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05/06/2023 | LUXEMBOURG | N°47289

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 05 juin 2023, 47289


Tribunal administratif N° 47289 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47289 2e chambre Inscrit le 8 avril 2022 Audience publique du 5 juin 2023 Recours formé par la société anonyme “A” SA, …, contre des « décisions » du ministre des Classes moyennes, en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47289 du rôle et déposée le 8 avril 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître François Delvaux, avocat

à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme ...

Tribunal administratif N° 47289 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:47289 2e chambre Inscrit le 8 avril 2022 Audience publique du 5 juin 2023 Recours formé par la société anonyme “A” SA, …, contre des « décisions » du ministre des Classes moyennes, en matière d’autorisation d’établissement

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JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 47289 du rôle et déposée le 8 avril 2022 au greffe du tribunal administratif par Maître François Delvaux, avocat à la Cour, inscrit au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de la société anonyme “A” SA, établie et ayant son siège social à L-…, représentée par son gérant actuellement en fonctions, immatriculée au registre de commerce et des sociétés de Luxembourg sous le numéro …, tendant à l’annulation, sinon à la réformation des décisions, ainsi qualifiées, du ministre des Classes moyennes datées des 21 janvier et 30 mars 2022, annonçant l’intention du ministre d’entamer une procédure de révocation des autorisations d’établissement nos …, … et … délivrées le 13 avril 2016 ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif le 7 juillet 2022 ;

Vu le mémoire en réplique de Maître François Delvaux déposé au greffe du tribunal administratif le 28 juillet 2022 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment les actes déférés ;

Le juge-rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Romain Del Degan, en remplacement de Maître François Delvaux, et Monsieur le délégué du gouvernement Luc Reding en leurs plaidoiries respectives à l’audience du 24 avril 2023.

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Le ministre des Classes moyennes, ci-après désigné par le « ministre », adressa en date du 21 janvier 2022 à la société anonyme “A” SA, ci-après désignée par « la société “A” », un courrier relatif aux différentes autorisations d’établissement reposant sur Monsieur …, bénéficiaire économique de la prédite société, pour l’informer que l’honorabilité de Monsieur … serait compromise, mais qu’il serait néanmoins disposé à attendre que ce dernier régularise sa situation auprès des créanciers publics, faute de quoi il serait contraint de procéder à la révocation des autorisations en question, ledit courrier étant libellé comme suit :

« […] Suite à la faillite de la société “B” SA, dont il était le dirigeant, le Ministère de l’Économie, Direction des Classes moyennes a sollicité des éléments d’appréciation auprès des créanciers publics, afin de permettre de vérifier si son honorabilité professionnelle n’est pas compromise.

Il en résulte que l’honorabilité professionnelle de Monsieur … est compromise. En effet, cette faillite est caractérisée notamment par des dettes auprès des créanciers publics (AED et ACD).

A titre d’information je vous communique ci-dessous les montants des dettes auprès des créanciers publics pour ladite faillite :

CCSS AED ACD / … … Néanmoins, je vous signale que si le sieur précité me faisait parvenir une attestation certifiant que toutes les dettes accumulées auprès des créanciers publics ont été payées, et les créanciers publics ainsi désintéressés ou s’il apportait la preuve d’un arrangement transactionnel déterminant un plan de remboursement des arriérés, je serais disposé à reconsidérer son honorabilité professionnelle, conformément aux dispositions des articles 4.4 et 6 (3) et (4) de la loi modifiée d’établissement du 2 septembre 2011.

Par conséquent, Monsieur … voudra régulariser sa situation auprès des créanciers publics endéans un mois et me faire parvenir un certificat des administrations concernées que les dettes ont été payées, voire un plan d’apurement accepté.

A défaut, je serais contraint de procéder à la révocation des autorisations sous rubrique.

La présente décision peut faire l’objet d’un recours par voie d’avocat à la Cour endéans trois mois devant le tribunal administratif. […] ».

Par courriers recommandés de son litismandataire des 28 janvier, 4, février, 17 février et 21 mars 2022, de même que par le biais d’un courrier électronique du 30 mars 2022, la société “A” s’adressa au ministre afin d’exprimer son étonnement face à l’intention déclarée de celui-ci de révoquer les autorisations d’établissement reposant sur Monsieur … au motif que l’honorabilité professionnelle de celui-ci serait compromise, tout en expliquant pour quelles raisons elle estimait que Monsieur … ne pourrait pas être rendu personnellement responsable des dettes de la société anonyme “B” SA, en faillite, ci-après désignée par « la société “B”, en faillite », envers des créanciers publics, telles qu’évoquées dans le courrier ministériel du 21 janvier 2022, et en sollicitant de la part du ministre de l’informer s’il était disposé, au vu des informations et pièces lui soumises, à renoncer à procéder à la révocation des autorisations d’établissement en cause.

