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02/06/2023 | LUXEMBOURG | N°48904

Luxembourg | Luxembourg, Tribunal administratif, 02 juin 2023, 48904


Tribunal administratif N° 48904 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48904 4e chambre Inscrit le 4 mai 2023 Audience publique du 2 juin 2023 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48904 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 mai 2023 par Maître Katy Demarche, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de

Madame …, déclarant être née le … à … (Cameroun) et être de nationalité camerounai...

Tribunal administratif N° 48904 du rôle du Grand-Duché de Luxembourg ECLI:LU:TADM:2023:48904 4e chambre Inscrit le 4 mai 2023 Audience publique du 2 juin 2023 Recours formé par Madame …, …, contre une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile en matière de protection internationale (art. 35 (4), L. 18.12.2015)

JUGEMENT

Vu la requête inscrite sous le numéro 48904 du rôle et déposée au greffe du tribunal administratif en date du 4 mai 2023 par Maître Katy Demarche, avocat à la Cour, inscrite au tableau de l’Ordre des avocats à Luxembourg, au nom de Madame …, déclarant être née le … à … (Cameroun) et être de nationalité camerounaise, demeurant actuellement sise à L-…, tendant à la réformation d’une décision du ministre de l’Immigration et de l’Asile du 14 avril 2023 de la transférer vers la Belgique, comme étant l’Etat membre compétent pour connaître de sa demande de protection internationale ;

Vu le mémoire en réponse du délégué du gouvernement déposé au greffe du tribunal administratif en date du 16 mai 2023 ;

Vu les pièces versées en cause et notamment la décision entreprise ;

Le juge rapporteur entendu en son rapport, ainsi que Maître Katy Demarche et Madame le délégué du gouvernement Danitza Greffrath en leurs plaidoiries respectives à l’audience publique du 23 mai 2023.

Le 8 mars 2023, Madame … introduisit auprès du service compétent du ministère des Affaires étrangères et européennes, direction de l’Immigration, ci-après désigné par « le ministère », une demande en obtention d’une protection internationale au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire, ci-après désignée par « la loi du 18 décembre 2015 ».

Le même jour, Madame … fut entendue par un agent du service de police judiciaire de la police grand-ducale, section …, sur son identité et sur l’itinéraire suivi pour venir au Luxembourg. A cette occasion, suite à une recherche dans la base de données EURODAC, il s’avéra que Madame … avait préalablement introduit une demande de protection internationale en Belgique en date du 6 janvier 2021.

Toujours le même jour, Madame … fut entendue par un agent du ministère en vue de déterminer l’Etat responsable de l’examen de sa demande de protection internationale en vertu du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’Etat membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des Etats membrespar un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ci-après désigné par « le règlement Dublin III ».

Le 10 mars 2023, les autorités luxembourgeoises contactèrent leurs homologues belges en vue de la reprise en charge de l’intéressée sur base de l’article 18, paragraphe (1), point b) du règlement Dublin III, demande qui fut acceptée par ces dernières, sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d), aux termes d’un courrier du 22 mars 2023.

Par décision du 14 avril 2023, notifiée à l’intéressée par lettre recommandée expédiée le même jour, le ministre de l’Immigration et de l’asile, dénommée ci-après « le ministre », informa Madame … que le Grand-Duché de Luxembourg avait pris la décision de la transférer dans les meilleurs délais vers la Belgique sur base de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, la décision étant libellée comme suit :

« (…) Vous avez introduit une demande de protection internationale au Luxembourg en date du 8 mars 2023 au sens de la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à la protection internationale et à la protection temporaire (ci-après « la loi modifiée du 18 décembre 2015 »).

En vertu des dispositions de l'article 28(1) de la loi précitée et des dispositions de l'article 18(1)d du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement Européen et du Conseil du 26 juin 2013 (ci-après « le règlement DIII »), le Grand-Duché de Luxembourg n'examinera pas votre demande de protection internationale et vous serez transférée vers la Belgique qui est l'Etat membre responsable pour traiter cette demande.

Les faits concernant votre demande, la motivation à la base de la présente décision, les bases légales sur lesquelles elle s'appuie, de même que les informations quant aux voies de recours ouvertes sont précisés ci-après.

En mains le rapport de Police Judiciaire et le rapport d'entretien Dublin III sur votre demande de protection internationale, datés au 8 mars 2023.

1. Quant aux faits à la base de votre demande de protection internationale En date du 8 mars 2023, vous avez introduit une demande de protection internationale auprès du service compétent de la Direction de l'immigration.

La comparaison de vos empreintes dactyloscopiques avec la base de données Eurodac a révélé que vous avez introduit une demande de protection internationale en Belgique en date du 6 janvier 2021.

Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat responsable, un entretien Dublin III a été mené en date du 8 mars 2023.

Sur cette base, la Direction de l'immigration a adressé en date du 10 mars 2023 une demande de reprise en charge aux autorités belges sur base de l'article 18(1)b du règlement DIII, demande qui fut acceptée par lesdites autorités belges en date du 22 mars 2023, conformément à l’article 18(1)d du règlement DIII.

2. Quant aux bases légales 2 En tant qu'Etat membre de l'Union européenne, l'Etat luxembourgeois est tenu de mener un examen aux fins de déterminer l'Etat responsable conformément aux dispositions du règlement DIII établissant les critères et mécanismes de détermination de l'Etat membre responsable de l'examen d'une demande de protection internationale introduite dans l'un des Etats membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride.

