandeur souligne que ces deux dispositions 11 trib. adm. 14 décembre 2011, nos 27681 et 27719 du rôle, conf, par Cour adm. 1 mai 2012, n° 29731C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Fonction publique, n° 329.

seraient intimement liées, étant donné qu’en matière d'information préalable, l’article 9 constituerait le droit commun auquel l'article 8 ne dérogerait pas. L'article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 étant totalement muet quant au principe de sécurité juridique et plus particulièrement quant au délai pendant lequel l'autorité administrative est en droit d'abroger un acte créateur de droit, il y aurait lieu de se référer au délai prévu par l’article 8 du même texte, de sorte que l’administration ne saurait prétendre pouvoir abroger un acte créateur de droit à tout moment.

En l’espèce, l'arrêté grand-ducal du 21 août 2020 lui accordant démission honorable de ses fonctions aurait été abrogé plus de 10 mois après par l'arrêté litigieux du 6 mai 2021, lequel serait à annuler de ce chef.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet de ces deux moyens.

Force est d’abord de relever que l’arrêté grand-ducal du 21 août 2020 accordant au demandeur démission honorable de ses fonctions, s’il constitue bien un acte cognitif de droits dans le chef du demandeur, n’est pas retiré rétroactivement à la date où il a été pris, mais avec effet au 30 mars 2021, date de la décision du Conseil de discipline, tel qu’expressément souligné par l’arrêté grand-ducal litigieux du même jour, repris in extenso ci-avant. Il s’ensuit qu’il ne saurait être fait application de l’article 8 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 selon lequel « En dehors des cas où la loi en dispose autrement, le retrait rétroactif d´une décision ayant créé ou reconnu des droits n´est possible que pendant le délai imparti pour exercer contre cette décision un recours contentieux, ainsi que pendant le cours de la procédure contentieuse engagée contre cette décision. (…) » pour ne pas concerner le cas de figure se présentant en l’espèce, de sorte que le moyen afférent est d’ores et déjà à rejeter.

En ce qui concerne le moyen tenant à une violation de l’article 9 du règlement grand-

ducal du 8 juin 1979, disposant que « Sauf s´il y a péril en la demeure, l´autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d´office pour l´avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d´une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l´amènent à agir. (…) », c’est à tort que le demandeur estime que cette disposition ne permettrait pas de procéder à l’abrogation d’une décision ayant reconnu des droits, dans un délai allant au-delà de trois mois, alors que la procédure de l’article 9 précité n’est pas renfermée dans un quelconque délai, contrairement à l’article 8, non applicable en l’espèce, dont la limitation d’agir dans un délai de trois mois est justifiée par le fait que pendant ce même délai un recours contentieux est possible, lequel est également susceptible d’aboutir à l’annulation ab initio dudit acte.

En ce qui concerne la participation de l'administré à l'élaboration de la décision administrative, il a été jugé que s'il est vrai que l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 n'opère pas une distinction entre les décisions qui appellent l'administration à statuer en pure légalité et celles au sujet desquelles elle dispose d'un pouvoir d'appréciation, la participation de l’administré ne présente cependant une réelle utilité que dans la mesure où celui-ci est en mesure, par son intervention, d'apporter des éléments et arguments de nature à influencer la décision à intervenir. Tel est le cas lorsque l'administration dispose, pour prendre sa décision, d'un pouvoir d'appréciation et que la collaboration de l'administré peut amener celle-ci à prendre en compte les observations de l'administré et à rendre une décision différente de celle qu'elle aurait pu prendre en dehors de l'intervention de celui-ci12.

Or, en l’espèce l’arrêté litigieux du 6 mai 2021 est un acte d’exécution de la décision précitée du Conseil de discipline du 30 mars 2021 et est pris par l’autorité de nomination dans le cadre d’une compétence liée, en application de l’article 52 du statut général, selon lequel « L’autorité de nomination est tenue d’appliquer la sanction disciplinaire conformément à la décision du Conseil de discipline visée à l’article 70. (…) ».

Etant donné qu’en l’espèce le Conseil de discipline a retenu la sanction de la révocation, impliquant au vœu de l’article 47, point 10, « (…) la perte de l’emploi, du titre et du droit à la pension, (…) », c’est à bon droit que l’arrêté grand-ducal du 21 août 2020 ayant accordé au demandeur démission honorable de ses fonctions à partir du 1er janvier 2021 avec attribution du titre honorifique de ses fonctions a dû encourir l’abrogation, sans que le demandeur aurait pu, dans le cadre une éventuelle prise de position y relative, influer concrètement sur le contenu de la décision à prendre.