Par courrier recommandé du 30 mars 2022, le ministre prit position comme suit :

« […] Par la présente, je reviens au dossier référencé sous rubrique et plus particulièrement au courrier du 21 mars 2022 ainsi qu’aux pièces jointes au dossier à cette occasion. Votre dossier a entre-temps fait l’objet d’une nouvelle instruction administrative prévue à l’article 28 de la loi modifiée d’établissement du 2 septembre 2011.

Comme déjà indiqué dans notre courrier du 7 février 2022, je vous rappelle nonobstant que Monsieur … ait démissionné de la société en faillite “B” SA et que cette démission soit actée au RCS, le sieur précité ne nous a pas informé de ce fait.

2Le RCS étant une entité différente du Ministère de l’Économie, Direction générale des Classes moyennes, l’échange ne se fait malheureusement pas automatiquement. Il était dans ses obligations de faire aussi le nécessaire auprès de notre Ministère, tel que requis à l’article 28 du droit d’établissement.

De plus l’annulation demandée concernait seulement les autorisations reposant sur Madame … et a été demandé lors de l’introduction de la demande de Monsieur ….

Etant donné que le sieur précité est le dernier dirigeant avant la survenance de la faillite, il est donc responsable des dettes accumulées dans le cadre de la faillite de la société “B” SA.

Par conséquent, je suis disposé à accorder à votre mandant un délai supplémentaire d’un mois, à partir de la réception de la présente, pour la présentation d’une attestation certifiant que tous les arriérés ont été payés ou la preuve d’un arrangement transactionnel déterminant un plan de remboursement des arriérés.

A défaut, je procéderai à la révocation des autorisations sous rubrique.

La présente décision peut faire l’objet d’un recours par voie d’avocat à la Cour endéans trois mois devant le tribunal administratif. […] ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 8 avril 2022, inscrite sous le numéro 47289 du rôle, la société “A” a fait introduire un recours en annulation, sinon en réformation contre les décisions ministérielles, ainsi qualifiées, datées des 21 janvier et 30 mars 2022.

Encore qu’un demandeur entende exercer principalement un recours en annulation et subsidiairement un recours en réformation, le tribunal a l’obligation d’examiner en premier lieu la possibilité d’exercer un recours en réformation. En effet, dans la mesure où l’article 2 de la loi modifiée du 7 novembre 1996 portant organisation des juridictions de l’ordre administratif dispose qu’un recours en annulation n’est recevable qu’à l’égard des décisions non susceptibles d’un autre recours d’après les lois et règlements, il n’y a pas lieu de statuer sur le recours en annulation lorsqu’un recours en réformation est prévu par la loi1.

Dans la mesure où ni la loi modifiée du 2 septembre 2011 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’industriel, ainsi qu’à certaines professions libérales, ni aucune autre disposition légale n’instaurent un recours au fond en la présente matière, le tribunal est incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation introduit en l’espèce.

Dans son mémoire en réponse, le délégué du gouvernement soulève l’irrecevabilité du recours principal en annulation, au motif, en substance, que les courriers, précités, des 21 janvier et 30 mars 2022 ne présenteraient aucun caractère décisionnel.

Dans son mémoire en réplique, la société demanderesse, tout en admettant que le ministre, aux termes de ses courriers des 21 janvier et 30 mars 2022, n’aurait pas révoqué les autorisations d’établissement détenues par Monsieur …, donne à considérer que même si elle 1 Trib. adm., 4 décembre 1997, n° 10404 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation n° 4 et les autres références y citées.

3partait du principe que le ministre renoncera, le moment venu, à révoquer les autorisations en cause au vu notamment des moyens de fait et de droit développés dans le recours sous analyse et des pièces versées en cause, il n’en resterait pas moins qu’il ne pourrait pas être exclu qu’il pourrait tout de même être tenté à l’avenir et suivant les circonstances de procéder à la révocation.

Le tribunal précise que l’acte administratif susceptible de faire l’objet d’un recours contentieux doit constituer une véritable décision de nature à faire grief, c’est-à-dire un acte susceptible de produire par lui-même des effets juridiques affectant la situation personnelle et patrimoniale de celui qui réclame.

Compte tenu du libellé des courriers déférés, reproduits in extenso ci-avant, le tribunal constate qu’à travers les courriers en question, le ministre s’est limité à informer la société “A” de son intention de procéder à la révocation des autorisations d’établissement en cause reposant sur Monsieur … à moins que celui-ci n’établisse avoir régularisé sa situation par rapport à différents créanciers publics de la société “B”, en faillite, endéans un délai déterminé.

