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05/06/2023 | LUXEMBOURG | N°47800

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juin 2023, 47800


Tribunal administratif N° 47800 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47800 2e chambre Inscrit le 8 août 2022 Audience publique du 5 juin 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Santé en matière d’autorisation d’exercer la profession de masseur-kinésithérapeute

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47800 du rôle et déposée le 8 août 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître José Lopes Goncalves, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de M

onsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du...

Tribunal administratif N° 47800 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47800 2e chambre Inscrit le 8 août 2022 Audience publique du 5 juin 2023 Recours formé par Monsieur …, …, contre une décision du ministre de la Santé en matière d’autorisation d’exercer la profession de masseur-kinésithérapeute

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47800 du rôle et déposée le 8 août 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître José Lopes Goncalves, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Monsieur …, demeurant à L-…, tendant à la réformation, sinon à l’annulation d’un arrêté du ministre de la Santé, daté du 1er août 2022, lui ayant retiré avec effet immédiat l’autorisation d’exercer la profession de masseur-

kinésithérapeute ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 8 novembre 2022 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître José Lopes Goncalves déposé au greffe du tribunal administratif le 8 décembre 2022 pour compte de Monsieur …, préqualifié ;

Vu le mémoire en duplique du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 3 janvier 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment l’arrêté ministériel critiqué ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Alain Bingen, en remplacement de Maître José Lopes Goncalves, et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 24 avril 2023.

Par jugement du tribunal d’arrondissement de et à Diekirch, siégeant en matière criminelle, du 23 décembre 2021, Monsieur …, masseur-kinésithérapeute, fut condamné du chef de viol et d’attentat à la pudeur perpétré sur l’une de ses patientes à une peine d’emprisonnement de 36 mois, assortie du sursis intégral, et à une amende de 2.500,00 EUR, de même qu’il se vit interdire, pour une durée de 5 ans, les droits de remplir des fonctions, emplois ou offices publics, de porter une décoration, d’être expert, témoin instrumentaire ou certificateur dans les actes, de déposer en justice autrement que pour y donner de simples renseignements, de faire partie d’un conseil de famille, de remplir une fonction dans un régime de protection des incapables mineurs ou majeurs, si ce n’est à l’égard de ses enfants et sur avis conforme du juge des tutelles et du conseil de famille, s’il en existe, de tenir école ou d’enseigner ou d’être employé dans un établissement d’enseignement.

1Par lettre recommandée datée du 19 mai 2022, le ministre de la Santé, ci-après désigné par « le ministre », informa Monsieur … qu’il envisagerait de retirer, conformément aux dispositions de l’article 20 de la loi modifiée du 26 mars 1992 sur l’exercice et la revalorisation de certaines professions de santé, ci-après désignée par « la loi du 26 mars 1992 », son autorisation d’exercer la profession de masseur-kinésithérapeute, lui délivrée le 21 septembre 2016, ledit courrier étant libellé comme suit :

« […] Par décision n°17/2021 du Tribunal d’arrondissement de et à Diekirch, la chambre criminelle a prononcé à votre encontre une peine d’emprisonnement de trente-six mois avec sursis et des frais de sa mise en jugement.

Ce jugement, coulé en force de chose jugée, est intervenu suite à une condamnation pour les infractions de viol et d’attentat à la pudeur.

Vu l’avis du Conseil supérieur de certaines professions de santé en date du 17 mai 2022.

Considérant la gravité des faits retenus à votre charge et l’étendue des peines prononcées à votre encontre.

Considérant le fait que ces infractions sont en relation directe avec votre exercice professionnel.

Au vu de ce qui précède, je me vois obligée de déduire que vous ne remplissez plus les conditions prévues à l’article 2 de la loi modifiée du 26 mars 1992 sur l’exercice et la revalorisation de certaines professions de santé. Je me dois également de constater que vous ne remplissez plus la condition d’honorabilité.

