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21/06/2023 | LUXEMBOURG | N°49029

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 21 juin 2023, 49029


Tribunal administratif Numéro 49029 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49029 1re chambre Inscrit le 23 mai 2023 Audience publique du 21 juin 2023 Recours formé par Monsieur …, alias …, alias …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49029 du rôle et déposée le 23 mai 2023 au greffe du tribunal administra

tif par Monsieur …, déclarant être né le … à … (Iran) et être de nationalité iranienne, a...

Tribunal administratif Numéro 49029 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:49029 1re chambre Inscrit le 23 mai 2023 Audience publique du 21 juin 2023 Recours formé par Monsieur …, alias …, alias …, Luxembourg, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 28 (1), L. 18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 49029 du rôle et déposée le 23 mai 2023 au greffe du tribunal administratif par Monsieur …, déclarant être né le … à … (Iran) et être de nationalité iranienne, alias …, déclarant être né le … et être de nationalité iranienne, alias …, actuellement assigné à résidence à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg (SHUK), sise à L-

1734 Luxembourg, 11, rue Carlo Hemmer, dirigée à l’encontre d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 4 mai 2023 par laquelle les autorités luxembourgeoises ont pris la décision de le transférer vers la Belgique, comme étant l’Etat responsable pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 20 juin 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision déférée ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Madame le délégué du gouvernement Cindy Coutinho en sa plaidoirie à l’audience publique du 21 juin 2023.

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Le 11 avril 2023, Monsieur …, alias …, alias …, ci-après désigné par « Monsieur … », introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande de protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, il fut entendu par un agent du service de police judiciaire, section criminalité organisée – police des étrangers, de la police grand-ducale, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

Une recherche effectuée à la même date dans la base de données EURODAC révéla que l’intéressé avait auparavant introduit des demandes de protection internationale en Norvège, les 21 avril 2013 et 2 avril 2015, en Belgique, les 7 août 2013, 4 janvier 2016, 3 juillet 2017, 17 mai 2021 et 22 février 2023, en Suisse, les 21 janvier 2014, 19 décembre 2018 et 12 septembre 2020, en France, les 24 juin 2014 et 3 novembre 2016, en Allemagne les 14 avril 2015, 8 août 2017 et 18 septembre 2018, ainsi qu’aux Pays-Bas, les 20 septembre 2015, 14 août 2017 et 31 août 2018.

1 Toujours le 11 avril 2023, Monsieur … fut entendu par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Par arrêté du même jour, notifié à l’intéressé à la même date, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après désigné par « le ministre », ordonna l’assignation à résidence de Monsieur … à la structure d’hébergement d’urgence du Kirchberg pour une durée de trois mois.

Le 18 avril 2023, les autorités luxembourgeoises adressèrent à leurs homologues belges une demande de reprise en charge de Monsieur …, sur base de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III, laquelle fut acceptée par ces derniers le 2 mai 2023.

Par décision du 4 mai 2023, notifiée à l’intéressé par courrier recommandé expédié le lendemain et réceptionné le 8 mai 2023, le ministre informa Monsieur … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de le transférer dans les meilleurs délais vers la Belgique sur base de l’article 28 (1) de la loi du 18 décembre 2015 et des dispositions de l’article 18 (1) b) du règlement Dublin III.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 23 mai 2023, Monsieur … a introduit un recours à l’encontre de la décision ministérielle, précitée, du 4 mai 2023.

Le tribunal constate qu’aux termes du dispositif de ladite requête, le demandeur sollicite tant l’annulation que la réformation de la décision litigieuse, sans indication d’un ordre de subsidiarité, de sorte qu’il existe un doute quant à la nature exacte du recours que l’intéressé a entendu introduire.

Face à ce doute, il y a lieu d’admettre que le demandeur a entendu introduire le recours admis par la loi.1 L’article 35 (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours au fond contre les décisions de transfert visées à l’article 28 (1) de la même loi, telles que la décision litigieuse.

