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19/06/2023 | LUXEMBOURG | N°48896a

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 19 juin 2023, 48896a


Tribunal administratif Numéro 48896a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48896a 2e chambre Inscrit le 2 mai 2023 Audience publique du 19 juin 2023 Recours formé par Madame … et consort, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48896 du rôle et déposée le 2 mai 2023 au greffe du tribunal administratif par la société à re

sponsabilité limitée Etude Sadler SARL, établie et ayant son siège social à L-1611 Luxembo...

Tribunal administratif Numéro 48896a du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48896a 2e chambre Inscrit le 2 mai 2023 Audience publique du 19 juin 2023 Recours formé par Madame … et consort, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 27, L.18.12.2015)

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48896 du rôle et déposée le 2 mai 2023 au greffe du tribunal administratif par la société à responsabilité limitée Etude Sadler SARL, établie et ayant son siège social à L-1611 Luxembourg, 9, avenue de la Gare, inscrite sur la liste V du tableau de l’Ordre des avocats du barreau de Luxembourg, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro B275043, représentée aux fins de la présente instance par Maître Noémie Sadler, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, née le … à … (Cameroun), agissant au nom et pour le compte de son enfant mineur …, né le … à … (Espagne), tous deux de nationalité camerounaise, demeurant actuellement ensemble à L-…, tendant à la réformation 1) de la décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 13 avril 2023 de statuer sur le bien-fondé de la demande de protection internationale de l’enfant … dans le cadre d’une procédure accélérée, 2) de la décision du même ministre du même jour portant refus de faire droit à sa demande en obtention d’une protection internationale et 3) de l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 17 mai 2023 ;

Vu le jugement du 25 mai 2023, inscrit sous le numéro 48896 du rôle, rendu par le juge, siégeant en remplacement du président de la deuxième chambre du tribunal administratif ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les décisions déférées ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Elise Orban, en remplacement de Maître Noémie Sadler, et Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 5 juin 2023.

En date du 16 avril 2021, Madame … introduisit tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de son enfant mineur … une demande de protection internationale auprès du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent de la police grand-ducale, service de police judiciaire, section …, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg.

La recherche effectuée à ce moment dans la base de données EURODAC pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l’application efficace du règlement (UE) 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III », révéla que l’intéressée avait introduit une demande de protection internationale en Grèce en date du 8 février 2018 et qu’un statut de protection internationale lui y avait été accordé en date du 31 mai 2018.

En date du 16 avril 2021, Madame … passa encore un entretien sur la recevabilité de sa demande de protection internationale.

Par décision du 19 avril 2021, notifiée en mains propres à Madame …, le ministre de l’Immigration et de l’Asile, ci-après dénommé le « ministre », l’informa que sa demande de protection internationale était irrecevable en application des dispositions de l’article 28 (2) a) de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, désignée ci-après par « la loi du 18 décembre 2015 », au motif qu’elle était bénéficiaire d’une protection internationale en Grèce, tout en l’informant que la demande de son enfant mineur ferait l’objet d’une décision séparée.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 mai 2021, inscrite sous le numéro 45988 du rôle, Madame …, agissant tant en son nom personnel qu’au nom et pour le compte de son enfant mineur …, introduisit un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 19 avril 2021.

Par jugement du tribunal administratif du 5 juillet 2021, la décision ministérielle du 19 avril 2021 fut annulée et le dossier renvoyé au ministre.

Les 30, 31 août et 2 septembre 2021, Madame … fut entendue sur les motifs à la base de sa propre demande de protection internationale.

Le 16 février 2023, Madame … fut encore entendue sur les motifs à la base de la demande de protection internationale déposée au nom de son fils mineur.

Par décision du 13 avril 2023, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée expédiée le lendemain, le ministre déclara, à nouveau, irrecevable la demande de protection internationale de Madame … sur le fondement de l’article 28 (2) de la loi du 18 décembre 2015.

Par décision séparée du même jour, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée expédiée le lendemain, le ministre refusa de faire droit à la demande de protection internationale de l’enfant … pour les motifs suivants :

« […] J’ai l’honneur de me référer à votre demande en obtention d’une protection internationale que vous avez introduite le 16 avril 2021 sur base de la loi du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après dénommée « la Loi de 2015 ») au nom de votre fils mineur, …, né le … à … en Espagne, de nationalité camerounaise.

Il est important de préciser que la présente décision concerne uniquement la demande de protection internationale que vous avez introduite au nom de votre fils mineur, …, votre propre demande de protection internationale faisant l’objet d’une décision séparée.

Je suis malheureusement dans l’obligation de porter à votre connaissance que je ne suis pas en mesure de réserver une suite favorable à la demande que vous avez introduite au nom de votre fils mineur, …, pour les raisons énoncées ci-après.

1. Quant aux déclarations que vous avez faites pour le compte de votre fils En mains, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 16 février sur les motifs sous-tendant la demande de protection internationale de votre fils mineur … ainsi que les documents versés à l’appui de sa demande de protection internationale.

Vous déclarez que votre fils, né en Espagne est de nationalité camerounaise, d’ethnie Bamiléké, de confession chrétienne et qu’il aurait vécu avec vous en Espagne et au Luxembourg. Le 11 janvier 2014 vous auriez épousé un dénommé … à … au Cameroun. Il serait le père de trois de vos enfants, et vous auriez un fils aîné d’une union antérieure. Vous précisez que …, le père de votre fils mineur …, se trouverait en Espagne, vous aurait abandonné et vous ajoutez qu’il ne s’occuperait pas de votre dernier fils et que vous n’auriez plus eu de contact avec lui depuis que vous auriez été « enceinte de 4 mois » (page 2 du rapport d’entretien sur les motifs que vous avez déclarés à la base de la demande de protection de votre fils).

Quant aux craintes que vous exposez au nom de votre fils en cas de retour dans son pays d’origine, vous déclarez qu’il risquerait d’avoir les mêmes problèmes que vous et vos enfants restés au Cameroun. Vous précisez que votre belle-famille aurait désapprouvé votre union avec votre mari alors que vous appartiendriez à des groupes ethniques distincts et vous ajoutez que depuis 2021, vos beaux-parents auraient récupéré vos enfants pour les torturer et pour vous faire du mal. Votre sœur … aurait porté plainte contre les coups et blessures qui auraient été infligés par votre belle-famille à vos enfants, toutefois cette plainte n’aurait pas abouti, d’après vous au motif que votre beaux-parents serait « des gens qui sont du gouvernement » (page 7 du rapport d’entretien sur les motifs que vous avez déclarés à la base de la demande de protection de votre fils) et vous précisez que votre belle-mère, à la retraite, aurait été secrétaire du juge de … et votre beau-père aurait été un gendarme. D’après vous, au Cameroun « les grands poissons mangeraient les petits » (page 7 du rapport d’entretien sur les motifs que vous avez déclarés à la base de la demande de protection de votre fils) et sans relations « dans la politique, tu n’arrives à rien faire » (page 7 du rapport d’entretien sur les motifs que vous avez déclarés à la base de la demande de protection de votre fils).

Quant à votre mari, …, vous déclarez qu’il ne se sentirait pas concerné par cette situation et vous ajoutez qu’ « il ne fait rien contre ses parents par rapport à nos enfants. Il s’en fout carrément » (page 7 du rapport d’entretien sur les motifs que vous avez déclarés à la base de la demande de protection de votre fils).

Madame, alors que vous exposez les motifs à la base de la demande de protection internationale que vous avez introduite au nom de votre fils mineur … et que vous prétendez qu’il s’agirait des « mêmes motifs que moi » (page 5 du rapport d’entretien sur les motifs que vous avez déclarés à la base de la demande de protection de votre fils), il convient de résumer ci-après les motifs que vous avez déclaré à la base de votre propre demande de protection internationale.