Par conséquent, j’envisage de retirer, conformément aux dispositions de l’article 20 de la loi précitée, votre autorisation d’exercer la profession de masseur-kinésithérapeute enregistrée au registre professionnel sous le numéro … délivrée le 21 septembre 2016.

La présente vous est adressée conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes. Vous êtes admis à présenter vos observations endéans un délai de huit jours à partir de la réception de la présente. […] ».

Par courrier de son mandataire adressé le 23 mai 2022 au ministre par voie électronique, Monsieur … demanda à se voir communiquer son dossier administratif.

N’ayant pas obtenu de réponse à cette demande et afin de respecter le délai de huitaine lui imparti, Monsieur … prit position par lettre recommandée du 30 mai 2022 au courrier ministériel, précité, du 19 mai 2022, en relevant que, selon lui, le principe du contradictoire n’aurait pas été respecté, alors qu’il ne disposerait pas du dossier administratif et qu’il aurait partant dû prendre position sans être en possession « du rapport » du Conseil supérieur de certaines professions de santé. Par ailleurs, il donna à considérer que le tribunal ne l’aurait pas condamné à la peine accessoire prévue à l’article 18 de la loi du 26 mars 1992, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu de procéder au retrait de son autorisation professionnelle.

2Après la remise à la poste de ce courrier, le mandataire de Monsieur … se vit communiquer le même jour, par voie électronique, le dossier administratif de son mandant.

Par courrier du 1er août 2022, le ministre, après avoir relevé que Monsieur … n’aurait pas présenté des observations conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes, ci-après désigné par « le règlement grand-ducal du 8 juin 1979 », informa celui-ci du retrait de l’autorisation d’exercer la profession de masseur-kinésithérapeute avec effet immédiat par arrêté ministériel du même jour, joint à ce courrier.

Ledit arrêté ministériel de retrait est libellé comme suit :

« […] Vu la loi modifiée du 26 mars 1992 sur l’exercice et la revalorisation de certaines professions de santé, et notamment l’article 20 ;

Vu le jugement coulé en force de chose jugée du 21 décembre 2021 de la chambre criminelle du Tribunal d’arrondissement de et à Diekirch ;

Considérant que Monsieur … a été condamné pour les infractions de viol et d’attentat à la pudeur ;

Considérant la gravité des faits retenus et l’étendu des peines prononcées à l’encontre de Monsieur … ;

Considérant que les agissements prérelatés ensemble avec les autres agissements retenus à charge de Monsieur … par le tribunal, la peine prononcée ainsi que les développements faits par le tribunal pour la motiver font ressortir que Monsieur … ne remplit plus les conditions d’honorabilité et de moralité nécessaires à l’exercice de la profession de masseur-kinésithérapeute ;

Vu l’avis du Conseil supérieur de certaines professions de santé en date du 28 février 2022 ;

Vu l’avis du Conseil supérieur de certaines professions de santé en date du 17 mai 2022 ;

Vu le courrier daté au 19 mai 2022 remis à Monsieur … en date du 23 mai 2022 ;

Considérant que Monsieur … n’a pas présenté ses observations conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 relatif à la procédure à suivre par les administrations relevant de l’Etat et des communes ;

Arrête:

Art.1. L’autorisation d’exercer la profession de masseur-kinésithérapeute au Grand-

Duché de Luxembourg portant le numéro … délivrée en date du 21 septembre 2016, est retirée avec effet immédiat.

Art.2. Le présent arrêté est communiqué par lettre recommandée avec accusé de réception à Monsieur …. […] ».

3 Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 août 2022, inscrite sous le numéro 47800 du rôle, Monsieur … a fait introduire un recours tendant à la réformation, sinon à l’annulation de l’arrêté ministériel du 1er août 2022, précité.

Par requête séparée déposée au greffe du tribunal administratif le même jour, inscrite sous le numéro 47801 du rôle, il a encore introduit un recours tendant à voir ordonner le sursis à exécution par rapport à cet arrêté ministériel, recours dont il a été débouté par ordonnance du président du tribunal administratif du 18 août 2022.