S'il ressort de cet examen qu'un autre Etat est responsable du traitement de la demande de protection internationale, la Direction de l'immigration rend une décision de transfert après que l'Etat requis a accepté la prise ou la reprise en charge du demandeur.

Aux termes de l'article 28(1) de la loi modifiée du 18 décembre 2015, le Luxembourg n'est pas responsable pour le traitement d'une demande de protection internationale si cette responsabilité revient à un autre Etat.

Dans le cadre d'une reprise en charge, et notamment conformément à l'article 18(1), point d) du règlement DIII, l'Etat responsable de l'examen d'une demande de protection internationale en vertu du règlement est tenu de reprendre en charge – dans les conditions prévues aux art. 23, 24, 25 et 29 – le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre Etat membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre Etat membre.

Par ailleurs, un Etat n'est pas autorisé à transférer un demandeur vers l'Etat normalement responsable lorsqu'il existe des preuves ou indices avérés qu'un demandeur risquerait dans son cas particulier d'être soumis dans cet Etat à un traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la Convention du 4 novembre 1950 de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (ci-après la « CEDH ») ou 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne (ci-après « la Charte UE »).

3. Quant à la motivation de la présente décision de transfert En l'espèce, il ressort des résultats du 8 mars 2023 de la comparaison de vos données dactyloscopiques avec celles enregistrées dans la base de données Eurodac que vous avez introduit une demande de protection internationale en Belgique en date du 6 janvier 2021.

Selon vos déclarations, vous auriez quitté le Cameroun en avion en direction de l'Espagne à l'aide d'un faux-document que vous auriez reçu par un passeur. Après quelques jours passés en Belgique, vous auriez pris un bus en direction de la Belgique. Vous auriez séjourné en Belgique du 5 janvier 2021 jusqu'au 7 mars 2023, date à laquelle vous vous êtes rendue au Luxembourg.

Lors de votre entretien Dublin III en date du 8 mars 2023, vous n'avez pas fait mention d'éventuelles particularités sur votre état de santé ou fait état d'autres problèmes généraux empêchant un transfert vers la Belgique qui est l'Etat membre responsable pour traiter votre demande de protection internationale.

Madame, vous déclarez avoir quitté la Belgique parce que vous n'auriez pas eu de réponse à votre demande de protection internationale et par crainte d'être retrouvée par votre cousin, qui serait la raison de votre départ du Cameroun, que vous auriez dénoncé et qui voyagerait souvent en Belgique.

3 Rappelons à cet égard que la Belgique est liée à la Charte UE et est partie à la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés (ci-après « la Convention de Genève »), à la CEDH et à la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (« Conv. torture »).

Il y a également lieu de soulever que la Belgique est liée par la Directive (UE) n° 2013/32 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l'octroi et le retrait de la protection internationale [refonte] (« directive Procédure ») et par la Directive (UE) n° 2013/33 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l'accueil des personnes demandant la protection internationale [refonte] (« directive Accueil »).

Soulignons en outre que la Belgique profite, comme tout autre Etat membre, de la confiance mutuelle qu'elle respecte ses obligations découlant du droit international et européen en la matière.

Par conséquent, la Belgique est présumée respecter ses obligations tirées du droit international public, en particulier le principe de non-refoulement énoncé expressément à l'article 33 de la Convention de Genève, ainsi que l'interdiction des mauvais traitements ancrée à l'article 3 CEDH et à l'article 3 Conv. torture.

Par ailleurs, il n'existe en particulier aucune jurisprudence de la Cour EDH ou de la CJUE, de même qu'il n'existe aucune recommandation de l'UNHCR visant de façon générale à suspendre les transferts vers la Belgique sur base du règlement (UE) n° 604/2013.

En l'occurrence, dans l'hypothèse où les autorités belges auraient effectivement rendu une décision de renvoi vers votre pays d'origine, vous ne rapportez pas la preuve que votre demande de protection internationale n'aurait pas fait l'objet d'une analyse juste et équitable, ni que vous n'auriez pas les moyens de faire valoir vos droits, notamment devant les autorités judiciaires belges.

Vous n'avez fourni aucun élément susceptible de démontrer que la Belgique ne respecterait pas le principe de non-refoulement à votre égard et faillirait à ses obligations internationales en vous renvoyant dans un pays où votre vie, votre intégrité corporelle ou votre liberté seraient sérieusement menacées.

Dans le cadre de la procédure « Dublin », il ne revient pas aux autorités luxembourgeoises d'analyser les risques d'être soumis à des traitements inhumains au sens de l'article 3 CEDH dans votre pays d'origine, mais dans l'Etat de destination, en l'occurrence la Belgique. Vous ne faites valoir aucun indice que la Belgique ne vous offrirait pas le droit à un recours effectif conformément à l'article 13 CEDH ou que vous n'aviez ou n'auriez pas la possibilité de faire valoir vos droits quant au fond de votre demande devant les juridictions belges, notamment en vertu de l'article 46 de la directive « Procédure ».

Madame, vous n'avez pas non plus démontré que, dans votre cas concret, vos conditions d'existence en Belgique revêtiraient un tel degré de pénibilité et de gravité qu'elles seraient constitutives d'un traitement contraire à l'article 3 CEDH ou encore à l'article 3 Conv. torture.