En mains votre fiche des motifs que vous avez remplie au Luxembourg en date du 16 avril 2021, le rapport du Service de Police Judiciaire du 16 avril 2021 ainsi que le rapport d’entretien sur la recevabilité de votre demande de protection internationale, votre recours en annulation du 4 mai 2021 contre la décision d’irrecevabilité qui vous a été notifiée le 19 avril 2021 et le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes des 30, 31 août et 2 septembre 2021 sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale, le rapport d’entretien de l’agent du Ministère des Affaires étrangères et européennes du 16 février sur les motifs sous-tendant votre demande de protection internationale ainsi que les documents versés à l’appui de vos demandes de protection internationale.

En 2003, alors que vous auriez été âgée de 17 ans, votre père vous aurait donnée en mariage traditionnel à un sexagénaire dénommé … chez qui vous seriez allée habiter. Vous expliquez qu’au Cameroun « si on te dit de te marier avec un tel homme, tu les fais » (page 10 de votre rapport d’entretien) et que vous n’auriez donc pas eu le choix. Le 18 janvier 2005, vous auriez accouché de votre premier fils au sujet duquel vous ajoutez que vous ne sauriez qui est le père alors que votre mari vous aurait forcé à avoir des relations sexuelles et qu’un de ses fils vous aurait violée à plusieurs reprises. Vous ajoutez que vous auriez informé votre mari ainsi que ses deux autres femmes des agissements de son fils et que vous auriez demandé un test ADN, mais que personne ne vous aurait cru et qu’il aurait refusé d’effectuer un test.

Un jour, vous auriez pris la fuite avec votre enfant et vous vous seriez rendue chez une amie à Douala. Toutefois, sans que vous ne sachiez l’expliquer, le fils de … vous aurait retrouvée et vous aurait ramenée au sein de votre foyer. Vous expliquez que vous auriez tout d’abord été privée de libertés mais que peu à peu, alors que votre mari vous aurait fait confiance à nouveau, il vous aurait permis de quitter la maison et vous en auriez profité pour retrouver votre petit ami … dont vous auriez été amoureuse depuis que vous auriez fait sa connaissance à l’école.

En 2010 et en 2012, vous auriez accouché de deux filles que vous auriez conçues avec … et en novembre 2013, vous auriez finalement pris vos enfants et vous auriez quitté votre premier mari pour aller vivre avec … à ….

Avant votre mariage avec …, il vous aurait présentée à ses parents qui auraient exprimé leur mécontentement face à votre ethnie Bamiléké alors qu’ils auraient appartenus à l’ethnie Beti et auraient désapprouvé votre mariage.

Le 11 janvier 2014, vous auriez épousé … en absence de vos parents respectifs et vous ajoutez que suite à votre union, la mère de votre mari, Madame … qui aurait été la secrétaire du Président du Tribunal de Grande Instance, aurait fait arrêter et mettre en prison son fils.

Elle aurait également menacé de vous faire emprisonner et vous précisez que vous auriez également craint votre beau-père qui aurait été un gendarme.

En juin 2014, par peur, vous auriez quitté le Cameroun muni du passeport de votre belle-sœur qui aurait soudoyé les policiers à l’aéroport afin que vous puissiez quitter le Cameroun en direction de la Turquie où vous auriez travaillé dans une usine de confection de chapeaux avant de vous rendre en Grèce en 2017, où vous avez introduit une demande de protection internationale le 8 février 2018 et où vous avez obtenu le statut de réfugié le 31 mai 2018. Par la suite vous déplorez que vous n’auriez pas parlé la langue grecque et vous n’auriez pas reçu d’aide pour trouver un travail. Vous ajoutez qu’alors que vous auriez été hébergée chez un nigérien dénommé … qui vous aurait aidé dans vos démarches administratives, il en aurait profité pour abuser sexuellement de votre personne.

En avril 2019, vous auriez rejoint votre mari … en Espagne, où par la suite, enceinte de trois mois, vous auriez découvert dans son téléphone qu’il aurait eu une relation avec une autre femme. Vous vous seriez séparés en avril 2020.

En cas de retour au Cameroun, vous évoquez que vous craindriez des représailles de la famille de votre premier mari au motif que vous n’auriez pas remboursé votre dote et que vous craindriez également des représailles de la part de votre belle-famille au motif que votre mari aurait quitté le Cameroun pour vous suivre en Europe.

A l’appui de vos demandes de protection internationale, vous présentez les documents suivants :

• Votre acte de mariage n°… émis par le Centre d’Etat Civil de … le 11 novembre 2014.

• Votre titre de séjour hellénique émis le 23 juillet 2018 à titre de bénéficiaire de protection internationale.

• Votre passeport pour réfugiés émis par le service réfugiés hellénique le 27 novembre 2018.

2. Quant à l’application de la procédure accélérée Je tiens tout d’abord à vous informer que conformément à l’article 27 de la Loi de 2015, il est statué sur le bien-fondé de la demande de protection internationale que vous avez introduite au nom de votre fils mineur … dans le cadre d’une procédure accélérée alors qu’il apparaît qu’il tombe sous un des cas prévus au paragraphe (1), à savoir :

a) « le demandeur, en déposant sa demande et en exposant les faits, n’a soulevé que des questions sans pertinence au regard de l’examen visant à déterminer s’il remplit les conditions requises pour prétendre au statut conféré par la protection internationale ; » Tel qu’il ressort de l’analyse de la demande de protection internationale que vous avez introduite au nom de votre fils mineur …, ci-dessous développée, il s’avère que le point a) de l’article 27 se trouve être d’application pour les raisons étayées ci-après.

3. Quant à la motivation du refus de la demande de protection internationale que vous avez introduite au nom de votre fils mineur … Madame, alors que vous exposez les motifs à la base de la demande de protection de votre enfant mineur …, âgé de deux ans et demi, je tiens à vous informer que votre sincérité et votre crédibilité est formellement remise en cause pour les raisons suivantes :

Madame, il ressort en effet de votre dossier administratif que vous avez construit votre récit à la base de votre propre demande de protection internationale sur un tissu de déclarations manifestement mensongères, mis au jour par les nombreuses contradictions flagrantes telles que développées ci-après.

En effet, Madame, premièrement, il ressort de votre entretien auprès du Service de Police Judiciaire que vous auriez quitté le Cameroun en 2014 par avion en direction de la Turquie, munie d’un faux passeport que votre petit-copain aurait organisé pour vous. En Turquie, vous auriez passé « presque trois ans dans une maison close » (rapport d’entretien du Service de Police Judiciaire p.2) où avec d’autres femmes, vous auriez été exploitées comme des « esclaves sexuels pour les hommes qui y passaient » (page 2 du rapport d’entretien du Service de Police Judiciaire). Or, durant votre entretien sur les motifs à la base de votre demande de protection internationale, vous avez indiqué une version diamétralement opposée de ces prétendus faits en déclarant que vous auriez travaillé pendant trois ans « dans une usine qui coupait des chapeaux » (page 8 de votre rapport d’entretien). Partant, il convient de conclure que vous avez délibérément menti et tenté d’aggraver votre situation personnelle lors de l’introduction de votre demande de protection internationale. A cela s’ajoute que vous avez également déclaré auprès du Service de Police Judiciaire qu’en Espagne « j’ai rencontré un camerounais avec qui j’ai eu un enfant. […] il s’appelle …. Je ne connais pas son nom de famille. Je n’habitais pas avec lui » (page 2 du rapport de police). Or Madame, force est de constater que vous avez là encore menti et qu’il est évident que vous évoquiez votre mari … avec qui vous avez non seulement eu un enfant en Espagne, mais qui serait également le père de deux autres de vos enfants qui seraient restés au Cameroun.