Etant donné que l’article 21 de la loi du 26 mars 1992 prévoit un recours au fond contre les décisions de retrait d’une autorisation d’exercer, le tribunal est compétent pour connaître du recours principal en réformation introduit en l’espèce, lequel est encore recevable pour avoir, par ailleurs, été introduit dans les formes et délai de la loi.

Il n’y a, dès lors, pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation.

Moyens et arguments des parties A l’appui de son recours, le demandeur, après avoir exposé les faits et rétroactes gisant à la base de l’arrêté ministériel déféré, invoque tout d’abord et à titre principal, une violation par le ministre de l’article 9 (1) du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 dans la mesure où nonobstant sa demande expresse formulée de se voir communiquer dans les plus brefs délais et par voie électronique une copie de son dossier administratif au vu du délai très court et du principe du contradictoire en droit administratif, le ministre n’aurait finalement transmis le dossier administratif comprenant les deux « avis » du Conseil supérieur de certaines professions de santé par courrier électronique qu’à la fin du dernier jour utile pour présenter ses observations, de sorte qu’il n’aurait pas été en mesure de prendre position par rapport à ces « avis » et qu’il n’aurait pas bénéficié de toutes les garanties prévues par la procédure administrative non contentieuse dans le contexte de la prise de la mesure de retrait de son autorisation d’exercer. Au vu de ces considérations, il devrait être conclu que la décision de retrait serait viciée en raison du non-respect du principe du contradictoire.

A titre subsidiaire, le demandeur conclut à l’illégalité de la décision déférée pour erreur sur les faits, Monsieur … reprochant, dans ce contexte, au ministre (i) d’avoir assis sa décision sur des prémisses inexactes en ce qu’il y serait indiqué qu’il n’aurait pas présenté ses observations conformément à l’article 9 (1) du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, ce qui laisserait sous-entendre dans son chef un désintérêt pour son sort, alors pourtant que par lettre recommandée du 30 mai 2022, son avocat aurait pris position par rapport au retrait annoncé de son autorisation d’exercer la profession de masseur-kinésithérapeute et (ii) plus particulièrement de ne pas avoir intégré ses observations dans la décision litigieuse.

Enfin, et plus subsidiairement, le demandeur reproche encore à l’arrêté ministériel déféré de ne pas constituer une sanction appropriée eu égard à la gravité des faits de l’espèce.

A cet égard, il donne à considérer que l’article 20 de la loi du 26 mars 1992 prévoirait que l’autorisation d’exercer une profession de santé visée à l’article 2 est suspendue ou retirée par le ministre lorsque les conditions y prévues ne sont plus remplies, tandis que l’article 2 (1) d) de ladite loi exigerait que toute personne en relevant doit répondre aux conditions d’honorabilité et de moralité nécessaires à l’exercice de la profession.

4 Or, il ressortirait de l’« avis » du Conseil supérieur de certaines professions de santé du 28 février 2022 que cet organe aurait préconisé la suspension avec effet immédiat de son droit d’exercer pour une durée de deux ans, tel que stipulé par l’article 20 bis (3) de la loi du 26 mars 1992, ledit conseil ayant réitéré cet « avis » en date du 17 mai 2022, tout en priant le ministre de bien vouloir suspendre, avec effet immédiat, le droit d’exercer susmentionné pour une durée de deux ans tel que stipulé dans l’article 20 bis (3) de ladite loi.

Le demandeur estime partant que ce serait à tort que le ministre serait passé outre ces « avis » en prononçant à son encontre une sanction administrative définitive plus lourde, le retrait prononcé impliquant, selon lui, une interdiction d’exercer à vie et ce, alors même que dans son jugement du 23 décembre 2021, la chambre criminelle aurait notamment retenu en sa faveur l’absence d’antécédents judiciaires dans son chef, ainsi que l’absence de violences ou de menaces à l’égard de la victime, de sorte à lui avoir consenti des circonstances atténuantes et d’avoir assorti la peine d’emprisonnement du sursis intégral, sans prononcer une interdiction temporaire ou à vie d’exercer la profession, alors qu’une telle peine accessoire aurait été envisageable. Le demandeur en conclut que la chambre criminelle n’aurait « clairement pas voulu [lui] fermer la porte à toute poursuite de l’activité de kinésithérapie » et qu’elle ne l’aurait pas jugé indigne à l’exercice de cette activité. Le demandeur est, par ailleurs, d’avis « que les conditions d’honorabilité et de moralité nécessaires à l’exercice de la profession n’ont pas disparu dans [son] chef […] à la suite de la condamnation pénale », de même qu’il n’existerait pas de risque de récidive, tel que cela aurait été établi par rapport d’expertise neuro-

