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27/06/2023 | LUXEMBOURG | N°46022

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 27 juin 2023, 46022


Tribunal administratif N° 46022 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46022 3e chambre Inscrit le 14 mai 2021 Audience publique du 27 juin 2023 Recours formé par Madame A, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46022 du rôle et déposée le 14 mai 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH,

avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Ma...

Tribunal administratif N° 46022 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:46022 3e chambre Inscrit le 14 mai 2021 Audience publique du 27 juin 2023 Recours formé par Madame A, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (1), L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 46022 du rôle et déposée le 14 mai 2021 au greffe du tribunal administratif par Maître Ardavan FATHOLAHZADEH, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame A, née … à … (Iran), de nationalité iranienne, demeurant à …, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 avril 2021 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale ;

Vu la constitution de nouvel avocat à la Cour déposée au greffe du tribunal administratif le 1er octobre 2021 par Maître Frank WIES, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame A, préqualifiée, en remplacement de Maître Ardavan FATHOLAHZADEH ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 14 juillet 2021 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Jalle DURNA, en remplacement de Maître Frank WIES, et Madame le délégué du gouvernement Corinne WALCH en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 31 janvier 2023.

Le 18 juin 2019, Madame A introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Les déclarations de Madame A sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg furent actées dans un rapport de la police grand-ducale, section criminalité organisée - police des étrangers, du même jour. Il s’avéra à cette occasion, suite à une recherche effectuée dans la base de données EURODAC, que l’intéressée avait été appréhendée sur le territoire allemand en date du 19 mai 2019 et qu’elle y avait introduit une demande de protection internationale le 22 mai 2019.

Le 19 juin 2019, Madame A passa encore un entretien auprès du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

Le 19 novembre 2019, Madame A passa également un entretien auprès du ministère sur sa situation et sur les motifs se trouvant à la base de sa demande de protection internationale.

Par décision du 13 avril 2021, notifiée à l’intéressée ainsi qu’à son mandataire par lettres recommandées expédiées le 15 avril 2021, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », informa Madame A que sa demande de protection internationale avait été refusée comme étant non fondée sur base des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, tout en lui ordonnant de quitter le territoire dans un délai de trente jours.

Ladite décision est libellée comme suit : « […] En mains le rapport du Service de Police Judiciaire du 18 juin 2019, le rapport d’entretien Dublin III du 19 juin 2019 et votre rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 19 novembre 2019 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, ainsi que les documents versés à l’appui de votre demande.

Vous signalez être née le …, être de nationalité iranienne, d’ethnie turque, célibataire et originaire de …, où vous auriez vécu avec votre mère, votre frère et votre sœur et travaillé en tant que … puis comme …. Vous auriez quitté l’Iran parce que vous feriez partie d’un « cercle de la révolte » (p. 5 du rapport d’entretien) des Moudjahidines, que plusieurs de ces cercles auraient été dévoilés par les autorités à … et que vous auriez par conséquent craint d’être exécutée en Iran, si jamais « ils arrivaient à moi » (p. 5 du rapport d’entretien).

Premièrement, vous expliquez que vous seriez née dans une famille très politisée, que vos oncles et tantes auraient depuis longtemps été des sympathisants des Moudjahidines et que depuis votre enfance, vous auriez régulièrement visité avec votre mère des membres de famille emprisonnés, dont deux oncles, une tante et B, l’époux d’une de vos tantes, qui habite désormais au Luxembourg. Vers 1980, un de vos oncles et une de vos tantes auraient été tués par le régime dans le cadre d’exécutions de masse, tandis qu’avec le temps les autres membres de votre famille auraient été petit à petit relâchés de prison. Ainsi, vous auriez grandi dans la « haine » contre le régime et les mollahs. Après le décès de votre père en …, B vous aurait pris « sous ses ailes » et vous aurait expliqué en détail l’idéologie des Moudjahidines, « leur doctrine et leur chemin » (p. 5 du rapport d’entretien). Vous expliquez ensuite que cette initiation aux valeurs et aux buts des Moudjahidines vous aurait été donnée par B après que vous ayez terminé vos études secondaires « car avant il était en prison. Donc je devais avoir une vingtaine d’années » (p. 7 du rapport d’entretien).

Vers 2004, vous auriez terminé vos études universitaires et vous auriez alors travaillé en tant que … avant de devenir …, « Ma vie passait ainsi paisiblement sans incidents notables » (p. 5 du rapport d’entretien).

En 2016 ou 2017, vous seriez entrée dans un cercle de la révolte des Moudjahidines avec l’aide de B. Vous précisez que ces cercles seraient composés de quatre ou de cinq membres et que leurs tâches consisteraient dans le collage d’affiches du couple RAJAVI et le déchirement 2 d’affiches des dirigeants du pays. En plus, votre cercle aurait fait des pancartes contenant des slogans pro-Rajavi respectivement anti-régime. Vous déclarez dans ce contexte que vous auriez enregistré des vidéos vous montrant en train d’afficher ces pancartes sans toutefois montrer votre visage et que vous auriez alors envoyé ces vidéos aux Moudjahidines qui se seraient occupés de leur publication en ligne ou sur leurs propres médias. Vous précisez encore que ces cercles n’auraient pas existé avant cette époque, raison pour laquelle vous auriez attendu toutes ces années avant de rejoindre les Moudjahidines.

En juin 2018, votre cercle de révolte moudjahidine aurait été dénoncé et vous auriez tous été arrêtés par la police lorsque vous auriez voulu vous filmer avec vos pancartes. Vous auriez tous été frappés, menottés et emmenés les yeux bandés dans un centre de rétention à … où vous auriez été retenue pendant deux semaines. Pendant ce temps, vous auriez été torturée psychologiquement et physiquement et un mollah serait venu vous parler pour vous expliquer que vous seriez sur le mauvais chemin et que surtout vous, au vu de vos antécédents familiaux, risqueriez de subir le même sort que votre tante ou votre oncle. Vous auriez en outre été interrogée et on aurait voulu savoir le nom de votre agent de liaison au sein des Moudjahidines, nom que vous ne leur auriez pas donné tout en précisant auprès de l’agent chargé de votre entretien concernant vos motifs de fuite qu’il s’agirait de B. Après avoir été relâchée « parce que c’était la première fois » et parce que les agents n’auraient pas réussi à avoir les réponses souhaitées tout en étant au courant de votre adhésion aux Moudjahidines (p. 8 du rapport d’entretien), vous auriez dû informer les autorités de vos déplacements. Vous seriez par la suite partie en Turquie. Or, comme votre mère, votre frère et votre sœur seraient restés en Iran, vous seriez retournée vivre à … trois jours plus tard. Après trois jours, vous auriez de nouveau pris la décision de partir en Turquie et vous continuez vos dires en expliquant que suite à votre nouveau retour en Iran à une date inconnue, vous vous seriez tenue « tranquille » (p. 5 du rapport d’entretien) et vous ne seriez plus sortie par peur des autorités alors que vous ne les auriez pas informées de votre séjour en Turquie. En même temps, vous prétendez cependant aussi que vous auriez « diminué » (p. 6 du rapport d’entretien) vos activités au sein du cercle de révolte moudjahidine, que vous auriez « vécu ainsi » (p. 6 du rapport d’entretien) et réussi un concours universitaire pour accéder à des études « master ». En octobre 2018, vous auriez entamé vos études et en sortant de chez vous, vous auriez senti que vous seriez suivie.

En janvier ou février 2019, en rentrant chez vous, une voiture de police vous aurait barrée la route, une femme en serait sortie et vous aurait frappée avant de vous menotter et de vous conduire dans un bâtiment de l’Ettela’at à …. Vous auriez été placée en cellule d’isolement et interrogée par deux hommes qui auraient voulu savoir avec qui vous auriez été en contact en Turquie lors de vos deux voyages, à qui vous auriez passé des informations et le nom de votre agent de liaison au sein des Moudjahidines. Vous leur auriez répondu que vous vous seriez trouvée en Turquie pour raisons personnelles et que vous n’auriez eu de contact avec personne tout en précisant auprès de l’agent chargé de votre entretien concernant vos motifs de fuite que vous n’auriez pas voulu informer auparavant les autorités iraniennes de vos déplacements en Turquie alors qu’il ne faudrait jamais les informer de telles choses, étant donné que cela serait perçu « comme une faiblesse » (p. 8 du rapport d’entretien) et qu’il faudrait du coup rester courageux.