Deuxièmement, vous avez indiqué avoir quitté la Grèce en novembre 2019 (page 2 de votre rapport d’entretien sur la recevabilité de votre demande de protection internationale) pour partir en Espagne où vous seriez alors restée jusqu’au moment où vous seriez venue au Luxembourg. Or, cette affirmation est mensongère. En effet, il ressort sans équivoque de votre passeport pour réfugiés qu’en novembre 2019, vous ne vous êtes pas rendue en Espagne, mais vous êtes allée à Paris pour y solliciter un visa touristique pour le Tchad. Votre passeport contient par ailleurs des tampons avec une entrée au Tchad en novembre 2019 ainsi qu’une sortie en janvier 2020, toutefois il ne contient pas d’information sur l’Etat dans lequel vous êtes arrivée après votre départ du Tchad. Ainsi vous n’avez donc manifestement pas quitté la Grèce en novembre 2019 pour l’Espagne où vous auriez tenté de trouver un travail tel que vous l’avez initialement déclaré. A cela s’ajoute qu’on peut s’interroger sur les raisons qui vous auraient conduite au Tchad, pays voisin de votre pays d’origine et dont l’aéroport de N’Djaména est situé à deux pas de la frontière camerounaise. Il convient également de soulever à ce sujet, que dans le cadre de votre recours en annulation de la décision d’irrecevabilité qui vous a été notifiée le 19 avril 2021, votre mandataire, en votre nom, défend que vous vous seriez rendue au Tchad au motif que vous auriez voulu fuir votre « situation d’exploitation sexuelle en Grèce » (page 7 de votre recours en annulation contre la décision d’irrecevabilité) et que vous vous seriez rendue au Tchad pour y chercher « la protection ailleurs » (page 7 de votre recours en annulation contre la décision d’irrecevabilité) toutefois votre situation y aurait été « également plus que précaire », raison pour laquelle vous seriez retournée en Europe. Une fois arrivée en Espagne, soit d’après cette version des faits après votre retour du Tchad qui a eu lieu après le 11 janvier 2020, vous auriez appris que votre « 2e mari s’y trouvait » (page 7 de votre recours en annulation contre la décision d’irrecevabilité).

Madame, force est de constater qu’il s’agit là encore de déclarations mensongères alors qu’ultérieurement vous avez déclaré d’autres raisons dans le cadre de votre entretien sur les motifs à la base de votre demande de protection internationale. En effet, vous y expliquez que vous seriez retournée au Tchad non pas pour y chercher une protection que vous n’auriez pas obtenue en Grèce, mais pour vous faire soigner « une boule au niveau du nombril et qui montait jusqu’au diaphragme et c’était mystique » (page 7 de votre rapport d’entretien). De plus, il convient de constater que vous ne vous seriez pas trouvée en Grèce avant votre voyage au Tchad, mais comme vous le relatez vous-même, vous vous seriez déjà trouvée en Espagne où suite à vos douleurs on vous aurait fait passer « un scanner en Espagne » (page 7 de votre rapport d’entretien) qui n’aurait rien révélé d’anormal et qu’on vous aurait conseillé de consulter à nouveau si vos douleurs réapparaissaient. Suite à la réapparition de vos douleurs, on vous aurait transférée en ambulance vers un hôpital où vous auriez passé un second scanner qui n’aurait toujours rien révélé d’anormal alors que vous vous seriez tordue de douleurs.

Vous auriez dès lors pris la décision de vous rendre au Tchad pour vous y faire soigner « chez des guérisseurs et […] à l’hôpital » (page 7 de votre rapport d’entretien). Partant, vous perdez toute crédibilité alors que vous changez de version des faits comme bon il vous semble.

Quant à vos explications selon lesquelles vous auriez retrouvé votre mari après votre retour du Tchad, soit en 2020, voir en avril 2019 tel que vous le déclarez lors de votre entretien sur les motifs à la base de votre demande de protection internationale, de sérieux doutes sont à émettre quant aux deux dates que vous présentez. En effet, Madame, il ressort clairement d’un des profil Facebook de votre mari qu’il se trouve en Espagne au moins depuis le 20 août 2018, date à laquelle il a mis en ligne une photo le représentant devant le stade de football du … et que vous êtes au courant de sa présence en Espagne au moins depuis le 25 novembre 2018, date à laquelle vous avez commenté une publication de ce même profil Facebook.

Partant, il est encore une fois permis de douter de votre sincérité alors que vous êtes en possession de votre titre de séjour grec pour réfugiés depuis juillet 2018 et de votre passeport pour réfugiés depuis novembre 2018, de sorte qu’aucun obstacle ne vous empêchait de retrouver votre mari dès l’obtention de vos papiers.

Des lors, il est permis de s’interroger quant à la véracité de vos déclarations selon lesquelles vous auriez quitté la Grèce au plus tôt en avril 2019 alors que vous vous seriez trouvée « dans une situation d’exploitation sexuelle » (page 4 de votre recours en annulation de votre décision d’irrecevabilité) au sujet de laquelle vous précisez qu’en contrepartie de votre hébergement à Athènes, un nigérien dénommé … vous aurait forcé à avoir des rapports sexuels. Ces doutes sont d’autant plus renforcés par le fait que vous avez déjà inventé de toutes pièces un prétendu séjour de trois ans en maison close en Turquie, tel que déjà développé précédemment.

Troisièmement, en ce qui concerne les raisons pour lesquelles vous auriez quitté le Cameroun en juin 2014, soit que votre mari aurait été jeté en prison en mai 2014 suite à l’intervention de sa mère, la secrétaire du Président de la justice auprès du Tribunal de la Grande Instance, qui aurait désapprouvé votre mariage avec son fils au motif que vous seriez d’Ethnie Bamiléké alors que son fils serait d’Ethnie Beti, il ressort de mes recherches, que vous mentez et que vous cachez encore une fois les véritables raisons qui vous auraient poussée à quitter le Cameroun. En effet, Madame soulevons tout d’abord que contrairement à vos déclarations selon lesquelles votre belle-famille aurait désapprouvé votre mariage, et plus particulièrement votre beau-père, Monsieur « … » (page 4 de votre rapport d’entretien), qui depuis le jour où vous lui auriez été présentée aurait déclaré « [j]e vous ai toujours dit que je ne voulais jamais d’une Bamiléké dans la famille » (page 15 de votre rapport d’entretien), il ressort de votre certificat de mariage que vous avez versé à votre dossier, que non seulement votre beau-père était présent, mais surtout qu’il a consenti à votre mariage et a signé l’acte de mariage. Partant, votre version des faits selon laquelle il aurait été contre votre mariage est tout simplement dénuée de sens.

Soulevons ensuite qu’il ressort de façon non équivoque de plusieurs publications mises en ligne par votre mari sur ses profils Facebook, que contrairement à ce que vous prétendez, soit qu’il aurait été mis en prison par sa mère en juin 2014, il a rejoint l’Afghanistan fin janvier 2014, peu après vous avoir épousée le 10 janvier 2014, pour y travailler sur une base d’opérations militaires avancées américaine en tant qu’opérateur de soutien pétrolier. Cette information est confirmée sur le profil Linkedin de votre mari qui indique qu’il a travaillé en Afghanistan de janvier 2014 à août 2014. De plus, Madame, vous ne pouvez réfuter cette réalité alors que vous avez vous-même commenté de nombreuses publications de votre mari, postées durant cette période et le montrant sur la base militaire. Vous avez à titre d’exemple commenté le 12 août 2014 par « ok g sais k c pr moi » sa publication du 26 mars 2014, le 16 avril 2014 vous avez commenté par « modifie ton repas bbe j’aime kan tu es secsi » sa publication du 15 avril 2014, le 24 avril 2014 vous avez commenté sa publication du même jour par « gar tu es mignon mon cœur a raison de batre plus fort» et vous avez également laissé s’exprimer vos enfants au travers de votre compte Facebook, votre fille … ayant écrit « … g t’aime papa tu ns manques bye », votre fille … ayant écrit « … papa vient bye » et votre fils … ayant écrit « mon pere est beau ont attend … », le 8 mai 2014 vous avez commenté sa publication du même jour par « cheri tu est mignon coucou je t’adore », le 25 mai 2014, vous avez commenté sa publication du même jour par « mon cheri j’ai envie de tous les machines la doudou tu me manque bizou bravo », le 17 juin 2014 vous avez commenté sa publication du 16 juin 2014 par « g ne sais pas koi dire les mots me manques cheri », le 12 août 2014 vous commentez sa publications » du 3 août 2014 par « ki apprecie ton cerceau a ma place chou ss jalouse ».