psychiatrique.

Dans son mémoire en réplique et en ce qui concerne son reproche d’un non-respect par le ministre du principe du contradictoire, le demandeur insiste sur le fait que le ministre ne lui aurait pas communiqué immédiatement suite à sa demande afférente les deux « avis » du Conseil supérieur de certaines professions de santé qui, contrairement au jugement rendu par le tribunal d’arrondissement de et à Diekirch, n’auraient pas été à sa disposition à la date où il avait présenté ses observations qui, par la force des choses, auraient dès lors été limitées aux éléments dont il avait connaissance à cette époque.

Il est ensuite d’avis qu’il ne pourrait lui être valablement reproché de ne pas avoir jugé utile de prendre ultérieurement position dans la mesure où il se serait attendu à ce qu’une décision ministérielle intervienne dans un délai rapproché après l’écoulement du délai de huit jours lui donné pour faire valoir ses observations. Il justifie le fait de ne pas avoir émis d’observations complémentaires par la considération qu’il aurait été d’avis que son délai de réponse était révolu, de même qu’il n’aurait pas voulu s’exposer au reproche de ne pas avoir respecté le délai de huitaine lui accordé.

Le demandeur maintient ensuite que l’arrêté ministériel litigieux retiendrait à tort qu’il n’aurait pas présenté ses observations et qu’il serait dès lors basé sur une motivation erronée.

Enfin, il réitère que la décision de retrait de son autorisation d’exercer aurait un caractère disproportionné en donnant plus particulièrement à considérer qu’à ce jour, aucune procédure disciplinaire pour demander un retrait définitif de son autorisation d’exercer la profession de masseur-kinésithérapeute n’aurait été menée par le Conseil supérieur de certaines professions de santé. Il fait, à cet égard, valoir qu’une telle procédure disciplinaire offrirait des garanties supplémentaires et que si elle avait été lancée, il n’aurait pas été pris au dépourvu ni dû arrêter son activité du jour au lendemain sans avertissement.

5 Le demandeur insiste ensuite sur le fait que dans sa lettre du 17 mai 2022, le Conseil supérieur de certaines professions de santé n’aurait plus demandé un retrait, mais une suspension de 2 ans de son droit d’exercer son activité professionnelle, tout en estimant que le ministre aurait pu se limiter à prononcer une suspension temporaire en tenant compte du fait qu’alors même que le Parquet avait demandé sa condamnation à une peine d’emprisonnement ferme de 8 ans, la chambre criminelle aurait prononcé une peine d’emprisonnement moindre de 5 ans, assortie d’un sursis intégral.

Au vu de ces considérations et plus particulièrement au regard des faits uniques lui reprochés et de l’absence d’antécédents judiciaires dans son chef, le demandeur est d’avis que le retrait avec effet immédiat de son autorisation d’exercer ne serait pas justifié, ce d’autant plus qu’il ne faudrait pas non plus perdre de vue les circonstances particulières de l’affaire pénale telles qu’elles se dégageraient du descriptif des faits contenu dans le jugement pénal.