On ne vous aurait toutefois pas cru et on vous aurait amenée au sous-sol où vous auriez d’abord été flagellée puis violée à plusieurs reprises en l’espace de quelques jours. Vous auriez en outre été blessée et auriez eu besoin d’un médecin mais cette demande vous aurait été refusée. Après deux mois, vous auriez été libérée moyennant le versement d’une caution sous forme d’un titre de propriété familial parce que l’Ettela’at aurait compris qu’elle n’aurait 3 aucune possibilité d’obtenir une quelconque information de votre part. Vous seriez par la suite devenue une étudiante « étoilée », à savoir une étudiante qui a commis une infraction, voire, vous auriez été exclue de l’université et vous ne seriez plus sortie de chez vous. Après avoir vécu quelques mois de cette façon, B vous aurait appelée pour vous informer que plusieurs cercles de révolte moudjahidine auraient été dénoncés à … en ajoutant que « s’ils arrivaient à moi, cette fois-ci je risquais d’être exécutée » (p. 6 du rapport d’entretien). Vous précisez par la suite que B vous aurait mise au courant de ces faits, dix jours après votre libération (p. 8 du rapport d’entretien). Vous auriez alors pris la décision de quitter l’Iran avec l’aide d’un passeur qui habiterait en Inde. Vous auriez par la suite gagné le bureau des passeports où vous auriez appris que vous seriez sous le coup d’une interdiction de sortie. En expliquant cela à votre passeur, ce dernier vous aurait donné un numéro de téléphone que vous devriez appeler et la personne à l’autre bout du fil vous aurait expliquée qu’il serait possible de « bloquer » cette interdiction de sortie pendant six heures moyennant vingt millions de tomans. Vous lui auriez alors donné cette somme et vous seriez immédiatement partie en bus à destination d’Istanbul en mars 2019, de manière officielle et « légale » (rapport du Service de Police Judiciaire).

Après être restée une dizaine de jours en Turquie, vous seriez montée à bord d’un avion pour le Bahreïn, puis d’un autre avion en direction de l’Inde. En Inde, on vous aurait remis un faux passeport espagnol avec lequel vous auriez d’abord dû voyager vers la Malaisie puis revenir en Inde, où vous seriez alors montée à bord d’un avion pour l’Allemagne, où vous auriez été « obligée » de donner vos empreintes. Vous précisez dans ce contexte que votre but aurait dès le départ été de venir au Luxembourg vue la présence de membres de votre famille.

A noter qu’il ressort de votre dossier administratif que vos empreintes ont été prises en Allemagne le 19 mai 2019 et que le 27 mai 2019, vous y avez exprimé votre souhait de rechercher une protection internationale. Après un mois passé en Allemagne dans trois foyers différents, vous seriez arrivée au Luxembourg le 16 juin 2019 à bord d’un train. Vous précisez avoir quitté l’Allemagne sans attendre la réponse des autorités à votre demande de protection internationale.

Vous ajoutez que votre mère, votre frère et votre sœur continueraient à vivre en Iran alors qu’« Ils sont en dehors de la politique. Ils vivent normalement » (p. 9 du rapport d’entretien).

En cas d’un retour en Iran, vous seriez immédiatement arrêtée à l’aéroport alors que votre nom se trouverait sur une liste de personne interdites de sortie du pays, puis condamnée à une peine de prison.

Vous ne présentez pas de pièce d’identité en précisant que votre passeport original vous aurait été confisqué par les autorités allemandes.

A l’appui de vos dires, vous avez versé un carnet de famille et deux rapports de l’Organisation Suisse d’Aide aux Réfugiés (OSAR): « Iran: retour des personnes en lien avec les Moudjahiddines du peuple (OMPI) » datant de juillet 2018 et « Iran: violences envers les femmes. Renseignement de l’analyse-pays de l’OSAR » datant de mai 2011.

2. Quant à la motivation du refus de votre demande de protection internationale Suivant l’article 2 point h de la Loi de 2015, le terme de protection internationale désigne d’une part le statut de réfugié et d’autre part le statut conféré par la protection subsidiaire.

4 Madame, je soulève avant tout autre développement en cause que la sincérité de vos propos et, par conséquent, la gravité de votre situation dans votre pays d’origine doivent être réfutées au vu de vos déclarations incohérentes, contradictoires et non plausibles, d’informations en mes mains, de votre comportement adopté en Europe et du fait que vous n’êtes pas en mesure de prouver vos allégations par la moindre pièce.

En effet, je constate en premier lieu que vous n’avez versé aucune pièce à l’appui de vos dires et que vous ne semblez à aucun moment lors de votre séjour en Europe et de votre recherche d’une protection internationale avoir eu le réflexe ou l’envie de vous procurer une quelconque preuve qui permettrait d’appuyer vos dires, respectivement, de vous faire envoyer ces documents. Or, on peut attendre d’un demandeur de protection internationale réellement persécuté respectivement à risque de subir des atteintes graves, qu’il mette au moins tout en œuvre pour prouver ses dires auprès des autorités desquelles il demande une protection, ce qui n’a manifestement pas été votre cas de sorte que l’ensemble de vos déclarations reste au stade de pures allégations.

Je conclus en tout cas que depuis votre arrivée en Europe, respectivement au Luxembourg, suite à un séjour en Turquie, au Bahreïn, en Malaisie et en Inde, vous êtes restée totalement inactive dans ce domaine, en ne jugeant à aucun moment opportun de corroborer la moindre partie de vos dires, grâce à des pièces qui seraient en mesure d’établir vos allégations notamment concernant votre identité, votre vie familiale, sociale, professionnelle, vos études ou votre prétendue exclusion de l’université, voire, votre supposée appartenance aux Moudjahidines ainsi que votre prétendu activisme au sein de ce « cercle de la révolte » tout comme les vidéos susmentionnées qui auraient pour le surplus été téléchargées et publiées, la prétendue dénonciation et arrestation de membres de cercles de révolte moudjahidines à …, la prétendue politisation de votre famille depuis des décennies, vos arrestations, vos interrogatoires, les blessures ainsi que « tortures » subies ou votre libération sous caution liée à une propriété familiale qui aurait été mise en gage.

Je souligne qu’à ce jour toute votre famille proche réside encore en Iran de sorte qu’il vous aurait été parfaitement possible de vous faire envoyer ces preuves. En effet, il ressort de votre dossier administratif que votre mère, votre frère et votre sœur vivraient toujours à … et cela, comme vous le précisez, sans être inquiétés par les autorités. Je constate en tout cas que vous n’avez à aucun moment entrepris des démarches pour appuyer votre demande de protection internationale avec une quelconque preuve, hormis les deux rapports généraux concernant l’Iran, versés par votre mandataire, et qui ne sont pas liés à vos motifs de fuite;

d’autant plus que vous ne vous plaignez nullement du statut de la femme en Iran et que les rapports ont été versés sans remarque ou commentaires et sans référence à une quelconque partie précise.

Je note ensuite qu’on est en droit d’attendre d’un demandeur de protection internationale réellement persécuté ou à risque d’être persécuté et en défaut de toute pièce et de toute preuve à l’appui de ses dires, qu’il présente du moins un récit crédible et cohérent. Or, tel n’est pas le cas en l’espèce, alors que vos dires présentent justement de nombreuses contradictions ou incohérences qui ne font que confirmer le constat selon lequel vous ne jouez pas franc-jeu avec les autorités desquelles vous souhaitez vous faire octroyer une protection internationale.