4 Il n'existe en outre pas non plus de raisons pour une application de l'article 16(1) du règlement DIII pouvant amener le Luxembourg à assumer la responsabilité de l'examen au fond de votre demande de protection internationale.

Il convient encore de souligner qu'en vertu de l'article 17(1) du règlement DIII (clause de souveraineté), chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par le ressortissant d'un pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le règlement, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Les autorités luxembourgeoises disposent d'un pouvoir discrétionnaire à cet égard, et l'application de la clause de souveraineté ne constitue pas une obligation.

Il ne ressort pas de l'ensemble des éléments de votre dossier que les autorités luxembourgeoises auraient dû faire application de la clause de souveraineté prévue à l'article 17(1) du règlement DIII. En effet, vous ne faites valoir aucun élément humanitaire ou exceptionnel qui ne serait pas couvert par les dispositions du règlement DIII et qui devrait amener les autorités luxembourgeoises à se déclarer responsables pour le traitement de votre demande de protection internationale.

Pour l'exécution du transfert vers la Belgique, seule votre capacité de voyager est déterminante et fera l'objet d'une détermination définitive dans un délai raisonnable avant le transfert.

Si votre état de santé devait temporairement constituer un obstacle à l'exécution de votre renvoi vers la Belgique, l'exécution du transfert serait suspendue jusqu'à ce que vous seriez à nouveau apte à être transférée. Par ailleurs, si cela s'avère nécessaire, la Direction de l'immigration prendra en compte votre état de santé lors de l'organisation du transfert vers la Belgique en informant les autorités belges conformément aux articles 31 et 32 du règlement DIII à condition que vous exprimiez votre consentement explicite à cette fin.

D'autres raisons individuelles pouvant éventuellement entraver la remise aux autorités belges n'ont pas été constatées. (…) ».

Par requête déposée au greffe du tribunal administratif le 4 mai 2023, Madame … a fait introduire un recours tendant à la réformation de la décision ministérielle précitée du 14 avril 2023.

Etant donné que l’article 35, paragraphe (4) de la loi du 18 décembre 2015 prévoit un recours en réformation contre les décisions de transfert, le tribunal est compétent pour connaître du recours en réformation dirigé contre la décision du ministérielle litigieuse, recours qui est, par ailleurs, recevable pour avoir été introduit dans les formes et délai de la loi.

A l’appui de son recours et en fait, la demanderesse souligne qu’elle serait arrivée du Cameroun en Espagne et du fait qu’elle n’aurait pas compris la langue y aurait pris un bus pour partir vers la Belgique. En Belgique, elle aurait déposé une demande de protection internationale sans qu’aucune décision n’aurait été rendue endéans le délai, de sorte qu’elle aurait dû quitter la structure d’hébergement, se trouvant sans domicile et sans décision définitive quant à sa demande de protection internationale. La demanderesse serait ensuite venue au Luxembourg pour y déposer une demande de protection internationale.

En droit, la demanderesse fait valoir que l’Etat luxembourgeois aurait l’obligation de mener un examen aux fins de déterminer l’Etat responsable conformément aux dispositions du règlement Dublin III dans l’hypothèse de l’introduction d’une demande de protection internationale par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, ce qui serait son cas, alors qu’elle serait une ressortissante de pays tiers dont la demande n’aurait pas été rejetée auprès d’un autre Etat membre, à savoir la Belgique, qui n’aurait jamais rendu de décision à son égard dans les délais lui impartis.

La demanderesse fait plaider qu’elle aurait attendu la notification de la décision de sa demande de protection internationale dans le foyer d’accueil, mais qu’aucune décision ne lui serait parvenue. Ainsi, le foyer d’accueil dans lequel elle aurait séjourné lui aurait demandé de partir sans qu’elle n’aurait eu la notification d’acceptation ou de rejet de sa demande de protection internationale.

Ne pouvant pas vivre dans la rue et ne disposant plus d’adresse en Belgique à laquelle une décision aurait pu lui être notifiée, elle aurait alors décidé, pour sa dignité, de venir au Luxembourg pour y déposer une demande de protection internationale en vue de son examen et de la notification d’une décision y relative, la demanderesse estimant que ce serait son droit d’obtenir une décision quant à une telle demande, peu importe l’issue de celle-ci.

Elle estime que le fait de s’être trouvée démunie de logement et de nourriture en Belgique, sans accès à une structure d’accueil pour les réfugiés, pourrait être considéré comme un traitement inhumain et dégradant au sens de l’article 3 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, ci-après dénommée « la CEDH », sinon au sens de l’article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, ci-après désignée par « la Charte ».

La demanderesse arrive ainsi à la conclusion que le Luxembourg devrait se déclarer responsable de l’examen de sa demande de protection internationale, alors qu’elle ne saurait plus vivre dignement en Belgique du fait que les autorités belges ne lui auraient pas délivré de décision définitive à sa demande de protection internationale, de sorte que ce serait à tort que le ministre aurait décidé de la transférer vers la Belgique. Elle fait relever que si la Belgique serait liée par la Charte, par la CEDH, ainsi que par la Convention du 10 décembre 1984 contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants, ci-après dénommée « la Convention torture », il n’en demeurerait pas moins qu’elle aurait perdu le bénéfice des structures d’accueil en Belgique et que les conditions de dignité n’y seraient pas garanties dans son chef, alors qu’elle se trouverait livrée à elle-même sans pour autant détenir une décision relative à sa demande de protection internationale, son intégrité corporelle et sa liberté y étant sérieusement menacées.