Tout en admettant que la procédure administrative serait distincte de la procédure pénale, le demandeur est néanmoins d’avis que dans un souci de cohérence, « les pénalités à appliquer dans les trois procédures [seraient] à synchroniser ». Comme le retrait administratif irait nettement au-delà « de la sanction proportionnée prononcée par la chambre criminelle », il ne serait pas adapté en l’espèce.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Analyse du tribunal En ce qui concerne tout d’abord le moyen tenant à une violation de l’article 9 (1) du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, il y a lieu de relever que celui-ci dispose comme suit :

« Sauf s’il y a péril en la demeure, l’autorité qui se propose de révoquer ou de modifier d’office pour l’avenir une décision ayant créé ou reconnu des droits à une partie, ou qui se propose de prendre une décision en dehors d’une initiative de la partie concernée, doit informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir. Cette communication se fait par lettre recommandée. Un délai d’au moins huit jours doit être accordé à la partie concernée pour présenter ses observations. Lorsque la partie concernée le demande endéans le délai imparti, elle doit être entendue en personne […] ».

Ledit article soumet ainsi à la procédure contradictoire deux catégories de décisions administratives dont la caractéristique commune est que ces décisions sont susceptibles d’affecter profondément les intérêts personnels ou patrimoniaux d’une personne. Il s’agit, d’un côté, des décisions qui révoquent ou modifient d’office pour l’avenir des décisions antérieures ayant créé ou reconnu des droits à une personne et, de l’autre côté, des décisions qu’une autorité administrative se propose de prendre en dehors d’une initiative de la personne concernée.

Les deux hypothèses ont comme trait commun de concerner des actes administratifs individuels qui sont pris par une autorité administrative en dehors de toute intervention de l’administré concerné et à propos desquels il n’a, par conséquent, eu aucune occasion de faire valoir son point de vue et qui portent atteinte à une situation administrative valablement acquise1.

1 Jean Olinger, « La procedure administrative non contentieuse », 1992, page 83.

6 Ainsi, toutes les fois que l’administration se trouve en face d’une situation rentrant dans l’une des deux catégories d’actes, l’alinéa 1er de l’article 9, précité, lui prescrit « d’informer de son intention la partie concernée en lui communiquant les éléments de fait et de droit qui l’amènent à agir »2.

En l’espèce, il est constant en cause que le ministre a, par lettre recommandée datée du 19 mai 2022, informé formellement, conformément au prescrit de l’article 9 (1) du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, le demandeur qu’il envisageait de lui retirer son autorisation d’exercer la profession de masseur-kinésithérapeute, tout en renvoyant, dans ledit courrier, à la « décision n°17/2021 du Tribunal d’arrondissement de et à Diekirch », par le biais de laquelle la chambre criminelle a prononcé à l’encontre du demandeur une peine d’emprisonnement de 36 mois avec sursis pour des infractions de viol et d’attentat à la pudeur, ainsi qu’à un « avis » du Conseil supérieur de certaines professions de santé du 17 mai 2022, et en lui expliquant qu’en considération de la gravité des faits retenus à sa charge et de l’étendue des peines prononcées à son encontre, de même qu’en considération du fait que les infractions en question seraient en relation directe avec l’exercice de son activité professionnelle, il devrait être admis que le demandeur ne remplirait plus les conditions prévues à l’article 2 de la loi du 26 mars 1992, ni la condition d’honorabilité pour exercer sa profession. Par le biais du même courrier, Monsieur … a été informé qu’il lui était possible de présenter ses observations endéans un délai de huit jours.

Il apparaît dès lors qu’à travers ledit courrier le ministre a fourni au demandeur les éléments de fait et de droit l’amenant à envisager de procéder au retrait de son autorisation d’exercer la profession de masseur-kinésithérapie, tout en lui laissant un délai de huit jours pour présenter ses observations, de sorte qu’a priori il doit être admis que dès l’envoi de ce courrier, le demandeur a été mis dans la possibilité de présenter utilement ses observations de fait et droit et qu’aucune violation des dispositions de l’article 9 (1) du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne saurait être reprochée au ministre.