5 Je soulève tout d’abord que vous restez non seulement en défaut total de prouver votre prétendue adhésion aux Moudjahidines, mais que vos explications à ce sujet ne font également pas de sens. Ainsi, vous justifiez tout d’abord votre « haine » du régime et des mollahs ainsi que votre adhésion aux Moudjahidines par votre enfance qui se serait déroulée dans un contexte très politisé à la maison, où vous auriez uniquement entendu des discussions politiques depuis votre plus jeune âge. Vous rappelez aussi les nombreuses visites que vous auriez faites à des membres de famille en prison en tant qu’enfant accompagnée de votre mère ou l’exécution d’un oncle et d’une tante dans les années 1980, qui aurait beaucoup affecté votre famille proche. Or, interrogée par la suite quant au maintien de toute votre famille proche en Iran, vous justifiez cela par le simple fait qu’« Ils sont en dehors de la politique. Ils vivent normalement » (p. 9 du rapport d’entretien).

Il est évident que ces deux versions sont totalement contradictoires et qui si vous aviez vraiment vécu l’enfance mentionnée, alors il ne fait pas de sens que contrairement à vous, toute votre famille proche serait « en dehors de la politique ». Il s’agit là d’une tentative d’excuse manifestement pas convaincante censée justifier le maintien de votre famille proche en Iran et leur vie toute à fait normale qu’elle y mènerait, contrairement à votre supposé besoin de protection.

Concernant d’ailleurs l’éducation moudjahidine que vous auriez reçue par le dénommé B, je note que vous précisez d’abord que celle-ci aurait débuté après que vous auriez été « prise sous ses ailes » suite à la mort de votre père en …, de sorte que vous insinuez donc clairement qu’elle aurait débuté pendant votre adolescence. Vous précisez toutefois par la suite que B vous aurait certainement donné cette formation moudjahidine après l’époque du lycée, lorsque vous auriez été dans votre vingtaine. A cela s’ajoute que vous précisez encore que B se serait trouvé en prison jusqu’à la fin de vos études au lycée, de sorte qu’il est tout simplement impossible qu’il vous ait prise « sous ses ailes » suite à la mort de votre père en ….

Il est d’autant plus établi que vous n’avez nullement vécu les incidents mentionnés alors que vous vous contredisez de nouveau de manière flagrante quant à votre supposée « fuite » d’Iran. Ainsi, vous prétendez d’abord que vous auriez dû fuir l’Iran trois à quatre mois après votre prétendue libération par l’Ettela’at, lorsque B vous aurait appelée pour vous avertir que des cercles de révolte auraient été dénoncés à …. Vous précisez encore que vous auriez pendant ces quelques mois suivi des études universitaires et que vous auriez alors été fichée en tant qu’« étudiante étoilée ». Or, vers la fin de votre entretien vous changez totalement de version en expliquant que B vous aurait appelée seulement une dizaine de jours après votre prétendue libération et que vous auriez alors immédiatement quitté le pays.

Si des incohérences chronologiques légères peuvent évidemment s’expliquer, tel n’est pas le cas pour une si grande différence dans le temps, d’autant plus que vous omettez donc complètement vos prétendues études universitaires dans le cadre de cette deuxième version.

De même, je constate que vous prétendez d’un côté que suite à votre libération par l’Ettela’at, vous ne seriez plus sortie de chez vous, mais de l’autre côté, que vous auriez suivi des cours à l’université. Concernant ces études, vous précisez donc aussi d’un côté avoir été fichée comme « étudiante étoilée » à l’université, mais de l’autre côté, en avoir été exclue.

Ensuite, concernant la période vécue suite à votre prétendue libération par l’Ettela’at, vous précisez d’une part vous être tenue « tranquille » et ne plus être sortie de chez vous, par peur des autorités que vous n’auriez pas informées de vos voyages en Turquie, mais de l’autre 6 côté avoir uniquement « diminué » votre activisme au sein du cercle de révolte moudjahidine, de sorte que vous auriez donc encore entrepris des actions sans pourtant donner plus détails à cet égard à l’agent chargé de votre entretien concernant vos motifs de fuite.

Au vu de tout ce qui précède, je retiens en tout cas qu’il est réfuté que vous ayez vécu en Iran les problèmes mentionnés, respectivement, que vous ayez fait partie d’un cercle moudjahidin clandestin. Ce constat vaut d’autant plus que si vous aviez vraiment fait partie d’un tel cercle moudjahidin dénoncé et arrêté, vous n’auriez certainement pas tout simplement été relâchée après deux semaines parce que les autorités iraniennes, tout en étant au courant de votre adhésion aux Moudjahidines, auraient compris que vous ne dévoileriez pas le nom de votre agent de liaison au sein des Moudjahidines et au motif qu’il se serait agi de la « première fois ».

En effet, les Moudjahidines constituent « l’ennemi public numéro 1 » aux yeux du régime iranien qui combat ce groupe activement et farouchement depuis le début des année 1980, qui a même redoublé d’efforts au cours de ces dernières années, et arrête et condamne ses membres à de longues peines de prison, voire, les exécute, tel que cela ressort notamment du rapport que votre mandataire a versé.

Il est dès lors exclu et totalement inimaginable que vous ayez été dénoncée, dévoilée et arrêtée en flagrant délit par la police iranienne comme étant membre d’une cellule clandestine moudjahidine, mais que vous ayez été relâchée pour ne pas avoir donné des informations quant à votre cellule et parce qu’il se serait agi de la « première fois ». Il est évidemment pareillement tout à fait invraisemblable que vous ayez été libérée une deuxième fois, cette fois par l’Ettela’at, de nouveau parce que les agents auraient compris que vous ne dévoileriez pas le nom de votre agent de liaison, sans même que vous n’ayez dû faire face à une quelconque accusation.

Je soulève qu’il est pareillement inimaginable qu’un prétendu membre des Moudjahidines et d’un « cercle de la révolte », dénoncé, arrêté et torturé en Iran, ne décide pas de s’enfuir de son pays une fois relâché et continue d’y poursuivre ses études universitaires, mais décide ensuite tout de même de s’enfuir en toute hâte, après avoir été informé que d’autres « cercles de la révolte », dont il ne ferait pourtant pas partie, auraient été dévoilés.

Dans ce même contexte, je soulève qu’il ne fait aucun sens non plus lorsque vous précisez que votre « cercle de la révolte » aurait été dénoncé et dévoilé en juin 2018, mais que vous auriez décidé de fuir le pays en mars 2019, parce que vous auriez eu peur « qu’ils arrivent à moi » après que des cercles de la révolte dont vous ne feriez pas partie auraient eux aussi été dévoilés ou dénoncés début 2019.

Je note encore à ce sujet que les recherches ministérielles n’ont pas non plus permis de donner plus de crédibilité à vos dires alors qu’elles n’ont pas permis d’établir une quelconque vague d’arrestations de Moudjahidines à … ou en Iran en 2019, voire de cellules moudjahidines clandestines dénoncées ou dévoilées à … ou en Iran au cours de ces dernières années. Les recherches ont toutefois permis de conclure que les Moudjahidines ne sont plus d’une grande importance et n’ont plus aucune influence en Iran, qu’ils ont dû fuir le pays au début des année 1980 et qu’ils sont pour le surplus également rejetés par la population iranienne et perçus comme des traîtres du peuple iranien pour avoir participé à la guerre Iran-Irak du côté de Saddam HUSSEIN.

7 Je conclus au vu de tout ce qui précède, que votre prétendue appartenance aux Moudjahidines ou à un cercle de la révolte moudjahidin dévoilé en Iran est réfutée et il s’ensuit qu’aucune crédibilité ne saurait être accordée par rapport aux problèmes qui l’auraient suivie.