Partant, Madame, force est de constater que votre mari n’était pas en prison en juin 2014 et que vous saviez exactement qu’il se trouvait en Afghanistan de janvier 2014 à août 2014.

Quatrièmement, Madame, vous prétendez que votre mari vous aurait quittée « en avril 2020 » (page 3 de votre rapport d’entretien). Partant il est légitime de se demander pourquoi vous avez choisi de commenter le 5 mai 2020, sa publication à l’occasion de son anniversaire, à l’aide d’une image animée en forme de cœur à laquelle il a répondu par « merci ma chérie ».

A toutes fins utiles, relevons encore que vous avez déclaré que vous n’auriez pas organisé de festivités pour votre mariage au motif que vous n’en auriez pas eu les moyens. Or, Madame tel que mentionné dans sa publication du 23 juin 2012 dans laquelle vous êtes explicitement identifiée avec votre profil Facebook « … », votre mari a déménagé de Guinée Conakry où il travaillait depuis 2017, pour aller travailler pour … aux Emirats arabes unis en juillet 2012. De nombreuses photos localisant votre mari entre autre à Dubaï attestent de son séjour aux Emirats arabes unis entre juillet 2012 et décembre 2013. Cette information est confirmée par les expériences professionnelles qu’il a publiées sur son profil Linkedin.

Partant, il y a lieu de faire le double constat que d’un côté vous n’avez jamais mentionné ces détails lors de vos nombreux entretiens au Luxembourg et que d’un autre côté, il est improbable que votre mari n’aurait pas eu les moyens de vous offrir des festivités alors qu’il a travaillé plus d’un an aux Emirats arabes unis avant de vous épouser. D’ailleurs, les photos que vous avez mises en ligne de votre mariage, montrent que vous avez bel et bien fêté votre mariage comme il se doit.

De tout ce qui précède, il est indéniable que vous ne jouez pas franc jeux avec les autorités luxembourgeoises et que vos déclarations sont construites sur un tissu de mensonges.

Partant, il est impossible de donner crédit à quelconques de vos déclarations.

Madame, il en va de même quant aux déclarations que vous avez faites pour le compte de votre fils. Vous déclarez que vous n’auriez plus eu de contact avec votre mari depuis que vous auriez été enceinte de 4 mois et vous ajoutez qu’ « il ne s’occupe même pas du dernier enfant » (page 8 du rapport d’entretien sur les motifs que vous avez déclarés à la base de la demande de protection de votre fils). Or il s’agit en l’espèce d’un ixième mensonge de votre part. En effet, il ressort indéniablement du profil Facebook de votre mari que vous avez fêté le deuxième anniversaire de votre fils tous ensemble, très probablement à Séville comme votre mari le mentionne lui-même dans sa publication du 21 octobre 2022. Plus récemment encore, en date du 24 mars 2023 vous avez posté une vidéo sur votre compte Tiktok dans laquelle apparaît la nouvelle photo de profil Facebook de votre mari qu’il a mise en ligne sur Facebook le 19 mars 2023. On peut encore relever la publication Facebook de votre mari du 6 octobre 2022, jour de l’anniversaire de votre fils, relayant une publication mise en ligne initialement le 6 octobre 2021, montrant un diaporama de sa naissance.

Madame, au vu de ces informations, il est indéniable que contrairement à vos dires, votre mari s’intéresse à ses enfants et que vous êtes bel et bien toujours en contact.

De tout ce qui précède, Madame, il est permis de conclure que vos différentes déclarations constituent un tissu flagrant de mensonges et qu’aucune crédibilité ne peut vous être accordée.

Au vu du manque flagrant de crédibilité de toutes vos déclarations, aucune protection internationale n’est accordée à votre fils mineur.

La demande en obtention d’une protection internationale de votre fils est dès lors refusée comme manifestement non fondée.

Suivant les dispositions de l’article 34 (2) de la Loi de 2015, il est dans l’obligation de quitter le territoire endéans un délai de 30 jours à compter du jour où la présente décision sera coulée en force de chose décidée respectivement en force de chose jugée, à destination de la République du Cameroun, ou de tout autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du 2 mai 2023, inscrite sous le numéro 48897 du rôle, Madame … a introduit un recours tendant à l’annulation de la décision ministérielle précitée du 13 avril 2023 déclarant sa demande de protection internationale irrecevable.

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif en date du même jour, inscrite sous le numéro 48896 du rôle, Madame … a introduit, au nom et pour le compte de son fils mineur … un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 13 avril 2023 d’opter pour la procédure accélérée, de celle ayant refusé de faire droit à la demande de protection internationale et de celle lui ayant ordonné de quitter le territoire.

Par jugement du 25 mai 2023, inscrit sous le numéro 48897 du rôle, le recours introduit par Madame … à l’égard de la décision ministérielle du 13 avril 2023 ayant déclaré sa demande de protection internationale irrecevable a été déclaré comme étant non fondé et a été rejeté par le tribunal.

En application de l’article 35 (2) de la loi du 18 décembre 2015, le juge, siégeant en remplacement du président de la deuxième chambre du tribunal administratif, a, par jugement rendu en date du 25 mai 2023, portant le numéro 48896 du rôle, déclaré le recours, pris en son triple volet, recevable en la forme et a jugé que ledit recours n’est pas manifestement infondé, tout en renvoyant l’affaire en chambre collégiale du tribunal administratif pour statuer sur le recours en question.

A titre liminaire, le tribunal tient à relever que tout jugement non susceptible d’appel est frappé de l’autorité de chose jugée et que cette dernière s’attache tant au dispositif d’un jugement, qu’aux motifs qui en sont le soutien nécessaire. Par contre, les considérations qui ne sont pas nécessaires à la solution - les obiter dicta - ne sont pas revêtues de l’autorité de la chose jugée1.

En vertu de ce principe, le tribunal ne tranchera plus ce qui a d’ores et déjà été jugé par le juge du tribunal administratif siégeant comme juge unique dans le jugement du 25 mai 2023, à savoir la question de la recevabilité des recours, le juge unique ayant admis la recevabilité des recours en réformation, de sorte qu’il n’y a plus lieu d’examiner ce point.

Il ne tranchera pas non plus les questions ayant trait à la légalité externe de la décision ministérielle litigieuse, notamment en ce qui concerne le défaut de motivation allégué par la demanderesse.

Enfin, il convient de constater qu’il résulte des enseignements de la Cour administrative que : « La Cour estime qu’il se dégage de la systémique instituée par l’article 35, paragraphe (2), alinéa 2, de la loi du 18 décembre 2015 que l’autorité de chose jugée attachée au jugement rendu dans une première phase par le juge unique vise sa seule appréciation quant au caractère manifestement infondé ou non du recours introduit par le demandeur de protection internationale. Il est évident qu’en cas d’un débouté de pareille demande, le juge unique doit rejeter tous les moyens présentés par le demandeur. Si, par contre, il estime que le recours n’est pas manifestement infondé, il renvoie l’affaire devant la formation collégiale qui elle est appelée à statuer sur le fond du litige et non plus à refaire une nouvelle fois l’appréciation quant à la question de savoir si c’était à bon droit que le ministre a statué dans le cadre d’une procédure accélérée, cet examen étant épuisé par le jugement rendu par le juge unique. »2.

Il s’ensuit que le tribunal n’examinera plus la question de savoir si c’était à bon droit que le ministre a statué sur la demande de protection internationale de l’enfant … dans le cadre d’une procédure accélérée et limitera par conséquent son analyse au fond du litige, à savoir le rejet de sa demande de protection internationale, ainsi que l’ordre de quitter le territoire prononcé à son égard dans la même décision.