Elle fait encore valoir que le fait qu’aucune décision ne lui aurait été notifiée dans les délais, prouverait que sa demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, de sorte qu’elle n’aurait aucun moyen de faire valoir ses droits devant les autorités belges. Ce serait dès lors à tort que le ministre aurait relevé qu’il n’existerait aucun indice que la Belgique n’offrirait pas de recours effectif conformément à l’article 13 de la CEDH, ou qu’elle n’aurait pas la possibilité de faire valoir ses droits quant au fond de sa demande de protection internationale devant les juridictions belges. La demanderesse affirme, dans ce contexte, avoir effectué plusieurs démarches auprès d’associations pour l’aider afin d’obtenir une décision définitive quant à sa demande de protection internationale.

Ainsi, elle relève une violation de l’article 46 de la directive (UE) n° 2013/32/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relative à des procédures communes pour l’octroi et le retrait de la protection internationale (refonte), ci-après dénommée « directive Procédure ».

Finalement, la demanderesse invoque l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, qui permettrait, pour des raisons exceptionnelles ou humanitaires, à l’Etat luxembourgeois de se déclarer compétent pour connaître de sa demande de protection internationale, notamment en raison du stress causé par la situation subie en Belgique qui aurait provoquée chez elle une maladie psychosomatique du fait qu’elle craindrait de s’y retrouver seule à la rue, ainsi que du fait qu’elle craindrait d’être retrouvée par son cousin en Belgique.

Le délégué du gouvernement conclut, quant à lui, au rejet du recours pour ne pas être fondé.

Il y a lieu de relever que l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 dispose que : « Si, en application du règlement (UE) n° 604/2013, le ministre estime qu’un autre Etat membre est responsable de la demande, il sursoit à statuer sur la demande jusqu’à la décision du pays responsable sur la requête de prise ou de reprise en charge. Lorsque l’Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge du demandeur, le ministre notifie à la personne concernée la décision de la transférer vers l’Etat membre responsable et de ne pas examiner sa demande de protection internationale ».

Il s’ensuit que si le ministre estime qu’en application du règlement Dublin III, un autre pays est responsable de l’examen de la demande de protection internationale, voire des suites à réserver à la décision de rejet d’une telle demande, et si ce pays accepte la prise ou la reprise en charge de l’intéressé, le ministre décide de transférer la personne concernée vers l’Etat membre responsable sans examiner la demande de protection internationale introduite au Luxembourg.

L’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, sur lequel le ministre s’est basé en l’espèce pour conclure à la responsabilité des autorités belges, prévoit que « 1. L’État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : (…) d) reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l’apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d’un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d’un autre État membre ».

Le tribunal constate de prime abord qu’il est constant en cause que la décision de transférer la demanderesse vers la Belgique et de ne pas examiner sa demande de protection internationale a été adoptée par le ministre en application de l’article 28, paragraphe (1) de la loi du 18 décembre 2015 et de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, au motif que l’Etat responsable de l’examen de la demande de protection internationale de la demanderesse serait la Belgique, en ce qu’elle y avait introduit une demande de protection internationale le 6 janvier 2021 et que les autorités belges avaient accepté sa reprise en charge le 22 mars 2023, de sorte que c’est a priori à bon droit que le ministre a décidé de la transférer vers ledit Etat membre et de ne pas examiner sa demande de protection internationale.

Le tribunal relève ensuite que les possibilités légales pour le ministre de ne pas procéder au transfert d’un demandeur de protection internationale, malgré la compétence de principe d’un autre Etat membre, et d’examiner, le cas échéant, sa demande sont prévues, d’une part, par l’article 3, paragraphe (2), alinéa 2 du règlement Dublin III, lequel présuppose l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 4 de la Charte, auquel cas le ministre ne peut pas transférer l’intéressé dans cet Etat tout en poursuivant la procédure de détermination de l’Etat membre responsable, ainsi que, d’autre part, par l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, accordant au ministre la simple faculté d’examiner la demande de protection internationale nonobstant la compétence de principe d’un autre Etat membre pour ce faire.

En l’espèce, force est de constater que la demanderesse reste en défaut d’alléguer et a fortiori de démontrer l’existence de défaillances systémiques dans la procédure d’asile et les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale en Belgique, cette dernière soutenant, en substance, uniquement que son transfert serait contraire aux dispositions des articles 3 et 13 de la CEDH, de l’article 4 de la Charte et 46 de la directive Procédure, ainsi que de l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III.

Le tribunal n’est pas lié par l’ordre des moyens dans lequel ils lui ont été soumis, mais il détient la faculté de les toiser suivant une bonne administration de la justice et l’effet utile qui s’en dégagent.