Ce constat vaut d’autant plus au vu du comportement que vous avez adopté dans le cadre de vos multiples départs du pays. En effet, je constate tout d’abord que vous faites état de deux retours volontaires en Iran après avoir été prétendument dévoilée et arrêtée comme Moudjahidine et avoir gagné officiellement la Turquie. Je soulève dans ce contexte qu’on doit évidemment pouvoir attendre d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée, qu’elle ne retourne pas à deux reprises dans son pays d’origine et même dans sa ville d’origine après s’être trouvée dans un pays sûr, la Turquie, terre d’accueil pour de nombreux Iraniens, d’autant plus que les Moudjahidines craignent de lourdes peines, voire, l’exécution en Iran.

Je note ensuite qu’il n’est pas non plus plausible qu’une personne qui craindrait comme vous que les autorités « arrivent à moi » après avoir été dévoilée comme membre d’un cercle clandestin moudjahidin, décide justement de s’adresser auxdites autorités, à savoir le bureau des passeports, dans le cadre de sa « fuite » pour s’informer si une éventuelle interdiction de voyage existerait à son encontre. Hormis la contradiction flagrante qui existe entre craindre les autorités et volontairement se rendre auprès de celles-ci, je soulève aussi qu’une telle démarche est dénuée de tout sens dans le cadre d’une fuite alors que vous auriez justement mis les autorités au courant de votre désir de quitter le pays.

Dans ce même contexte, je note encore que vous précisez tout au long de votre entretien avoir entrepris des voyages officiels et légaux en Turquie, ainsi que des retours supposément officiels en Iran qui se seraient déroulés sans problème, et ce même avant d’avoir prétendument payé un pot-de-vin à une personne en charge des interdictions de sortie du pays, de sorte que vos explications par rapport à l’existence d’une telle interdiction de sortie dans votre chef sont donc également à rejeter.

Ce constat vaut d’autant plus qu’il peut d’ailleurs être exclu que vous ayez réussi en quelque sorte à contourner cette interdiction en payant à peu près la somme de 400 euros à une personne que vous auriez eue au téléphone. En effet, sur base des informations en mes mains « Whether or not a travel ban is imposed depends on the individual case. A travel ban can be imposed in court cases related to national security or in political cases. However, in serious criminel cases, where the judgement is ruled in absentia, a travel ban will be issued automatically. According to the same DIS report, it is virtually impossible to exit the country legally when a travel ban has been issued. Sources consulted by DIS state that border security is very strict and the borders are controlled by the army. Moreover, exiting the country illegally -using bribes -is virtually impossible as this would be very expensive and complex due to the many checks ».

L’histoire du paiement du pot-de-vin à cette personne inconnue est d’autant moins crédible alors qu’il ne fait aucun sens qu’après avoir engagé un passeur pour vous faire quitter du pays, celui-ci ait tout de même estimé que vous devriez vous-même téléphoner et parler à un supposé fonctionnaire corrompu et lui payer la somme désirée. Il s’agirait là en toute logique du « travail » à faire par le passeur et non pas par la personne ayant eu recours aux services d’un passeur. A cela s’ajoute que je m’interroge sur les circonstances de ce prétendu versement d’un pot-de-vin, alors que vous expliquez uniquement à ce sujet avoir « donné » 8 l’argent à la personne se trouvant à l’autre bout du fil, tout en ne soufflant mot sur les circonstances du déroulement du paiement de cette somme, notamment où et comment vous auriez rencontré cette personne dans le cadre de votre « fuite » entreprise le même jour.

Enfin, je constate également que le comportement que vous avez adopté depuis votre supposé troisième et dernier départ d’Iran endéans peu de temps n’est pas non plus compatible avec celui d’une personne réellement persécutée ou à risque d’être persécutée et qui serait réellement à la recherche d’une protection.

En effet, je m’interroge en premier lieu quant aux raisons vous ayant poussée à vouloir à tout prix quitter votre pays de manière officielle et légale avec votre passeport iranien et ne pas tout simplement avoir opté pour une fuite « ordinaire » vers la Turquie si vous aviez réellement éprouvé une telle crainte d’être dans le collimateur des autorités iraniennes.

Je soulève en deuxième lieu, et hormis le fait d’avoir quitté la Turquie sans raison apparente et contrairement à une multitude d’Iraniens qui y ont trouvé refuge tel que susmentionné, pour entreprendre un voyage à travers plusieurs pays d’Asie, que vos empreintes ont été prises en Allemagne le 19 mai 2019, pays où vous auriez été « obligée » de demander l’asile après avoir été interpellée par les autorités. En effet, vous prétendez que vous auriez été obligée d’y introduire une demande de protection internationale, alors qu’il ressort du rapport du Service de Police Judiciaire que vous n’y avez exprimé votre désir de rechercher une protection internationale qu’en date du 27 mai 2019, c’est-à-dire une semaine après avoir été une première fois en contact avec les autorités allemandes. Vous avez ensuite encore vécu pendant un mois en Allemagne et dans trois foyers différents avant de vous décider à quitter ce pays et de venir introduire une nouvelle demande de protection internationale au Luxembourg. Or, on est en droit d’attendre d’une personne réellement persécutée et vraiment dans le besoin d’une protection qu’elle introduise une demande de protection internationale dans le premier pays sûr rencontré et dans les plus brefs délais, et surtout, qu’elle ne quitte pas ce pays sans attendre la réponse des autorités à sa demande de protection internationale.

Au vu de tout ce qui précède il convient de conclure qu’une protection internationale ne vous est pas accordée alors que votre récit laisse d’être crédible dans son ensemble.

 Quant au refus du statut de réfugié Les conditions d’octroi du statut de réfugié sont définies par la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après dénommée « la Convention de Genève ») et par la Loi de 2015.

Aux termes de l’article 2 point f de la Loi de 2015, qui reprend l’article 1A paragraphe 2 de la Convention de Genève, pourra être qualifié de réfugié : « tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner et qui n’entre pas dans le champ d’application de l’article 45 ».

9 L’octroi du statut de réfugié est soumis à la triple condition que les actes invoqués soient motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 point f de la Loi de 2015, que ces actes soient d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 paragraphe 1 de la prédite loi, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes de l’article 39 de la loi susmentionnée.

Madame, au vu de tout ce qui précède, la crédibilité de vos dires est donc formellement réfutée et j’en déduis que des motifs économiques ou de convenance personnelle sous-tendent votre demande de protection internationale, demande que vous étoffez avec des éléments plus « dramatiques » censés augmenter vos chances de vous faire octroyer le statut de réfugié.

Ce constat vaut d’autant plus au vu de votre comportement adopté en Europe, qui n’est donc manifestement pas celui d’une personne réellement en danger et à la recherche d’une protection. En effet, alors qu’on peut attendre d’une personne réellement persécutée ou à risque de subir des atteintes graves, qu’elle introduise sa demande de protection internationale dans le premier pays sûr, vous avez préféré quitter la Turquie et par la suite l’Allemagne sans apparemment jamais songer à vous installer de manière définitive dans un de ces pays visités ou à y bénéficier d’une protection quelconque.

Ce n’est qu’après votre arrivée au Luxembourg, un pays qui pourrait vous garantir un style de vie plus élevé, respectivement qui propose des avantages sociaux ou des prestations sociales plus intéressantes, en apparence, par rapport aux autres pays visités, que vous avez choisi de vous installer dans ce pays pour y rechercher une protection internationale. Or, un tel comportement ne correspond pas à celui d’une personne qui aurait été forcée à quitter son pays à la recherche d’une protection internationale et qui aurait forcément été reconnaissante de pouvoir profiter de la protection des pays visités, mais votre façon de procéder correspond à pratiquer du forum shopping en soumettant votre demande dans l’Etat membre qui, selon vos estimations, satisfera au mieux vos attentes.

Des motifs économiques ou de convenance personnelle ne sauraient toutefois pas justifier l’octroi du statut de réfugié alors qu’ils ne sont nullement liés aux cinq critères prévus par la Convention de Genève et la Loi de 2015, à savoir votre race, votre nationalité, votre religion, vos opinions politiques ou votre appartenance à un certain groupe social.