Ce constat n’est pas ébranlé par le fait que le demandeur a sollicité en date du 23 mai 2022 la communication de son dossier administratif et qu’il a fait parvenir ses observations au ministre en date du 30 mai 2022, endéans le délai de huitaine, mais sans avoir obtenu à ce moment-là communication du dossier administratif, lequel ne lui a été adressé que le même jour après la remise à la poste de ses observations. En effet, outre le fait que, tel que retenu ci-

avant, le courrier ministériel du 19 mai 2022 contenait tous les éléments de fait et de droit amenant le ministre à agir, il y a encore lieu de relever que dans sa prise de position adressée au ministre, le demandeur a soulevé une violation du principe du contradictoire au motif qu’il aurait été amené à prendre position sans avoir eu connaissance de l’ « avis » du Conseil supérieur de certaines professions de santé mentionné par le ministre, tout en se réservant explicitement et formellement le droit de pouvoir prendre ultérieurement dans la procédure position par rapport au prédit avis du Conseil supérieur de certaines professions de santé.

Or, si le ministre a finalement pris l’arrêté de retrait en date du 1er août 2022, ni le demandeur, ni son litismandataire, bien que mis en possession du dossier administratif, comprenant notamment les deux courriers du Conseil supérieur de certaines professions de santé, depuis le 30 mai 2022, n’ont communiqué de quelconques observations complémentaires au ministre, alors qu’ils disposaient pourtant de 2 mois pour ce faire et qu’ils 2 Idem.

7s’en étaient explicitement réservés le droit, droit non contesté par le ministre. Le demandeur est, à cet égard, malvenu de justifier son inaction par le fait qu’il s’attendait, voire qu’il estime avoir légitiment pu s’attendre à ce qu’une décision ministérielle intervienne dans un délai rapproché, alors que dès la réception du dossier administratif, il lui aurait été aisé de demander au ministre d’attendre avant de prendre une décision en l’informant de sa volonté de communiquer des observations supplémentaires et en demandant à cette fin un délai supplémentaire, ce qu’il est resté en défaut de faire.

Au vu des considérations qui précèdent, le moyen tenant à une violation par le ministre de l’article 9 (1) du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 est à rejeter pour ne pas être fondé.

En ce qui concerne ensuite le moyen tenant à une erreur de fait, le demandeur reprochant au ministre d’avoir assis sa décision sur des prémisses inexactes en retenant qu’il n’aurait pas présenté ses observations conformément à l’article 9 (1) du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, respectivement en n’intégrant pas les observations présentées le 30 mai 2022 dans l’arrêté litigieux, le tribunal se doit de relever que dans sa lettre du 30 mai 2022, le demandeur s’est contenté de critiquer le fait qu’il ne disposait, au moment de la rédaction de ladite lettre, pas du dossier administratif, tout en donnant à considérer que le ministre ne devrait pas perdre de vue que la chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de et à Diekirch ne l’aurait pas condamné à la peine accessoire prévue à l’article 18 de la loi du 26 mars 1992. Pour le surplus, il y a lieu de relever que malgré le fait qu’il se soit réservé expressément la possibilité de prendre ultérieurement position dans la procédure quant au courrier du Conseil supérieur de certaines professions de santé du 17 mai 2022, il n’a plus présenté d’observations supplémentaires après s’être vu communiquer le dossier administratif contenant ledit courrier.

Il est vrai que l’arrêté ministériel litigieux retient notamment au niveau des considérants que le demandeur n’aurait pas présenté ses observations conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, ce qui est de facto erroné, puisque, tel que relevé ci-

avant, le demandeur a bien présenté, certes « sous réserve expresse de pouvoir prendre position quant à l’avis du Conseil supérieur ultérieurement dans la procédure », mais néanmoins des observations par l’intermédiaire d’un courrier de son litismandataire du 30 mai 2022, le tout endéans le délai de 8 jours lui imparti par le ministre. Il n’en reste pas moins qu’à la lecture de l’arrêté ministériel litigieux, il apparaît sans équivoque qu’il n’est motivé ni exclusivement ni même essentiellement par le constat de l’absence de communication, par le demandeur, de ses observations conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979, mais par l’existence dans le chef de celui-ci d’une condamnation pénale pour viol et attentat à la pudeur, le ministre ayant, en effet, pris le soin de relever que le demandeur avait été condamné « pour les infractions de viol et d’attentat à la pudeur », de même que « la gravité des faits retenus et l’étendu des peines prononcées à l’encontre de Monsieur … » pour en conclure que les agissements en question « ensemble les autres agissements retenus à charge de Monsieur … par le tribunal, la peine prononcée ainsi que les développements faits par le tribunal pour la motiver [feraient] ressortir que Monsieur … ne remplit plus les conditions d’honorabilité et de moralité nécessaires à l’exercice de la profession de masseur-kinésithérapeute ».