En ce qui concerne tout d’abord le moyen tenant à une violation par la décision ministérielle litigieuse des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte en raison du fait que, d’une part, la demanderesse affirme ne pas s’être vue notifier une décision quant à sa demande de protection internationale, et, d’autre part, qu’elle aurait été obligée de quitter la structure d’hébergement dans laquelle elle aurait été logée et de se retrouver à la rue, sans logement ni nourriture sans possibilité de se voir notifier une telle décision, le tribunal est amené à rappeler que le système européen commun d’asile a été conçu dans un contexte permettant de supposer que l’ensemble des Etats y participant, qu’ils soient Etats membres ou Etats tiers, respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève et le Protocole de 1967, ainsi que dans la CEDH, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard1. C’est précisément en raison de ce principe de confiance mutuelle que le législateur de l’Union européenne a adopté le règlement Dublin III en vue de rationaliser le traitement des demandes d’asile et d’éviter l’engorgement du système par l’obligation, pour les autorités des Etats, de traiter des demandes multiples introduites par un même demandeur, d’accroître la sécurité juridique en ce qui concerne la détermination de l’Etat responsable du traitement de la demande d’asile et ainsi d’éviter le « forum shopping », l’ensemble ayant pour objectif principal d’accélérer le traitement des demandes tant dans l’intérêt des demandeurs d’asile que des Etats participants2.

Dès lors, comme ce système européen commun d’asile repose sur la présomption -

réfragable - que l’ensemble des Etats y participant respectent les droits fondamentaux, en ce compris les droits trouvant leur fondement dans la Convention de Genève, et que les Etats membres peuvent s’accorder une confiance mutuelle à cet égard, il appartient au demandeur 1 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 78.

2 CJUE, 21 décembre 2011, N.S. e.a., C-411/10 et C-493/10, point 79 ; Trib. adm., 26 février 2014, n° 33956 du rôle, Trib. adm., 17 mars 2014, n° 34054 du rôle, ainsi que Trib. adm., 2 avril 2014, n° 34133 du rôle, disponibles sur le site www.jurad.etat.lu.de rapporter la preuve matérielle de défaillances avérées3. Dans son arrêt du 16 février 2017, la CJUE a, d’ailleurs, expressément réaffirmé l’existence tant de ce principe de confiance mutuelle que de la présomption réfragable s’en dégageant du respect des droits fondamentaux par les Etats participant au système européen commun d’asile4, tout en apportant des précisions quant à l’interprétation de l’article 4 de la Charte et aux obligations en découlant pour les Etats membres.

Le tribunal relève encore que la CJUE a, dans un arrêt du 19 mars 20195, confirmé ce principe selon lequel le droit de l’Union repose sur la prémisse fondamentale selon laquelle chaque Etat membre partage avec tous les autres Etats membres, et reconnaît que ceux-ci partagent avec lui, une série de valeurs communes sur lesquelles l’Union est fondée. Cette prémisse implique et justifie l’existence de la confiance mutuelle entre les Etats membres dans la reconnaissance de ces valeurs et, donc, dans le respect du droit de l’Union qui les met en œuvre, ainsi que dans le fait que leurs ordres juridiques nationaux respectifs sont en mesure de fournir une protection équivalente et effective des droits fondamentaux reconnus par la Charte, notamment aux articles 1er et 4 de celle-ci, qui consacrent l’une des valeurs fondamentales de l’Union et de ses Etats membres, de sorte qu’il doit être présumé que le traitement réservé aux demandeurs d’une protection internationale dans chaque Etat membre est conforme aux exigences de la Charte, de la Convention de Genève ainsi que de la CEDH.

Il résulte, par ailleurs, de cet arrêt du 19 mars 2019 que pour relever de l’article 4 de la Charte, des défaillances existant dans l’Etat membre responsable, doivent atteindre un seuil particulièrement élevé de gravité, qui dépend de l’ensemble des données de la cause. Aux termes de ce même arrêt, ce seuil particulièrement élevé de gravité serait atteint lorsque l’indifférence des autorités d’un Etat membre aurait pour conséquence qu’une personne entièrement dépendante de l’aide publique se trouverait, indépendamment de sa volonté et de ses choix personnels, dans une situation de dénuement matériel extrême, qui ne lui permettrait pas de faire face à ses besoins les plus élémentaires, tels que notamment ceux de se nourrir, de se laver et de se loger, et qui porterait atteinte à sa santé physique ou mentale ou la mettrait dans un état de dégradation incompatible avec la dignité humaine6.

Partant, ce seuil de gravité ne saurait couvrir des situations caractérisées même par une grande précarité ou une forte dégradation des conditions de vie de la personne concernée, lorsque celles-ci n’impliquent pas un dénuement matériel extrême plaçant cette personne dans une situation d’une gravité telle qu’elle peut être assimilée à un traitement inhumain ou dégradant : le seul fait que la protection sociale et/ou les conditions de vie sont plus favorables dans l’Etat membre requérant que dans l’Etat membre normalement responsable de l’examen de la demande de protection internationale, respectivement des suites à y donner n’est ainsi pas de nature à conforter la conclusion selon laquelle la personne concernée serait exposée, en cas de transfert vers ce dernier Etat membre, à un risque réel de subir un traitement contraire à l’article 4 de la Charte.

Toujours, suivant la jurisprudence de la CJUE et plus particulièrement de l’arrêt du 16 février 20177, l’article 4 de la Charte doit être interprété en ce sens que même en l’absence de raisons sérieuses de croire à l’existence de défaillances systémiques dans l’Etat membre 3 Voir aussi Verwaltungsgerichtshof Baden-Württemberg, 8 janvier 2015, n° A11 S 858/14.