Quant à vos prétendues craintes d’être arrêtée en cas d’un retour en Iran alors que vous n’auriez pas eu le droit de quitter le pays, je note, qu’hormis le manque de crédibilité général retenu, que celles-ci doivent être perçues comme étant non fondées alors que: « There is no law in Iranian legislation that makes applying for asylum abroad a punishable offence. An illegal exit is punishable on the basis of Section 34 of Iranian criminal law. Leaving the country without a valid or personal passport can be punished with a fine, a prison sentence of two to six months or both, depending on the circumstances. In actual practice, people are only given a fine for an illegal exit, as is evident from research by the Danish Immigration Service (DIS).

If a person has left Iran illegally but was not wanted by the authorities, only a fine will be issued. If a person was wanted by the authorities, they will only be punished for the crime committed, but not for illegally leaving the country ».

J’ajoute à toutes fins utiles que les problèmes, les peines de prison ou de mort qu’auraient connus des oncles ou des tantes en Iran dans les années 1980, à cause de leur adhésion ou de leur soutien aux Moudjahidines, à les supposer avérés, sont définitivement trop éloignés dans le temps pour fonder une demande de protection internationale plus de trois décennies plus 10 tard. Ces problèmes ne vous auraient d’ailleurs pas directement touchée alors que vous confirmez avoir pu vivre et travailler « paisiblement sans incidents notables » en Iran pendant toutes ces années, jusqu’à vos supposés problèmes personnels rencontrés à cause du prétendu dévoilement de votre cellule moudjahidine en 2018. J’ajoute au vu de la libération de prison des membres de votre famille que ceux-ci ont d’ailleurs selon toute apparence abjuré leur soutien aux Moudjahidines: « Iranian authorities imprisoned and/or killed large numbers of those who remained: In 1988, Ayatollah Khomeini issued a fatwa (religious instruction) that mentioned apostasy as a legitimate reason to execute MeK members, leading to the execution of at least 3000MEK prisoners (a conservative estimate). Most MEK prisoners who escaped execution have reportedly renounced their membership in exchange for easier conditions of detention, or have subsequently been released from prison ».

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous auriez été persécuté, que vous auriez pu craindre d’être persécuté respectivement que vous risquez d’être persécuté en cas de retour dans votre pays d’origine, de sorte que le statut de réfugié ne vous est pas accordé.

 Quant au refus du statut conféré par la protection subsidiaire Aux termes de l’article 2 point g de la Loi de 2015 « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes 1 et 2, n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays » pourra obtenir le statut conféré par la protection subsidiaire.

L’octroi de la protection subsidiaire est soumis à la double condition que les actes invoqués soient qualifiés d’atteintes graves au sens de l’article 48 de la Loi de 2015 et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens de l’article 39 de cette même loi. L’article 48 définit en tant qu’atteinte grave « la peine de mort ou l’exécution », « la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine » et « des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Madame, au vu du manque de crédibilité général retenu et des motifs économiques et de convenance personnelle qui sous-tendent votre demande de protection internationale, il ne saurait conséquemment pas être établi que vous risqueriez être victime d’une telle atteinte grave en cas d’un retour en Iran.

Eu égard à tout ce qui précède, il échet de relever que vous n’apportez aucun élément pertinent de nature à établir qu’il existerait de sérieuses raisons de croire que vous encouriez, en cas de retour dans votre pays d’origine, un risque réel et avéré de subir des atteintes graves au sens de l’article 48 précité, de sorte que le statut conféré par la protection subsidiaire ne vous est pas accordé.

Votre demande de protection internationale est dès lors refusée comme non fondée au sens des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire.

Votre séjour étant illégal, vous êtes dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera devenue définitive, à destination de l’Iran, ou de tout autre pays dans lequel vous êtes autorisée à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 14 mai 2021, Madame A a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision, précitée, du ministre du 13 avril 2021 refusant de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de refus d’une demande de protection internationale, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministre du 13 avril 2021, telle que déférée. Ledit recours ayant encore été introduit dans les formes et délai de la loi, il est à déclarer recevable.

Il y a lieu de relever à cet égard que la demanderesse n’a pas introduit de recours contre l’ordre de quitter le territoire lui opposé par la décision déférée, précitée, tant le corps que le dispositif de la requête introductive d’instance étant muets quant à l’ordre de quitter le territoire, et ce alors qu’aux termes de l’article 34, paragraphe (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre [refusant l’octroi d’une protection internationale] vaut décision de retour. (…) » et qu’en vertu de l’article 2, point q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire », impliquant que l’ordre de quitter le territoire est la conséquence automatique du refus de protection internationale.

Partant, le tribunal n’est pas saisi du volet de la décision ministérielle ordonnant à la demanderesse de quitter le territoire luxembourgeois.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse rappelle être de nationalité iranienne, de confession religieuse musulmane, et appartenir à l’ethnie Azari. Elle aurait vécu à … avec sa mère, son frère et sa sœur et serait issue d’une famille politisée, dont les membres auraient été des sympathisants et activistes des Moudjahidines du Peuple Iranien (MPI), qui serait le principal mouvement d’opposition durement réprimé par les autorités iraniennes. Après avoir repris, de manière chronologique, certaines de ses déclarations auprès de la direction de l’Immigration, elle souligne que le fait d’être devenue sympathisante des Moudjahidines et les conséquences qui en ont découlées auraient entraîné sa fuite de son pays d’origine.

En droit, la demanderesse reproche au ministre une instruction insuffisante de son dossier et fait valoir que la décision ministérielle sous analyse devrait être réformée pour violation de la loi et plus particulièrement des articles 26 et 34 de la loi du 18 décembre 2015, ainsi que de l’article 1er, section A, paragraphe 2 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés, approuvée par une loi du 20 mai 1953, ci-après désignée par « la Convention de Genève », respectivement pour erreur manifeste d’appréciation des faits.

Elle reproche, dans ce cadre, au ministre d’avoir remis en cause l’intégralité de son récit.

Ainsi, en ce qui concerne tout d’abord la critique du ministre à son égard pour ne pas avoir versé de pièce à l’appui de ses dires, elle remet une ordonnance médicale du Docteur … du 6 août 2019, un certificat médical du Docteur … du 5 mai 2021 et un certificat médical relatif à l’hospitalisation prévue le 11 juin 2021, pour affirmer qu’elle aurait souffert d’une fissure anale suite aux viols qu’elle aurait subis en Iran et qu’une opération aurait été prévue pour la soigner.

Elle verse encore (i) cinq photographies qui démontreraient son engagement auprès du Mouvement des Moudjahidines, (ii) une décision ministérielle d’octroi du statut de réfugié politique dans le chef de Monsieur B du 10 mai 2019, qui serait son oncle, (iii) une attestation de ce dernier du même jour, dans laquelle il aurait attesté qu’elle aurait été une de ses personnes de contact dans le cercle de révolte du Mouvement des Moudjahidines, et qu’il aurait été informé de ses deux détentions, et (iv) un rapport d’Amnesty International du 4 décembre 2018, intitulé « Blood-soaked secrets why Iran’s 1988 prison massacres are ongoing crimes against humanity » qui relaterait le vécu de Monsieur B.

A ce propos, elle fait valoir que les arguments ministériels réfutant ses activités politiques en Iran ne seraient pas fondés, dans la mesure où, depuis son arrivée au Grand-Duché de Luxembourg, elle aurait continué de soutenir et de participer à l’activité du mouvement des Moudjahidines devant l’ambassade d’Iran à Bruxelles.

La demanderesse prend ensuite position sur les différentes incohérences et contradictions soulevées par le ministre s’agissant de la crédibilité de son récit.

Concernant le fait que sa famille, notamment sa mère, son frère et sa sœur soient restés en Iran, elle explique que ces derniers auraient voulu, en raison de la répression que leur famille aurait subie depuis de nombreuses années, rester loin des activités politiques, en vivant de la manière la plus invisible possible.