Au vu des considérations qui précèdent, la seule indication erronée suivant laquelle le demandeur n’aurait pas présenté ses observations conformément à l’article 9 du règlement grand-ducal du 8 juin 1979 ne saurait être considérée comme ayant pu vicier l’arrêté ministériel déféré dans sa substance profonde ni a fortiori entraîner dans le cadre de la réformation la sanction de l’annulation dudit arrêté. Le moyen afférent est dès lors également à rejeter.

8Le demandeur reproche, enfin, à la décision ministérielle portant retrait de l’autorisation d’exercer la profession de masseur-kinésithérapeute de constituer une décision disproportionnée par rapport à la gravité des faits lui reprochés en ce que ladite décision emporterait dans son chef une « interdiction d’exercer à vie », respectivement qu’elle aurait été prise en passant outre les « avis » du Conseil supérieur de certaines professions de santé lequel aurait préconisé une sanction moins sévère.

Le tribunal relève tout d’abord que l’arrêté ministériel litigieux a été pris sur le fondement de l’article 20 de la loi du 26 mars 1992, aux termes duquel « L’autorisation d’exercer une profession de santé visée à l’article 2 est suspendue ou retirée par le ministre lorsque les conditions y prévues ne sont plus remplies. ».

Il convient, à cet égard, de constater que, contrairement à l’interprétation faite par le demandeur, la décision de retrait de l’autorisation d’exercer la profession de masseur-

kinésithérapeute n’emporte pas dans son chef une « interdiction d’exercer à vie » ladite profession, à savoir une décision de retrait définitive et irrémédiable, mais une décision de retrait à durée indéterminée, de sorte à ce qu’en théorie, rien n’empêche le demandeur, au terme d’un certain délai, de demander à se voir délivrer une nouvelle autorisation conformément à l’article 2 de la loi du 26 mars 1992.

C’est dès lors à tort que le demandeur conclut au caractère disproportionné de l’arrêté ministériel litigieux au motif qu’il impliquerait prétendument une interdiction d’exercer à vie la profession de masseur-kinésithérapeute.

Ensuite, il y a lieu de relever que l’article 20 de la loi du 26 mars 1992, précité, permet au ministre de suspendre ou de retirer l’autorisation d’exercer une profession de santé lorsque les conditions de l’article 2 de la même loi ne sont plus remplies, l’article 2 en question soumettant la délivrance d’une autorisation d’exercer notamment sous son point d) à la condition que le candidat à la profession de santé en question réponde « aux conditions d’honorabilité et de moralité nécessaires à l’exercice de la profession ».

Il se dégage de l’arrêté ministériel litigieux que le ministre a estimé qu’eu égard à la condamnation du demandeur pour des infractions de viol et d’attentat à la pudeur, l’intéressé ne répondrait plus aux conditions d’honorabilité et de moralité telles que prévues à l’article 2, point d) de la loi du 26 mars 1992 et qu’il a partant décidé de lui retirer son autorisation d’exercer.

C’est à cet égard en vain que le demandeur conclut au caractère disproportionné de cette décision au motif qu’en la prenant, le ministre serait passé outre deux avis du Conseil supérieur de certaines professions de santé en prononçant une sanction administrative plus lourde que celle préconisée par ledit organe.