1) Quant au recours contre la décision du ministre portant refus d’une protection internationale A l’appui de son recours et en fait, Madame … indique, tout d’abord, que son fils … serait exposé aux mêmes dangers et risques qu’elle-même. A cet égard, elle explique avoir été mariée de force dans son pays d’origine à l’âge de … ans à un homme âgé, alors qu’elle aurait été amoureuse d’un autre homme, un dénommé …, que sa famille n’aurait jamais accepté car étant d’une autre tribu que la leur. Pendant son mariage avec l’homme âgé, elle aurait subi des abus physiques et psychiques, et aurait continué une relation extraconjugale avec Monsieur …, qui serait le père biologique de ses deux enfants nés au Cameroun. Lorsque son mari aurait découvert qu’il n’était pas le père biologique des deux enfants, il aurait menacé de les lui enlever et de la brûler vive, ce qui aurait amené son amant à organiser un mariage loin de la famille. A ce propos, elle reproche au ministre d’avoir retenu que son mariage n’aurait pas été célébré en cachette en se prévalant des publications sur le compte Facebook de son deuxième époux, qui montreraient la célébration de leur mariage, auquel quelques amis seulement auraient assisté. Suite à ce mariage, son nouveau mari aurait été emprisonné et elle-même aurait dû fuir son pays d’origine en y laissant ses deux enfants car le trajet vers l’Europe aurait été trop dangereux pour eux.

1 Voir M. Leroy, Contentieux administratif, 4e éd., Bruylant, p. 759.

2 Cour adm., 11 février 2020, n° 43796C du rôle, disponible sur www.ja.etat.lu.

Ensuite, la demanderesse fait valoir qu’elle serait arrivée en Grèce en décembre 2017 où elle aurait, au début, vécu au camp de …, qui aurait été surpeuplé et où elle aurait souffert des conditions de vie inhumaines pour avoir en l’occurrence vécu dans un « container » comprenant 10 lits pour 20 personnes, en l’absence de facilités hygiéniques. Elle ajoute qu’elle y aurait aussi eu des problèmes de santé, mais que le médecin, qui n’aurait parlé que le grec, lui aurait uniquement prescrit du paracétamol. Bien qu’elle se soit vue octroyer une protection internationale en Grèce en 2018, elle se serait rapidement rendue compte que cette protection n’aurait existé que sur le papier. Ainsi, après avoir passé plusieurs mois à …, elle aurait été transférée vers Athènes où sa situation se serait aggravée puisqu’elle n’aurait pas eu accès à un logement ni droit à un soutien financier, de sorte à ne pas avoir pu faire face à ses besoins élémentaires. Elle aurait dormi dans la rue et dans les parcs pendant une semaine. Par ailleurs, elle aurait été dans l’impossibilité de trouver un emploi rémunéré à défaut de parler le grec, ce qui serait la conséquence naturelle de l’absence de cours de langue et de cours d’intégration pour les réfugiés. Finalement, elle aurait rencontré un homme nigérian qui aurait accepté de la loger chez lui, mais qui, au bout de quelques jours, aurait exigé des faveurs sexuelles en échange du logement et de la nourriture. Elle aurait alors essayé de déposer plainte, mais à défaut d’un interprète, la police aurait refusé de l’enregistrer. Au cours du mois de novembre 2019, ne supportant plus les viols presque quotidiens, elle aurait quitté la Grèce pour, après un bref séjour au Tchad, aller en Espagne à Barcelone. Elle précise que son séjour au Tchad s’expliquerait par le fait qu’elle aurait cherché la protection ailleurs au regard de sa situation d’exploitation sexuelle en Grèce et au vu des défaillances systémiques régnant dans ce pays.

Or, comme sa situation au Tchad aurait également été plus que précaire et n’osant pas rentrer dans son pays d’origine, elle serait revenue en Europe. Arrivée en Espagne, elle aurait appris que son deuxième mari y aurait été demandeur de protection internationale. Dans ce contexte, elle reproche au ministre d’avoir retenu que ses déclarations seraient contradictoires alors qu’elle aurait indiqué auprès de la police que, Monsieur …, serait son deuxième mari, qu’elle l’aurait revu en Espagne et qu’il serait donc le père de …, de sorte qu’il n’y aurait pas d’incohérences dans son récit. Suite à de brèves retrouvailles avec son mari en Espagne, au cours desquelles elle serait tombée enceinte de lui, elle aurait dû le quitter car il se serait trouvé dans un camp réservé aux demandeurs de protection internationale. Elle précise encore que son enfant serait né le … en Espagne, où elle aurait dû vivre dans des conditions précaires, de sorte qu’elle se serait résignée à se rendre au Luxembourg afin d’y déposer une demande de protection internationale.

En droit et en ce qui concerne le recours dirigé contre la décision refusant d’octroyer une protection internationale à l’enfant …, la demanderesse fait valoir que le ministre aurait commis un détournement de pouvoir, sinon une violation des droits de l’enfant consacrés par l’article 24 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte », l’article 5 a) de la directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008 relative aux normes et procédures communes applicables dans les Etats membres au retour des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier, ci-après désignée par « la directive 2008/115 », et par la Convention de New York sur les droits de l’enfant, signée le 20 novembre 1989, ci-après désignée par « la Convention relative aux droits de l’enfant », en soutenant que son enfant n’aurait ni statut ni droits en Grèce et que le renvoyer au Cameroun, sinon en Grèce en ne tenant pas compte de ses intérêts supérieurs violerait les prédites dispositions.

La demanderesse invoque encore une violation de la loi ou des formes destinées à protéger les intérêts privés au motif :

(i) d’une violation des droits procéduraux et en l’occurrence de l’article 41 (2) c) de la Charte, ensemble avec l’article 6 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal 8 juin 1979 », (ii) d’une violation des articles 1er et 4 de la Charte en raison de « défaillances systémiques en Grèce », la demanderesse se prévalant à cet égard, (a) de manière générale, de la situation dans ledit pays pour les bénéficiaires d’une protection internationale et des défaillances systémiques qui y existeraient, en se référant à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et à des prises de position d’organisations non-gouvernementales et institutions internationales à propos de la situation à laquelle seraient confrontés les bénéficiaires de protection internationale en Grèce, et (b) de la particulière vulnérabilité de son enfant, par référence à des arrêts de la CJUE du 19 mars 20193, en faisant valoir qu’en cas de retour au Cameroun, il serait exposé à des persécutions en raison de son appartenance à l’ethnie Bamiléké et qu’en Grèce, il n’aurait pas de droit de séjour légal, et (iii) d’une violation du droit à l’application du principe de précaution et du principe de coopération loyale, la demanderesse se référant, à cet égard, aux articles 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et 3 du Traité sur l’Union européenne (TUE) et faisant état de la situation mondiale due à la Covid-19 et à la guerre en Ukraine, qui impliquerait qu’elle ne devrait pas être contrainte avec son fils à traverser l’Europe, et ce d’autant plus, que le ministre n’aurait pas exigé des autorités grecques qu’ils les accompagnent dans leurs démarches en cas de retour.

Le délégué du gouvernement conclut au rejet du recours en tous ses moyens. En ce qui concerne les éléments liés à la crédibilité du récit de la demanderesse, il renvoie à la motivation de la décision ministérielle, en ajoutant que le constat y réalisé ne serait pas ébranlé par les développements contenus dans la requête introductive d’instance, alors que la demanderesse ne prendrait pas position sur les nombreux points de crédibilité mis en avant par le ministre.

En vertu de l’article 2 h) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « protection internationale » se définit comme correspondant au statut de réfugié et au statut conféré par la protection subsidiaire.

La notion de « réfugié » est définie par l’article 2 f) de la même loi comme « […] tout ressortissant d’un pays tiers ou apatride qui, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain groupe social, se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou tout apatride qui, se trouvant pour les raisons susmentionnées hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut y retourner […] ».