Il y a partant lieu d’admettre que Monsieur … a entendu introduire un recours en réformation à l’encontre de la décision déférée et que le tribunal est compétent pour en connaître.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours, pour ne pas être signé par un avocat inscrit à la liste I des tableaux dressés par les conseils des Ordres des avocats, en violation des dispositions de l’article 1er de la loi modifiée du 21 juin 1999 portant règlement de procédure devant les juridictions administratives, ci-après désignée par « la loi du 21 juin 1999 ».

A cet égard, le tribunal relève qu’aux termes de l’article 66 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif, « Tous les avocats 1 En ce sens : trib. adm., 18 janvier 1999, n° 10760 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n° 8 et les autres références y citées.

2admis à plaider devant les tribunaux du Grand-Duché sont également admis à plaider devant le tribunal administratif.

Néanmoins, les avocats inscrits à la liste I des tableaux dressés annuellement par les conseils des ordres des avocats ont seuls le droit d’accomplir les actes d’instruction et de procédure. […] ».

En outre, l’article 1er, précité, de la loi du 21 juin 1999 prévoit que « [t]out recours, en matière contentieuse, introduit devant le tribunal administratif […] est formé par requête signée d’un avocat inscrit à la liste I des tableaux dressés par les conseils des Ordres des avocats », la désignation d’ « avocat inscrit à la liste I » ayant, par ailleurs, été remplacée par la loi du 31 mai 1999 portant modification […] de la loi modifiée du 10 août 1991 sur la profession d’avocat par les termes « avocat à la Cour ».

Il suit des dispositions qui précèdent qu’en principe, les actes de procédure devant les juridictions administratives doivent être signés et introduits par un avocat à la Cour de la liste I, sauf les dérogations légales expressément prévues qui sont dès lors d’interprétation stricte et parmi lesquelles aucune n’est d’application en l’espèce.

En rendant obligatoire le ministère d’avocat devant les juridictions administratives, le législateur a pour objectif d’assurer aux justiciables la qualité de leur défense, de concourir à une bonne administration de la justice et d’assurer que l’administration et le justiciable soient placés sur un pied d’égalité quant à leur connaissance de la procédure et du droit applicable, dans la mesure où, dans la majorité des cas, l’administration, auteur de l’acte administratif querellé, dispose d’une meilleure connaissance du droit et des règles procédurales que l’administré, destinataire dudit acte.2 Le respect de cette exigence relative au recours à un avocat à la Cour se matérialise par l’apposition manuscrite sur l’acte introductif d’instance de la signature de l’avocat à la Cour constitué. Cette formalité relève, au même titre d’ailleurs que le ministère d’avocat à la Cour obligatoire, d’une condition substantielle de la procédure contentieuse applicable.3 Toute insuffisance y relative constitue un vice entachant la requête introductive d’instance qui ne saurait, en tout état de cause, être régularisé a posteriori, dans la mesure où l’article 1er de la loi du 21 juin 1999 précise que tout recours, en matière contentieuse, introduit devant le tribunal administratif « est formé » par requête signée d’un avocat à la Cour, de sorte qu’il y a lieu d’admettre que lorsqu’aucun des exemplaires de la requête introductive d’instance déposée au greffe du tribunal administratif ne comporte la signature de l’avocat à la Cour constitué, le tribunal n’a pas été valablement saisi dans les formes et cela endéans le délai de la loi d’un acte introductif d’instance.4 Il suit des considérations qui précèdent que dans la mesure où, en l’espèce, la requête introductive d’instance n’est pas signée par un avocat à la Cour, mais par le demandeur lui-même, le recours sous examen est a priori irrecevable pour ne pas avoir été introduit dans 2 Trib. adm., 26 avril 2018, n° 39425 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 526 et les autres références y citées.

3 Trib. adm., 6 février 2017, n° 38947 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 526 et les autres références y citées.

4 Trib. adm., 27 mai 2020, n° 42836 du rôle, confirmé par Cour adm., 13 octobre 2020, n° 44626C du rôle, Pas.

adm. 2022, V° Procédure contentieuse, n° 533.

3le respect des prescriptions substantielles de l’article 1er de la loi du 21 juin 1999.