Or, il est de jurisprudence que lorsqu’une autorité invite un administré à mettre fin à une irrégularité, cette invitation pouvant revêtir la forme d’une sommation assortie de délais, proportionnée à la gravité apparente de la situation en fait, du moment qu’il appert que cette invitation est un préalable à des sanctions ou autres mesures que l’administration envisage d’entamer afin d’obtenir la coopération de l’administré, respectivement la disparition de l’irrégularité, une telle invitation ne constitue pas une décision autonome de nature à faire grief, mais doit plutôt être considérée comme mesure d’exécution préliminaire de la décision de retrait annoncée dans la saine intention de conférer à l’administré l’occasion d’éliminer volontairement dans un certain délai le résultat de son agissement illégal tout en lui évitant les désagréments de la mesure annoncée par l’autorité2.

Par ailleurs, il a été jugé qu’une lettre par laquelle un ministre se borne à exprimer une intention ou à s’expliquer sur une intention qu’il révèle ne constitue pas un acte administratif de nature à faire grief, qu’elle soit adressée à un administré ou à une autre autorité3. De même, les informations données par l’administration, tout comme les déclarations d’intention ou les actes préparatoires d’une décision ne font pas grief, comme n’étant pas destinées à produire, par elles-mêmes, des effets juridiques4. Dans le même ordre d’idées, il a été jugé que l’annonce de la prise éventuelle de décision ne peut pas être déférée au juge administratif, seule la décision effective étant susceptible de l’être5.

Dans la mesure où à travers les courriers déférés, le ministre s’est limité à informer la société “A” de son intention de procéder au retrait des autorisations d’établissement en cause, à moins que Monsieur … n’établisse avoir régularisé sa situation par rapport à différents créanciers publics endéans un délai déterminé, tel que relevé ci-avant, ces courriers ne contiennent qu’une déclaration d’intention de la part du ministre et ne représentent que des actes préparatoires de la décision finale éventuelle que constitue la décision de révocation 2 Trib. adm. 5 mars 2012, n° 27465 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Actes administratifs, n°124 du rôle et les autres références y citées.

3 Trib. adm. 7 mars 2007, n° 21708, Pas. adm. 2022, V° Actes administratifs, n° 68 et les autres références y citées.

4 Trib. adm., 23 juillet 1997, n° 9658 du rôle, confirmé sur ce point par Cour adm., 19 février 2018, n° 10263C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Actes administratifs, n° 68 et les autres références y citées.

5 Cour adm. 20 janvier 2015, n° 34959C, Pas. adm. 2022, V° Actes administratifs, n° 60 et les autres références y citées.

4annoncée, respectivement s’analysent en une mesure d’exécution préliminaire de cette dernière, dans l’intention de conférer à Monsieur … la possibilité de se conformer volontairement dans un certain délai aux dispositions légales applicables, tout en évitant à la société demanderesse les désagréments résultant d’une telle décision de révocation. Dès lors, et au vu des développements qui précèdent, le tribunal est amené à conclure que les courriers en question ne constituent pas des décisions administratives susceptibles de recours contentieux.

Le fait que les courriers ministériels du 21 janvier et 30 mars 2022 contiennent l’indication de voies de recours est sans incidence à cet égard, étant donné que la simple indication erronée dans un courrier d’une autorité administrative de voies de recours ne saurait créer un droit et conférer un quelconque caractère décisionnel à l’acte en question6.

Le recours principal en annulation sous analyse est, dès lors, à déclarer irrecevable.

Par ces motifs, le tribunal administratif, deuxième chambre, statuant contradictoirement ;

se déclare incompétent pour connaître du recours subsidiaire en réformation ;

déclare le recours principal en annulation irrecevable ;

condamne la société demanderesse aux frais et dépens.

Ainsi jugé par:

Alexandra Castegnaro, vice-président, Alexandra Bochet, premier juge, Caroline Weyland, attaché de justice délégué, et lu à l’audience publique du 5 juin 2023 par le vice-président, en présence du greffier Lejila Adrovic.

s.Lejila Adrovic s.Alexandra Castegnaro Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 6 juin 2023 Le greffier du tribunal administratif 6 Trib. adm. 19 juin 2018, n° 39513, Pas. adm. 2022, V° Actes administratifs, n° 70 et les autres références y citées.


Synthèse
Formation : Deuxième chambre
Numéro d'arrêt : 47289
Date de la décision : 05/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 10/06/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-06-05;47289 ?

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