L’octroi du statut de réfugié est notamment soumis à la triple condition que les actes invoqués sont motivés par un des critères de fond définis à l’article 2 f) de la loi du 18 décembre 2015, que ces actes sont d’une gravité suffisante au sens de l’article 42 (1) de la loi du 18 décembre 2015, et qu’ils émanent de personnes qualifiées comme acteurs aux termes des articles 39 et 40 de la loi du 18 décembre 2015, étant entendu qu’au cas où les auteurs des actes 3 CJUE, 19 mars 2019, Bashar Ibrahim e.a. contre Bundesrepublik Deutschland et Bundesrepublik Deutschland contre Taus Magamadov, C-297/17, C-318/17, C-319/17 et C-438/17.

sont des personnes privées, elles ne sont à qualifier comme acteurs que dans le cas où les acteurs visés aux points a) et b) de l’article 40 de la loi du 18 décembre 2015 ne peuvent ou ne veulent pas accorder une protection contre les persécutions et que le demandeur ne peut ou ne veut pas se réclamer de la protection de son pays d’origine.

S’agissant du statut conféré par la protection subsidiaire, aux termes de l’article 2 g) de la loi du 18 décembre 2015, est une « personne pouvant bénéficier de la protection subsidiaire », « tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride qui ne peut être considéré comme un réfugié, mais pour lequel il y a des motifs sérieux et avérés de croire que la personne concernée, si elle était renvoyée dans son pays d’origine ou, dans le cas d’un apatride, dans le pays dans lequel il avait sa résidence habituelle, courrait un risque réel de subir les atteintes graves définies à l’article 48, l’article 50, paragraphes (1) et (2), n’étant pas applicable à cette personne, et cette personne ne pouvant pas ou, compte tenu de ce risque, n’étant pas disposée à se prévaloir de la protection de ce pays ».

L’article 48 de la même loi énumère, en tant qu’atteintes graves, sous ses points a), b) et c), « la peine de mort ou l’exécution ; la torture ou des traitements ou sanctions inhumains ou dégradants infligés à un demandeur dans son pays d’origine ; des menaces graves et individuelles contre la vie ou la personne d’un civil en raison d’une violence aveugle en cas de conflit armé interne ou international ».

Il suit de ces dispositions, ainsi que de celles des articles 39 et 40 de la même loi que l’octroi de la protection subsidiaire est notamment soumis à la double condition que les actes invoqués par le demandeur, de par leur nature, entrent dans le champ d’application de l’article 48 précité de la loi du 18 décembre 2015, à savoir qu’ils répondent aux hypothèses envisagées aux points a), b) et c), précitées, de l’article 48, et que les auteurs de ces actes puissent être qualifiés comme acteurs au sens des articles 39 et 40 de cette même loi.

Les conditions d’octroi du statut de réfugié, respectivement de celui conféré par la protection subsidiaire devant être réunies cumulativement, le fait que l’une d’elles ne soit pas valablement remplie est suffisant pour conclure que le demandeur ne saurait bénéficier du statut de réfugié, respectivement de la protection subsidiaire.

Il convient encore de préciser qu’en vertu de l’article 2 p) de la loi du 18 décembre 2015, une demande de protection internationale est à analyser par rapport au pays d’origine du demandeur, c’est-à-dire le pays dont il possède la nationalité, de sorte qu’en l’espèce, le risque de subir des persécutions ou des atteintes graves à l’égard de l’enfant … sera à évaluer par rapport au Cameroun.

Ensuite, le tribunal est amené à préciser que, statuant en tant que juge du fond en matière de demande de protection internationale, il doit procéder à l’évaluation de la situation personnelle du demandeur, tout en prenant en considération la situation telle qu’elle se présente à l’heure actuelle dans le pays de provenance. Cet examen ne se limite pas à la pertinence des faits allégués, mais il s’agit également d’apprécier la valeur des éléments de preuve et la crédibilité des déclarations du demandeur.

En ce qui concerne les motifs invoqués par Madame … à la base de la demande de protection internationale de son fils …, il se dégage du libellé de la décision déférée que le ministre est arrivé à la conclusion que le récit de Madame … ne serait pas crédible dans son ensemble.

A cet égard, il y a lieu de rappeler que si, comme en l’espèce, des éléments de preuve manquent pour étayer les déclarations du demandeur de protection internationale, celui-ci doit bénéficier du doute en application de l’article 37 (5) de la loi du 18 décembre 2015, si, de manière générale, son récit peut être considéré comme crédible, s’il s’est réellement efforcé d’étayer sa demande, s’il a livré tous les éléments dont il disposait et si ses déclarations sont cohérentes et ne sont pas en contradiction avec l’information générale et spécifique disponible, le principe du bénéfice du doute étant, en droit des réfugiés, d’une très grande importance alors qu’il est souvent impossible pour les réfugiés d’apporter des preuves formelles à l’appui de leur demande de protection internationale et de leur crainte de persécution ou d’atteintes graves4.

En l’espèce, le tribunal est amené à partager les doutes de la partie étatique quant à la crédibilité de l’ensemble du récit de la demanderesse à la base de la demande de protection internationale de son fils ….

A cet égard, il échet de relever que l’élément principal du récit de Madame …, sur lequel la demande de protection internationale de … est basée, réside dans les persécutions ou les atteintes graves qu’il risquerait, en cas de retour au Cameroun, de la part de la famille de son père, Monsieur …, qui aurait une ethnie différente de la sienne, Madame … précisant dans sa requête introductive d’instance qu’ « [elle] a clairement déclaré avoir quitté son pays parce qu’elle y était menacée en raison de son appartenance à une ethnie différente de celle de son deuxième mari et père de l’enfant …. »5 et qu’ « En tant que membre de l’ethnie Bamiléké alors que son mari appartient à l’ethnie Ekam, […] son fils [et elle-même seraient] exposés à des risques sérieux de persécutions. »6.

Or, ces informations sont contredites tant par les pièces du dossier administratif que par les déclarations de Madame ….

En effet, force est de constater que les affirmations de la demanderesse quant (i) à sa deuxième belle-famille, et plus particulièrement son beau-père7, Monsieur …, qui aurait désapprouvé le mariage entre son fils, …, et elle-même, pour appartenir à des ethnies différentes, (ii) au comportement de son beau-père qui aurait été virulent à son égard lorsqu’il aurait appris qu’elle était Bamiléké8, (iii) à sa belle-mère qui aurait œuvré pour que son propre fils se retrouve en prison en 2014 en raison de ce mariage9, (iv) aux maltraitances que ses deux autres enfants restés au Cameroun subiraient actuellement de la part des membres de sa belle-

famille10, (v) aux risques encourus par son fils et elle-même en cas de retour au Cameroun vis-

à-vis de cette famille, et (vi) à son mariage avec Monsieur …, qui aurait été célébré sans la présence des familles respectives des époux mais seulement de quelques amis, sont contredites par un document versé par Madame …, à savoir l’acte de mariage n° … émis par le Centre d’Etat civil de … le 11 novembre 2014, qui renseigne que Monsieur …, chef de famille de l’époux, donc le père de Monsieur …, était non seulement présent lors de leur mariage, mais qu’il y a formellement consenti et qu’il a signé ledit acte de mariage.

4 Trib. adm. 16 avril 2008, n° 23855, Pas. adm. 2022, V° Etrangers, n° 139 et les autres références y citées.

5 Page 5 de la requête introductive d’instance.

6 Ibid., page 6.

7 « C’est un ancien gendarme, il est pareil que sa femme. Il est pire que sa femme. Il était contre notre mariage.

C’est quelqu’un de méchant de nature. » page 4 du rapport d’audition des 30 août, 31 août et 2 septembre 2021.

8 Page 5 du rapport d’audition des 30 août, 31 août et 2 septembre 2021.

9 Page 3 du rapport d’audition des 30 août, 31 août et 2 septembre 2021.

10 Pages 5 et 6 du rapport d'audition du 16 février 2023.

Face à cette preuve flagrante, ajouté au fait que Madame … est restée muette sur le reproche émis par le ministre à cet égard, le tribunal est amené à constater que la crédibilité du récit de Madame … sur le point essentiel de la demande de protection internationale de son enfant … est d’ores et déjà irrémédiablement ébranlée.