Concernant la chronologie des faits de son récit, la demanderesse fait valoir que son oncle, Monsieur B, aurait été libéré de prison au mois de février-mars … (fin de l’année … du calendrier persan) et que son père serait décédé en … (… du calendrier persan), de sorte que les deux dates correspondraient approximativement. En outre, elle aurait indiqué être entrée dans un cercle de révolte en 1395 du calendrier perse, ce qui correspondrait aux années 2016-

2017. Elle ajoute que l’âge auquel elle aurait commencé à suivre assidûment les enseignements de Monsieur B se situerait à cette même période, alors qu’en 1372, elle n’aurait été âgée que d’une quinzaine d’années. Elle précise également qu’elle aurait été libérée le 24 Bahman 1379 et non pas le 24 Aban et que son oncle l’aurait avertie dans la période entre le 24 Bahman 1379 et sa fuite d’Iran. Ainsi, le ministre aurait, à tort, remis en cause la crédibilité de son récit, alors qu’il serait, dans l’ensemble, précis, crédible et cohérent.

Quant aux contestations du ministre visant son statut d’étudiante, la demanderesse souligne qu’elle aurait été qualifiée « d’étudiante étoilée » suite à sa deuxième arrestation, qui se serait déroulée du 12 décembre 2018 jusqu’au 13 février 2019 (21 Azar au 24 Bahman 1397 du calendrier persan) et qu’elle aurait, par la suite, été exclue de l’université, de sorte qu’il n’y aurait aucune contradiction dans ses propos.

Quant au manque de détail des actions réalisées pour le mouvement des Moudjahidines, elle indique que tant l’autorité ministérielle que son litismandataire auraient été informés du dossier de son oncle, Monsieur B, et que de ce fait, ni le litismandataire ni l’agent chargé del’entretien n’auraient estimé nécessaire qu’elle fournisse plus de détails à ce sujet. Elle donne à considérer, à cet égard, que si ce point était essentiel pour le ministre, il lui aurait appartenu d’organiser un entretien complémentaire afin de recueillir ses déclarations.

Concernant son appartenance au cercle clandestin des Moudjahidines et le fait qu’il serait invraisemblable qu’elle ait été libérée à deux reprises par les autorités iraniennes, la demanderesse précise qu’elle n’aurait dévoilé aucune information susceptible d’être utilisée par les autorités iraniennes durant sa première arrestation, et qu’en conséquence, elle aurait été libérée avec l’obligation de prévenir lesdites autorités de tous ses déplacements. Lors de la deuxième arrestation, elle aurait été libérée après avoir fourni une caution, à savoir une propriété appartenant à son frère. Elle ajoute, en renvoyant au rapport de l’Organisation suisse d’aide aux réfugiés (OSAR) du 20 juillet 2018, intitulé « Iran : retour des personnes en lien avec les Moudjahiddines du peuple (OMPI) », qui aurait été invoqué par l’autorité ministérielle, que « les arrestations ne seraient pas systématiques ».

En ce qui concerne les reproches ministériels relatifs au fait (i) qu’elle ne se soit pas enfuie d’Iran juste après sa première arrestation, (ii) qu’elle se soit rendue au bureau des passeports pour y apprendre qu’elle aurait une interdiction de sortie, et (iii) qu’elle ait quitté son pays d’origine légalement tout en ayant été aidée par un passeur, elle soutient que ces points auraient dû être examinés lors de son entretien ou qu’ils auraient dû faire l’objet d’un entretien complémentaire afin d’entendre ses explications.

Concernant la suggestion du ministre selon laquelle elle aurait pu déposer une demande de protection internationale en Turquie, elle indique que ce pays ne serait pas sûr pour les ressortissants iraniens, en renvoyant à un article publié sur le site internet « www.tdg.ch » le 25 novembre 2019, intitulé « Un dissident iranien abattu dans une rue d’Istanbul ».

Concernant la critique émise à son égard de ne pas être restée en Allemagne pour y voir examiner sa demande de protection internationale, elle estime que ce débat n’aurait plus lieu d’être, en raison de l’acceptation par le ministre d’examiner sa demande de protection internationale.

Elle en conclut que l’ensemble des arguments ministériels ayant trait au manque de crédibilité, de cohérence et de précision de son récit serait à rejeter pour ne pas être fondé.

Ensuite, elle prend plus amplement position sur les raisons pour lesquelles elle devrait se voir octroyer le statut de réfugié, sinon une protection subsidiaire et en conclut que la décision ministérielle déférée serait à réformer en ce sens.

Le délégué du gouvernement quant à lui, après avoir rappelé les faits et rétroactes à la base de la décision ministérielle, réitère les doutes du ministre quant à la crédibilité du récit de la demanderesse, tels qu’invoqués dans la décision sous analyse. Il fait valoir que cette dernière n’aurait versé aucune preuve permettant de corroborer ses dires. Après avoir concédé qu’elle a versé des pièces à l’appui de sa requête introductive d’instance, il soutient que les documents médicaux, tous trois émis au Luxembourg, ne pourraient confirmer que sa blessure lui aurait été infligée en Iran. Par ailleurs, les photos versées ne permettraient pas de prouver son engagement, dans la mesure où elle y serait difficilement reconnaissable et que celles-ci sembleraient avoir été prises en Belgique, et non pas dans son pays d’origine. Quant aux pièces concernant son oncle, celles-ci ne permettraient pas de confirmer le vécu de la demanderesse,d’autant plus que l’attestation de Monsieur B ne serait pas établie en bonne et due forme et ne serait pas traduite.

Le délégué du gouvernement soutient encore qu’il serait totalement contradictoire que sa famille proche soit restée en Iran et resterait en dehors de la politique, alors que la demanderesse aurait affirmé que sa famille aurait été beaucoup affectée dans les années 1980 par les exécutions de proches parents en raison de leurs opinions politiques et qu’elle aurait grandi dans la haine du régime iranien.

Concernant l’éducation moudjahidine que la demanderesse aurait reçue par son oncle, il soutient que la demanderesse se contredirait sur la période lors de laquelle cette éducation aurait débuté, en réitérant principalement les développements de la décision ministérielle à ce sujet. Il réfute, une nouvelle fois, les explications de la demanderesse sur la chronologie de son récit, notamment en ce qui concerne le moment où elle aurait suivi des cours à l’université, celui où elle aurait été désignée comme « étudiante étoilée » à l’université, le moment de son exclusion, et le moment où son oncle l’aurait avertie.

Ensuite, en ce qui concerne le fait qu’elle aurait « diminué » son activisme au sein du cercle de révolte moudjahidine sans donner plus de détails à cet égard à l’agent chargé de son entretien, le délégué du gouvernement relève que le fait que son oncle ait obtenu le statut de réfugié ne permettrait aucunement de conclure à l’octroi, par parallélisme, au statut de réfugié dans le chef de la demanderesse et qu’elle ne serait pas dispensée, en raison du statut obtenu par son oncle, d’exposer en détail les motifs de sa fuite.

Il ajoute que le ministre aurait eu raison de conclure qu’elle n’aurait pas fait partie d’un cercle moudjahidine clandestin, tout en donnant à considérer que si tel avait été le cas, les autorités iraniennes, après avoir eu connaissance de son adhésion aux Moudjahidines, n’auraient pas été indulgentes avec elle à deux reprises. Il souligne qu’il serait ainsi exclu et inimaginable que la demanderesse ait été dénoncée, dévoilée et arrêtée en flagrant délit par la police iranienne comme étant membre d’une cellule clandestine moudjahidine, mais qu’elle ait été relâchée pour ne pas avoir donné des informations quant à sa cellule. Il serait pareillement invraisemblable qu’elle n’ait pas décidé de fuir l’Iran après la première libération et qu’elle ait été libérée une deuxième fois pour les mêmes raisons.