4 CJUE, 16 février 2017, C. K., H. F., A.S. c. Republika Slovenija, C-578/16, point. 95.

5 CJUE, 19 mars 2019, Jawo c/ Bundesrepublik Deutschland, n° C-163/17, précité.

6 Idem, pt. 92.

7 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n° C-578/16, points 74 et 75. CJUE.responsable de l’examen de la demande d’asile, le transfert d’un demandeur de protection internationale dans le cadre du règlement Dublin III ne peut être opéré que dans des conditions excluant que ce transfert a pour conséquence un risque réel et avéré que l’intéressé subisse des traitements inhumains ou dégradants, au sens de cet article, étant précisé qu’il ressort de l’arrêt précité de la CJUE du 19 mars 20198 qu’il est indifférent, aux fins de l’application dudit article 4 de la Charte, que ce soit au moment même du transfert, lors de la procédure d’asile ou à l’issue de celle-ci que la personne concernée encourrait, en raison de son transfert vers l’Etat membre responsable, au sens du règlement Dublin III, un risque sérieux de subir un traitement inhumain et dégradant.

Ceci étant relevé, le tribunal est toutefois amené à retenir qu’en l’espèce, la demanderesse reste en défaut de démontrer qu’en cas de retour en Belgique, elle risquerait d’encourir un quelconque traitement inhumain ou dégradant au sens des dispositions internationales précitées, respectivement dans le sens retenu par la CJUE, nécessitant, tel que retenu ci-avant, des actes devant revêtir un certain seuil de gravité et entraînant des souffrances physiques ou psychologiques intenses.

En effet, le tribunal constate tout d’abord qu’il ne se dégage pas des éléments à sa disposition que la Belgique, qui a accepté de reprendre la demanderesse en charge sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III visant les demandeurs de protection internationale déboutés, ait refusé ou omis de traiter la demande de protection internationale de Madame …, tel que l’affirme cependant cette dernière.

Force est à cet égard au tribunal de relever qu’il ressort d’un courriel du 24 mai 2023, émanant de l’avocate de la demanderesse en Belgique, que le Conseil du Contentieux des étrangers, juridiction administrative belge, n’a pas encore rendu d’arrêt dans l’affaire concernant la demande de protection internationale de Madame …. Par la force des choses, il échet de constater que si le Conseil du Contentieux des étrangers est saisi d’un recours en matière de protection internationale de la part de Madame …, c’est bien en raison d’une décision de refus de sa demande de protection internationale par le Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides, refus qu’elle a soumis à un nouvel examen devant cette juridiction.

Il s’ensuit que les développements de la demanderesse selon lesquelles elle aurait quitté la Belgique en raison du fait qu’elle ne se serait pas vu notifier de décision relative à sa demande de protection internationale introduite le 6 janvier 2021 et notamment son affirmation que l’absence de décision prouverait que sa demande de protection internationale n’aurait pas fait l’objet d’une analyse juste et équitable, sont d’ores et déjà à rejeter pour se baser sur la prémisse erronée qu’elle n’aurait pas reçu de décision suite à sa demande de protection internationale introduite le 6 janvier 2021.

Le même constat s’impose quant au moyen de la demanderesse tenant à une absence de recours effectif dans son chef en Belgique, contraire aux articles 13 de la CEDH et 46 de la directive Procédure, le tribunal relevant, dans ce contexte, qu’il ne se dégage pas des éléments soumis à son analyse que les autorités belges compétentes auraient refusé ou refuseraient de lui garantir une protection conforme au droit international et au droit européen, ni qu’elle n’aurait pas pu faire valoir ses droits devant les autorités belges compétentes en usant des voies de droit adéquates, ce qu’elle a d’ailleurs pu faire en introduisant par l’intermédiaire de son 8 CJUE, grande chambre, 19 mars 2019, affaire C-163/17, Abubacarr Jawo c. Bundesrepublik Deutschland, pt.

91.avocate belge un recours contentieux devant le Conseil du Contentieux des étrangers, les développements de la demanderesse à cet égard restant au stade d’allégations non autrement étayées.

S’agissant ensuite de la crainte de la demanderesse de se retrouver sans soutien en cas de transfert en Belgique et de devoir y vivre dans la rue, il y a lieu de relever que cette crainte n’est sous-tendue par aucun élément tangible, la demanderesse qui, tel que relevé ci-avant, sera reprise en charge par les autorités belges sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, n’ayant plus particulièrement apporté aucun élément quant à la situation des demandeurs de protection internationale repris en charge sur le fondement de ladite disposition.

La demanderesse n’a plus particulièrement pas pris position par rapport aux conditions de vie minimales auxquelles elle serait en droit de prétendre en tant que demandeur de protection internationale débouté repris en charge par les autorités belges sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, notamment au vu des enseignements de l’arrêt de la CJUE du 19 mars 2019, précité9, ni fourni d’indices concordants permettant de retenir qu’en cas de transfert en Belgique, elle risquerait d’être confrontée à des difficultés atteignant un degré de gravité tel qu’elles puissent être qualifiées de traitements inhumains et dégradants au sens des articles 3 CEDH et 4 de la Charte.