Le tribunal remarque, par ailleurs, que Madame … indique que son deuxième époux, le père de …, et sa famille étaient « de l’ethnie d’Ekam »11, ce qu’elle a d’ailleurs confirmé dans le recours dont le tribunal est présentement saisi12, alors qu’elle a affirmé lors de l’entretien réalisé dans le cadre de la demande de protection internationale de son fils, que son deuxième époux serait d’ethnie « Beti »13, ce qui renforce d’autant plus le sentiment que Madame … n’est pas sincère dans ses déclarations.

A cela s’ajoute qu’il existe des divergences entre ses propos auprès du service de la police judiciaire où elle a indiqué avoir été sexuellement exploitée pendant trois ans en Turquie et avoir rencontré un homme en Espagne, …, dont elle n’aurait pas connu le nom de famille et avec lequel elle n’aurait pas habité, et ceux auprès de l’agent en charge de ses auditions auquel elle a affirmé avoir eu un travail pénible et non déclaré en Turquie pendant trois ans « dans une usine qui coupait des chapeaux »14 et que ledit … était en réalité son deuxième époux avec lequel elle avait eu deux enfants restés au Cameroun.

En outre, les publications sur le compte Facebook de son deuxième époux viennent encore contredire ses affirmations selon lesquelles (i) elle n’aurait pas eu connaissance de la présence de ce dernier en Espagne avant de s’y rendre, alors qu’elle a publié un commentaire le 25 novembre 2018 sur une de ses publications, alors qu’il avait posté une publication le 20 août 2018 renseignant qu’il se trouvait à …, et (ii) il aurait été en prison en mai 2014 en raison de leur relation15, alors que lesdites publications indiquaient qu’il était en Afghanistan de janvier à août 2014.

Au vu de ces constats, et sans qu’il ne soit nécessaire de prendre plus amplement position sur les autres points de crédibilité soulevés par le ministre, il apparaît que les conditions de l’article 37 (5) ne sont pas remplies, de sorte qu’il appartenait à Madame … d’apporter des éléments supplémentaires pour confirmer la réalité de ses dires, ce qu’elle reste néanmoins en défaut de faire.

En effet, force est de constater, que la demanderesse ne verse aucun document ou élément permettant d’apporter la moindre lumière sur son récit. Elle se borne, au contraire, à expliquer de manière peu plausible et vague que ses déclarations seraient crédibles et pertinentes, sans prendre clairement position face aux différents points de crédibilité soulevés et documentés par le ministre dans la décision litigieuse. La seule contestation de Madame … selon laquelle les informations relevées dans les publications du compte personnel Facebook de son deuxième époux ne pourraient pas lui être opposables n’est ni suffisante ni pertinente, dans la mesure où, tel que relevé ci-avant, elle-même a posté des commentaires sur lesdites publications.

Partant, le tribunal retient que tant ces omissions, contradictions et incohérences que le défaut de justifications y relatives sont de nature à ébranler la crédibilité de l’entièreté du récit 11 Page 3 du rapport d’audition des 30 août, 31 août et 2 septembre 2021.

12 Page 6 de la requête introductive d’instance.

13 Pages 3 et 6 du rapport d'audition du 16 février 2023.

14 Page 8 du rapport d’audition des 30 août, 31 août et 2 septembre 2021.

15 Page 3 du rapport d’audition des 30 août, 31 août et 2 septembre 2021.

exposé par Madame … dans le cadre de la demande de protection internationale de son fils, …, de sorte que ce dernier ne saurait, sur base de ce même récit, bénéficier ni du statut de réfugié ni de celui de la protection subsidiaire.

Dès lors, le tribunal est amené à retenir que c’est à bon droit que le ministre a refusé l’octroi dans le chef de l’enfant … d’un statut de protection internationale.

Partant, le recours est à rejeter pour être non fondé et l’enfant … est à débouter de sa demande de protection internationale.

2) Quant au recours en réformation dirigé contre l’ordre de quitter le territoire En ce qui concerne l’ordre de quitter le territoire prononcé à l’égard de l’enfant …, Madame … soutient que cet ordre violerait l’article 129 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration, ci-après désignée par « la loi du 29 août 2008 ». Elle estime que cet ordre de quitter le territoire prononcé à l’encontre de son fils vers le Cameroun n’aurait pas de sens alors qu’elle-même serait a priori orientée vers un retour en Grèce. En rappelant que son enfant n’aurait aucun titre de séjour légal en Grèce, elle donne à considérer que la décision entreprise entendrait soit envoyer son fils dans un pays lointain en le séparant de sa mère, soit le promettre à un nouveau statut illégal en Grèce. Elle ajoute que son ethnie, à laquelle son fils appartiendrait, ferait, en outre, actuellement l’objet de persécutions, Madame … renvoyant, dans ce contexte, à un article publié le 30 avril 2023 sur le site internet « www.camer.be », intitulé « Cameroun :: Chasse aux Bamileké à Baré-Bakem:

Le médiateur universel interpelle le gouverneur du Littoral :: Cameroon ». Enfin, elle fait valoir que l’ordre de quitter le territoire prononcé à l’encontre de son fils vers le Cameroun ou la Grèce entraînerait dans son chef un risque de subir des traitements inhumains et dégradants.

Si la motivation de Madame … ayant trait à une violation (i) des droits de l’enfant consacrés par l’article 24 de la Charte, l’article 5 a) de la directive 2008/115, et la Convention relative aux droits de l’enfant, (ii) des articles 1er et 4 de la Charte et (iii) du droit à l’application du principe de précaution et du principe de coopération loyale se trouve dans le recours dirigé contre le refus d’une protection internationale dans le chef de son fils, force est de constater qu’elle soutient, dans cette partie, que son enfant n’aurait ni statut ni droits en Grèce, et que le fait de le renvoyer au Cameroun, sinon en Grèce en ne tenant pas compte de ses intérêts supérieurs violerait les prédites dispositions. Ainsi, de l’entendement du tribunal, Madame … visait par cette motivation l’ordre de quitter le territoire prononcé à l’égard de son enfant, dont la réformation est sollicitée dans le dispositif de sa requête introductive d’instance, de sorte que le tribunal procédera à l’analyse de ce moyen dans les développements qui suivent.

Le délégué du gouvernement estime, quant à lui, que l’article 129 de la loi du 29 août 2008 serait à rejeter comme étant inopérant, alors qu’aux termes de l’article 2 (1) de la même loi, les dispositions de celle-ci ne seraient pas applicables aux demandeurs de protection internationale. Il précise encore que, le ministre n’ayant à se prononcer que sur les craintes d’un demandeur de protection internationale en cas de retour dans son pays d’origine, donc en l’espèce le Cameroun et non la Grèce, la décision entreprise tiendrait finalement compte, dans le cadre de la décision de retour, tant de la vie familiale que de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Il convient de relever qu’aux termes de l’article 34 (2) de la loi du 18 décembre 2015, « une décision du ministre vaut décision de retour. […] ». En vertu de l’article 2 q) de la loi du 18 décembre 2015, la notion de « décision de retour » se définit comme « la décision négative du ministre déclarant illégal le séjour et imposant l’ordre de quitter le territoire ». Si le législateur n’a pas expressément précisé que la décision du ministre visée à l’article 34 (2), précité, est une décision négative, il y a lieu d’admettre, sous peine de vider la disposition légale afférente de tout sens, que sont visées les décisions négatives du ministre. Il suit dès lors des dispositions qui précèdent que l’ordre de quitter le territoire est a priori la conséquence automatique du refus de protection internationale.

S’agissant plus particulièrement du moyen fondé sur une violation de l’intérêt supérieur de l’enfant, l’article 24 de la Charte dispose que : « 1. Les enfants ont droit à la protection et aux soins nécessaires à leur bien-être. Ils peuvent exprimer leur opinion librement. Celle-ci est prise en considération pour les sujets qui les concernent, en fonction de leur âge et de leur maturité.