Il poursuit en réitérant les reproches contenus dans la décision ministérielle pour faire valoir :

- (i) le manque de cohérence des déclarations de la demanderesse selon lesquelles le cercle clandestin dans lequel elle aurait œuvré aurait été dénoncé et dévoilé en juin 2018 mais qu’elle n’aurait décidé de fuir qu’en mars 2019, lorsque d’autres cercles dont elle n’aurait pas fait partie auraient été dénoncés, - (ii) que les recherches étatiques n’auraient pas non plus permis de donner plus de crédibilité aux déclarations de la demanderesse, alors qu’elles n’auraient pas permis d’établir une quelconque vague d’arrestations de Moudjahidines à … ou en Iran en 2019, - (iii) que les Moudjahidines n’auraient, de toute façon, plus d’influence en Iran, qu’ils seraient rejetés par la population iranienne et considérés comme des traîtres pour avoir participé à la guerre Iran-Irak du côté de Saddam HUSSEIN, - (iv) que le fait d’être retournée, suite à une première arrestation et libération par les autorités iraniennes, dans son pays d’origine après avoir été en Turquie à deux reprises n’aurait pas de sens, - (v) qu’il ne serait pas non plus crédible qu’elle se soit adressée aux autorités iraniennes, et plus particulièrement au bureau des passeports, pour s’informer de l’existence d’une éventuelle interdiction de voyage à son encontre, - (vi) qu’elle aurait pu quitter l’Iran officiellement et légalement vers la Turquie à plusieurs reprises, de sorte qu’aucune interdiction de sortie de son pays d’origine n’existerait en tout état de cause, - (vii) qu’il serait impossible qu’elle ait pu, pour la somme d’environ 400 euros, soudoyer un fonctionnaire iranien pour quitter légalement l’Iran, - (viii) qu’en s’étant adjoint les services d’un passeur, il serait logique que ce dernier s’adresse directement audit fonctionnaire et qu’elle n’aurait pas fourni d’explications sur le déroulement du paiement de cette somme ni sur celui de sa rencontre avec ledit fonctionnaire, et, - (ix) qu’il y aurait lieu de s’interroger sur les raisons ayant poussé la demanderesse à vouloir quitter son pays d’origine de manière officielle et légale avec son passeport iranien, et de ne pas avoir opté pour une fuite « ordinaire » vers la Turquie si elle avait réellement éprouvé la crainte d’être dans le collimateur des autorités iraniennes.

Dans ce contexte, le délégué du gouvernement avance que le fait pour la demanderesse de ne pas prendre position à cet égard dans sa requête introductive d’instance et de se retrancher derrière la circonstance qu’elle aurait dû être convoquée à un entretien complémentaire pour être entendue sur ces éléments confirmeraient l’absence de crédibilité de son récit.

Il s’empare encore du récit de la demanderesse quant à son départ de Turquie pour se rendre en Allemagne et du comportement de cette dernière qui aurait consisté à ne réclamer volontairement aucune protection dans ces deux pays pour relever qu’il serait légitime d’attendre d’une personne réellement persécutée ou qui a subi des atteintes graves ou à risque d’être persécutée ou de subir des atteintes graves et vraiment dans le besoin d’une protection qu’elle introduise une demande de protection internationale dans le premier pays sûr rencontré et dans les plus brefs délais, et qu’elle ne quitte pas ce pays sans attendre la réponse des autorités par rapport à sa demande de protection internationale, tout en notant qu’un seul article relatant le meurtre d’un Iranien en Turquie ne permettrait pas de conclure qu’il aurait été impossible pour la demanderesse de rester dans ce pays.

Finalement, il conclut principalement que l’absence de crédibilité du récit de la demanderesse entraînerait le refus d’une protection internationale dans son chef, et subsidiairement que cette dernière ne remplirait pas les conditions pour se voir octroyer le statut de réfugié ou une protection subsidiaire.

A titre liminaire, il y a lieu de rejeter la demande de Madame A, telle que formulée dans le dispositif de son recours, quant à la communication intégrale du dossier administratif, dans la mesure où ledit dossier a été déposé au greffe du tribunal administratif, ensemble avec le mémoire en réponse du délégué du gouvernement, et que la demanderesse est restée en défaut de faire valoir un quelconque reproche quant au prétendu caractère incomplet dudit dossier.

Ensuite, de l’entendement du tribunal, la demanderesse a eu l’intention, à travers son argumentation selon laquelle l’agent ministériel aurait dû lui poser de plus amples questions lors de son audition ou qu’elle aurait dû être conviée à un entretien complémentaire en vue de répondre aux interrogations du ministre et dissiper les doutes sur son vécu, de remettre en cause la légalité externe de la décision litigieuse et de conclure à une violation de l’article 15 de laloi du 18 décembre 2015 concernant l’entretien sur le fond de la demande de protection internationale.

Cet article dispose que : « (1) Lors de l’entretien personnel sur le fond d’une demande de protection internationale, le ministre veille à ce que le demandeur ait la possibilité concrète de présenter les éléments nécessaires pour étayer sa demande de manière aussi complète que possible, conformément à l’article 37. Cela inclut la possibilité de fournir une explication concernant les éléments qui pourraient manquer et toute incohérence ou contradiction dans les déclarations du demandeur.

(2) Le ministre veille à ce que chaque entretien fasse l’objet d’un rapport détaillé et factuel contenant tous les éléments essentiels de la demande. A la fin de l’entretien, le demandeur a la possibilité de faire des commentaires ou d’apporter des précisions soit oralement soit par écrit concernant toute erreur de traduction ou tout malentendu dans le rapport. […] ».

Il ressort, tout d’abord, de la décision ministérielle litigieuse que le ministre remet en cause la crédibilité du récit de la demanderesse en invoquant l’absence de pièces versées à l’appui de ses dires, notamment concernant son identité, sa vie familiale, sociale ou professionnelle, ses études ou son exclusion de l’université, son appartenance aux Moudjahidines, son activisme, les vidéos qu’elle aurait mentionnées, la dénonciation et l’arrestation de membres de cercles de révolte moudjahidines à …, la politisation de sa famille depuis des décennies, ses arrestations, ses interrogatoires, les tortures ainsi que les blessures subies ou sa libération sous caution liée à une propriété familiale qui aurait été mise en gage.

Or, force est à cet égard de constater qu’il ne se dégage pas du rapport d’entretien sur la demande de protection internationale de Madame A du 19 novembre 2019, que la production de telles pièces lui ait été explicitement demandée par l’agent en charge de l’entretien. Il ressort, en effet, de la lecture dudit rapport d’entretien que ledit agent a posé la question suivante à la demanderesse : « Avez-vous des documents à l’appui de vos déclarations faites ? »1, à laquelle celle-ci a répondu par la négative, avant que l’agent ne lui demande « N’avez-vous rien concernant les gardes à vue ? », question à laquelle elle a répondu « Non, ils font ont sorte qu’il n’y ait pas de trace. »2, sans toutefois l’interroger plus amplement sur les pièces susmentionnées qui seraient nécessaires à l’appui de ses déclarations. Il en ressort également que l’avocat présent aux côtés de la demanderesse lors de son audition a demandé « Pouvez-

vous obtenir un document concernant ce gage, respectivement la caution payée ? », ce à quoi elle a répondu « Je n’ai vraiment aucune idée là-dessus. Je vais demander. »3. Ainsi, les seules pièces qui lui ont été demandées au stade de l’instruction de sa demande de protection internationale sont les preuves de ses gardes à vue et du gage sur la propriété familiale.

Dans ce contexte, il échet de noter que la demanderesse a déposé plusieurs pièces à l’appui de sa requête introductive d’instance, à savoir (i) une ordonnance du Docteur … datée du 6 août 2019, soit un peu plus d’un mois après son arrivée au Luxembourg, un certificat médical du Docteur … du 5 mai 2021 renseignant que « Die Patientin war bereits am 30.09.2019 wegen dieser Analfissur einmalig in meiner Konsultation. », et un certificat médical relatif à l’hospitalisation prévue le 11 juin 2021, (ii) des photos qui prouveraient son 1 Rapport d’entretien du 19 novembre 2019, page 9.