A la lecture des deux courriers des 28 février et 17 mai 2022, il apparaît, en effet, qu’il ne s’agit, en tout état de cause, pas d’avis destinés à éclairer le ministre dans sa prise de décision, voire de courriers ayant pour but de demander à ce qu’une décision administrative plus clémente, telle qu’une suspension temporaire, soit prise par le ministre, mais de courriers visant, d’une part, à informer le ministre de la condamnation pénale du demandeur et, d’autre part, de solliciter la suspension avec effet immédiat de son autorisation d’exercer en vue d’un retrait définitif ultérieur à prononcer dans le cadre d’une procédure disciplinaire.

9Ensuite, il y a lieu de relever qu’outre le fait que suivant l’article 19 de la loi du 26 mars 1992, le Conseil supérieur de certaines professions de santé n’a en toutes hypothèses qu’un rôle consultatif, aucun tel rôle consultatif n’est prévu par la loi du 26 mars 1992 dans le cadre d’une décision de retrait de l’autorisation d’exercer une profession de santé, telle que celle de l’espèce, le ministre pouvant dès lors prononcer un retrait de sa propre initiative sans consulter ledit organe.

Le reproche suivant lequel l’arrêté ministériel litigieux serait disproportionné au motif que le ministre serait passé outre deux prétendus avis du Conseil supérieur de certaines professions de santé est dès lors à rejeter pour manquer de fondement.

Enfin, dans la mesure où il n’est pas contesté que par jugement de la chambre criminelle du tribunal d’arrondissement de et à Diekirch du 23 décembre 2021, Monsieur … a été condamné à une peine criminelle au vu des faits de viol et d’attentat à la pudeur retenus à sa charge, infractions qui ont, qui plus est, été commises sur une de ses patientes, le tribunal se doit de conclure que le ministre en procédant au retrait avec effet immédiat de l’autorisation d’exercer la profession de masseur-kinésithérapeute n’a pas arrêté une sanction disproportionnée.

Cette conclusion n’est pas ébranlée par le fait que la chambre criminelle a reconnu des circonstances atténuantes au profit du demandeur et qu’elle ne l’a pas condamné à la peine accessoire d’une interdiction temporaire ou à vie d’exercer la profession, la chambre criminelle et le ministre étant chacun appelés à statuer dans leurs sphères de compétences respectives propres. Ainsi, le juge répressif prend nécessairement en compte différents aspects du comportement et de la personnalité du prévenu, aboutissant le cas échéant à aménager la sanction pénale à prononcer d’un sursis, sans, tel que cela a été le cas en l’espèce, prononcer de peine accessoire, tandis que le ministre, est appelé à statuer non pas en tant qu’organe répressif, mais en tant qu’organe chargé de veiller au respect entre autres des dispositions de la loi du 26 mars 1992, exigeant notamment à l’article 2, point d) de la part d’un professionnel de la santé de répondre « aux conditions d’honorabilité et de moralité nécessaires à l’exercice de la profession ». Or, de ce point de vue, aucun reproche ne saurait être adressé au ministre pour avoir estimé qu’un masseur-kinésithérapeute ayant été condamné à une peine criminelle pour des faits de viol et d’attentat à la pudeur sur une de ses patientes, donc pour des infractions en relation directe avec son activité professionnelle, ne saurait être considéré comme remplissant les conditions d’honorabilité et de moralité nécessaires à l’exercice de sa profession et de lui avoir, en conséquence, retiré avec effet immédiat son autorisation d’exercer la profession de masseur-kinésithérapeute pour une durée indéterminée.

Le moyen afférent est dès lors également à rejeter.

Au vu des considérations qui précèdent et à défaut d’autres moyens, le recours est à rejeter pour ne pas être fondé.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours principal en réformation en la forme ;

au fond, le déclare non justifié, partant en déboute ;

10 dit qu’il n’y a pas lieu de statuer sur le recours subsidiaire en annulation ;

condamne le demandeur aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé par :

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, premier juge, Caroline Weyland, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 5 juin 2023 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 juin 2023 Le greffier du tribunal administratif 11


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47800
Date de la décision : 05/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 10/06/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-06-05;47800 ?

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