2. Dans tous les actes relatifs aux enfants, qu’ils soient accomplis par des autorités publiques ou des institutions privées, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

3. Tout enfant a le droit d’entretenir régulièrement des relations personnelles et des contacts directs avec ses deux parents, sauf si cela est contraire à son intérêt. ».

Il ressort de cette disposition que l’autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l’intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant.

A cet égard, il ressort, certes, de l’arrêt de la Cour administrative du 18 juin 2020, inscrit sous le numéro 44376C du rôle, cité par la partie étatique, que le moyen tiré d’une violation de l’article 24 de la Charte invoqué dans le cadre d’un ordre de quitter le territoire prononcé suite à une décision de refus d’octroi de protection internationale ne pouvait aboutir et que, dans cette optique, la personne dont la demande de protection internationale avait été refusée et qui était dans l’obligation de quitter le territoire disposait, sauf exception, d’un délai de trente jours à compter du jour où la décision de retour devenait définitive pour quitter volontairement le pays, ce qui lui permettait, - le cas échéant -, de faire une demande d’autorisation de séjour en se prévalant de son droit au respect de sa vie privée et familiale.

Néanmoins, la CJUE a retenu (i) dans un arrêt du 14 janvier 202116 que l’article 6 (1) de la directive 2008/115, lu en combinaison avec l’article 5 a) de cette directive et l’article 24 (2) de la Charte, doit être interprété en ce sens que, avant de prendre une décision de retour à l’encontre d’un mineur non accompagné, l’Etat membre concerné doit effectuer une appréciation générale et approfondie de la situation de ce mineur, en tenant dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant, et (ii) dans un arrêt du 11 mars 202117, que l’article 5 de la directive 2008/115, lu en combinaison avec l’article 24 de la Charte imposait aux Etats membres de tenir dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant avant d’adopter une décision de retour, même lorsque le destinataire de cette décision n’est pas le mineur lui-même, mais le père de celui-ci.

Dans une ordonnance récente du 15 février 2023, la CJUE a plus particulièrement précisé que les articles 5 a) de la directive 2008/115 et 24 (2) de la Charte exigeaient de protéger l’intérêt supérieur de l’enfant à tous les stades de la procédure, en renvoyant à cet égard à son prédit arrêt du 14 janvier 2021, et que l’article 5 b) de ladite directive obligeait les Etats membres à tenir également compte de la vie familiale, en renvoyant dans ce contexte à son prédit arrêt du 11 mars 202118 avant de conclure que l’article 5 de la directive 2008/115 16 CJUE, 14 janvier 2021, TQ contre Staatssecretaris van Justitie en Veiligheid, C-441/19.

17 CJUE, 11 mars 2021, M.A. contre Etat belge, C-112/20.

18 CJUE, 15 février 2023, Bundesrepublik Deutschland contre GS, C-484/22, point 24.

s’opposait à ce qu’un Etat membre adopte une décision de retour sans prendre en compte les éléments pertinents de la vie familiale du ressortissant d’un pays tiers concerné19. Elle y a également retenu qu’avant de prendre une décision de retour à l’égard d’un mineur, l’Etat membre concerné devait effectuer une appréciation générale et approfondie de la situation de ce mineur, en tenant dûment compte de l’intérêt supérieur de l’enfant20, avant de conclure que l’article 5, a) et b), de la directive 2008/115 devait être interprété en ce sens qu’il exige que l’intérêt supérieur de l’enfant et la vie familiale de celui-ci soient protégés dans le cadre d’une procédure conduisant à l’adoption d’une décision de retour prononcée à l’égard d’un mineur, et qu’il ne suffisait pas que ce dernier puisse invoquer ces deux intérêts protégés dans le cadre d’une procédure subséquente, relative à l’exécution forcée de ladite décision de retour afin d’obtenir, le cas échéant, un sursis à cette exécution21.

En l’espèce, l’ordre de quitter le territoire déféré enjoint à l’enfant … de quitter le territoire luxembourgeois en direction (i) du Cameroun, le pays dont il a la nationalité, ou (ii) de tout autre pays dans lequel il est autorisé à séjourner.

Tout d’abord, il échet de relever que Madame …, le seul parent présent aux côtés de l’enfant …, est a priori susceptible d’être renvoyée en Grèce, pays dans lequel elle dispose d’un statut de réfugié.

Ainsi, force est de constater que l’enfant … se trouverait dans l’impossibilité de se rendre au Cameroun accompagné de sa mère, alors qu’ordonner le contraire entraînerait dans le chef de Madame … la violation du principe de non-refoulement énoncé expressément à l’article 33 de la Convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés.

Ensuite, quant à l’ordre de quitter le territoire vers le pays dans lequel l’enfant … serait autorisé à séjourner, il y a lieu de constater qu’aucun document n’est versé en cause duquel il se dégagerait qu’un tel pays existe dans son chef.

A cet égard, si le ministre a entendu viser la Grèce, pays dans lequel Madame … peut légalement séjourner, il ne ressort pas non plus des pièces du dossier administratif que l’enfant … serait autorisé à entrer et séjourner sur le territoire grec, - ce qui n’a d’ailleurs pas été soutenu par la partie étatique -, étant relevé, sur ce point, que la demande de réadmission dans le chef de Madame … et de son fils adressée par les autorités luxembourgeoises à leurs homologues grecs en date du 1er juillet 2021 est restée sans réponse.

Ainsi, il ressort de ces développements qu’en ordonnant à l’enfant … de quitter le territoire luxembourgeois pour aller au Cameroun, pays dont il a la nationalité et seul pays dans lequel il pourrait éventuellement se rendre, équivaudrait à le renvoyer seul dans ledit pays, ce qui est, au vu des enseignements de la CJUE tels que mentionnés ci-avant, manifestement contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant, consacré notamment à l’article 24 de la Charte.

Cette analyse n’est pas autrement remise en cause par les arguments de la partie étatique énoncés lors de l’audience des plaidoiries, consistant à soutenir que l’enfant ne serait évidemment pas envoyé au Cameroun, le tribunal étant amené à rappeler, dans ce contexte, que l’ordre de quitter le territoire est exécutoire à partir du moment où il devient définitif.

19 Ibid., point 25.

20 Ibid., point 26.

21 Ibid., point 28.

Partant, au vu des considérations qui précèdent, le recours en réformation est à déclarer fondé en ce qu’il est dirigé contre la décision ordonnant à l’enfant … de quitter le territoire luxembourgeois vers le Cameroun ou tout autre pays dans lequel il serait autorisé à séjourner, de sorte que cet ordre de quitter le territoire encourt l’annulation dans le cadre de la réformation, sans qu’il ne soit nécessaire de statuer plus en avant sur les autres moyens, une telle analyse devenant surabondante.

Au vu de l’issue du litige, il y a lieu de faire masse des frais et dépens de l’instance et de les imputer pour moitié à chacune des parties.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement et sur renvoi par jugement du 25 mai 2023, inscrit sous le numéro 48896 du rôle, rendu par le juge du tribunal administratif, siégeant en remplacement du président de la deuxième chambre du tribunal administratif ;

vidant ledit jugement du 25 mai 2023 ;

déclare non justifié le recours en réformation introduit contre la décision ministérielle du 13 avril 2023 portant refus d’une protection internationale ;

déboute l’enfant … de sa demande de protection internationale ;

déclare justifié le recours en réformation introduit contre l’ordre de quitter le territoire contenu dans le même acte, partant annule, dans le cadre de la réformation, l’ordre de quitter le territoire du 13 avril 2023 ;

renvoie le dossier au ministre en prosécution de cause ;

fait masse des frais et dépens de l’instance et les impose pour moitié à la demanderesse et pour moitié à l’Etat.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castagnaro, vice-président, Alexandra Bochet, premier juge, Annemarie Theis, juge, et lu à l’audience publique du 19 juin 2023 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Alexandra Castagnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 19 juin 2023 Le greffier du tribunal administratif 20


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 48896a
Date de la décision : 19/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 23/06/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-06-19;48896a ?

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