Il y a encore lieu de préciser, dans ce contexte, que concernant les développements de la demanderesse selon lesquelles elle aurait dû quitter la structure d’hébergement dans laquelle elle avait été hébergée, la directive n° 2013/33/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant des normes pour l’accueil des personnes demandant la protection internationale (refonte), ci-après dénommée « la directive Accueil », prévoit explicitement la faculté de « limiter les possibilités d’abus du système d’accueil en précisant les circonstances dans lesquelles le bénéfice des conditions matérielles d’accueil pour les demandeurs peut être limité ou retiré, tout en garantissant un niveau de vie digne à tous les demandeurs »10. L’article 20 de cette directive prévoit, pour sa part, explicitement la possibilité pour les Etats membres notamment de limiter, voire de retirer, le bénéfice des conditions matérielles d’accueil, notamment lorsqu’un demandeur « a) abandonne le lieu de résidence fixé par l’autorité compétente sans en avoir informé ladite autorité ou, si une autorisation est nécessaire à cet effet, sans l’avoir obtenue » ou encore « c) a introduit une demande ultérieure telle que définie à l’article 2, point q), de la directive 2013/32/UE », c’est-à-dire une nouvelle demande de protection internationale « présentée après qu’une décision finale a été prise sur une demande antérieure, y compris le cas dans lequel le demandeur a explicitement retiré sa demande et le cas dans lequel l’autorité responsable de la détermination a rejeté une demande à la suite de son retrait implicite, conformément à l’article 28, paragraphe 1 ».

De même, si le 11ème considérant du règlement Dublin III prévoit explicitement que la directive Accueil est applicable aux demandeurs d’asile soumis à une procédure Dublin, il admet également explicitement l’application des limitations figurant dans cette même directive Accueil.

9 cf. note n° 1.

10 Considérant 25.Tel que relevé ci-avant, il est constant en cause que la demanderesse a été déboutée de sa demande de protection internationale en Belgique, cet Etat membre ayant accepté sa reprise en charge sur base de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III, précité.

En cas de transfert vers la Belgique, la demanderesse devra, dans ces conditions, soit y être considérée comme un migrant en situation irrégulière, à défaut d’y introduire une nouvelle demande de protection internationale, et, partant en sa qualité de demandeur d’asile débouté comme sortant du champ d’application de la Convention de Genève, soit, dans l’hypothèse de l’introduction d’une nouvelle demande, comme demandeur ayant formulé une demande ultérieure au sens de la législation européenne, de sorte à pouvoir, théoriquement, se voir opposer la limitation, voire le retrait de l’accès aux conditions matérielles d’accueil.

Le tribunal relève encore que la loi modifiée du 18 décembre 2015 relative à l’accueil des demandeurs de protection internationale et de protection temporaire, législation régissant les conditions d’accueil des demandeurs de protection internationale au Luxembourg, s’applique à tout ressortissant d’un pays tiers ou tout apatride ayant présenté une demande de protection internationale sur laquelle aucune décision finale n’a encore été prise, de sorte à exclure les demandeurs ayant formulé une « demande ultérieure », tandis que l’article 22 de la même loi permet au directeur de l’Office luxembourgeois de l’accueil et de l’intégration de limiter ou de retirer le bénéfice des conditions matérielles d’accueil lorsque le demandeur a notamment déjà introduit une demande de protection internationale au Grand-Duché de Luxembourg.

Dès lors, le fait même de limiter ou de restreindre totalement ou partiellement l’accès aux conditions matérielles d’accueil à des migrants ayant quitté sans autorisation leur lieu d’hébergement ou ayant introduit une demande ultérieure après avoir essuyé un premier refus définitif à leur demande de protection internationale est autorisé tant par la législation européenne que, à titre de mise en perspective, par la législation nationale luxembourgeoise.

Ainsi, même à admettre que la Belgique ait adopté une politique visant à restreindre l’accès au système d’accueil à certaines catégories de personnes et notamment à celles y ayant déjà été définitivement déboutées de leur demande de protection internationale, une telle politique ne peut pas per se être constitutive d’une violation des articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il suit de l’ensemble des considérations qui précèdent que la demanderesse n’a pas soumis au tribunal des éléments suffisamment convaincants permettant de retenir qu’en cas de retour en Belgique, elle encourrait un risque de se voir confrontée à une limitation de facto ou en vertu de dispositions légales ou réglementaires belges à des conditions d’accueil qui seraient contraires aux articles 3 de la CEDH et 4 de la Charte.

Il convient, par ailleurs, de souligner que si la demanderesse devait estimer que le système d’aide belge - que ce soit celui offert aux demandeurs de protection internationale ou celui accessible à tous les résidents belges - était à tel point avilissant qu’il impliquerait per se un traitement inhumain et dégradant contraire à l’article 4 de la Charte, respectivement à l’article 3 de la CEDH, il lui appartiendrait de faire valoir ses droits directement auprès des autorités belges en usant des voies de droit adéquates, respectivement devant les instances européennes adéquates ; il en va de même si la demanderesse devait estimer que le système belge n’était pas conforme aux normes européennes. Dans ce cas, il lui appartiendrait, tel que relevé ci-avant, de faire valoir ses droits directement auprès des autorités belges compétentesen usant des voies de droit adéquates.