Etant donné qu’il a également été retenu que hormis le cas où l'administration dispose en la matière d'un pouvoir d'appréciation discrétionnaire, ou dans le cas où, même dans le cadre d'une compétence liée, la prise de décision implique l'appréciation d'éléments subjectifs, la légalité interne des décisions prises sans le concours de l'administré peut encore utilement être vérifiée au cours de la procédure contentieuse13, de sorte que le moyen afférent, tenant à une violation de l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 encourt le rejet.

A défaut de tout autre moyen dirigé contre l’arrêté grand-ducal déféré du 6 mai 2021, le recours afférent encourt également le rejet.

Quant à la demande de Monsieur …, formulée au dispositif de sa requête introductive d’instance d’ordonner à l’Etat de communiquer le dossier administratif conformément à l’article 8, paragraphe (5) de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, dénommée ci-après « la loi du 21 juin 1999 », demande formulée sans une quelconque précision à ce sujet dans son recours, il y a lieu de relever, outre le fait que le dépôt du dossier administratif constitue une obligation spontanée pour l’administration dont émane la décision déférée, la partie étatique a versé au tribunal une farde contenant plusieurs documents permettant de retracer les principaux rétroactes à la base de la décision déférée, de sorte qu’à défaut, pour le demandeur, d’avoir, par la suite, contesté le caractère complet du dossier administratif ainsi versé, la demande y relative encourt le rejet.

S’agissant de la demande formulée par Monsieur …, au dispositif de son recours, tendant à voir ordonner l’effet suspensif dudit recours, tel que prévu par l’article 35 de la loi du 21 juin 1999, en vertu duquel « Par dérogation à l’article 45, si l’exécution de la décision attaquée risque de causer au requérant un préjudice grave et définitif, le tribunal peut, dans un jugement tranchant le principal ou une partie du principal, ordonner l’effet suspensif du recours pendant le délai d’appel. (…) », cette demande est rejetée.

12 Cour adm. 6 mars 2008, n° 23073C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 125 et les autres références y citées.

13 25 juin 2009, n° 25438C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure administrative non contentieuse, n° 218 et l’autre référence y citée.

En effet, cette disposition doit être lue ensemble avec l’article 45 de la même loi en vertu duquel « Sans préjudice de la disposition de l’article 35, pendant le délai et l’instance d’appel, il est sursis à l’exécution des jugements ayant annulé ou réformé des décisions attaquées. » Il s’ensuit que l’effet suspensif du recours ne peut être ordonné que dans l’hypothèse d’un jugement tranchant le principal ou une partie du principal, ayant annulé ou réformé la décision. Or, dans la mesure où le tribunal a déclaré le recours sous analyse non fondé, l’article 35 précité ne saurait trouver application.

Au vu de l’issue du litige, la demande en allocation d’une indemnité de procédure d’un montant de 3.500,- euros formulée par le demandeur sur la base de l’article 33 de la loi du 21 juin 1999 est également à rejeter.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant à l’égard de toutes les parties ;

reçoit en la forme le recours principal en réformation introduit contre la décision du Conseil de discipline des fonctionnaires de l’Etat du 30 mars 2021 ayant prononcé à l’égard de Monsieur … la sanction disciplinaire de la révocation ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

se déclare incompétent pour statuer sur le recours principal en réformation dirigé contre l’arrêté grand-ducal du 6 mai 2021 ;

reçoit en la forme le recours subsidiaire en annulation ;

au fond, le déclare non justifié et en déboute ;

rejette la demande tendant à prononcer l’effet suspensif sur le fondement de l’article 35 de la loi du 21 juin 1999 ;

rejette la demande en allocation d’une indemnité de procédure formulée par Monsieur … ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 juin 2023 par :

Françoise Eberhard, premier vice-président, Olivier Poos, premier juge, Laura Urbany, juge, en présence du greffier Marc Warken.

s.Marc Warken s.Françoise Eberhard Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 juin 2023 Le greffier du tribunal administratif 27


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 46180
Date de la décision : 27/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-06-27;46180 ?

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