De l’entendement du tribunal et en substance, le demandeur soutient qu’il aurait été contraint d’introduire son recours sans l’assistance d’un litismandataire, au motif que les autorités luxembourgeoises l’auraient privé de son droit d’être assisté par un avocat, de sorte à avoir méconnu l’article 27 (5) et (6) du règlement Dublin III. A l’appui de cette argumentation, il explique, en renvoyant à des courriers électroniques de sa part, que ses démarches entreprises non seulement auprès d’un certain nombre de professionnels de la postulation, dont il prétend qu’il s’agirait de « […] tous les avocats spécialisés en droit de l’immigration et d’asile du Barreau de Luxembourg […] », mais aussi auprès du bâtonnier de l’ordre des avocats de Luxembourg, en vue d’obtenir l’assistance d’un avocat dans le cadre de l’assistance judiciaire n’auraient pas été couronnées de succès.

Or, force est de constater qu’il se dégage d’un courriel de l’intéressé, déposé au greffe du tribunal administratif le 25 mai 2023, que ce n’est que le 24 mai 2023, soit le lendemain de l’introduction du présent recours et après l’expiration, en date du 23 mai 2023, du délai de recours contentieux, que Monsieur … a présenté une demande d’assistance judiciaire en bonne et due forme, demande qui, aux termes de l’article 2 (1) du règlement grand-ducal modifié du 18 septembre 1995 concernant l’assistance judiciaire, doit être formulée par le biais d’un « […] questionnaire disponible auprès du service central d’assistance sociale […] », à adresser « […] au Bâtonnier de l’Ordre des avocats territorialement compétent […] », étant souligné, dans ce contexte, que l’article 27 (6), dernier alinéa du règlement Dublin III prévoit expressément que « Les procédures d’accès à l’assistance juridique sont définies dans le droit national ».

Par ailleurs, il ressort des différents échanges de courriels versés en cause tant par le demandeur que par la partie étatique que le 25 mai 2023, soit le lendemain de l’introduction de sa demande d’assistance judiciaire, l’intéressé s’est finalement vu désigner un avocat. Il s’en dégage également que le demandeur a exigé de son mandataire ainsi désigné qu’il signe le recours préparé par ses propres soins sans y apporter une quelconque modification, ce que ce dernier a légitimement refusé, en renvoyant à ses obligations déontologiques, tout en proposant une entrevue au demandeur.

De manière générale, il ne ressort pas des éléments soumis à l’appréciation du tribunal que le demandeur, dont les démarches antérieures à l’introduction formelle de sa demande d’assistance judicaire se sont limitées à l’envoi de courriers électroniques à un certain nombre d’avocats et au bâtonnier de l’ordre des avocats de Luxembourg, ait été, sans faute de sa part, dans l’impossibilité objective de confier sa cause en temps utile à l’un des nombreux avocats exerçant au Luxembourg et, ainsi, d’introduire un recours à l’encontre de la décision litigieuse dans les formes et délai de la loi.

Les circonstances de la cause ne permettent, dès lors, manifestement pas de retenir que l’accès effectif du demandeur à la justice ait été entravé, au sens de l’article 27 (6), alinéa 4 du règlement Dublin III.

Ainsi, et au-delà de toutes autres considérations, le tribunal est amené à retenir que l’argumentation sous analyse n’est pas fondée, de sorte qu’elle n’est en tout état de cause pas de nature à invalider la conclusion dégagée ci-avant selon laquelle le recours du demandeur est à déclarer irrecevable.

4Par ces motifs, le tribunal administratif, première chambre, statuant contradictoirement ;

déclare le recours irrecevable ;

condamne le demandeur aux frais et dépens.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 21 juin 2023 par :

Daniel Weber, vice-président, Michèle Stoffel, premier juge, Benoît Hupperich, juge, en présence du greffier Luana Poiani.

s. Luana Poiani s. Daniel Weber Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 21 juin 2023 Le greffier du tribunal administratif 5


Synthèse
Formation : Première chambre
Numéro d'arrêt : 49029
Date de la décision : 21/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-06-21;49029 ?

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