2 Ibid.

3 Ibid.engagement politique, et (iii) les documents concernant son oncle qui appuieraient son propre récit.

Si les photos semblent en effet avoir été prises en Belgique, ce qui ne prouve certes pas son engagement en Iran, il échet de relever que les documents médicaux démontrent, toutefois et a priori, la réalité des viols subis en Iran. De même, si l’attestation de Monsieur B n’est pas établie en bonne et due forme et qu’aucune traduction n’a été versée, il y a lieu de constater que son rapport d’audition confirme a priori la réalité d’une partie des déclarations de la demanderesse, notamment en ce qui concerne le passé politique de la tante maternelle de cette dernière, Madame C, et de celui d’autres membres de sa famille4, ainsi que l’existence d’une possibilité d’être libéré de prison en mettant en gage des propriétés immobilières5, étant en tout état de cause rappelé dans ce contexte qu’il ne peut être requis d’un demandeur de protection internationale qu’il apporte les preuves à l’appui de toutes ses déclarations, une telle exigence étant en effet difficilement voire impossible à satisfaire.

En ce qui concerne les incohérences dans la chronologie des faits présentés par la demanderesse, outre le fait qu’elle a apporté des explications à cet égard et que le tribunal ne décèle pas de divergences fondamentales dans son récit relaté devant l’agent en charge de son entretien, force est de constater que ce dernier n’a pas confronté la demanderesse à des confusions ou contradictions qui ressortiraient de ses déclarations et qu’aucun autre entretien n’a été organisé pour l’y confronter par la suite, mettant la demanderesse dans l’impossibilité de comprendre ce qui lui est reproché et de fournir des précisions et des informations complémentaires à ce sujet. Il en est de même en ce qui concerne la volonté de poursuivre ses études à l’université malgré une première arrestation et fuite vers la Turquie, ainsi que son exclusion de l’université, l’agent ayant omis de solliciter des explications supplémentaires à ce propos et n’ayant ainsi pas mis la demanderesse en mesure d’approfondir son récit lors de la phase précontentieuse.

Quant à la critique de la partie étatique selon laquelle Madame A aurait dû fournir de plus amples détails sur son activisme au sein du cercle de révolte moudjahidine, il échet de relever que l’agent ministériel lui a sommairement demandé « […] avant cette date, avez-vous participé à des actions des Moudjahidines ? »6 et « Qu’avez-vous fait d’autre à part rejoindre une des cercles de la révolte, avez-vous participé à d’autres activités ? »7, sans lui réclamer de détailler les actions qu’elle aurait accomplies pour le compte des Moudjahidines depuis son adhésion à leur idéologie ni même entre son engagement dans un cercle moudjahidine en 1395 du calendrier persan, soit 2016, et son départ d’Iran en 2019. Partant, il aurait appartenu à l’agent ministériel de l’interroger plus longuement sur son activisme, sinon au ministère d’organiser un entretien complémentaire afin de l’entendre sur ce point.

Quant au scepticisme de la partie étatique concernant le fait que sa famille proche soit restée en Iran et ne soit pas impliquée politiquement, l’indulgence des autorités iraniennes après sa première arrestation, l’existence d’une interdiction de sortie à l’égard de la demanderesse, et l’absence d’influence des Moudjahidines, le tribunal est également amené à relever que, mis 4 « […] Ma femme était une sympathisante des Moudjahidin. Son frère et sa femme ont été exécutés. Deux de ses frères se trouvaient en prison. Elle était active. Elle a été arrêtée à cause de son frère qui a été exécuté. Comme ses deux autres frères étaient en prison, le régime savait que sa famille était avec les Moudjahidin. Elle a été arrêtée en suspicion avec ses frères. », rapport d’entretien de Monsieur B des 15 janvier et 12 février 2019.

5 Rapport d’entretien de Monsieur B des 15 janvier et 12 février 2019, page 7.

6 Rapport d’entretien du 19 novembre 2019, page 7.

7 Ibid., page 8.à part la circonstance que de simples suspicions ne peuvent permettre la remise en cause de l’intégralité du récit d’un demandeur, Madame A n’a pas, à nouveau, été interrogée et n’a, dès lors, pas eu la possibilité de s’expliquer sur ces différents sujets.

Enfin, concernant (i) le manque de cohérence des déclarations de Madame A relatives au cercle moudjahidine dénoncé en juin 2018 et sa fuite seulement en mars 2019, (ii) les recherches étatiques qui n’auraient pas permis d’établir une vague d’arrestations de Moudjahidines en Iran en 2019, (iii) le fait qu’elle soit retournée en Iran après avoir fui à deux reprises en Turquie, (iv) le fait qu’elle se soit adressée au bureau des passeports avant de quitter légalement et définitivement l’Iran alors qu’elle aurait su qu’il lui aurait été interdit de quitter le pays, (v) les circonstances du contact avec le passeur, le fonctionnaire corrompu, la remise du pot-de-vin et son passage de la frontière iranienne, et (vi) les recherches étatiques qui démontreraient qu’il serait impossible de quitter l’Iran en cas d’interdiction de quitter le territoire, le tribunal est amené à constater que la demanderesse n’a pas non plus eu la possibilité de s’expliquer davantage sur ces éléments.

Si le délégué du gouvernement reproche, dans ce cadre, à la demanderesse de ne pas avoir pris position sur ces points dans sa requête introductive d’instance, il échet de rappeler que l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015, précité, prévoit que le ministre doit veiller à ce que le demandeur de protection internationale ait la possibilité de présenter les éléments nécessaires pour étayer sa demande de manière aussi complète que possible, ce qui inclut la possibilité de fournir une explication concernant les éléments manquants ainsi que sur les incohérences ou contradictions dans ses déclarations.

Or, au vu des éléments qui précèdent, contrairement à ce que la partie étatique soutient, il n’appartenait pas à la demanderesse de fournir des détails et explications sur un nombre aussi important de points laissés en suspens lors de son entretien, ce qui obligerait son litismandataire à organiser une audition unilatérale de Madame A pour obtenir lesdites informations sollicitées par le ministre.

Partant, il se dégage de tous les éléments énumérés ci-avant, que le ministre, ayant essentiellement mis en doute la crédibilité générale du récit de la demanderesse, ne lui a toutefois pas donné la possibilité concrète, avant la prise de la décision litigieuse, de présenter les éléments nécessaires pour étayer sa demande de manière aussi complète que possible et notamment, celle de fournir une explication concernant les éléments manquants, les incohérences, voire les contradictions dans son récit, de sorte qu’il y a lieu de retenir une violation de l’article 15 de la loi du 18 décembre 2015.

Il s’ensuit qu’il y a lieu d’annuler la décision déférée dans le cadre du recours en réformation et de renvoyer le dossier au ministre aux fins d’un entretien complémentaire concernant la demande de protection internationale de Madame A, sans qu’il y ait lieu de statuer plus en avant.

Par ces motifs, le tribunal administratif, troisième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit en la forme le recours en réformation introduit à l’encontre de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 avril 2021 portant refus d’une protection internationale dans le chef de Madame A ;

au fond, le déclare justifié ;

partant, dans le cadre du recours en réformation, annule la décision ministérielle du 13 avril 2021 portant refus d’une protection internationale et renvoie le dossier devant ledit ministre en prosécution de cause ;

rejette la demande de communication du dossier administratif ;

condamne l’Etat aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 27 juin 2023 par :

Géraldine Anelli, premier juge, Alexandra Bochet, premier juge, Sibylle Schmitz, attaché de justice délégué, en présence du greffier Judith Tagliaferri.

s. Judith Tagliaferri s. Géraldine Anelli Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 27 juin 2023 Le greffier du tribunal administratif 20


Synthèse
Formation : Troisième chambre
Numéro d'arrêt : 46022
Date de la décision : 27/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-06-27;46022 ?

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