Le tribunal est dès lors amené à conclure que la demanderesse n’apporte pas la preuve que, dans sa situation précise, ses droits tels que consacrés par l’article 4 de la Charte, respectivement l’article 3 de la CEDH, ne seraient pas garantis en cas de retour en Belgique, ni que, de manière générale, les droits des demandeurs d’une protection internationale transférés en Belgique sur le fondement de l’article 18, paragraphe (1), point d) du règlement Dublin III ne seraient automatiquement et systématiquement pas respectés en Belgique, ou encore que ceux-ci n’auraient aucun droit ou aucune possibilité de les faire valoir auprès des autorités belges en usant des voies de droit adéquates.

L’ensemble des considérations qui précédent amènent, dès lors, le tribunal à rejeter le moyen tiré d’une violation de l’article 3 de la CEDH et 4 de la Charte pour être dénué de fondement.

En ce qui concerne, enfin, le moyen de la demanderesse selon lequel il aurait appartenu au ministre de faire usage de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17, paragraphe (1) du règlement Dublin III, aux termes duquel : « Par dérogation à l’article 3, paragraphe 1, chaque État membre peut décider d’examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement.(…) », le tribunal précise que la possibilité, pour le ministre, d’appliquer cette disposition du règlement Dublin III relève de son pouvoir discrétionnaire, s’agissant d’une disposition facultative qui accorde un pouvoir d’appréciation étendu aux Etats membres, le caractère facultatif du recours à la disposition en question ayant encore été souligné dans un arrêt de la CJUE du 16 février 201711. Un pouvoir discrétionnaire des autorités administratives ne s’entend toutefois pas comme un pouvoir absolu, inconditionné ou à tout égard arbitraire, mais comme la faculté qu’elles ont de choisir, dans le cadre des lois, la solution qui leur paraît préférable pour la satisfaction des intérêts publics dont elles ont la charge12, le juge administratif étant appelé, en matière de recours en réformation, non pas à examiner si l’administration est restée à l’intérieur de sa marge d’appréciation, une telle démarche s’imposant en matière de recours en annulation, mais à vérifier si son appréciation se couvre avec celle de l’administration et, dans la négative, à substituer sa propre décision à celle de l’administration13.

Dans la mesure où le tribunal vient de retenir ci-avant dans le cadre de l’examen du bien-fondé de la décision entreprise par rapport à l’article 3 de la CEDH et 4 de la Charte que les prétentions de la demanderesse ne sont pas fondées, et que c’est sur base de cette même argumentation que la demanderesse estime que le ministre aurait dû appliquer la clause de souveraineté discrétionnaire, il y a lieu de conclure que le demandeur n’a pas mis en avant des raisons humanitaires ou exceptionnelles justifiant le recours à la clause discrétionnaire prévue à l’article 17, paragraphe (1), du règlement Dublin III, de sorte que le moyen afférent est à rejeter pour ne pas être fondé.

Cette conclusion n’est pas énervée par la mise en avant, dans ce contexte, par la demanderesse, du « stress de cette situation » ayant « développé une maladie psychosomatique 11 CJUE, 16 février 2017, C.K., H.F., A.S. c. Republika Slovenija, n°C-578/16, pts 88 et 97.

12 Trib. adm., 10 octobre 2007, n° 22641 du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en annulation, n° 58 et les autres références y citées.

13 Cour adm., 23 novembre 2010, n° 26851C du rôle, Pas. adm. 2022, V° Recours en réformation, n°12 et les autres références y citéesdu fait qu’elle crain[drait] de se retrouver seule à la rue en Belgique du fait de son transfert » et « du fait qu’elle crain[drait] pour sa vie de’être retrouvée par son cousin en Belgique », faits par ailleurs non documentés, alors qu’il ne ressort ni du dossier administratif, ni d’un quelconque autre élément soumis au tribunal, que l’état de santé de la demanderesse et notamment son état psychique serait tel qu’il constituerait un obstacle à son transfert vers la Belgique, ni que la Belgique ne serait pas capable, respectivement disposée de la protéger de son cousin au cas où elle demanderait une telle protection aux autorités belges, de sorte que la demanderesse laisse d’avoir prouvé que son état psychique serait actuellement d’une gravité particulière tel qu’il aurait dû amener le ministre à user de la clause discrétionnaire inscrite à l’article 17 du règlement Dublin III, respectivement qu’elle encourrait un quelconque danger en Belgique en raison de la prétendue présence de son cousin sur ledit territoire.

En l’absence d’autres moyens, le tribunal est amené à conclure que le recours en réformation est à rejeter pour ne pas être fondé dans les moyens mis en avant par la demanderesse.

Par ces motifs, le tribunal administratif, quatrième chambre, statuant contradictoirement ;

reçoit le recours en réformation en la forme ;

au fond, déclare le recours non justifié et en déboute ;

condamne la demanderesse aux frais et dépens de l’instance.

Ainsi jugé et prononcé à l’audience publique du 2 juin 2023 par :

Paul Nourissier, vice-président, Emilie Da Cruz De Sousa, juge, Laura Urbany, juge, en présence du greffier Paulo Aniceto Lopes.

s. Paulo Aniceto Lopes s. Paul Nourissier Reproduction certifiée conforme à l’original Luxembourg, le 2 juin 2023 Le greffier du tribunal administratif 14


Synthèse
Formation : Quatrième chambre
Numéro d'arrêt : 48904
Date de la décision : 02/06/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 10/06/2023
Identifiant URN:LEX : urn:lex;lu;tribunal.administratif;arret;2023-06-02;48904 ?

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